Histoire de l’Église de Corée Charles Dallet LIVRE III
[198] CHAPITRE IV
Martyre d’Alexandre Hoang. — Sa
lettre à l’évêque de Péking. — Lettre du roi de Corée à
l’empereur de Chine, et réponse de l’empereur.
Le 29 de
la neuvième lune, onze jours après l’exécution
d’Augustin Niou et de ses compagnons, Alexandre Hoang
Sa-ieng-i, que nous avons eu souvent déjà l’occasion
de citer, était arrêté sur le territoire de
Tsiei-Tsien, et amené prisonnier à la capitale. Alexandre
Hoang, malgré sa jeunesse, passait alors, et avec
raison, pour l’un des chefs les plus influents de la
chrétienté de Corée. Sa naissance aussi bien que son
mérite personnel, ses rares talents aussi bien que ses
vertus, lui avaient acquis la considération générale.
Il appartenait à une des grandes familles du parti
Nam-in, distinguée dans le pays par sa noblesse et par
les hautes fonctions que plusieurs de ses membres
avaient souvent remplies. Doué des plus belles
qualités du corps et de l’esprit, il se fit dès
l’enfance remarquer entre tous ses compagnons par ses
rapides progrès dans les lettres et les sciences. A
l’âge de dix-sept ans, il fut couronné aux examens
publics et obtint le grade de licencié (Isin-sa). Le
roi, ayant entendu parler de ses talents
extraordinaires, se le fit présenter, l’entretint
quelque temps, le traita avec une bienveillance
remarquable, jusqu’à lui serrer le poignet en signe
d’amitié, et lui dit en le quittant: « Lorsque vous
aurez vingt ans, revenez promptement me voir, je veux
à tout prix vous avoir à mon service. » C’était
là une insigne faveur, dans ce pays surtout où les
rois ne voient aucune société, n’ont de rapports
qu’avec leur famille, et avec les ministres pour les
affaires de l’Etat, et ne se permettent jamais aucune
de ces familiarités, même dignes et réservées, que nos
usages comportent. Aussi Alexandre dut-il toujours
depuis porter un cordon de soie autour du poignet,
pour signifier qu’il n’était plus permis au commun des
hommes de toucher inconsidérément cette main honorée
de l’attouchement de la main royale. Tout lui
présageait donc un brillant avenir, lorsqu’il fut
marié à la fille d’un des Tieng de Ma-tsai, cette
famille célèbre dont nous avons raconté l’histoire, et
entendit pour la première fois parler de la religion
chrétienne. Il l’embrassa aussitôt avec — 199 — ardeur,
ne voulut plus connaître d’autre science que celle du
saint, répudia le siècle et ses plaisirs dangereux,
et, comprenant qu’il devait communiquer aux autres la
lumière que lui-même avait reçue, devint un catéchiste
zélé. Ses
parents et amis païens l’accablèrent de reproches et
de mauvais traitements, sans pouvoir ébranler sa
constance. Animé qu’il était d’une ambition plus
haute, la faveur et les promesses du roi ne lui
faisaient plus aucune impression. Quand celui-ci
apprit la conversion d’Alexandre, il en fut affligé,
mais ne l’inquiéta nullement, tant il avait d’estime
pour ses rares qualités; peut-être même fut-il touché
de voir dans un jeune homme ce mépris héroïque des
grandeurs de la terre. Alexandre avait une àme digne
de servir un plus grand maître. Admis à la réception
des sacrements, il ne mit plus de bornes à sa ferveur,
et travailla de tout son pouvoir à seconder le prêtre
dans l’exercice de son ministère, et dans toutes
sortes d’autres bonnes œuvres. En 1798
et 1799, il vint demeurer à la capitale, dans le
quartier nommé Ai-o-kai. Là, il s’occupait à enseigner
les lettres à quelques jeunes gens chrétiens, et à
transcrire des livres de piété. Il logea souvent chez
lui le P. Tsiou, soit pour le cacher, soit pour faire
recevoir les sacrements à d’autres fidèles. Dénoncé
nommément dès les premiers jours de la persécution, il
se rappela le conseil du Sauveur : « Lorsqu’on vous
persécutera dans une ville, fuyez dans une autre, » et
prit ses mesures en conséquence. Pour ne pas être
reconnu, il coupa tout d’abord sa longue et belle
barbe, ornement viril assez rare en Corée, et dont
naturellement les possesseurs sont très-jaloux; il
revêtit des habits de deuil, dont la forme est
parfaitement propre à déguiser les personnes, puis,
comprenant l’insuffisance de ces précautions, quitta
la capitale, vers le 15 de la deuxième lune. Il
séjourna quelque temps dans le district de Niei-tsien,
province de Kieng-sang, puis sur les limites de la
province de Kang-ouen, et enfin finit par se fixer
dans une fabrique de poteries, au village de Pai-ron,
district de Tsiei-tsien. Tous les ouvriers étaient
chrétiens. On prépara pour le recevoir une espèce de
chambre souterraine, dont les avenues étaient
couvertes par tous les grands vases de terre que l’on
fabriquait dans l’établissement. Les chrétiens du
village eux-mêmes ignorèrent longtemps sa présence; le
maître de maison était seul du secret, avec sa femme
et la mère de Grégoire Han, qui venait souvent le
voir. Alexandre avait près de lui deux hommes de
confiance: Pierre Kim Hanpin-i et Thomas Hoang Sim~i,
lesquels allaient sans cesse de — 200 — côté
et d’autre s’enquérir des nouvelles, le tenaient au
courant de la marche de la persécution, et lui
rapportaient les principaux événements qui
intéressaient la chrétienté. Pierre
Kim, natif du district de Hong-tsiou, dans le Nai-po,
avait été, pendant son séjour à la capitale, enrôlé
comme soldat, d’où le nom de Kim Po-siou, sous lequel
il est quelquefois désigné. A la huitième lune, il
tomba une première fois entre les mains des
satellites, mais réussit à s’évader. Thomas
Hoang était du village de Liong-mari, district de
Tek-san, dans le Nai-po. Descendu d’une famille
honnête et marié à la sœur de François Ni Po-hien-i,
martyr en 1799, Thomas paraît s’être consacré
entièrement au service du prêtre. Il fit plusieurs
fois le voyage de Péking, et s’acquitta toujours avec
prudence et fidélité des diverses commissions dont il
fut chargé par le P. Tsiou. C’est
dans sa retraite de Pai-ron qu’Alexandre Hoang composa
une longue lettre adressée à l’évêque de Péking. Ce
document, précieux à tous égards, a été heureusement
conservé. Alexandre y raconte d’abord, dans tous ses
détails, l’histoire des premiers martyrs de cette
persécution. Ses informations sont généralement
exactes. Sur un certain nombre de points cependant, il
avoue lui-même n’avoir pas eu des renseignements
suffisants; et plusieurs fois, en rédigeant cette
histoire, nous avons dû, après examen et comparaison
d’autres documents, rejeter des faits qu’il avait
avancés trop légèrement sur un simple ouï-dire. Dans
la seconde partie de sa lettre, il expose le triste
état de la chrétienté, et fait un éloquent appel à
l’évêque, pour qu’il prenne leur sort en pitié, et
s’efforce de faire sortir l’Église coréenne de ses
ruines. Nous en citons ici un long fragment, qui fera
connaître la position physique et morale des
chrétiens, vers la fin de la persécution. « Le
prêtre ayant été dénoncé par un traître, dès son
entrée dans le pays, et le feu roi ayant connu sa
présence, il fallait sans cesse être sur ses gardes,
et prendre les plus grandes précautions. De là,
beaucoup ne purent prendre part aux sacrements, et
parmi ceux qui les reçurent, la moitié étaient des
femmes. Parmi les chrétiens de la province et le
peuple de la capitale, un grand nombre, quoique
très-fervents, n’y furent pas admis. Tous avaient
supporté de grandes souffrances, et espéré bien des
années dans le secret; mais depuis qu’ils ont vu le
prêtre devenu la proie des méchants, et sa tête
publiquement exposée, toutes les souffrances et tous
les efforts de dix années se trouvent en un instant
devenus inutiles. Corps et âmes, tout est sur le
penchant de la ruine; — 201 — pendant
la vie et an moment de la mort, les voilà sans aucun
soutien; aussi leur cœur faiblit, leurs idées sont
toutes bouleversées, et ils ne savent plus que
devenir. Nous leur disons bien, pour les consoler, que
le prêtre étant venu dans le seul but de sauver les
âmes, désirait sans doute se répandre partout et les
sauver toutes, mais que de grands empêchements s’étant
rencontrés, il a dû comprimer son affection pour eux,
et ne pas la laisser se produire au dehors; que
maintenant qu’il a été martyrisé et se trouve près de
Dieu, sa protection devra avoir plus de force que
lorsqu’il était sur la terre; que nous devons avoir
pleine confiance en Dieu, espérer plus que par le
passé dans sa miséricorde infinie, et ne pas nous
laisser aller à des tentations de désespoir.
Quelques-uns nous croient, d’autres sont dans le
doute; les uns sont rebutés, les autres semblent un
peu consolés; jamais en aucun temps se trouva-t-il une
aussi terrible position? « En
Europe, les anciennes persécutions ont bien pu être
plus violentes que celle de Corée, mais les prêtres
s’y étant succédé sans interruption, la religion n’a
pas pu être anéantie, et les âmes ont toujours trouvé
leur salut. Ici, en Corée, la situation est toute
différente, et nous ne pouvons avoir le même espoir.
Que de faibles agneaux perdent leur berger, il reste
des moyens de les nourrir et de les élever; qu’un
enfant à la mamelle perde sa mère, il y a encore
espoir de le voir survivre; pour nous, nous avons beau
y réfléchir, vraiment aucun espoir de vie ne nous
reste. Nés dans un pays reculé, et heureusement
devenus les enfants de Dieu, nous avions la ferme
pensée de consacrer toutes nos forces à faire
glorifier son saint nom, nous voulions essayer par là
de payer du moins la dix-millième partie de ses
bienfaits; qui aurait pu penser qu’à mi-route nous
tomberions dans un aussi triste état? « Nous
avons bien entendu dire que le sang versé des martyrs
est une semence de chrétiens, mais notre royaume a
malheureusement pour voisin, à l’est, le Japon qui,
par ses cruelles exécutions, a anéanti la religion, et
les projets de notre gouvernement sont de le prendre
pour modèle. Comment ne serions-nous pas dans
l’alarme? Il est vrai qu’en Corée, les hommes étant
naturellement faibles, et la législation moins rigide,
on ne voudra pas y aller aussi violemment qu’au Japon;
mais aujourd’hui, parmi nous, il ne reste pour ainsi
dire plus aucun homme capable et ferme. Les ignorants,
les gens de basse condition, les femmes et les enfants
peuvent bien y être encore au nombre de plusieurs
milliers, mais personne pour les diriger, personne
pour les instruire, comment pourraient-ils se
conserver longtemps? N’y eût — 202
— il
plus de persécution, qu’avant dix ans, la chrétienté
sera d’elle-même réduite à néant (1). Quelle douleur!
Mais tant que nous serons en vie, comment
pourrions-nous voir ainsi la ruine complète de la
Religion? « Ayant
échappé aux malheurs de cette année, nous en sommes
encore tout émus et tremblants, et tout en rendant
grâces à Dieu pour le bienfait qui nous a conservé la
vie, nous sommes attristés de n’avoir pas, comme nos
frères, été jugés dignes du martyre. Au moins, pendant
ce reste de notre existence, nous désirons vraiment
supporter toutes les peines et braver toutes les
diflicultés pour servir la cause de Dieu, mais
non-seulement nos expédients sont à bout, nos
ressources aussi sont épuisées. Faut-il donc que notre
désolation nous accompagne dans la tombe! Au milieu de
tous ces malheurs, qui aura pitié de nous? qui nous
consolera? Nous voudrions bien aller déposer nos
pleurs et nos demandes aux pieds de votre bonté, mais
empêchés par la distance, nous ne pouvons faire que
des vœux et rien déplus. Quelle tristesse! quelle
angoisse! que deviendrons-nous? « Quand
nous apprîmes que le prêtre s’était livré, outre le
saisissement et la douleur causés par un aussi triste
événement, nous avons conçu encore un sujet de
crainte. Lorsqu’on connaîtra à Péking tout ce qui
vient de se passer, ne sera-ce pas une cause d’abandon
pour notre Église? S’il en était ainsi, aucune
espérance ne resterait pour la religion en Corée.
C’est ce danger imminent, et non point notre péril
personnel, qui fait jour et nuit le sujet de nos
craintes et inquiétudes. Si, par bonheur, on ne fait
pas de perquisitions ultérieures, nous autres étant
encore en vie, et Jean (2) aussi ayant été conservé,
comme vous resterez sans doute chargé de la Corée,
nous ferons tous nos efforts pour rétablir les
relations avec vous, et par là avoir part aux
bienfaits de Dieu; daignez donc écouter nos paroles et
y refléchir profondément. « La
Corée est le plus pauvre des royaumes du monde, et les
chrétiens y sont les plus pauvres de tous. Parmi eux,
c’est à (1) Le
gouvernement coréen comprenait parfaitement la vérité
de ces considérations; aussi, comme le fait remarquer
Alexandre dans un autre endroit de cette lettre,
chercha-t-il toujours à mettre à mort les chrétiens de
haute classe, les hommes qui s’étaient livrés à
l’étude des lettres ou de la philosophie, tous ceux,
en un mot, qui auraient pu diriger les affaires en
l’absence du prêtre. Quant aux ignorants et aux gens
du peuple, au contraire, la tactique était de les
laisser de côté, autant que possible, ou bien, si on
les arrêtait, de les traiter en général avec beaucoup
moins de rigueur. (2)
Probablement Jean T’soi. — 203 — peine
aujourd’hui si l’on peut compter dix familles qui
n’aient pas à souffrir de la faim et du froid. En
1794, quand on reçut le prêtre, on ne put rien
préparer à l’avance. Ce ne fut qu’après son arrivée
qu’on disposa à la hâte les choses les plus
nécessaires, et encore d’une manière bien mesquine et
bien incomplète. Cela provient en partie sans doute de
notre inhabileté et ignorance des affaires, mais la
cause en fut aussi dans notre pauvreté; nos forces ne
purent y suffire. Plus tard le nombre des chrétiens
ayant augmenté, on fut moins à la gène, toutefois nous
ne pûmes arranger les choses convenablement. « Après
la persécution de cette année, tous sont entièrement
ruinés. Ceux-là même qui ont voulu par l’apostasie
éviter la mort, sont sortis des prisons nus et
spoliés, ne conservant que le souffle de la vie. Notre
pauvreté est donc plus grande encore qu’en 1794, et
eussions-nous même quelque bon expédient, nous ne
pourrions le mettre à exécution. Malgré tous les
désastres de la chrétienté, si nous avions quelques
ressources, il semble que nous pourrions maintenant
essayer quelque chose. Voici pourquoi. Depuis 1795, il
y avait deux causes continuelles de persécution :
l’une, que le feu roi, soupçonnant et craignant le
prêtre, voulait absolument le trouver; l’autre était
la haine qui poussait les No-ron à anéantir les
Nam-in. Or, d’un côté, le prêtre ayant été saisi, et,
de l’autre côté, les Nam-in, poursuivis par les
No-ron, ayant vu périr tous leurs hommes les plus
remarquables, on peut désormais espérer un peu de
calme. Il est vrai que la loi sur les cinq maisons
solidaires l’une de l’autre dure encore, mais elle
n’est exécutée que dans les quartiers où se trouvaient
les chrétiens; dans les autres endroits, elle n’existe
que de nom, tout y est tranquille, et on peut aller
s’y établir. « Pour ce
qui concerne les routes, dans les provinces de
Kiengkei, T’sieng-tsieng et Tsien-la où il y avait
beaucoup de chrétiens, et dans celles de Kieng-sang et
Kang-ouen où les chrétiens fugitifs se sont retirés
depuis quelques années, les voyageurs sont, à chaque
instant, soumis à des perquisitions. Mais dans les
provinces de Hoang-hai et P’ieng-an, où il n’y avait
pas de chrétiens avant la persécution, et où depuis
nul n’a cherché refuge, on ne parle de rien, et les
soupçons ne sont pas éveillés. A Pienmen même, sur la
frontière de la Chine, quoiqu’on exerce encore
maintenant une assez rigoureuse surveillance, dans un
ou deux ans, tout sera passé, et on pourra risquer
quelque tentative. Nous devrons aussi changer notre
manière d’agir. Jusqu’ici on s’était surtout efforcé
de répandre la religion parmi les païens, et de la — 204 — rendre
libre; maintenant que c’est devenu impossible, il faut
tâcher de la conserver par la prudence. Il faut
s’appliquer à raffermir tous ceux qui pratiquaient le
christianisme, à bien instruire ceux qui ne faisaient
que commencer, et quant aux autres, prier Dieu en
secret pour leur conversion, et attendre en silence.
Par là, on pourra se conserver sans inquiétude. « En
1795, les chrétiens, joyeux de l’arrivée du prêtre et
se félicitant de leur bonheur, n’ont pas su craindre
et n’ont pas pris de précautions suffisantes. Mais
maintenant, instruits par l’expérience et se servant
du passé comme d’un miroir, ils prendront toutes les
précautions convenables, et il n’y a pas de raison
pour que la persécution s’élève de nouveau. Nous ne
pouvons attendre la mort sans rien faire, mais rien ne
se peut qu’avec des ressources. Il est difticile de
croire que l’existence et la ruine de la religion dans
un royaume, la vie et la mort des âmes, dépendent du
Mammon d’iniquité, et cependant faute de ressources,
la chrétienté de Corée va être anéantie, et lésâmes
sont condamnées à la mort. « C’est
pourquoi nous osons vous en prier, et nous espérons
que vous voudrez bien implorer des secours dans tous
les royaumes de l’Europe pour nous, quoique nous ne
soyons que de misérables pécheurs, afin de soutenir
notre Église persécutée, et de nous procurer le moyen
de sauver nos âmes. De notre côté, nous nous
disposerons, formerons nos plans, et après avoir tout
préparé sûrement, nous vous demanderons le bienfait
d’une seconde vie; de grâce, ayez pitié de nous. Nous
savons qu’il y a une sorte d’imprudence à faire une
pareille demande. Néanmoins, considérant que sans
votre secours, nous sommes condamnés à une mort
éternelle, nous osons maintenant ouvrir la bouche, et
si, après avoir demandé, nous n’obtenons rien, nous
n’emporterons pas du moins dans la tombe le regret de
n’avoir rien essayé. Isolés et sans aucun appui comme
nous sommes, nous vous en conjurons avec instance,
daignez, à l’exemple du Dieu tout bon et tout
miséricordieux, penser à des enfants pauvres,
misérables et faibles, et ranimer nos espérances en
comblant nos vœux. Quel plus grand bien pour l’Église?
quel plus grand bien pour nous, que de nous ouvrir le
chemin d’une seconde vie? « De
notre côté, nous tâcherons d’y répondre; mais il ne
s’agit pas de choses réalisables en quelques jours ou
en quelques mois. Rien ne peut se faire en moins de
deux ou trois ans. L’entrée d’un prêtre en Corée
rencontre deux grandes difficultés, les cheveux — 205 — et
le langage (1). Les cheveux peuvent croître assez
facilement, mais le langage ne se change pas aussi
vite. Si le prêtre pouvait bien parler, la plus grande
difficulté disparaîtrait. Dans notre humble pensée, il
serait bon d’envoyer à l’avance un Coréen à Péking,
pour enseigner la langue coréenne aux prêtres que vous
auriez désignés. Si vous le permettiez, nous
conviendrions secrètement d’un signe et nous nous
disposerions pour le passage, soit de l’hiver, soit du
printemps, selon qu’il vous serait plus commode. Il
serait aussi très-avantageux qu’un chrétien Chinois
fervent et fidèle vînt s’établir secrètement à
Pien-men. Il ouvrirait une auberge pour défrayer les
voyageurs, et nos communications en deviendraient
beaucoup plus faciles. » Vient
ensuite l’exposition détaillée de divers plans
qu’Alexandre, dans sa cachette solitaire, avait
imaginés pour faire obtenir la liberté de la religion
à ses frères persécutés. Le premier eût été de faire
écrire par le Pape à l’Empereur de Chine, pour lui
donner ordre de laisser les chrétiens en paix, et de
recevoir les missionnaires. La foi naïve du néophyte
ne pouvait s’imaginer qu’un potentat, quel qu’il fût,
même paien, osât refuser d’écouter la voix du
souverain Pontife, vicaire de Dieu sur la terre. La
liberté de la religion une fois accordée en Chine,
elle devait tout naturellement, par contre-coup,
l’être aussi en Corée; et si le gouvernement coréen
faisait des difficultés, il serait facile à l’Empereur
chinois de l’y contraindre par la force des armes.
Enfin, dans le cas où ce plan eût rencontré des
obstacles insurmontables, Alexandre proposait à
l’évêque de Péking de faire appel aux nations
chrétiennes de l’Europe, de les supplier d’envoyer une
armée de soixante ou soixante-dix mille hommes pour
conquérir la Corée, et s’il était impossible de réunir
tant de troupes, d’essayer au moins avec sept ou huit
mille, chiffre qui, dans son opinion, eût été
suffisant à la rigueur. La lettre se termine ainsi : « Pour
nous, les jours sont comme des années. Nous voudrions
faire quelque chose, mais cela nous est actuellement
impossible; nous ne pouvons qu’espérer. Nous désirons
ardemment que vous ayez pitié de nous, et veniez à
notre aide sans retard. Après la violente persécution
de cette année, peu de chrétiens ont échappé, (1) On
sait que les Chinois se rasent la tête, excepté le
sommet, et portent la queue. Mais les Coréens n’ont
jamais voulu admettre cette réforme, introduite par
les empereurs tartares Mandchoux. Ils conservent tous
leurs cheveux et les nouent sur la tête, comme le
pratiquaient, il y a quelques années, les insurgés de
Chine, pour se distinguer des impériaux. — 206 — et
tous doivent se tenir cachés, et laisser croire qu’ils
sont entièrement anéantis. C’est le seul moyen de
conserver ici les restes de la chrétienté. Les uns se
sont faits marchands ambulants, les autres, forcés
d’émigrer, se trouvent sur les routes; nous demandons
dispense des jeûnes et abstinences pour tous ceux qui
sont en voyage. «An de
Jésus-Christ 1801, 29 octobre, le lendemain de la fête
des apôtres saint Simon et saint Jude, nous pécheurs
Thomas et autres, vous saluons de nouveau en envoyant
ces détails. » Cette
lettre était écrite sur une pièce de soie, avec de
l’encre sympathique, qu’on ne pouvait lire sans
connaître le secret. Thomas Hoang voulut s’adjoindre,
pour la porter à Péking, un chrétien de la province de
P’ieng-an, nommé Ok Tsien-hei, qui avait, lui aussi,
fait le voyage de Chine plusieurs fois pour les
lettres et commissions du P. Tsiou. Il y avait encore
été pendant l’hiver de 1800 à 1801, et ayant appris, à
son retour, que la persécution venait d’éclater avec
violence, était retourné de suite à Pien-men, sur la
frontière chinoise, pour tâcher d’informer les
chrétiens de Chine du véritable état des choses. Thomas
réussit à trouver Ok Tsien-hei, l’amena à Alexandre
pour se concerter avec lui, et tous deux promirent de
partir à la fin de l’année, avec l’ambassade annuelle,
pour remettre la lettre entre les mains de l’évêque de
Péking. Mais la Providence en avait décidé autrement,
et la lettre ne devait pas arriver à sa destination.
Elle était datée du 27 octobre; le 2 novembre, Thomas
Hoang fut arrêté. Effrayé
outre mesure de se voir en prison, s’imaginant que,
lui saisi, aucun chrétien ne pouvait échapper,
espérant peutêtre, par des aveux, faire cesser la
persécution, il découvrit le lieu ou Alexandre était
caché. Nombre de chrétiens prétendent qu’il avait reçu
d’Alexandre lui-même l’ordre de le dénoncer, si les
choses en venaient à l’extrémité. Les satellites
arrivés en toute hâte à Pai-ron, ne pouvaient trouver
celui qu’ils cherchaient; enfin le bruit sourd que
rendaient les grands vases de terre, quand on marcha
sur la cave, attira leurs soupçons et il fut
rencontré. Alexandre les vit arriver à lui sans
s’effrayer. Il ordonna de ne pas toucher la main que
le roi avait jadis serrée, et où se trouvait le cordon
signe de la faveur royale, et cet ordre fut respecté.
On le conduisit, chargé de fers, à la capitale, et la
fameuse lettre fut trouvée sur lui, roulée dans ses
vêtements. Nous ignorons comment les juges purent en
prendre lecture. Une tradition rapporte qu’un
chrétien, menacé de mort, s’offrit à en — 207 — donner
la clef, ce qui fui accepté; mais ce fait est loin
d’être prouvé. Quoi qu’il en soit, la lettre fut lue,
et jeta l’épouvante à la cour. Le complot d’appeler
les Européens dans le pays, au secours des chrétiens,
était évident; on en avait en main la preuve
authentique, il en fallait dix fois moins, avec un
gouvernement aussi soupçonneux et aussi jaloux des
étrangers que le gouvernement coréen, pour faire
traiter les prisonniers en criminels d’État. En même
temps, et probablement sur les indications fournies
par Thomas Hoang, les deux autres associés
d’Alexandre, Ok Tsien-hei et Pierre Kim Han-pin-i
furent saisis et jetés dans la même prison. On leur
adjoignit bientôt un cinquième chrétien, de la classe
des interprètes, nommé Hien Kiei-heum-i, ou Hien
Sa~si-ou, le père du catéchiste Charles Hien, décapité
pour la foi en 1846. Hien
Kiei-heum-i s’était d’abord réfugié en province, mais
toute sa parenté s’étant trouvée compromise, et
exposée à de continuelles vexations à cause de sa
fuite, on lui écrivit de se livrer, ce qu’il fît. On
l’accusait de s’être rendu à bord d’un navire européen
qui, en 1799, avait, pendant quelques jours, mouillé
en rade de Tong-nai, et d’avoir rapporté qu’un seul
navire comme celui-là pourrait facilement détruire
plus de cent navires de guerre coréens; ce qui, aux
yeux des juges, prouvait manifestement sa
participation au complot. Il fut donc à tort ou à
raison impliqué dans le procès d’Alexandre. Tous ces
accusés eurent des tortures extraordinaires à
supporter, et tous le firent en héros. La pensée de
renier leur foi ne leur vint pas un seul instant, et
ils furent bientôt condamnés. Voici le
texte officiel de la sentence de Thomas Hoang, celles
de ses compagnons sont analogues. « Le 24
de la dixième lune, tribunal du Keum-pou. « Le
coupable Hoang Sim-i, être vil et méprisable, perdu
dans la mauvaise religion, a parcouru la capitale et
les provinces, a consacré toutes ses forces et s’est
beaucoup remué pour la secte impie et ignoble. Ayant
été secrètement dans un pays étranger, il a reçu un
nom dans l’Église des Européens. Il a fait divers
voyages pour Tsiou Moun-mo (le P. Tsiou), et a
transmis ses lettres. Dans tout ce que les adeptes de
la mauvaise religion ont tramé, il n’est rien qu’il
n’ait su à l’avance. Il s’est lié à la vie, à la mort,
avec Sa-ieng-i (Alexandre Hoang), puis ayant appris
que ceiui-ci, pour se dérober à la justice, était allé
à Tsiei-tsien, il est allé à dessein l’y trouver; ils
ont partagé le même oreiller, et. — 208 — pendant
la nuit, il a lu de ses yeux son affreuse lettre, qui,
par son atrocité, n’a rien d’égal sous le ciel dans
les temps anciens ou modernes. La plume se refuse à en
écrire les horreurs, car jamais rien de semblable n’a
été vu ni entendu. Il a comploté impudemment avec lui,
et s’est engagé à envoyer cette lettre aux étrangers,
pour faire venir les grands vaisseaux, et mettre le
royaume en péril. Mais ses noirs desseins ont été
découverts. C’est un rebelle, un scélérat. Qu’il soit
conduit dehors de la porte de l’Ouest; qu’il soit
coupé en six, et décapité. » Le 24 de
la dixième lune (29 novembre), Thomas, qui avait signé
la lettre, fut décapité et coupé en six morceaux,
selon la sentence. Pierre Kim Han-pin-i, l’accompagna
au supplice, mais fut seulement décapité. Thomas avait
alors quarante-cinq ans, et Pierre trente-huit ans. Le
5 de la onzième lune (10 décembre), vint le tour de
leurs trois compagnons. Alexandre Hoang condamné comme
auteur de la lettre, monstre dénaturé, coupable de
lèse-majesté divine et humaine, fut décapité et coupé
en six. Les deux autres eurent simplement la tête
tranchée, comme les criminels ordinaires. Alexandre
n’était âgé que de vingt-sept ans; Ok Tsien-hei avait
environ trente-cinq ans, et Hien Kiei-heum-i
trente-neuf. En même temps la maison et les biens
d’Alexandre furent confisqués, sa mère exilée à l’île
Ke-tsiei, sa femme à Tsiei-tsiou (Quelpaert) et son
fils Kieng-hen-i à l’île Tsiou-tsato, oîi il vivait
encore, il y a quelques années. Quelques
jours plus tard on fit le procès à deux chrétiens de
Pai-ron, qui, pour avoir caché dans leur maison
Alexandre Hoang, avaient été saisis et emprisonnés
avec lui. L’un fut condamné à l’exil, sans doute après
apostasie; l’autre, nommé Kim Kouilong-i, montra plus
de courage. Né dans le district du Nai-po, il avait,
afin de pratiquer librement sa religion, quitté ses
biens, sa famille, son pays, et s’était retiré à
Pai-ron, où il gagnait sa vie en fabriquant des
poteries. Après de longues tortures, le juge lui
promit sa liberté s’il voulait apostasier; mais il s’y
refusa constamment, et déclara vouloir mourir avec les
autres chrétiens. Il fut, dit-on, envoyé à la ville de
Hong-tsiou, son propre district, où il eut la tête
tranchée, le 30 de la douzième lune (2 février 1802).
Ainsi se
termina cette affaire, malheureusement trop célèbre,
et dont les suites ont été si fâcheuses. Que les
projets enfantés par l’imagination exaltée d’Alexandre
Hoang fussent chimériques, surtout à cette époque,
c’est évident. Qu’ils fussent imprudents. — 209 — dangereux,
nous le reconnaissons volontiers. Que les passions
politiques, les irritations du Nam-in vaincu contre
les No-ron vainqueurs aient été pour quelque chose
dans cet appel à l’intervention étrangère, c’est
probable. Mais qu’au fond, ses intentions fussent
droites, qu’il eût principalement en vue la délivrance
des chrétiens, le triomphe de l’Evangile sur le
paganisme, de Dieu sur l’enfer, cela nous semble hors
de doute. Du reste,
qu’on le juge comme on voudra, la lettre où il expose
ses plans, est un fait personnel à lui et aux trois
compagnons de sa retraite. Aucun des chrétiens d’alors
ne l’a connue, ni n’a pu la connaître, puisque les
dates prouvent qu’elle était à peine rédigée, quand
ses auteurs furent saisis. Le gouvernement coréen
prétendit voir dans ce document la preuve manifeste
d’une conspiration générale des chrétiens. Il fit
publier partout qu’ils avaient déjà ramassé l’argent
nécessaire, et enrôlé un grand nombre de soldats. Mais
les faits démentent ces accusations. Les faibles
sommes recueillies par les chrétiens n’étaient
nullement destinées à seconder l’invasion étrangère,
puisqu’elles suffisaient à peine pour faire face aux
dépenses du prêtre et de ses employés, puisque, dans
sa lettre même, Alexandre constate, à plusieurs
reprises, la pauvreté et le dénuement de ses
coreligionnaires. L’inculpation d’avoir levé des
troupes est encore plus ridicule, puisque Alexandre,
caché dans son souterrain, n’avait pu avoir ni le
temps, ni les moyens de former même une bande de dix
personnes. Or, c’est dans sa retraite, au temps même
où il rédigea sa lettre, qu’il songea à implorer
l’appui des Européens, et la preuve en est que, jamais
auparavant, aucun chrétien n’avait entendu parler
d’une intervention à main armée. Ils y pensaient si
peu, qu’à l’époque du procès, et jusque dans ces
derniers temps, ils étaient unanimes à ne voir dan ces
imputations qu’une calomnie odieuse, inventée par les
juges. Les missionnaires européens eux-mêmes n’ont pu
savoir ce qu’il en était, qu’après avoir obtenu, à
grand’peine, une copie authentique de la lettre. Quoiqu’il
en soit, l’effet produit fut déplorable. Aux deux
causes de persécution jusque-là existantes, et que
nous avons expliquées plus haut, savoir : la haine
instinctive des païens contre le christianisme et les
rancunes acharnées des partis politiques, vint dès
lors s’enjoindre une troisième, aussi puissante que
les autres : le sentiment de l’indépendance nationale.
On a toujours affecté depuis de regarder les chrétiens
comme les ennemis naturels du pays et de la dynastie.
Cette opinion, habilement entretenue par les ennemis
de la religion, a été le prétexte, sinon la cause, de
— 210 — persécutions
et de vexations sans nombre; et malheureusement, de
nos jours, diverses interventions avortées n’ont servi
qu’à confirmer les craintes jalouses du gouvernement,
et à faire couler, plus abondants que jamais, les
flots de sang chrétien. Pendant
que le tribunal suprême instruisait le procès
d’Alexandre Hoang et de ses compagnons, arriva
l’époque du départ de l’ambassade annuelle pour
Péking. Les événements qui venaient d’avoir lieu
étaient trop considérables, les exécutions de grands
personnages avaient été trop nombreuses, pour qu’il
fût possible de les passer entièrement sous silence.
Il fallait aussi mentionner et excuser la sentence de
mort portée et exécutée contre un sujet chinois, à
l’insu de l’Empereur. Les artifices et les mensonges
habituels de la diplomatie vinrent en aide à la
régente, pour donner aux faits la couleur voulue.
Voici le texte de la lettre écrite au nom du jeune
roi, et datée de la sixième année de Kia-king, le 20
de la dixième lune (25 novembre 1801) (1). « Le roi
de Tchao-hien (Corée), expose respectueusement à Sa
Majesté Impériale, l’origine et la fin des troubles,
que le petit royaume (2) a eu le malheur d’éprouver de
la part d’une secte de brigands, dont il a fait
justice en les mettant à mort. « Sa
Majesté Impériale sait que depuis le jour où les
débris de l’armée des Yn (3) ont passé à l’Orient, le
petit royaume s’est toujours distingué par son
exactitude à remplir tout ce que prescrivent les
rites, la justice et la loyauté, et en général par sa
fidélité aux devoirs. C’est une justice que lui a
toujours rendue la cour du Milieu (la cour de Chine).
Ce royaume, qui a toujours conservé la pureté de ses
mœurs, n’estime rien tant que la doctrine des Iou (la
doctrine des lettrés). Tous les livres (1) Cette
lettre ayant été écrite en chinois, les noms propres
de personnes ou de lieux s’y trouvent avec la
prononciation chinoise, très-différente de la
prononciation coréenne, à ce point que plusieurs noms
sont tout à fait méconnaissables. Nous avons mis entre
parenthèses la prononciation coréenne pour les plus
importants. (2) «
Petit royaume » signifie ici « mon royaume, » la
politesse voulant qu’un inférieur appelle petit tout
ce qui le regarde, lorsqu’il parle à son supérieur. (3)
Ky-sse (Kei-tsa), que les historiens chinois et
coréens regardent comme le fondateur ou le législateur
de la Corée, avait été exilé par son neveu l’empereur
Tcheou-ouang, le Néron de la Chine, qui ne voyait en
cet oncle sage qu’un censeur de ses crimes. Mais
Ou-ouang ayant délivré l’empire de son tyran et mis
fin à la dynastie des Yn, rappela Ky-sse de l’exil,
rétablit roi de Corée, où le nouveau souverain se
rendit, l’an Il22 avant Jésus-Christ, avec le reste
des troupes qui avaient servi la dynastie des Yn.
C’est à ce trait d’histoire que fait ici allusion le
roi de Corée. — 211 — autres
que ceux de Tchou-cha, de Ming ou de Lo (4) n’ont
jamais été admis par les lettrés et les mandarins de
ce royaume; à plus forte raison, n’ont-ils jamais eu
cours parmi eux. Il n’est pas jusqu’aux femmes et aux
enfants des carrefours et des chaumières, qui ne
soient familiers avec les cinq devoirs fondamentaux et
les trois grands câbles, appuis de la société (2), et
qui n’en fassent la règle ordinaire de leur conduite.
Toute autre doctrine est étrangère au petit royaume et
l’erreur n’y a jamais pénétré. « Mais
depuis environ une dizaine d’années, il a paru une
secte de monstres, de barbares et d’infâmes, qui
s’affichent pour les sectateurs d’une doctrine, qu’ils
disent apportée d’Europe, qui blasphèment contre le
ciel, n’affectent que du mépris pour les sages, se
révoltent contre leur prince, étouffent tout sentiment
de piété filiale, abolissent les sacrifices des
ancêtres, et brûlent leurs tablettes; qui, prêchant un
paradis et un enfer, fascinent et entraînent à leur
suite le peuple ignorant et imbécile; qui, par le
moyen d’un baptême, effacent les atrocités de leur
secte; qui recèlent des livres de corruption, et avec
des sortilèges semblables à ceux des Fou-tchan
(bonzes, sectateurs de Fo), rassemblant des femmes de
toutes parts, vivent comme les brutes et les oiseaux
de basse-cour. Les uns se disent pères spirituels
(prêtres), d’autres se donnent pour dévoués à la
religion (chrétiens). Ils changent leurs noms pour se
donner des titres et des surnoms à l’exemple des
brigands Pe-ling et Houang-kin (3). Ils s’adonnent à
la divination, répandent en forcenés l’erreur et le
trouble depuis la capitale jusqu’aux provinces
Tchung-sing et Tsuen-lo (Tsiong-tsieng et Tsien-la).
Leur doctrine se communique avec la rapidité du feu,
leurs sectateurs se multiplient d’une manière
effrayante. « Défunt
Kung-huen-ouang (le roi précédent,
Tieng-tsongtai-oang), ayant pris une connaissance
exacte de tous ces désordres, et prévoyant les suites,
donna les ordres les plus sévères, (1) Les
livres de Tchou-cha, de Ming, de Lo, signifient la
doctrine de Confucius. Tchou-cha est l’endroit où
enseigna ce philosophe; Ming et Lo sont la patrie de
deux commentateurs célèbres de sa doctrine, Tchung-tse
et Tcheou-tse, sous la dynastie des Sung. (2) Les
cinq devoirs fondamentaux sont ceux : 1° du prince et
des sujets; 2° du père et des enfants; 3° de l’aîné et
des cadets; 4° du mari et de la femme; 5° des
vieillards et des jeunes gens. — Les trois grands
câbles sont : l’autorité du prince, celle du père et
celle du mari. (3)
Houang-kin est le nom d’une secte de révoltés qui
parut sous la dynastie des Han; Pe-ling, le nom d’une
société secrète qui a troublé la Chine jusque dans les
derniers temps. — 212 — et
prit les mesures les plus efficaces pour arrêter le
cours du mal. En l’année sin-hay de Kien-long (1791),
Yn-tchi-tchung et Tsiuen-chang-ien (Paul Ioun
Tsi-tsiong-i et Jacques Kouen Siang-ien-i), avec
d’autres, ayant supprimé les sacrifices et détruit
tous les objets qui y étaient destinés, furent tous
punis de mort. Tout jeune encore, je reçus
l’inauguration pour lui succéder (1). Ces brigands
corrompus, étouffant tout sentiment d’égards et de
bienséance, se dirent que l’instant était favorable.
Dès lors, entre eux une correspondance plus active et
plus suivie, une union plus étroite; bientôt c’est un
torrent qui déborde, un incendie qui ravage tout.
Leurs complices croissent tous les jours en nombre de
la même manière qu’un bourgeon, qui, sortant d’un
arbre, en donne lui-même plusieurs autres, lesquels,
produisant de la même manière, en très-peu de temps se
multiplient à l’infini. « A la
troisième lune de cette année, on a intercepté à
Hantchung, ville du premier ordre, les lettres de ces
brigands corrupteurs, de même que les livres de leur
doctrine perverse : c’est d’après ces pièces qu’on a
entamé leur procès. « Alors
j’assemblai, pour délibérer sur cette affaire, les
grands de Y-tchung (Ei-tsieng, Conseil des ministres),
les mandarins de Y Kin-fou, Sse Kien-fou, Sse
Kien-yuen (le Keum-pou et les autres tribunaux). On
commença par l’examen des livres. Il conste qu’ils ont
été composés par Ting-io-tchung (Augustin Tieng
Iak-tsiong); or, selon la déposition de celui-ci,
Ly-tchung-hieun (Pierre Ni Seng-houn-i), de retour
d’une ambassade à la suite de son père Ly-tung-yu,
avait rapporté des livres qui renfermaient une
doctrine d’Europe; il avait reçu ces livres des
Européens de Péking, avec lesquels il s’était lié
pendant son séjour en cette capitale. Il communiqua
d’abord ces livres à Ly-niée (Ni Piek-i), ensuite à
Yn-tchi-tchung, son frère, à Ting-io-tsuen,
Ting-io-yung, Ly Kia-bouen et autres (Tieng Iak-tsien,
Tieng Iak-iong, Ni Kahoan-i.) Ils étudiaient ces
livres, les discutaient ensemble et en faisaient la
règle de leur conduite. Par suite, ils renoncent à
leurs propres parents pour se faire une secte et des
disciples, pensant par ce moyen changer les mœurs de
ce royaume; mais les lois étant très-strictes et
sévères, leur dépit s’exhale en murmures, ils
maudissent, blasphèment, résistent en face, ne
méditent rien moins qu’une révolte. Il y a déjà du
temps que Ly-niée est mort, mais (1) Dans
l’original, il n’y a pas : Je reçus, etc. Le roi,
comme inférieur, ne parle de lui-même qu’à la
troisième personne : Celui qui régit, etc. —213 — les
dépositions de Ting-io-tsuen, Ting-io-yung,
Ly-kia-houen, Ting-io-tchung, Ly-tchung-hieun,
s’accordent toutes parfaitement. «
Cependant Ly-kia-houen étant fort habile dans la
littérature et les arts libéraux (1), avait obtenu un
mandarinat du second ordre; aussi ces sectaires le
prenaient-ils pour leur appui et lui étaient-ils
soumis en tout. Il mit en langage vulgaire les livres
corrupteurs qu’avait apportés Ly-tchung-hieun, et
était à la tète de tous pour les répandre au loin.
Ting-io-tchung avait pour principaux complices
Hung-io-ming, King-ting-tchouun, Tsoui-tchang-hien,
Ly-si-yng, Hung-py-tcheou, Tsoui-py-kung et autres
(François-Xavier Hong Kio-man-i, Sabas Tsi
Tsianghong-i, Paul Ioun Tsi-tsiong-i, Thomas T’soi
Pil-kong-i, etc..) Toutes leurs dépositions sont
claires et s’accordent. Outre ces hommes de lettres et
de grande famille, quelques centaines et plus d’un
rang inférieur, parmi les marchands et le simple
peuple, s’étaient réunis au parti. Tous se plient et
se replient, s’entrelacent ensemble comme le serpent,
et se nouent comme une corde. D’un autre côté, les
femmes séduites et entraînées dans le parti, ont à
leur tête Kiang-ouan-chou, mère de Hung-pytchcou
(Colombe Kang Oan-siouk-i et son fils Philippe Hong).
« Déjà
auparavant Ly-yen (Ni In), prince de la famille
royale, avait été coupable de trahison et de révolte.
Le roi défunt, par affection et bienveillance pour un
membre de sa propre famille, ne put se résoudre à le
faire mourir; il fut relégué dans une île. Cependant
la famille de Ly-yen et tous ses gens s’accordaient
secrètement avec Kiang-ouan-chou, pour répandre cette
perverse doctrine, et ils ourdissaient ensemble la
trame de leurs criminels projets. En ce même temps,
Ly-yen s’échappa de l’île à la faveur de la nuit.
Quand l’affaire fut sur le point d’éclater, l’année
ping chen de Kien-long (1776), Hung-yo-ien, sujet
allié à la famille royale et neveu de Hung-ling-han,
coupable de trahison, révolte et brigandage, s’accorda
avec Hung-tsi-nung et autres pour amener une
rébellion, mais le roi défunt ne voyant en eux que des
parents égarés, dissimula pour leur faire grâce.
Cependant, Hung-yo-ien n’en devint que plus acharné à
poursuivre ses projets criminels; il se lia plus
étroitement que jamais avec Ly-kiahouen, et tous deux
avaient le même but. Yn-sing-you, ministre d’État,
favorisait de tout son pouvoir les crimes de
Hung-yo-ien, (1) Les
six arts libéraux des Chinois sont : la civilité, la
musique, le calcul, tirer de l’arc, écrire en beaux
caractères et conduire un char avec adresse, surtout
dans les combats. — 214 — faisait
traîner les procès en longueur et, en opposition
formelle aux lois du royaume, s’efforçait de tout
troubler et de faire prendre le change à la multitude.
Il paraît bien que ces brigands corrupteurs, ayant
étouffé tout sentiment naturel, voulaient s’élever
ouvertement contre l’État. Déjà depuis longtemps se
préparait, en secret, le ferment terrible qui devait
produire l’explosion; se contentant à l’extérieur de
faire parade de leur doctrine perverse, ils recelaient
intérieurement leurs désastreux desseins, se parant de
belles règles de conduite, qui n’étaient que des
moyens d’exciter le trouble; or Ly-yen était leur
merveille et leur trésor. « Ce fut
bien longtemps après que cette secte obtint et reçut
d’un commun accord Tcheou-ouen-mo (le P. Jacques
Tsiou), qu’ils qualifiaient du titre de père
spirituel. La maison de Kiang-ouanchou lui servait
comme de caverne pour se cacher. Interrogé sur son nom
et sa demeure, il ne répondait que par des équivoques
et des tergiversations, s’enveloppant de mille formes
différentes pour cacher ses crimes. Quoiqu’il fût
frappé à plusieurs reprises, rien ne put vaincre son
obstination à tergiverser. Or, ce Tcheou-ouen-mo était
à la tête de tous leurs plans, le centre de leur
correspondance; ils se ralliaient tous autour de lui
et auraient voulu mourir tous ensemble pour lui seul.
On tremble encore à la pensée du danger qu’a couru le
royaume, placé ainsi à deux doigts de sa perte, et
n’ayant plus qu’un souffle de vie. « Il n’y
avait pas de temps à perdre pour remédier au mal et en
extirper la racine. Ly-yen, Hung-yo-ien, Yn-sing-you
ont eu la permission de s’étrangler eux-mêmes (1);
Tcheou-ouen-mo a eu la tête tranchée, avec
Ting-io-tchung, Li-tchung-hieun, Hungyo-ming, etc..
Ly-kia-houen est mort sous les coups de bâton,
Ting-io-tsuen, Ting-io-yunget autres, ont été punis à
raison de la part qu’ils avaient prise aux crimes. « Quant à
la trame des complots et des intrigues ourdies par ces
brigands, un des leurs, appelé Houang-sse-yung
(Alexandre Hoang Sa-ieng-i), en tenait le fil.
Prévoyant l’orage, il s’était dérobé par la fuite à la
poursuite des mandarins. Ce n’est qu’à la neuvième
lune qu’il fut pris et interrogé pour la première
fois. Or, selon ses dépositions, après que
Ly-tchung-hieun eut rapporté la doctrine d’Europe, ces
brigands continuèrent à correspondre avec les
Européens de Péking. Kin-you-chan,Houang-sin,
Ouang-tsien-sy (Thomas Hoang Sim-i, Ok Tsien-hei,
etc.), (1) C’est
l’usage de ce pays pour les criminels de très-haut
rang. Communément lc bourreau suit la corde qu’on leur
envoie, et assiste à l’exéculion. — 215 — s’acquittaient
de cette commission à chaque ambassade qui allait à
Pcking. Ils en liraient des plans de corruption et des
moyens relatifs à leurs fins. « Celui
qu’ils nomment Tcheou-ouen-mo, ayant pris le costume
d’un homme du commun, eut un rendez-vous sur les
frontières, et après avoir marché jour et nuit, il
entra furtivement dans ce royaume au printemps de
l’année y-mao (1795). Il y resta plusieurs années
caché, en qualité de maître et de chef de parti.
Tcheou-ouen-mo est de Sou-tchéou, ville du premier
ordre dans la province de Kiang-nan. On saisit une de
ses lettres écrite sur la soie, que Houang-sin et
Ouang-tsien-sy étaient convenus de porter secrètement
aux Européens en la cousant dans leurs habits; mais
elle fut prise avant leur départ. Houang-sin, qui en
était chargé, se disait lui-même To-mo (1). Cette
lettre contenait deux projets atroces proposés aux
Européens pour renverser le petit royaume. Le premier
consistait à écrire à tous les royaumes de la grande
Europe, pour leur proposer de venir par mer, avec
quelques centaines de vaisseaux, portant cinquante à
soixante mille hommes, de gros canons et d’autres
armes terribles, pour conquérir et détruire le petit
royaume. « Le
second projet était d’introduire sur les frontières un
homme de leur religion, qui s’y établirait sous
prétexte de commerce, ferait passer les lettres, et
serait une voie sûre pour communiquer les plans et les
résultats des délibérations du parti. Les dépositions
de Kin-you-chan, Houang-sin, Ouang-tsien-sy et
d’autres, s’accordent sur ces deux articles. De plus,
selon les dépositions de Lieou-hung-Jeen, Yn-tchi-hien
(Augustin Niou Hang Kem-i, François Ioun Tsi-hen-i),
et autres membres de cette secte perverse, il existait
un complot pour inviter une flotte européenne. C’était
un parti pris irrévocablement; Ly-kia-houen et autres
étaient chargés des frais nécessaires pour amener la
révolte en secret. C’est aussi ce que dépose
Houang-sse-yung. Hélas! les royaumes d’Europe n’ont
avec le petit royaume aucun rapport de haine ou de
bienveillance. Si l’on consulte la raison et le cours
ordinaire des choses, est-il possible qu’ils aient le
cœur de venir à travers les mers, de dix mille lieues
de distance, pour renverser le petit royaume? « Ainsi
cette détermination vient sans doute uniquement de (1) To-mo
était son nom de baptême Thomas, prononcé à la
chinoise. Par hasard ces deux caractères : To, Mo,
signitient : beaucoup de vues, de nombreux projets. — 216 — ce
que les brigands, au désespoir de se trouver sans
ressource, réduits à chercher du secours au bout du
monde, ont conçu le dessein d’inviter au delà des mers
des armées européennes, se proposant de leur ouvrir
eux-mêmes les portes et de leur livrer le royaume.
Moi, mes mandarins, mon peuple, saisis de crainte,
tout tremblants, l’indignation dans le cœur, en fûmes
pénétrés jusque dans les os, et je fis aussitôt
décapiter Houang-sin, Kinyou-chan, Ouang-tsien-sy,
Houang-sse-yung et Lieou-hung-leen. «
Toutefois, considérant que le petit royaume, pays
méprisable, situé à un coin de la mer, comblé des
bienfaits de Sa Majesté, lui offre chaque année le
tribut d’usage, comme s’il était dans l’intérieur même
de l’empire; considérant que, quand il survient
quelque grande affaire dans un royaume quelconque, on
doit aussitôt faire partir des serviteurs pour la
communiquer fidèlement à Sa Majesté Impériale;
considérant que le royaume vient d être purgé de ces
brigands qui l’ont précipité sur le bord de sa ruine,
qu’il a échappé à cet épouvantable danger, et jouit
maintenant de la paix et de la tranquillité;
considérant, de plus, comment le génie de Sa Majesté
pénètre tout, embrasse tout, je présente à Sa Majesté
Impériale les détails de cette affaire. « Quoique
tous ces brigands aient été exterminés, il peut se
faire que d’autres tentent de relever cette secte
abattue. On ne peut donc s’empêcher de prendre des
précautions pour l’avenir, de crainte qu’ils ne se
cachent et qu’ils ne se dérobent aux recherches des
mandarins. Si quelques-uns de ces brigands corrupteurs
passaient furtivement parla porte des frontières. Sa
Majesté Impériale est suppliée d’ordonner aux
mandarins de s’en saisir et de les rendre. En
m’accordant cette grâce, la Majesté Impériale qui, par
elle-même, imprime la crainte et le respect, sera
employée à consolider la paix et la tranquillité parmi
les vassaux de l’empire. Plein de confiance en la
très-grande bienveillance de Sa Majesté, dont je me
regarde comme le petit enfant, je prends la liberté de
la molester par ces détails. Cette supplique de
renvoyer les transfuges, importune et contraire au
respect dû à l’Empereur, dont elle offense la Majesté,
a été commandée par un excès de crainte et de
saisissement. « Quant à
Tcheou-ouen-mo, pendant le cours de son procès, il ne
parut rien qui pût le faire reconnaître pour étranger.
Ses habits, son langage, tout son extérieur
n’annonçaient rien qui pût le faire distinguer des
hommes de ce pays-ci. Aussi ne vit-on en lui qu’un
chef de corrupteurs, et c’est comme tel qu’il fut jugé
et exécuté. — 217 — « Quant
aux dépositions de Houang-sse-yung-, elles ne sont pas
absolument certaines, peut-être aura-t-on manqué de la
pénétration et de la sagacité nécessaires pour
distinguer le vrai du faux. Mais que les paroles de
l’homme du royaume supérieur (du missionnaire qui
était chinois) soient vraies ou fausses, de même que
les dépositions de tous ces brigands, il n’est pas
moins certain que, selon les règles de la prudence, vu
les raisons que le petit royaume a de craindre, je ne
pouvais m’exposer à laisser ces brigands impunis,
comme aussi, en qualité de prince vassal de l’empire,
je ne pouvais me dispenser d’en informer l’Empereur. « Quoique
tout ce verbiage semble annoncer l’importunité et le
manque de respect, c’est la droiture et la franchise
même. Tourné vers le nord, je tiens mes yeux fixés sur
le ciel enveloppé de nuages, qui, j’espère, sera
favorable à ce qui est en bas (1). « Telle
est l’origine et la fin des malheureux troubles qui
ont eu lieu dans le petit royaume à l’occasion d’une
secte de brigands corrupteurs qui ont été punis de
mort. «
J’envoie, comme il est de règle, un de mes grands
mandarins, appelé Tsao-youn-ta (Tso-ioun-tai). qui a
la charge de Pan-tchung-chou-fou-chy. Le second se
nomme Sin-mei-siou; il a la charge de
Ly-tsao-pan-chou. Ils se rendront à la capitale mère,
portant ces dépèches qu’ils feront passer à
l’honorable tribunal, le priant de les communiquer à
l’Empereur. « Adressé
au tribunal des Rites, la sixième année de Kia-king,
le 20 de la dixième lune. » A cette
lettre, l’Empereur fit la réponse suivante : « Le
Tribunal des Rites a représenté que l’ambassadeur de
la Corée appelé Tsao-youn-ta, et autres mandarins de
l’ambassade, étant venus à Péking apporter le tribut,
étaient chargés d’un placet, dont ce même tribunal a
tiré une copie, qui m’a été »résentée. « Il
appert de cet écrit que le roi qui a été établi par
moi pour gouverner à titre de vassal de l’empire,
étant encore fort jeune, des mauvais sujets de ce
royaume ont voulu profiter de cette occasion, et ont
tenté d’exciter des troubles. Le roi s’étant aussitôt
mis à la tête de ses mandarins, s’est défait des
chefs, a (1)
Tourné vers le nord, signifie : prosterné devant le
trône impérial, parce que le trône faisant face au
midi, le sujet, en parlant à l’empereur, regarde le
nord. Le Ciel signitle la Majesté Impériale;
l’empereur se dit lui-même fils du Ciel. Ces nuages
font allusion à la sévérité du souverain, dont les
bienfaits, au contraire, sont une douce pluie, etc. — 218 — éteint
l’incendie et rétabli la paix. A peine cette affaire
est terminée, qu’il était ici pour m’en rendre compte,
m’en exposer l’origine, la fin et la manière dont elle
a été traitée. Tout cela est dans l’ordre. Mais quant
à ce qu’il dit de Kin-you-chan, Houangsin,
Ouang-tsien-sy et autres, qu’à chaque ambassade ils
communiquaient secrètement avec les Européens, dont
ils tiraient des moyens de corruption, cela est faux.
Les Européens ont été placés dans la capitale mère,
parce que communément ils entendent le calcul et qu’on
les applique à compter le temps et observer le ciel:
ils ont leur emploi au tribunal des Mathématiques; il
ne leur est pas permis de communiquer avec les
étrangers. Ces mêmes Européens traversant les mers
pour se rendre à Péking, savent tous se soumettre à
l’ordre public et obéir aux lois. Depuis plus de cent
ans qu’ils sont ici, ils n’ont jamais prêché
furtivement la religion, et jamais personne n’a été
séduit par eux. « Quant à
ce que dit ce roi que les mauvais sujets de son
royaume, venant ici à chaque ambassade, en tiraient la
religion qu’ils prêchaient : c’est une calomnie, sans
ombre de doute. Ces mauvais sujets ayant tiré
d’ailleurs des livres et une doctrine de corruption,
l’auront répandue par toute sorte de menées et
d’intrigues; et après avoir été découverts, ils ont
inventé cette calomnie pour éviter de dire la vraie
origine de leur secte. Eh ! certes, il n’y a rien qui
mérite qu’on y ajoute foi. Le roi doit user de
sévérité, pour imprimer à ses mandarins et à son
peuple l’attachement et le respect qu’ils doivent
avoir pour la véritable doctrine. L’erreur n’ayant
alors aucune prise parmi eux, il étouffera ainsi
jusqu’au germe de corruption. « Quant à
ce qu’il ajoute que, peut-être, le royaume n’étant pas
totalement purgé de ces mauvais sujets, il est à
craindre qu’ils ne passent furtivement aux frontières,
en cela il pense bien. Aussi les grands mandarins des
frontières ont ordre de s’accorder entre eux, pour les
rechercher sévèrement. Si on rencontre de ces
brigands, qu’ils soient saisis et rendus à leur roi
pour être jugés. « C’est
ainsi que je donne un témoignage éclatant de ma
clémence et de ma protection. « Cet
édit sera remis au tribunal des Rites, pour être
communiqué audit roi. » Ces deux
pièces diplomatiques sont très-curieuses, et nous
donnent une juste idée des gouvernements et des
nations de l’extrême Orient. On y voit dans tout son
jour ce caractère indélébile des peuples asiatiques,
la servilité craintive, l’arlificieuse — 219 — fourberie
du plus faible, aussi bien que l’insolence du plus
fort et son dédain superbe de la vérité. Il n’y a que
le gouvernement chinois dans le monde, pour nier aussi
effrontément des faits avérés et connus de tous; pour
oser prétendre qu’il n’y avait pas de chrétiens dans
l’empire, alors même qu’il les persécutait dans toutes
ses provinces, au vu et su de ses centaines de
millions de sujets. Nous
avons été étonné de ne pas trouver dans la réponse de
l’Empereur un seul mot sur l’exécution du P. Tsiou,
sujet chinois, que d’après la loi on aurait dû
renvoyer à Péking. Sans aucun doute, le gouvernement
coréen, avant de rendre cette lettre publique, en aura
retranché divers passages. Les chrétiens ont toujours
été convaincus que l’Empereur donna, à ce propos, une
verte semonce au roi de Corée, et qu’il y ajouta des
paroles menaçantes. La régente et ses ministres,
frappés de terreur, envoyèrent à la hâte à Péking une
somme d’argent très-considérable qui, naturellement,
apaisa le courroux de Sa Majesté Impériale. Nous
n’osons pas répondre de l’authenticité de ces faits,
mais rien ne peut être plus vraisemblable. La Chine
n’eût pas été la Chine, si l’Empereur eût perdu une si
belle occasion de rançonner son vassal. |