Histoire de l’Église de Corée Charles Dallet
[128] CHAPITRE IV
Les six martyrs de Nie-tsiou. —
Martyre de Barbe Sim, d’Alexis Hoang, etc. — Martyre du
P. Tsiou.
Nous
avons dit plus haut que le gouvernement de la régente
avait fait transférer à la capitale, pour y être jugés
par le Keum-pou, les chrétiens détenus dans les
prisons de Nie-tsiou et de Iang-keun. Ceux de
Nie-tsiou, arrêtés à diverses époques, avant la mort
du roi, avaient déjà subi de longues tortures quand
cet ordre fut exécuté. Nous allons donner ici les
quelques détails conservés par les traditions
coréennes sur les principaux de ces confesseurs. Martin Ni
Tsong-po-i, de la branche des Ni de Tsien, était né au
district de Nie-tsiou, d’une famille attachée au parti
Sio-ron. Il se faisait remarquer par son caractère
droit, mais violent et irascible, par ses
connaissances en médecine, par sa force et son courage
extraordinaires, et par son ambition démesurée. On
raconte de lui que dans tous ses voyages, même les
plus courts, il avait la manie de se reposer le jour
et de marcher seulement la nuit, et qu’il commettait
fréquemment, sans le moindre scrupule, des actes de
violence et d’injustice. Il fut amené à la foi par son
ami intime, Josaphat Kim Ken-sioun-i, le collaborateur
d’Augustin Tieng dans la composition de ce traité de
religion, qui ne put être terminé. Les deux amis se
firent chrétiens et furent baptisés ensemble. Dès lors
Martin fut un nouvel homme. Il réussit à dompter son
caractère, et ne conserva que sa droiture et sa
fermeté. Rempli d’une courageuse ferveur, il
professait ouvertement sa foi, et, avec son père et sa
femme qu’il avait convertis, accomplissait ses
exercices religieux sans se cacher de personne. Son
cousin Jean Ouen Sa-sin-i, de la ville de Nie-tsiou,
avait, lui aussi, été converti par Josaphat Kim, avec
lequel il était très-lié. Toute sa famille avait suivi
son exemple et pratiquait la religion chrétienne. A la
troisième lune de l’année kieng-sin (1800), Martin et
Jean allèrent passer les fêtes de Pâques chez un de
leurs amis, Tsieng Tsong-ho. Ce dernier, dont le nom
de baptême nous est inconnu, les reçut avec joie au
milieu de sa famille, qui était tout entière
chrétienne. Un chien fut tué, du vin préparé en
abondance, et, le — 129 — jour
de la fête, la famille et ses hôtes se réunirent à
quelques fidèles du voisinage, sur le bord de la
route. Là, tous récitèrent à haute voix l’Alleluia et
le Regina cœli,
puis chantèrent leurs prières au son de la calebasse.
Ils firent ensuite un repas avec la viande et le vin
qu’ils avaient apportés, et le repas terminé, les
chants recommencèrent. Le jour s’écoulait ainsi dans
des exercices de piété et dans un festin fraternel,
lorsque le mandarin, prévenu par des païens de ce qui
se passait, envoya des satellites pour les saisir. Ils
furent tous arrêtés et conduits en prison. Pendant le
trajet on passa devant la maison de Jean Ouen, et sa
vieille mère, tout en larmes, se jeta au-devant des
satellites, les conjurant de lui permettre de voir son
fils un instant avant de l’emmener, mais elle ne fut
pas écoutée, et les prisonniers continuèrent leur
route. Arrivés au tribunal, le mandarin leur dit : «
Dénoncez vos complices et ceux qui vous ont séduits,
et reniez Dieu. » Jean répondit au nom de tous : « II
nous est sévèrement défendu de dénoncer quelqu’un; et
dussions-nous mourir, nous ne pouvons nuire à
personne. Quant à renier Dieu, la chose est encore
plus impossible. » Le mandarin en colère leur fit
subir l’écartement des os et la puncture des bâtons.
Mais soutenus par le courage et les exhortations de
Martin Ni, tous furent fermes dans ces violents
supplices, qu’on renouvela inutilement plusieurs fois.
Ils furent ensuite enfermés dans la prison. Vers
cette époque, vivait à Tiem-teul, dans ce même
district de Nie-tsiou, un noble nommé Im Hei-ieng-i,
de la branche des Im de Pong-tsien. Son père, sa mère,
ses frères et sœurs étaient fervents chrétiens. Lui
seul s’obstinait à rester païen, et donnait pour
excuse que c’était une chose au-dessus de ses forces,
« puisque, disait-il, pour pratiquer fidèlement la
religion, il faudrait n’avoir ni yeux, ni oreilles, ni
aucun autre sens. » A toutes les exhortations, à tous
les reproches de son père, il ne répondait jamais un
seul mot. Sur son lit de mort, son père le fit appeler
et lui dit : « Si avant de mourir je te voyais
chrétien, je n’aurais plus aucun regret en quittant ce
monde. » Le fils gardant le silence, « Je dois mourir
demain, reprit le père. A ton air, je suppose qu’après
ma mort tu comptes me faire les sacrifices d’usage
pour les parents. Pendant ma vie tu ne m’as guère
écouté, eh bien ! écoute maintenant : si après ma mort
tu fais les sacrifices, je ne te regarde plus comme
mon fils, et je te défends de porter mon deuil. » De
telles paroles sont, chez tous les Orientaux, mais en
Corée surtout, le plus terrible des anathèmes. Ici
encore Hei-ieng-i ne répondit rien. — 130 — Deux
jours après, son père étant mort, il donna des marques
non équivoques de sa désolation, se revêtit des habits
de deuil, mais ne fit aucun des sacrifices accoutumés.
Tous ses parents et alliés, toutes ses connaissances
le regardaient avec surprise, et ne dissimulaient ni
leur mécontentement ni leurs murmures. Au printemps de
l’année kieng-sin (1800) arriva le premier
anniversaire, et alors encore il ne fit aucun
sacrifice. Bientôt après, le mandarin de Nie-tsiou,
qui le surveillait, envoya des satellites et le fil
comparaître à son tribunal, « Je sais clairement, lui
dit-il, que tu ne suis pas la religion du Maître du
ciel, mais on t’accuse de ne pas faire les sacrifices
aux parents défunts. Si cela est vrai, je serai forcé
de te faire mourir. » Hei-ieng-i resta muet comme
devant son père, et fut conduit dans la prison où se
trouvaient déjà Martin Ni, Jean Ouen et leurs
compagnons, pour être jugé et condamné avec eux. Deux
chrétiens avaient été pris dans la maison de
Hei-ieng-i, en même temps que lui. C’étaient Tsio
Tsiei-tong-i, et son fils Pierre Tsio long-sam-i. Ce
Tsio Tsiei-tong-i était un noble du district de
Iang-keun, de la branche des Tsio de An-hiang. Devenu
veuf et tombé dans la misère, il avait quitté son pays
natal où il ne pouvait plus subsister, et s’était
réfugié avec ses deux fils chez Hei-ieng-i, qui,
depuis quelque temps, leur accordait une généreuse
hospitalité. Pierre Iong-sam-i, l’aîné des fils de
Tsio, était d’un tempérament faible et maladif, d’un
extérieur fort peu avantageux, et d’une ignorance
absolue de toutes les choses de ce monde, ce qui,
joint à la pauvreté de sa famille, l’avait empêché de
trouver un parti. Bien qu’âgé de trente ans, il
n’avait pu encore prendre le chapeau et se marier (1).
Tous se riaient de lui, le seul Augustin Tieng avait
su reconnaître une grande âme dans ce corps chétif. Il
le traitait avec beaucoup d’égards, et ne cessait de
louer sa foi et sa vertu. Quand les satellites vinrent
arrêter Hei-ieng-i, Pierre et son père furent saisis
avec leur hôte, mais Ho-sam-i, le frère de Pierre,
parvint à s’évader. Pendant
la route, Tsio dit à son fils : « Cette fois, je suis
décidé à donner ma vie pour Dieu, et je serai
certainement martyr. Pour toi que feras-tu? » Pierre
répondit : « Nul ne peut se fier à ses résolutions ni
à ses forces; comment oserais-je, faible (1) En
Corée, les jeunes gens n’ont pas le droit de porter
chapeau avant leur mariage. Ils vont tête nue, les
cheveux pendants, et liés en une seule tresse. A
l’époque du mariage seulement, ils les relèvent et les
nouent au sommet de leur tête. — 131
— et
misérable que je suis, me promettre le martyre ? » Ils
furent conduits au mandarin, et, dès le premier
interrogatoire, le père fut puni de sa folle
présomption et, pour avoir trop compté sur ses propres
forces, fit une chute déplorable. Le mandarin dit à
Pierre : « Toi aussi renonce à ta religion. — Je ne
puis le faire, répondit Pierre. — Eh quoi! quand ton
père veut conserver sa vie, tu voudrais mourir?
N’est-ce pas là un manque de piété filiale? —
Nullement. Si les parents viennent à dévier et que les
enfants continuent à remplir tous leurs devoirs,
dirat-on pour cela que les enfants manquent à la piété
filiale? Chacun, il est vrai, doit honorer et servir
son père et sa mère selon la nature, mais il y a,
avant eux et au-dessus d’eux, le grand Roi et Père
commun de toutes les créatures du ciel et de la terre;
c’est Lui qui a donné la vie à mes parents, c’est Lui
aussi qui me l’a donnée, comment dès lors pourrais-je
le renier? » Le mandarin irrité lui fit subir deux ou
trois autres interrogatoires accompagnés de tortures
plus cruelles qu’à l’ordinaire, dans lesquelles il eut
un genou brisé et détaché de la jambe, et tout le
corps couvert de plaies. Pierre eut à supporter une
épreuve plus redoutable. Le mandarin voyant
l’inutilité des exhortations et des supplices, fit
appeler le père et lui dit en présence du confesseur :
« Je suis forcé de vous faire mourir à cause de votre
fils. Parlez-lui donc, une seule de vos paroles peut
sauver la vie à tous les deux; tout dépend de vous,
exhortez-le à se repentir. » En même temps, il le fit
frapper cruellement sous les yeux de son fils. Pierre,
vaincu, s’écria : « Je ne puis rompre avec les
sentiments de la nature. Je ne veux pas que mon père
meure à cause de moi, sauvez-nous tous deux. » Puis il
fit sa soumission, et le mandarin, joyeux de son
succès, les fît relâcher et renvoyer immédiatement. Mais
Pierre en sortant du tribunal rencontra Martin Ni, qui
le réprimanda vivement de sa faiblesse, et l’exhorta à
une prompte pénitence. Il n’avait cédé qua un
aveuglement de tendresse filiale, et la loi était
toujours vivante dans son cœur. Effrayé de sa faute et
touché d’un sincère repentir, il passa la nuit dans
les larmes, et dès le lendemain matin se présenta
devant le juge : « Ce que j’ai fait hier, lui dit-il,
est maintenant pour moi la cause d’un regret mortel.
J’espère que le mandarin voudra bien faire mourir le
fils pour sa propre faute et traiter le père selon ses
désirs, car il serait injuste, pour la faute du fils,
de faire mourir aussi le père? A chacun selon ses
œuvres. » Le
mandarin, d’autant plus vexé qu’il s’était imaginé à
la — 132 — mine
chétive de Pierre venir facilement à bout de son
obstination, le fît enfermer très-étroitement. Puis, à
chaque interrogatoire, il ne manqua pas de le faire
frapper plus longtemps et plus violemment que les
autres chrétiens. Mais tout fut inutile, et Pierre,
protégé par son humble contrition, aussi bien que par
la grâce divine, demeura inébranlable. Le même
mandarin avait fait arrêter aussi le beau-père de Jean
Ouen, Marcellin T’soi Tsiong-tsiou, vulgairement nommé
Ie-tsiong-i. C’était un noble du district de
Nie-tsiou, qui pratiquait la religion avec toute sa
famille. En 1791, il avait échappé à la persécution
par l’apostasie. Mais, depuis lors, il ne cessa de
faire pénitence de sa faute, et de demander à Dieu la
grâce de la laver dans son propre sang. Lorsque les
premiers bruits de persécution s’élevèrent, il
repondit en riant à sa femme qui l’exhortait à fuir :
« Sois tranquille, quand je ne serai plus, tu vivras
tout de même. » Sa mère lui fit aussi de vives
instances, et par respect pour ses ordres, il quitta
la maison et partit pour la capitale. Mais à peine en
route, il changea de résolution et revint chez lui. Ce
soir-là même, les satellites envoyés de Nie-tsiou le
saisirent et le traînèrent au tribunal. « De qui as-tu
appris la religion, lui demanda le mandarin, et quels
sont tes complices? Dénonce tout. — La religion,
répondit Marcellin, me défend de nuire à qui que ce
soit. Je n’ai rien à déclarer. » Le mandarin le fit
mettre à la question, lui fit donner la bastonnade, et
enfin voyant, qu’il restait ferme dans sa foi, le fit
jeter dans la même prison où étaient déjà son gendre
Jean Ouen, Martin Ni, les quelques confesseurs dont
nous venons de parler, et un assez grand nombre
d’autres chrétiens. Pendant
plus de six mois, les prisonniers eurent à
comparaître, une fois tous les quinze jours, devant le
mandarin, pour y être interrogés et subir des tortures
de plus en plus cruelles. On assure que le corps de
Jean Ouen, mis en lambeaux par ces exécutions
réitérées, fut à diverses reprises miraculeusement
guéri. La famille de Jean tenta plusieurs fois de
l’ébranler, et une vieille esclave venait souvent lui
faire la plus triste peinture de la désolation de sa
mère et de sa femme. Un jour qu’il paraissait plus ému
que de coutume à ces récits, Martin Ni vint à son
aide, et lança de travers à la vieille un regard si
terrible, qu’elle s’enfuit épouvantée et n’osa plus
revenir. Martin,
de son côté, eut à subir une tentation redoutable. Son
vieux père vint, tout en larmes, le trouver dans sa
prison et, lui prenant la main, lui dit : « Veux-tu
donc mourir et abandonner — 133 — ton
père aux cheveux blancs? — Mon père, répondit Martin,
je n’oublie point les devoirs de la piété filiale.
Sans doute, ma conduite paraît bien peu généreuse,
mais vous êtes chrétien comme moi, et nous devons voir
les choses de plus haut. Serait-il juste, en cédant à
des affections naturelles, de renier notre Père qui
est aux cieux? Jugez vous-même. » Dieu
sembla récompenser cette foi héroïque par le don des
guérisons. En effet, quoique Martin eût une certaine
connaissance de la médecine, il est difficile
d’expliquer naturellement ce fait, attesté par des
témoins oculaires, que tous les malades qui vinrent le
consulter dans sa prison s’en retournèrent guéris. Sa
réputation s’était étendue au loin; les malades
arrivaient en foule, au point que la porte de la
prison ressemblait à une place de marché. Le mandarin
n’osait s’y opposer, car plusieurs de ses propres
serviteurs avaient été guéris. Josaphat Kim
Ken-sioun-i, interrogé sur les guérisons opérées par
Martin, répondait alors même, pour ne pas faire trop
d’éclat, que sur dix infirmes huit ou neuf
guérissaient; mais il a avoué depuis que les guérisons
étaient de dix sur dix, de cent sur cent, et que pas
un malade ne se retira sans une cure complète. Les
geôliers demandaient à voir ses livres de médecine,
Martin leur répondit : « Je n’ai .aucune formule à
moi, seulement je sers le Maître du ciel. Si vous
voulez étudier la médecine, il faut d’abord commencer
comme moi par croire en Dieu. — Mais vous prétendez
avoir brûlé tous vos livres, comment pourrions-nous
apprendre? » Martin dit en riant : « J’ai dans le cœur
des livres incombustibles qui suffisent amplement pour
vous instruire, et vous apprendre à pratiquer la
religion. » Fatigués
de leur longue détention et des continuels supplices
qu’il leur fallait subir, plusieurs prisonniers
chrétiens se laissèrent peu à peu gagner par la
tiédeur et le découragement. Martin Ni, toujours
enflammé de zèle, ne cessait de les exhorter et
encourager. « Nous avons été pris en même temps, leur
disait-il. Quel bonheur si tous nous pouvions mourir
le même jour pour Dieu ! » Mais ses efforts et les
prières de ses fervents amis n’eurent pas un plein
succès, et un certain nombre de leurs compagnons de
captivité achetèrent la délivrance, en prononçant une
formule d’apostasie. Pour consoler ceux qui restaient.
Dieu permit qu’un des geôliers, touché de la grâce, se
convertît alors même, et devînt un fervent chrétien. A la
dixième lune de l’année 1800, les confesseurs furent
cités devant le gouverneur de la province, qui essaya
tout d’abord de — 134 — les
gagner par la douceur, disant qu’une seule parole
d’apostasie les ferait de suite mettre en liberté.
Marcellin répondit au nom de tous : « Après avoir eu
le bonheur de connaître et de servir le vrai Dieu, roi
et père de tous les hommes, nous ne pouvons le renier.
Nous préférons mourir. » Voyant toutes ses tentatives
inutiles, le gouverneur leur fit donner la bastonnade
sur les jambes, prononça contre eux une sentence de
mort qu’il leur fit signer, puis les renvoya à la
prison. Ils reçurent cette sentence avec une sainte
joie, et dès lors redoublèrent de ferveur dans leurs
oraisons et la pratique de tous leurs devoirs, afin
d’obtenir la grâce de rester fermes jusqu’à la
consommation de leur sacrifice. Cependant,
le païen Im Hei-ieng-i avait subi régulièrement avec
les chrétiens deux interrogatoires par mois, sans
jamais y proférer une parole. Comme eux, il avait
souffert de violents supplices, et toujours sans
pousser aucun cri, ni même ouvrir la bouche. Le juge
stupéfait lui dit à plusieurs reprises : « Toi qui
n’es pas chrétien, promets seulement de faire les
sacrifices d’usage et je te renvoie immédiatement;
mais si tu refuses de le faire, je te mettrai à mort.
» Hei-ieng-i restait toujours muet. Enfin, après
l’interrogatoire de la dixième lune, les chrétiens ses
compagnons de prison lui dirent : « Pour toi qui
n’adores pas notre Dieu, les supplices que tu endures
sont tout à fait inutiles. Il vaudrait bien mieux
faire ta soumission et te conserver la vie.» Alors
seulement il répondit : « Mon père à l’heure de la
mort, en déclarant ses dernières volontés m’a dit : Si
tu fais les sacrifices pour moi, tu n’es plus mon
fils, et je te défends de porter mon deuil; maintenant
que j’ai pris le deuil, comment pourrais-je pour me
conserver la vie promettre de faire les sacrifices? Si
l’on me tue, j’en serai quitte pour mourir; mais faire
les sacrifices, jamais ! » Ce
respect pour les ordres d’un père mourant, cette
résolution inébranlable de ne jamais les enfreindre,
peuvent sembler bien extraordinaires, surtout chez un
païen. Mais, quand on connaît l’esprit de ce peuple,
dont toute la religion se résume dans l’honneur et
l’obéissance que les enfants doivent à leurs parents
vivants ou morts, l’étonnement diminue. Tous les
missionnaires peuvent affirmer, pour l’avoir vu, que
des faits analogues ne sont pas rares dans ce pays. Les
chrétiens voyant Hei-ieng-i si déterminé,
travaillèrent à l’exhorter et à l’instruire. Ils lui
firent comprendre que puisque son père était mort
chrétien, et lui avait défendu les sacrifices par
respect pour la vraie religion, ce serait lui obéir
beaucoup — 135 — plus
complètement, et se procurer la seule chance de le
revoir un jour au ciel, que de se faire chrétien comme
lui. La grâce de Dieu aidant leurs paroles, Hei-ieng-i
se convertit sincèrement, et ne fit plus avec eux
qu’un coeur et qu’une âme. On croit qu’il fut baptisé
dans la prison. Le
gouverneur cependant laissait traîner les choses en
longueur, et n’osait point faire exécuter de suite la
sentence de mort qu’il avait portée. Les sentiments
personnels du roi lui étaient connus, et il craignait
de se compromettre. Mais aussitôt que l’édit de
persécution eut été publié par la régente, il fit
comparaître de nouveau les confesseurs, et ordonna de
les torturer cruellement. C’est dans cet
interrogatoire que Pierre Tsio Iong-sam-i répondit : «
Il n’y a pas deux Seigneurs au ciel, et l’homme n’a
pas deux cœurs. Mon seul désir est maintenant de
mourir pour Dieu. Il est inutile de m’interroger
davantage, je n’ai rien autre chose à dire. » Il fut
alors fustigé d’une manière si atroce, qu’un ou deux
jours après, le 14 delà deuxième lune, il rendit le
dernier soupir, après avoir été baptisé dans la
prison, car il n’était que catéchumène. Le bruit
courut bientôt qu’il apparaissait du feu sur l’endroit
où son corps avait été déposé. Les satellites et un
grand nombre de curieux allèrent s’en assurer, et
virent, non du feu, mais une lumière étrange au-dessus
du tombeau. Les chrétiens de cette province ont
conservé pour Pierre une grande vénération, et souvent
encore on les entend parler de lui avec un respect et
une confiance extraordinaires. Les
autres prisonniers furent conduits à la capitale. Le
tribunal Keum-pou confirma de suite la sentence de
mort, et afin de frapper de terreur les populations,
ordonna qu’ils fussent reconduits dans leur propre
district de Nie-Tsiou, pour y être exécutés. Le 13 de
la troisième lune (25 avril 1801), ils furent tous les
cinq décapités en dehors des murs de cette ville. Jean
Ouen n’avait que vingt-huit ans; Marcellin T’soi en
avait cinquante-trois; Martin Ni et Tsieng Tsong-ho,
avaient environ cinquante ans; nous ignorons quel
était l’âge de Im Hei-ieng-i. Cinq soldats avaient été
chargés de trancher la tête aux martyrs. Mais le
moment venu, quatre d’entré eux se refusèrent à cet
office, et le cinquième seul consentit à les tuer
tous. Quelques instants après, ce malheureux
poursuivi, disait-il, par les ombres sanglantes de ses
victimes, alla se précipiter dans la rivière, et s’y
noya. Ce même
jour, 25 avril, la ville de Iang-keun eut aussi ses — 136 — martyrs,
dont la sentence, selon toute probabilité, avait été
ratifiée par le tribunal suprême en même temps que
celle des confesseurs de Nie-tsiou. Les principaux
étaient Sou Han-siouk-i et Jacques Ioun. Le
premier appelé aussi Sa-kiem-i, appartenait à une
famille de demi-nobles du village de Tong-mak-kol, au
district de Iang-keun. L’histoire de sa vie et de son
martyre ne nous est point parvenue. Nous n’avons non
plus aucun détail sur Jacques Ioun, frère cadet de ce
Paul Ioun, qui fut martyrisé en 1795, pour avoir
introduit le prêtre en Corée. Et il ne faut pas
s’étonner si les actes du procès de Jacques ne purent
être recueillis, car cette famille fut à peu près
anéantie par la persécution. Son père et un de ses
oncles furent déportés dans les îles; un autre oncle
du nom de André Ioun Koan-siou mourut dans les
tortures, et nous verrons bientôt la fin glorieuse
d’Agathe Ioun, cousine germaine de Paul et de Jacques.
La
tradition la plus autorisée porte à treize le nombre
total de chrétiens martyrisés à Iang-keun pendant ce
mois. Ils sont en grande vénération parmi les
chrétiens, quoique les noms de presque tous soient
maintenant oubliés. Toutes
ces exécutions, loin d’assouvir la soif que les
persécuteurs avaient du sang des chrétiens, ne
faisaient que l’irriter de plus en plus. Le tribunal
Keum-pou fonctionnait avec une activité diabolique.
Chaque jour, de nouveaux procès et de nouveaux
supplices. Le 2 de la quatrième lune (14 mai), six
confesseurs furent condamnés à mort et exécutés.
C’étaient : Charles Tieng, Pierre T’soi, Tieng
In-ick-i, Ni Hap-kiou,et deux femmes, nommées Oun-hiei
et Pok-hiei. Ces quatre derniers ne nous sont connus
que par le texte officiel de leurs sentences, tel
qu’il est conservé dans les actes publics; nous
ignorons leurs noms de baptême. Voici quelques détails
sur les deux autres. Charles
Tieng Tsiel-iang-i, fils du glorieux martyr Augustin
Tieng, ayant, dès le bas âge, perdu sa mère, fut
instruit de la foi chrétienne, et formé à la pratique
de la religion, par les paroles et les exemples de son
père. A une telle école, il fit de rapides progrès, et
méprisant les honneurs auxquels sa naissance semblait
devoir lui donner un accès si facile, il ne se proposa
qu’un seul but : servir Dieu de toutes ses forces,
l’aimer de tout son cœur, et, par là, assurer le salut
de son âme. Il avait
environ vingt ans, quand éclata la persécution de
1801. Son père et son oncle ayant été enfermés à la
prison du Keum — 137 — pou,
Charles les suivit selon l’usage, et resta en dehors,
près de la prison, pour tâcher de leur rendre quelques
services, et d’adoucir leur captivité. Il ne quitta
point ce poste jusqu’à la mort de son père. Pendant
qu’il était là, les juges, à plusieurs reprises,
renvoyèrent sommer de faire connaître tout ce qu’il
savait des affaires du prêtre, et de déclarer le lieu
où il s’était retiré, ajoutant que c’était le seul
moyen de sauver la vie à son père. La tentation dut
être bien violente pour un cœur comme celui de
Charles, néanmoins il ne s’y laissa pas entraîner. On
eut beau le mettre à d’horribles tortures; on eut beau
faire subir devant lui d’autres supplices à son père
et à son oncle, il resta inébranlable, et ne dit pas
un mot qui pût compromettre le prêtre ou la
chrétienté. Sorti victorieux de cette épreuve, il
continua à rester près de la prison, et quand son
frère eut obtenu la couronne, il fut saisi lui-même et
traduit devant le tribunal des crimes. Il ne faiblit
pas un instant, ne témoignant qu’un désir, celui de
suivre son père et, comme lui, de mourir pour Dieu. La
captivité dura un peu plus d’un mois, pendant lequel
ce jeune homme élevé dans l’abondance et la
délicatesse dut, pour se procurer la nourriture,
tresser des souliers de paille. Le jour
venu, il marcha résolument au supplice et présenta
avec joie sa tête au bourreau. Son corps, recueilli
par sa famille, fut enterré avec celui de son père à
Ma-tsai. Augustin avait laissé une veuve et trois
enfants; Charles laissait aussi une jeune veuve et un
fils. Leur maison et leurs biens ayant été confisqués,
tous restaient sans ressources, et leurs parents, par
crainte de la mort, semblaient redouter de leur venir
en aide. Toutefois, un ancien ami d’Augustin ayant
reconduit ces pauvres délaissés à Ma-tsai, on n’eut
pas le courage de les chasser, et ils commencèrent dès
lors une vie de gêne et d’épreuves, que la Providence
rendit, comme nous le verrons plus tard,
très-abondante en fruits de salut. Pierre
T’soi Pil-tsie-i, cousin germain du martyr Thomas
T’soi, semble avoir, lui aussi, pris beaucoup de part
aux affaires de la religion, en Corée. Il était de
ceux qui, arrêtés en 1794, se rachetèrent par
l’apostasie, mais reprirent bientôt la pratique de
tous leurs devoirs religieux. Les efforts continus de
son père pour le détacher du christianisme n’eurent
aucun succès, et ne servirent qu’à éprouver sa vertu
dans le creuset des persécutions domestiques, plus
dangereuses souvent que les interrogatoires et les
supplices officiels. Pierre fut saisi et emprisonné
avec son cousin Thomas. Celui-ci
ayant été décapité, Pierre demanda la permission de — 138 — sortir
de la prison pour aller lui donner la sépulture. Ces
derniers devoirs des enfants envers leurs parents, ou
des membres d’une même famille entre eux, sont quelque
chose de si essentiel, de si sacré aux yeux des
Coréens, que les détenus pour délit civil sont presque
toujours momentanément relâchés en pareil cas, et
qu’il n’est pas rare de voir même les grands criminels
et les condamnés à mort obtenir congé de s’absenter
quelques jours. L’histoire de nos martyrs offre
plusieurs exemples analogues. Pierre reçut donc cette
permission, et le fonctionnaire par qui elle fut
accordée, touché de commisération, lui insinua d’en
profiter pour échapper par la fuite à une mort
inévitable. Mais le généreux confesseur n’eut garde de
suivre cette insinuation. « Je veux me venger du
démon, disait-il à quelques amis, je veux réparer mon
apostasie d’autrefois, et mon plus grand bonheur sera
de donner ma tête, pour le témoignage de Jésus-Christ.
» En conséquence, les cérémonies de l’enterrement
terminées, il revint de lui-même, au terme fixé, se
reconstituer prisonnier, et quelques jours après, eut
la tête tranchée. Il avait alors trente-deux ans. C’est
aussi au commencement de la quatrième lune que fut
mise à mort une jeune vierge, nommée Barbe Sim, du
district de Koangtsiou. Touchée des grands exemples
qu’elle avait rencontrés dans la vie des saints, elle
avait résolu de renoncer au mariage, et de consacrer à
Dieu sa virginité. Elle vivait retirée, dans sa
famille, et pratiquait la religion avec une ferveur
exemplaire. Son frère, Sim Io-san, ayant été arrêté
comme chrétien, elle dit un jour à ceux qui
l’entouraient: « Mon frère m’attend, pour que nous
soyons martyrs tous deux ensemble. » Cette parole
n’attira point l’attention, mais ce jour-là même, les
satellites se présentèrent en disant qu’ils venaient
chercher la jeune chrétienne qui se trouvait à la
maison. On leur répondit que certainement ils se
trompaient, qu’il n’y avait personne, etc..; mais ils
étaient trop bien renseignés pour lâcher prise, ils
s’obstinèrent et en vinrent aux menaces. Barbe, les
entendant, dit à sa mère : « Ne vous contristez pas
trop, et laissez-moi obéir à la volonté de Dieu. »
Aussitôt, sortant de l’appartement des fcmmes, elle se
présenta devant les satellites, et leur fit nettement
sa profession de foi. Sur leur ordre, elle se prépara
à les suivre, changea d’habits sans s’émouvoir, se
laissa arrêter et conduire à la capitale, où sa
constance dans la foi lui mérita, après vingt jours
seulement d’épreuves, d’aller recevoir la double
couronne du martyre et de la virginité. Elle eut la
tête tranchée à l’âge de dix-neuf ans. Son corps fut
recueilli par sa famille, et l’on assure que son
visage — 139 — n’avait
aucunement changé, et que ses membres conservaient la
flexibilité et la fraîcheur de la vie. Le
martyre suivant qui, selon toute probabilité, eut lieu
presque le même jour, est pour nous d’un intérêt
particulier. Chez les peuples chrétiens, on est
tellement habitué à reconnaître l’égalité devant Dieu
de tous les hommes quels qu’ils soient, grands ou
petits, nobles ou roturiers, riches ou pauvres, que
l’on est tenté de regarder cette notion comme toute
naturelle. On oublie trop facilement que c’est
Jésus-Christ seul qui nous a révélé cette égalité, en
nous apprenant que tous nous sommes appelés à être
fils de Dieu. Mais dans tous les pays infidèles,
aujourd’hui en Corée comme autrefois à Rome et dans la
Grèce, ce qui est naturel, c’est le mépris de l’homme
pour l’homme; l’égalité chrétienne, au contraire, est
maintenant comme jadis, le dogme de l’Évangile le plus
révoltant pour l’orgueil des païens. Aussi, pour
l’instruction et l’édification des néophytes de Corée,
Dieu daigna-t-il montrer sa souveraine indépendance
dans la distribution de ses dons, en choisissant un de
ses plus glorieux martyrs dans la classe la plus
infime et la plus avilie du pays. Alexis
Hoang Il-koang-i, né à Hong-tsiou, dans le Nai-po,
était de la caste des abatteurs de bœufs, caste
tellement méprisée en Corée, que ceux qui en font
partie sont mis au-dessous des esclaves. On les
regarde comme des êtres dégradés, en dehors de
l’humanité; ils sont forcés de se faire des
habitations à part, loin des villes ou villages, et ne
peuvent avoir avec personne les relations ordinaires
de la vie. L’enfance
et la jeunesse d’Alexis se passèrent dans sa famille,
au milieu des insultes et des rebuts de tous, triste
héritage que recueillent, de race en race, ceux de sa
condition. La Providence, comme pour l’en dédommager,
lui avait donné une intelligence remarquable, un
esprit vif, un cœur ardent, un caractère plein de
gaieté et de franchise. A peine fut-il instruit de la
religion, qu’il l’embrassa de grand cœur, et pour la
pratiquer plus librement, quitta son pays avec son
frère cadet, et alla s’établir au loin, dans la
province de Kieng-siang. Là, cachant son extraction
aux païens, il avait plus de facilité pour communiquer
avec les chrétiens. Ceux-ci connaissaient bien son
origine, mais loin de lui en faire un reproche, ils
s’empressaient par charité de le traiter en frère.
Partout, même chez les nobles, il était reçu dans
l’intérieur des appartements, sur le même pied que
tous les fidèles; ce qui lui faisait dire plaisamment
que, pour lui, il y avait deux paradis, 140 l’un
sur la terre, à cause de la manière trop honorable
dont on le traitait, vu sa condition, et l’autre dans
la vie future. De
Kieng-siang, il passa plus tard à la capitale, et fut
reçu dans la maison d’Augustin Tieng, où il vécut sur
le pied ordinaire des domestiques, rendant au maître
de la maison les services habituels. Sa ferveur, loin
de diminuer, augmentait de jour en jour, et excitait
l’admiration de tous. Au printemps de cette année,
quelques jours avant l’arrestation d’Augustin, il
était sorti pour acheter du bois, selon son office,
quand, rencontré par les satellites, il fut pris et
mené en prison. Il ne se laissa pas intimider et, d’un
ton jovial, dit à ceux qui le conduisaient : « Vous me
transportez de la préfecture de Namon-an à celle
d’Ok-t’sien, qui est un lieu de délices, je vous suis
très-reconnaissant de cet insigne bienfait. » Dans la
langue coréenne, namon signifie bois, et ok veut dire
prison. En nommant ces deux préfectures, Alexis
faisait allusion à ce qu’au lieu d’acheter du bois,
comme son maître le lui avait commandé, il se trouvait
jeté en prison. Dans les
divers interrogatoires qu’il eut à subir, il répondit
toujours noblement et avec une sainte liberté à tout
ce que les juges lui opposaient, et ceux-ci, irrités
de ce qu’un homme d’aussi basse condition ne les
craignait pas, et refusait la vie qu’on lui offrait au
prix de l’apostasie, lui firent endurer d’affreuses
tortures. Alexis les supporta non-seulement avec
fermeté, mais avec une joie toute céleste. « Dussé-je
souffrir dix mille fois plus, criait-il, je ne
renierai pas Jésus-Christ, faites de moi ce que vous
voudrez.» Après l’avoir fait battre d’une manière si
cruelle, qu’une de ses jambes en resta brisée et
broyée, on le condamna à mort et on l’envoya pour être
exécuté à Hong-tsiou, sa ville natale. Porté sur une
litière en paille, parce qu’il ne pouvait plus
marcher, il conserva, dans la route, malgré
d’horribles souffrances, toute sa gaieté naturelle. Sa
femme et son fils le suivaient pour le servir jusqu’au
dernier moment, mais de peur qu’ils ne fussent pour
lui le sujet de quelque tentation, il ne voulut jamais
les laisser approcher. Le jour même de son arrivée à
Hong-tsiou il fut décapité. Il avait alors
quarante-cinq ans. Les rares
vertus d’Alexis, qui formaient un si touchant
contraste avec la bassesse de son extraction, ont
rendu son nom populaire parmi les chrétiens, et ils le
citent encore aujourd’hui avec respect et admiration,
comme un de leurs plus illustres confesseurs. Mais les
païens de ce pays, et surtout les nobles, rient d’un
air méprisant quand ils entendent dire qu’un homme de
cette classe est l’honneur de la religion. Gentibus autem
stultitiam; — 141 — la
sagesse de Dieu a toujours été et sera toujours folie
aux nations. Quatre
chrétiens du district de Koang-tsiou, dénoncés par des
apostats, avaient été saisis à la même époque.
C’étaient : Pak T’sioung-hoan-i; Pak Ioun-hoan-i,
frère aîné du précédent; Sim Io-san, le frère de la
vierge martyre Barbe Sim, et Tso Tsai-tso. Après avoir
été plusieurs fois interrogés et mis à la question par
leur propre mandarin, ils furent, comme les autres
chrétiens, expédiés à la capitale. Mais, quoiqu’ils
fussent restés également fermes dans les tortures, le
premier seul eut la tète tranchée; les trois autres,
pour des raisons qui nous sont restées inconnues,
furent exilés séparément dans les provinces les plus
reculées du royaume. Une tradition dit qu’une grande
sécheresse étant survenue alors, le peuple murmura
contre la cruauté de la régente, l’accusant de
provoquer le courroux du ciel par tant de sang versé.
La régente effrayée aurait commué la sentence de mort,
quelques heures seulement avant qu’elle ne fût
exécutée. Mais cette explication est inadmissible,
car, après comme avant le procès de ces quatre
chrétiens, la persécution continua avec la même
fureur. Quoiqu’il en soit, Pak T’sioung-hoan-i, plus
heureux que ses trois compagnons, fut décapité le 18
de la quatrième lune, à l’âge de trente-trois ans. Le
lendemain 19, ce fut le tour du P. Tsiou, dont nous
devons reprendre l’histoire d’un peu plus haut. Depuis
l’entrée du prêtre en Corée, la police n’avait cessé
de faire des perquisitions pour découvrir le lieu de
sa retraite. On peut imaginer combien, après l’édit de
persécution lancé par la régente, ces recherches
devinrent plus actives. L’enfer semblait avoir révélé
aux ennemis du christianisme cette parole de la sainte
Écriture : «Je frapperai le pasteur et les brebis
seront dispersées,» tant ils mettaient d’acharnement à
se saisir de l’unique pasteur des néophytes coréens.
Aussi, voyant que sa position n’était plus tenable,
que tous les jours on multipliait les tortures pour le
faire dénoncer par les chrétiens, le P. Tsiou prit la
résolution de retourner momentanément en Chine, afin
de laisser passer l’orage, espérant que, son départ
une fois connu, la persécution cesserait, ou au moins
diminuerait de violence. Nous ignorons à quel moment
il se mit en route, mais il paraît certain qu’il alla
jusqu’à la ville de Ei-tsiou, sur la rive du fleuve
qui sépare la Corée de la Chine, vis-à-vis de
Pien-men. Arrivé là, par une inspiration secrète de la
grâce divine, il abandonna son projet, et reprit le
chemin de la capitale. — 142 — Sa
situation et celle de ceux qui lui donnaient asile,
devenant de plus en plus critique, un chrétien
courageux alla en province lui préparer deux retraites
sûres, et revint supplier Colombe Kang d’en prévenir
le prêtre, se chargeant de le conduire lui-même, hors
de l’atteinte des persécuteurs. Colombe répondit que
c’était inutile, que le prêtre était trop bien caché
pour avoir rien à craindre. Ce chrétien fit, à
plusieurs reprises, de nouvelles instances, toujours
sans succès, et fut lui-même obligé, quelques jours
après, d’abandonner sa maison et de s’enfuir avec
toute sa famille. Augustin
Tieng, dans les divers interrogatoires, n’ayant rien
déclaré sur le prêtre. Colombe et Philippe le fils de
son mari, furent interrogés à leur tour, et soumis à
de cruelles tortures; mais tous deux bien décidés à
mourir, ne firent non plus aucune dénonciation. Alors
le juge fit mettre à la question une des esclaves de
Colombe, qui, vaincue par la souffrance, déclara toute
la vérité, et en même temps fit connaître l’âge, la
figure et la tournure du prêtre. Le juge dit alors à
Colombe : « Ton esclave ayant tout dénoncé, il ne
t’est plus possible de cacher la vérité; déclare donc
le lieu où s’est retiré cet homme. » Elle répondit : «
Il est vrai qu’il est resté chez moi, mais il y a déjà
du temps qu’il en est sorti, et j’ignore où il est
maintenant. » En conséquence, on fit partout coller
des affiches indiquant les récompenses promises à
celui qui prendrait le prêtre, et l’on donna son
portrait et son signalement que l’on fit circuler
jusque dans les provinces éloignées. Dans ce
péril extrême, il restait au prêtre d’autant moins de
chances d’échapper, que ses ennemis, peu scrupuleux
sur le choix des moyens, travaillaient surtout à
susciter des traîtres même parmi les chrétiens. On
prétend qu’un mandarin feignit de se convertir, et
parvint à connaître sa retraite. Quoi qu’il en soit,
le P. Tsiou ne lui laissa pas le temps de venir l’y
chercher. Il était alors dans le palais dont nous
avons parlé, ou dans la maison attenante. Le 28 avril,
16 de la troisième lune, un peu après le son de la
cloche qui permet de circuler dans la ville, il prit
les habits d’un chrétien de cette maison et s’en
revêtit. On lui demanda où il voulait aller, mais il
répondit qu’il était inutile de le suivre, et sortit
absolument seul. Un chrétien le suivait de loin pour
savoir ce qu’il allait faire, mais le prêtre s’en
apercevant, lui fit avec son éventail signe de s’en
retourner. Le chrétien cependant continua à le suivre,
quoique de plus loin; et bientôt la foule qui
circulait le lui ayant fait perdre de vue, il s’en
revint chez lui. — 143 — Le P.
Tsioii alla droit à la prison du Keum-pou. Les valets
du tribunal lui ayant demandé qui il était et ce qu’il
voulait : « Moi aussi, leur dit-il, je pratique la
religion des chrétiens. J’ai entendu dire qu’elle est
sévèrement prohibée par le gouvernement, et que chaque
jour on fait périr des innocents en grand nombre;
comme ma vie serait désormais inutile, je viens vous
demander la mort. C’est moi qui suis ce prêtre que
vous cherchez en vain partout. Il parait que dans
votre royaume il n’y a pas un seul homme habile,
puisque jusqu’à présent on n’a pu parvenir à me
découvrir. » Il fut aussitôt saisi et mis en prison.
Le président du tribunal lui demanda pourquoi il était
venu en Corée, il répondit : « Je n’ai eu qu’un seul
motif en y entrant, celui de prêcher la vraie
religion, et de sauver par là les âmes de ce pauvre
peuple. » Pendant
son procès, il eut une contenance digne de sa belle
vie, répondant à tout avec gravité et prudence, sans
laisser échapper un seul mot qui pût compromettre
personne. Il composa même par écrit une longue et
éloquente apologie de la religion chrétienne, qui eût
sans doute fait impression sur ses juges, s’ils
n’avaient été aveuglés par la passion et le parti
pris. Alexandre
Hoang, dans ses mémoires, parlant de l’emprisonnement
du P. Tsiou, s’exprime ainsi : « On lui mit seulement
des entraves aux pieds, et on le soumit aux
interrogatoires sans le torturer aucunement. On dit
qu’il y a eu entre ses juges et lui beaucoup de
dialogues mis par écrit; je n’ai pu les voir,
seulement j’ai appris que les païens disaient : Celui
qui s’est livré se dit Européen. Quand on a fait
d’abord mourir six chrétiens (ceux exécutés le 26 de
la deuxième lune), on les accusait du crime de
rébellion; mais il paraît que dans sa prison, le
prêtre a clairement fait voir que les chrétiens ne
sont pas des rebelles. On rapporte encore que
l’Européen n’a pas voulu mourir de suite, mais qu’il a
demandé la permission de dire d’abord tout ce qu’il
avait à dire, après quoi seulement on le ferait
mourir. » Tous ces bruits semblent ne pas être
complètement faux. Les
révélations de l’esclave de Colombe avaient fait
connaître les rapports du prêtre avec le palais.
Aussi, dès le lendemain ou surlendemain du jour où le
P. Tsiou se fut livré (29 ou 30 avril), sans procès,
sans interrogatoire, sans qu’aucune forme légale eût
été observée, la régente prononça contre les
princesses qui lui avaient donné asile, une sentence
de mort dont voici les termes exprès : « Pour
l’affaire de Song, épouse du coupable In, emprisonné — 144 — à
la ville de Kang-hoa, et celle de Sin, épouse de Tarn,
fils dudit coupable In. « Il
appert que la belle-mère et la belle-fille sont toutes
deux perdues dans la mauvaise religion; qu’elles ont
communiqué avec l’infâme race des étrangers; qu’elles
ont vu le prêtre étranger et, sans craindre la
sévérité des prohibitions, l’ont impudemment caché
dans leur maison. En considérant des fautes si graves,
il est manifeste pour tous qu’on ne peut les laisser
même un seul jour entre le ciel et la terre. Qu’on
leur donne donc le poison, et qu’on les fasse mourir
ensemble. » Cet ordre
fut exécuté immédiatement, et quelques heures après,
on porta le poison aux deux princesses chrétiennes. La
tradition rapporte qu’elles refusèrent de le prendre
elles-mêmes, afin de ne pas se rendre coupables du
crime de suicide, et qu’on dut recourir à la force
pour le leur faire avaler. Ainsi périrent victimes de
leur foi et de la généreuse hospitalité qu’elles
avaient donnée au prêtre persécuté, Marie Song et sa
belle-fille Marie Sin. On n’a pas d’autres d’autres
détails sur leur fin édifiante; et les palais sont ici
tellement fermés, tellement séquestrés de toutes
relations extérieures, qu’il ne faut pas s’en étonner.
Les longues infortunes de ces malheureuses princesses
furent, dans les secrets desseins de la Providence, la
cause de leur conversion et de leur bonheur éternel,
car Dieu se plaît souvent à choisir ceux que le monde
rejette. Elles eurent le mérite d’être constamment
fidèles à la grâce, et de donner, par leur ferveur et
leur résignation, aussi bien que par leur nom et leur
dignité, un grand encouragement à la chrétienté
naissante. Leur mort
entraîna naturellement celle de plusieurs servantes du
palais, qui avec elles avaient embrassé la foi, et
s’étaient dévouées au service du prêtre. Elles
subirent la même condamnation, mais, d’après la
tradition, elles durent aller recevoir le poison dans
une maison réservée à cet effet en dehors delà petite
porte de l’Ouest. Leur nombre et leur nom sont restés
inconnus. Il est certain qu’il y en eut au moins deux
martyrisées; quelques-uns en portent même le nombre à
cinq. La
condamnation des princesses amena par contre-coup
celle du prince Ni In, époux de Marie Song, déjà exilé
à Kang-hoa, par suite de la prétendue rébellion de son
fils. Ses ennemis prétendirent que les rapports du
prêtre avec les princesses, ne pouvaient avoir d’autre
but que la machination de quelque complot monstrueux
contre la sûreté de l’État, complot dont, sans aucun
doute, le prince Ni In était le moteur secret. Ils — 145 — publièrent
cette odieuse calomnie dans une adresse présentée à la
régente, et conçue en ces termes : « La femme du
rebelle In, et la femme du rebelle Tam, retirées dans
les profondeurs du palais, ont communiqué avec une
mauvaise race. Après avoir d’abord préparé les voies,
par le moyen de plusieurs infâmes esclaves, chaque
nuit elles allaient et venaient: elles se sont
intimement liées avec des êtres coupables; puis,
cachant et recelant les gens échappés à la justice,
elles ont fait de leur demeure un repaire de rebelles.
Leurs desseins et leurs ténébreux projets devaient
enfin aboutir à une inexprimable monstruosité. Mais
comment ceci pourrait-il être seulement l’œuvre de
deux femmes? Le moteur et l’agent de ces infâmes
menées est certainement In lui-même. L’ordre de mettre
à mort la femme de In et celle de Tam a été sans aucun
doute motivé par une sainte vertu qui veut affermir
les principes généraux, et anéantir les complots des
méchants. Mais si on laisse In, seulement un quart
d’heure, entre le ciel et la terre, la position des
rebelles restera la même qu’auparavant; c’est pourquoi
ou demande humblement que le poison soit aussi donné à
In, et qu’on le fasse mourir. » La
régente n’eut garde de prendre la défense de ce
malheureux prince calomnié, et, bientôt après,
quoiqu’il fût frère du roi défunt, et n’eût jamais
pratiqué la religion chrétienne, il reçut le poison
envoyé officiellement de la cour, et dut le prendre de
ses propres mains. Revenons
au procès du P. Tsiou. Il paraît que les ministres
tinrent plusieurs fois conseil à son sujet, avant de
prendre une résolution définitive. Quelques-uns
opinaient pour le renvoyer en Chine, et le faire
remettre entre les mains de l’Empereur, d’après une
convention internationale portant que « tout sujet de
l’un des deux royaumes, qui sera trouvé sur le
territoire de l’autre, doit être renvoyé à son propre
souverain. » Malgré ce texte formel, le plus grand
nombre, ne pouvant se résigner à laisser ainsi impuni
le chef d’une religion qu’ils poursuivaient avec rage,
votèrent pour le mettre h mort, et obtinrent le
consentement de la régente. Voici dans quels termes
celle-ci fit rédiger la sentence. « Le 19
de la quatrième lune. Affaire du coupable Tsiou
Moun-mo, de l’affreuse race des étrangers. Lui-même
s’appelle Maître de religion et père spirituel.
Cachant avec soin son ombre et les traces de ses pas,
il a surpris et trompé une foule d’hommes et de
femmes, et établi la règle de conférer le baptême.
Tout ce qu’il dit n’est qu’une suite de paroles vaines
et mensongères. Pendant sept a huit ans, il a détourné
dans une — 146 — fausse
voie l’esprit du peuple, et, semblable à une
inondation sans cesse croissante, sa doctrine, en se
répandant, est devenue une calamité inquiétante, car
ceux qui la suivent doivent nécessairement arriver à
un état bien au-dessous de celui des sauvages et des
animaux. Mais voici que, par un heureux destin, le
ciel se chargeant de le poursuivre, le coupable s’est
livré lui-même aujourd’hui. Ayant échappé aux
satellites, il y a quelques années, il a continué
depuis à répandre autour de lui et au loin ses fausses
doctrines; maintenant qu’il a été mis en prison, le
peuple de la capitale et des provinces peut facilement
reconnaître son illusion. Si l’on considère sa
condition, il n’est que d’une origine basse et
méprisable; sa conduite est uniquement celle d’un
fourbe et d’un artificieux. Pour sa punition, nous
pensons qu’il est convenable de lui appliquer la loi
militaire. On le conduira donc au tribunal militaire,
pour qu’il soit exécuté selon les formes en usage, et
que son supplice fasse impression sur la foule. Nous
en chargeons le général du poste nommé lang-tsieng.
Telle est notre volonté. » Ce
général, nous ne savons pour quel motif, ne voulut pas
se charger d’une semblable mission. Il feignit une
maladie qui l’empêchait de sortir, et un autre général
fut nommé pour le remplacer. Au moment de sortir de la
prison, le prêtre reçut la bastonnade sur les jambes,
selon l’usage constant en pareille circonstance.
Ensuite, il se rendit avec allégresse vers le lieu des
exécutions militaires nommé No-teul, ou encore
Mi-nam-to, situé à une lieue de la ville. Porté en
litière, il dominait ceux qui l’entouraient, et en
passant sur la place du marché, il regarda
paisiblement toute la foule des curieux, puis dit
qu’il avait soif et demanda du vin. Les soldats lui en
donnèrent une tasse qu’il but en entier. Lorsqu’il
fut arrivé au lieu du supplice, on lui fixa une flèche
dans chaque oreille, et on lui présenta le résumé de
son procès, avec la sentence, pour qu’il prit lecture
de ces diverses pièces. Quoique cet écrit fût fort
long, il le lut en entier avec le plus grand calme,
puis élevant la voix, il dit au peuple assemblé : « Je
meurs pour la religion du Seigneur du ciel. Dans dix
ans, votre royaume éprouvera de grandes calamités,
alors on se souviendra de moi. » On le fit promener
trois fois, selon l’usage, autour de l’assemblée;
puis, le général commandant les évolutions voulues, il
s’agenouilla, joignit les mains, inclina avec bonheur
la tète, qui bientôt tomba sous le glaive. C’était le
19 de la quatrième lune — 147 — (31
mai 1801), jour de la sainte Trinité, à l’heure
appelée sin-si c’est-à-dire de 3 à 5 heures du soir.
Le P. Tsiou avait alors trente-deux ans. Pendant
les longs préparatifs de l’exécution, le ciel,
auparavant pur et serein, s’était tout à coup couvert
de nuages épais, et un ouragan terrible éclata sur le
lieu du supplice. La violence du vent, les roulements
répétés du tonnerre, une pluie mêlée de boue et
tombant j)ar torrents, des ténèbres épaisses que les
éclairs sillonnaient de toutes parts, tout contribuait
à glacer d’épouvante les acteurs et spectateurs de
cette scène sanglante. Mais à peine Fâme du saint
martyr se fut-elle envolée vers Dieu, que l’arc-enciel
parut, les nuages se dissipèrent et la tempête
s’apaisa soudain. On eût dit que le soleil, après
s’être voilé pour ne pas être témoin du crime des
bourreaux, reprenait tout son éclat pour célébrer le
triloraphe de leur victime. Les spectateurs, païens et
chrétiens, virent dans cette coïncidence si étrange,
une preuve de la sainteté du missionnaire. « Le ciel
n’est pas indifférent au sort de ce condamné, disaient
les païens, frappés de stupeur, puisqu’il fait
apparaître des signes aussi effrayants. » La tête
du martyr resta suspendue, et son corps exposé, au
lieu de l’exécution, pendant cinq jours et cinq nuits,
et, pendant tout ce temps on en garda strictement les
approches, sans que personne eût la permission d’y
pénétrer. On prétend que chaque nuit des arcs-en-ciel,
ou des lumières éclatantes paraissaient sur le corps.
Quoi qu’il en soit de ces faits, il est certain, et
c’est une tradition unanime des chrétiens et des
païens consignée dans plusieurs mémoires du temps,
qu’il se passa alors des phénomènes extraordinaires,
dont beaucoup de païens furent fortement
impressionnés. Plusieurs chrétiens affirment qu’il
n’est pas rare d’en entendre parler, encore
aujourd’hui. Enfin le général donna ordre d’enterrer
le corps, et on continua de le garder comme
auparavant. Les chrétiens avaient bien remarqué le
lieu, dans l’intention de transporter bientôt ailleurs
les restes du martyr; mais les gardiens, ennuyés de
leurs veilles continuelles, allèrent l’enterrer
secrètement dans un autre endroit. Depuis, les
chrétiens ont eu beau le chercher, jus(u’à présent on
ignore le lieu où reposent les précieuses reliques du
premier missionnaire de la Corée. Le
souvenir du P. Jacques Tsiou est encore vivant dans le
cœur des fidèles coréens, qni ne parlent qu’avec une
profonde vénération de son zèle, de sa prudence, de sa
vie mortifiée, de ses travaux et de sa mort. L’évêque
de Péking avait dit en l’envoyant, qu’il — 148 — perdait
son meilleur sujet; et, en effet, le P. Tsiou joignait
à de grands talents, et à une connaissance approfondie
des caractères chinois, une science de la religion, et
une vertu peu communes. Il fit, en tout et toujours,
honneur à la religion dans ce pays. Son extérieur
digne, sa contenance noble et sa grande bienveillance,
lui avaient gagné tous les cœurs. Condamné d’abord
pendant plusieurs années, à une retraite absolue, et à
la fin, obligé de cacher toutes ses démarches avec les
plus grandes précautions, il eut occasion d’acquérir
de nombreux mérites devant Dieu, et, par sa fidélité,
d’obtenir la grâce martyre. La
tradition des chrétiens assure qu’il prédit presque au
moment de sa mort, que, dans trente ans, des prêtres
rentreraient en Corée. Ce ne fut en effet qu’après
trente-deux ans d’attente que les chrétiens reçurent
de nouveaux missionnaires. Il reste
un ouvrage composé en chinois, et traduit en coréen,
que l’on a toujours attribué au P. Tsiou, et qui
paraît véritablement avoir été composé par lui. C’est
un Guide pour le Carême et le Temps de Pâques, dans
lequel sont expliquées d’une manière claire et
très-précise, les dispositions qu’il faut apporter aux
sacrements de pénitence et d’Eucharistie : ce livre
rend encore aujourd’hui service aux chrétiens de
Corée. Les
habits, le chapeau du prêtre, et deux images qui lui
avaient appartenu furent longtemps conservés avec un
soin jaloux par les néophytes. Pierre Sin dit, dans
ses mémoires, que plusieurs fois ces reliques
échappèrent à l’incendie, d’une manière qui tient du
prodige; aujourd’hui, à la suite des dernières
persécutions, on ne sait plus ce qu’elles sont
devenues. Pour
s’éviter des difficultés avec la Chine, le
gouvernement coréen avait, au moment de l’exécution du
P. Tsiou, fait répandre le bruit qu’il était
originaire de Tsiei-tsiou (île de Quelpaert). Plus
tard, comme nous le verrons, dans la lettre écrite à
l’empereur, au nom du roi, on avoua qu’il était
chinois, en protestant que son origine n’avait été
connue qu’après sa mort, par les déclarations
subséquentes de ses complices. On eut soin
d’accompagner cet aveu de l’envoi d’une forte somme
d’argent destinée à calmer la colère de l’empereur, et
l’affaire n’eut pas de suites. |