Histoire de l’Église de Corée Charles Dallet LIVRE III [220] CHAPITRE V.
Proclamation royale au sujet de la
religion chrétienne. Dernières exécutions. — Résumé.
A
l’occasion des procès moitié politiques, moitié
religieux, d’Augustin Mou et d’Alexandre Hoang, les
ennemis de la religion et du parti Nam-in, peu
satisfaits que plusieurs personnages importants
eussent été seulement exilés, et que les familles des
martyrs n’eussent pas été entièrement anéanties,
résolurent de faire une nouvelle tentative. Ils
présentèrent donc une requête à la régente, demandant
que l’on appelât de nouveau en jugement tous ces
exilés, que l’on poursuivît les femmes et les enfants
des grandes familles dont les chefs seuls avaient été
mis à mort, et finalement que l’on confisquât les
maisons et les biens de tous les condamnés sans
exception. Le gouvernement ne fit pas d’abord de
réponse. Sans se rebuter, les pétitionnaires, parmi
lesquels plusieurs personnes honorées des plus hautes
charges publiques, s’assemblèrent un grand nombre de
fois pour s’entendre sur les meilleurs moyens
d’arriver à leur but, et de forcer la main à la
régente et à ses ministres. Mais un obstacle imprévu
les arrêta tout à coup. Le jeune roi, âgé seulement de
douze à treize ans, et qui n’avait pas encore de part
dans l’administration du royaume, fut informé de leurs
projets. Il se plaignit amèrement de ce que tous les
grands du royaume, au lieu de chercher à sauver la vie
de ses sujets, ne cessaient de comploter leur mort;
puis il fit, comme roi, défense absolue de revenir sur
les jugements déjà rendus, et de faire désormais de
nouvelles démarches pour obtenir leur révision. Cet
acte éclatant déconcerta les auteurs de la requête, et
sauva d’une ruine complète les débris de plusieurs
grandes familles, qui jusqu’à ce jour conservent une
vive reconnaissance pour la générosité royale. C’était
dans le courant de la onzième lune, le jour même,
dit-on, du martyre d’Alexandre Hoang. Après cet acte
de vigoureuse initiative de la part du jeune roi, la
persécution ne pouvait plus guère continuer
officiellement. Aussi la régente donna-t-elle, bien à
contre-cœur, l’ordre de ne plus faire de nouvelles
poursuites, et le tribunal extraordinaire fut dissous.
En même temps les ministres — 221 — préparèrent,
sous forme de proclamation ou d’instruction au peuple,
un compte rendu de la persécution et une apologie de
leur conduite. Voici
cette pièce, qui fut promulguée le 22 de la douzième
lune (25 janvier 1802) : «
Instruction contre la mauvaise religion, rédigée par
le Taitiei-hak (maître des cérémonies et grand
sacrificateur) Ni Mansiou sur l’ordre du gouvernement.
« Ainsi
parle le Roi : Par la protection secrète dont le ciel
et nos glorieux ancêtres entourent notre royaume, la
racine du mal ayant été arrachée, et ses principaux
chefs enfin terrassés, nous le faisons savoir à toute
la cour et à notre peuple. C’est un bien dont les huit
provinces doivent se féliciter; c’est pour toutes les
générations futures le développement assuré des
principes naturels et sociaux. Le royaume concédé à
Kei-tsa (1) jouissait d’une très-grande paix, depuis
quatre cents ans, dans toute l’étendue de son
territoire de deux mille lys et plus. Son peuple se
compose de lettrés, de cultivateurs, d’artisans et de
marchands; ses livres classiques sont le Si-tsien et
le Se-tsien (2), puis les livres de civilité, de rites
et de musique. Ce que l’on présente à l’étude et à
l’imitation du peuple, sont les enseignements de Io,
Sioun, Ou, Tang, Moun-oang, Koung-fou-tse (Confucius),
Mengtse, Tsiang-tsa et Tsiou-tsa (3). Les fondements
de sa morale sont les relations de roi à sujet, de
père à fils, d’époux à épouse, de vieillard à jeune
homme et des amis entre eux. « Pendant
la longue succession des rois de notre royaume, les
vertus de Tsiou-nam et So-namse firent
particulièrement remarquer, les principaux fondements
des vertus et de la morale furent en honneur, et par
le moyen d’une foule d’homme sages et célèbres, on fit
ressortir le sens des livres sacrés, et on se transmit
(1) Voir,
plus haut la lettre du roi de Corée à l’Empereur de
Chine, (troisième note, p. 210.) (2) Ce
sont deux ouvrages historiques, en vers et en prose,
arrangés en forme de Morale en action. (3)
L’empereur Io ne donna pas l’empire en héritage à ses
propres enfants, mais à Sioun, à cause de sa vertu
éminente. Ou fut aussi appelé au trône pour sa vertu.
Tang et Moun-oang sont des empereurs également
célèbres; ce dernier, toutefois, ne régna pas
réellement, car il refusa par conscience, dit-on, de
prendre le royaume d’autrui; mais son fils, Mou-oang,
moins scrupuleux, étant devenu empereur, suivit
l’usage de ce pays en donnant à son père le titre
honorifique d’empereur. Tsiang-tsa et Tsiou-tsa sont
des lettrés de grande réputation qui ont beaucoup
complété la partie des Rites, et dont les institutions
sont en usage jusqu’à ce jour en Corée. — 222
— les
sentiments de mille saints. Qu’il fut grand notre feu
roi, pendant les vingt-quatre années de son règne
éclatant ! N’ayant en pensée que la droite doctrine,
il protégea la morale et s’attacha à la religion des
lettrés; il mit au grand jour les écrits de Tsioutsa :
il resta fidèle à l’Empereur, et repoussa les
barbares; il mit en pratique les principes si grands
du livre Printemps et Automne (1). Pour faire fleurir
dans tout le royaume la piété filiale, il la pratiqua
lui-même, et répandant au dehors tout ce dont son cœur
était richement imbu, les quatre mers se tournèrent au
bien. Partout sur ses pas surgissaient la paix et
l’harmonie; partout où il apparaissait, d’admirables
effets se faisaient sentir. Qui aurait pu prévoir que
du fond de l’Occident un air corrompu et empoisonné,
secrètement introduit dans ce royaume civilisé, aurait
pu venir souiller la pureté de son territoire? « Ce
qu’adorent les sectateurs de cette religion perverse,
ce sont des serpents génies et des bœufs génies, et
ils avaient infecté presque la moitié du monde. Ils
parlent d’un enfer et d’un paradis. Ceux qu’ils
appellent pères spirituels et évêques, ils les
révèrent plus même qu’on ne faisait autrefois les
Si-tong (2). Ce qu’ils nomment les dix commandements
et les sept vertus capitales sont des mensonges
analogues à ceux de ces livres qui prétendent
enseigner l’art des prophéties et des sorcelleries.
L’amour de la vie et l’horreur de la mort sont des
sentiments naturels à l’homme, et, toutefois, ils
regardent le sabre et la scie comme une couche
délicieuse. Rendre grâces aux parents pour la vie que
l’on a reçue d’eux, est une loi tracée par le ciel
lui-même; malgré cela ils ne voient dans l’offrande
des sacrifices qu’une chose vaine et futile. Les
esprits de leurs ancêtres pourraient-ils ne pas mourir
d’inanition (3)? « Enfin,
le désordre de leurs mœurs est quelque chose de plus
honteux encore. Des familles déchues et quelques
nobles de rebut, conservant rancune contre le
gouvernement, se sont liés avec des bandes de gens
perdus, et grâce à un certain appareil extérieur, ont
semé leur venin parmi la foule; ils ont appelé à (1) L’un
des livres de Confucius. (2) Avant
l’invenlion des tablettes, pour offrir les sacrifices
aux parents, on faisait venir un enfant, petit-fils du
défunt, et on lui offrait le sacrifice. Cet enfant, en
qui était supposé venir l’esprit des ancêtres, prenait
le nom de Si-tong. Le texte signifie par conséquent :
Ils les révèrent plus que les tablettes des ancêtres.
(3) Le
double but de ces sacrifices aux parents est de leur
payer le bienfait de l’existencc que l’on a reçue
d’eux, et de nourrir leurs âmes de la fumée des
offrandes. — 223 — eux
des gens de la classe marchande; ils se sont recrutés
parmi les cultivateurs et parmi les femmcs; puis
détruisant et troublant l’ordre des différentes
classes de la société, ont corrompu tous les usages.
Par le moyen de deux ou trois caractères chinois, ils
se donnent à chacun un nom secret pour se reconnaître
(1). Avec quelques feuilles de peintures déshonnêtes,
ils ornent en secret leurs trous et lanières. Au
milieu de la profondeur de la nuit, et dans les
appartements dérobés, se pressant têtes sur tètes, ils
récitent leurs livres et font la prédication; et
quelquefois aussi, paraissant au grand jour, ils
agitent l’éventail au milieu de la foule assemblée.
Ils se sont ainsi multipliés, bien plus que la bande
du rebelle Kang-i-tsien-i, dissipée dernièrement.
Qu’un jour quelque chose éclate, comment pourrait-cc
n’être pas plus grave que l’affaire des troubles de
Hoang-tsi (2)? «
Seng-houn-i suivant l’ambassade de Péking, acheta et
apportâ les livres dépravés et, allant au temple des
Européens, devint le disciple de cette race étrangère.
Iak-tsiong (Augustin Tieng), avec toute sa maison,
avec son frère aine et son frère cadet, fut pris de la
contagion. T’siel-sin-i (Jean T’soi), reste bâtard du
rebelle Hei (3), s’y fit une réputation de savoir et
de connaissances, Nak-min-i (Luc Hong), qui jouissait
d’une dignité élevée à la cour, se fit général de la
milice, et abjurant les bienfaits du roi, refusa
jusqu’à la fin de changer ses idées perverses. Plus
corrompu encore que T’siang-hien et Pil-kong-i,
renversant le temple de ses ancêtres, et détruisant
les relations naturelles, il surpassa aussi la malice
invétérée de Tsi-tsioung-hi et de Sang-ien-i. « Hélas !
même dans une famille brillante par sa fidélité, c’est
Ken-sioun-i (4) qui abandonne les rites reçus, étudie
les livres dépravés, se fait toucher le front
(baptiser), reçoit un nom inconnu, détourne le sens
des livres sacrés pour en confirmer une fausse
doctrine, et finalement s’obstine à vouloir courber la
tête sous le glaive de la loi. «
Ka-hoan-i, couvert des nombreux bienfaits de deux
rois, a déshonoré par son imprudence sa dignité du
deuxième degré; quoiqu’il eût la réputation de grand
lettré, son mesquin talent (1) Le
nom de baptême. (2) Ces
deux dernières phrases font allusion à quelques
troubles partiels causés par la misère dans les années
précédentes, mais de peu d’imporlance politiquc,
puisqu’il n’y avait ni chefs influents ni complot
sérieux. (3) Ceci
est une injure purement gratuite, car Jean T’soi
n’appartenait ni de près ni de loin à la famille de
Hei. (i) Il
s’agit ici de Josaphat Kim, lequel, ainsi que nous
l’avons remarqué était de l’une des principales
familles du parti Nu-ron, alors au pouvoir. — 224 — finit
par ne produire que de honteux et déshonnêtes
pamphlets. Du reste ses yeux de guêpe et sa voix de
loup ne pouvaient longtemps lui permettre de cacher la
corruption et la méchanceté de son naturel. Le
véritable chef était le fils de sa sœur, le rebelle Ni
Seng-houn-i qui, pour propager et répandre le mal,
unit ses efforts à ceux de son ami Piek-i. Toute cette
race de vrais barbares sont ses disciples. « Le
méprisable Tsou-tsiang (Louis de Gonzague Ni), avec
toute sa bande, faisait jouer sa langue comme une
clarinette et protégeait secrètement les affreux
projets de Ka-hoan-i. Il se montra au public et se fit
remarquer de tous, et, quoique le roi, par une
indulgence aussi large que le ciel et la terre, ait
différé son supplice en lui pardonnant, il avait bien
vu par sa perspicacité, aussi lucide que le soleil et
la lune, le fond caché sous cet extérieur fourbe et
sournois. En ce même temps Tsiou Moun-mo (le P. Tsiou)
se présenta, pour appuyer la doctrine des Européens.
Ayant d’abord pendant quelques années fait parvenir de
ses nouvelles sur les frontières du Nord, il vint du
Kiang-nan (province de Chine) à dix mille lys d’ici,
et trompa la surveillance de la douane à Pien-men. Ce
fut une guêpe venimeuse entrée dans la manche. Les
individus Hoan (Sabas Tsi) et Il (Paul Ioun lou-ir-i)
lui prêtaient main forte de l’avant; derrière lui, Sim
(Thomas Hoangj et Hei (Ok Tsien-hei) étaient ses
commissionnaires; Oan-siou-ki Colombe Kang), femme
naturellement fourbe et corrompue, devint la maîtresse
de sa demeure, et on acheta In-kir-i (Matthias T’soi)
pour le faire livrer à la mort à la place du chef de
la mauvaise religion. Le rebelle Ni In, voulant se
frayer la route au trône, se fit du rebelle Im (1) un
rempart au dehors, et, dépouillant en quelque sorte la
grossière enveloppe du corps, il savait, quoique caché
dans les montagnes, communiquer avec les gens restés à
sa maison, et, de sa retraite de Kang-hoa, sur les
bords de la mer, s’entendait secrètement avec les
rebelles restés à l’intérieur, et connaissait l’état
des choses. « Quand
les affreux projets de ces méchants commencèrent à se
dévoiler, on osa bien dire par une fausse allusion aux
annales de Chine, que les innocents calomniés étaient
plus nombreux que dans l’affaire du complot sous la
dynastie Tsong (2). Les rebelles, (1) Cet
individu était un païen compromis dans l’affaire du
prince exilé. (2) Sous
cette dynastie, il y eut en Chine une tentalive de
révolte, comprimée avec une barbarie sans exemple, et
dont le souvenir s’est conservé dans la mémoire du
peuple, à cause du grand nombre des victimes dont
l’innocence fut plus tard reconnue. — 225 — profitant
tout d’abord du moment où nous montions sur le trône
dans un âge tendre, purent se remuer, et, depuis le
décès du feu roi, leur audace ne fit qu’augmenter.
Hélas! un germe de trouble existait, tout le monde
désignait du doigt le danger, et bientôt la révolte
arriva à un tel point, que tout ne tenait plus qu’à un
fil. C’est effrayant! Un être comme Sa-ieng-i
(Alexandre Hoang) au cœur de tigre, à la figure et à
l’œil de chacal et de fouine, appuyé sur la réputation
qu’il avait eue dans l’art magique et la sorcellerie,
osa bien prendre la fuite, et, pour essayer de sauver
sa petite existence, eut l’audace de prendre un
morceau de soie et d’y écrire le détail de trois
affreux stratagèmes. Vraiment! comment a-t-il bien pu
avoir la pensée d’ouvrir les portes des trois cents
districts de ce royaume tout dévoué à la belle
religion des lettrés, pour les livrer à des brigands
étrangers? Comment a-t-il bien pu appeler de
quatre-vingt mille lys, les navires de l’Occident, et
convenir du jour pour faire invasion dans ce pays ? Sa
haine et sa rébellion sont cent fois au-dessus de
celles de Iak-tsiong. « Les
rapports avec l’étranger se faisaient d’accord avec
Hoang Sim-i; Hien Kiei-heun-i semait l’agitation dans
la province de Tsien-la; Hang-kem-i faisait ses
préparatifs, se mettait en action, et semait des
milliers de taëls; tous les bataillons de la mauvaise
secte étaient donc organisés et fixés, c’était une
affaire conclue pour en finir sur un seul champ de
bataille. On peut voir par là les bases et l’étendue
de cet horrible complot. En vérité, les quatre fameux
rebelles, Koal, Len, In, et Liang, n’auraient jamais
pu concevoir de telles pensées; les conspirateurs Oun,
Hai, Ha, et Kong n’auraient pu agir de la sorte; et
toi, un être vivant entre le eiel et la terre, comment
as-tu bien pu vouloir de telles choses? Depuis toutes
les anciennes dynasties Tang-koun, Kei-tsa, Sin-la,
Korie, jusqu’aujourd’hui, jamais on n’entendit parler
de telles atrocités. « Mais
notre clémente et sainte régente, n’ayant d’autres
pensées que celles du feu roi, ne cherchant sa
tranquillité que dans celle de tout le royaume, devina
leur complot, et semblable en cela à la reine
Nie-oa-si (en chinois, Niù-ouà-sy), qui eut le mérite
de radouber la voûte du ciel (1), elle sut déjouer
leur (1) Dans
les anciennes histoires de la Chine, il est dit que la
reine Nie-oa-si s’étant battue avec Kong-koung, cette
dernière saisit un des piliers du ciel, le renversa et
fit ainsi un trou à la voûte céleste. Les eaux coulant
par ce trou, l’inondation menaçait tout l’univers.
Heureusement, Nie-oa-si sut trouver une pierre
précieuse, parvint à la fixer à la voûte pour boucher
le trou fatal, et rendit ainsi à l’humanité un service
dont toutes les races de l’extrême Orient la
remercient de génération en génération. — 226 — malice.
Elle lance le blâme et donne ses ordres avec une
imposante majesté. Son administration rappelle le
règne de la reine Ma, qui fut digne d’être assimilée
au grand empereur Io (1). Mettant à mort et punissant
avec équité, elle fait briller les vrais principes aux
yeux de toutes les races futures. Répandant d’une main
la pluie et la rosée, de l’autre lançant la gelée
blanche et les neiges, elle place le gouvernement sur
le terrain de la doctrine et de la véritable justice.
Gravement inquiète, et voyant le danger de la
position, elle émet des vues lucides comme le soleil
et les étoiles. C’est pourquoi, à la troisième lune de
cette année (2), elle donna ses ordres au tribunal
Keum-pou, commanda de faire siéger une chambre
extraordinaire pour juger cette affaire, et par là
tout fut arrêté. « Déjà
Tsi-tsiong-i, Siang-ien-i, In-kir-i, Iou-ir-i, et
Hoang avaient, depuis plusieurs années, subi la
sévérité de la loi; mais, dès lors, l’épouse et la
belle-fille du prince rebelle In périssent par le
poison; Ka-hoan-i et T’siebsin-i meurent sous les
coups; Tsiou Moun-mo subit le supplice de l’exécution
militaire, pour frapper tous les regards; Seng-houn-i,
Iak-tsiong, etc., etc., en un mot, tous les principaux
chefs de cette ligue insensée, sont condamnés et mis à
mort. A la huitième lune (3), Sa-ieng-i fut pris et
traité selon la loi, avec Hang-kem-i, Tsi-hen-i, Hoang
Sim-i, Tsien-hei et leurs complices. Ceux qui avaient
infatué le peuple, furent envoyés dans leurs provinces
respectives pour y être exécutés. Les ministres et
dignitaires du palais unissant leurs efforts, et tous
d’une voix répétant que pour détruire le mal, il
fallait le prendre par sa base et sa racine, ordre fut
donné, sur leurs pressantes sollicitations, de
dépouiller le ministre T’sai de toutes ses dignités
(4). C’est ainsi que pour n’avoir pas lâché le fil
céleste et avoir tenu aux principes naturels,
l’empereur Ha-ou-si élevant l’énorme marmite, les
mauvais esprits ne purent s’évader; c’est ainsi que
pour avoir été très-éclairé sur la doctrine du ciel,
l’empereur Hen-ouen-si s’avançant sur un char (1) Il
s’agit ici de l’empereur T’a-yu; c’est-à-dire Yu le
Grand, celui qui, en creusant des canaux, livra à
l’agricullure une immense étendue de terrain
auparavant couverte de marais. (2) Cette
date est inexacte; l’édit de persécution est daté du
Il de la première lune. (3) Cette
date aussi est inexacte. Est-ce de propos délibéré ?
et dans quel but? nous l’ignorons. (4) Ce
ministre, jadis accusé de rébellion, était mort depuis
un certain temps quand cet ordre posthume fut rendu
contre sa mémoire. —227 — mystérieux,
dissipa toutes les vapeurs sombres et malignes dont
son ennemi l’entourait (1). « Tous
ces reins turbulents ayant été domptés, et tous ces
gosiers de désordre ayant été coupés, les fondements
du mal ont disparu, et toute l’horrible secte a été
anéantie. Femmes ou lettrés, grands ou petits, tous
les vils agents de la bande ont reçu le salaire de
leurs crimes. Mais sans la protection des génies du
ciel et de la terre et des génies de nos ancêtres, le
royaume eût-il pu rester sur pied jusqu’aujourd’hui ?
Pour moi, j’ai toujours entendu dire que le ciel
matériel s’appelle ciel, et celui qui le gouverne,
empereur, et en tout j’adhère à la pure doctrine
orthodoxe. Mais ces affreux rebelles parlent
faussement de ceci et de cela, et induisent en erreur
sur toute espèce de questions. « Bien
plus, leur doctrine est très-fourbe, très-artificieuse
et très-peu profonde; leurs actes sont très-imprudents
et très-corrompus; toutes leurs paroles sont vaines et
futiles. Ce qu’ils disent des esprits, n’est qu’un
ramassis de la lie de Siek-si (doctrine de Fo), et le
mélange qu’ils en font est tout semblable au langage
des sorciers. Quant aux livres par lesquels ils
trompent le peuple, détruisent les rapports naturels
et tous les principes, sous le règne des dynasties les
plus florissantes, on eût pu seulement les livrer au
feu ou à l’eau, mais pour ceux qui désormais en
adopteraient un seul article, on doit savoir qu’ils
sont bien audessous des chiens et des pourceaux. Ils
portent leur aveuglement jusqu’à vouloir mourir,
comment ne serait-ce pas opposé au sens commun? Le
tout bien considéré pendant nombre d’années, il nous
paraît certain qu’ils ont au fond du cœur quelque
autre but caché. A l’extérieur, ils s’appuient sur la
magie, et à l’intérieur, couvent d’affreux projets.
D’abord, ils mettent en avant le mot de religion
sublime, et secrètement ils ourdissent une trame qui
s’élèverait jusqu’au ciel. Finalement, ils regardent
rois et parents comme des ennemis; ils veulent
réaliser librement leurs complots qui tournent à la
ruine générale. « Étant
père du peuple, comment pourrions-nous ne pas
descendre de notre char, et avoir l’envie de pleurer?
Vous, notre peuple, sachez comprendre le but de nos
prières, et quel est notre dessein en ouvrant le filet
pour vous laisser échapper. Vous tous, écoutez
attentivement notre voix, afin que tous, revenus au
bien, s’efforcent de pratiquer la vertu; que le sujet
pense à la fidélité, le fils à la piété filiale, que
la femme s’applique au (1)
Allusion à quelques légendes ridicules de l’histoire
chinoise. — 228 — tissage,
que l’homme adonné à la culture des champs pense en
même temps à honorer le roi et à être utile au peuple;
qu’il aime ses parents et respecte ses supérieurs;
selon les livres Tsotsa et Pou-ei. Les rites
consistent surtout dans les sacrifices, que vos vases
donc et vos habits soient conformes à ceux de nos
établissements publics d’instruction. Ne perdez pas la
vertu que nous avons reçue du ciel; ne vous éloignez
pas de tout ce qui a constamment été en usage parmi
nous. La curiosité est, ce nous semble, une manie qui
aveugle les siècles modernes; on s’agite pour scruter
les noms et les choses, puis on en vient à vouloir
tourner le dos aux anciens lettrés, et on se dispute.
Entraîné par l’exemple, on s’engoue de tout ce qui est
extraordinaire, et on répand des choses étranges. Tout
ceci ne décèle que des langues bien légères. D’abord
on en vient à des actes singuliers qui inclinent vers
le mal, puis dans deux ou trois tours, comment ne
tomberait-on pas dans la superstition? Cet état est
bien effrayant. On doit donc rejeter tout ce qui n’est
pas dans les règles des six beaux arts et dans la
doctrine de Confucius; là, seulement, se trouve le
véritable fondement des cinq relations naturelles et
des rites et cérémonies légitimes. C’est par là qu’on
connaît le ciel et la terre, et qu’on éclaire la
volonté des hommes; c’est par là qu’on fait briller la
vraie doctrine et relève l’autorité des rois. « A
partir de ce jour, 22 de la douzième lune, le tonnerre
et la pluie commencent à avoir produit leurs effets
sur le peuple; une grande paix revient au ciel et sur
la terre, c’est un heureux événement comme on n’en vit
pas dans toute l’antiquité. Le plus grand des
attributs étant de donner et de conserver la vie, il
eût fallu pardonner le tout, mais en vérité, avec
cette mauvaise doctrine, ne trouvant aucun moyen de
faire changer ses sectateurs, il faut absolument les
frapper de mort, pour détruire les germes de leur
folie. Hélas! si quelque chose se transmettait dans
les familles, la loi serait encore là. Nous espérons
qu’il n’en sera pas besoin. Un nouvel air commence à
souffler; c’est signe que le ciel nous redevient
favorable. Un fondement solide pour dix mille ans a
été de nouveau placé, les esprits se sont renouvelés,
et les destinées du royaume apparaissent maintenant
inébranlables comme les rochers et les montagnes. Les
paroles du roi devant être brèves, pourquoi s’étendre
davantage? Le fond de la mer s’étant éclairci, nous
espérons que le changement en bien continuera de plus
en plus, tel est le but des instructions que nous
présentons, et nous pensons que chacun saura les
comprendre. » — 229 — Que le
lecteur nous pardonne d’avoir cité tout au long ce
fatras indigeste et stupide. Telle qu’elle est, cette
pièce est une des plus importantes de notre histoire,
non-seulement parce que les Coréens y voient un
chef-d’oeuvre de style, et une réfutation sans
réplique de la religion chrétienne, mais, ce qui est
beaucoup plus grave, parce qu’elle est devenue loi
fondamentale de l’État, parce qu’elle a fixé la
législation contre les chrétiens, et qu’il est presque
impossible, sans une révolution complète à
l’intérieur, ou sans une pression extérieure
suffisante, qu’elle soit jamais rapportée. Cette loi
de proscription est appliquée avec plus ou moins de
rigueur selon les circonstances, mais elle existe
toujours, et chacune des persécutions que nous aurons
à raconter a été motivée par elle. De plus, les
Coréens, comme tous les Asiatiques, ou, pour parler
plus juste, comme tous les peuples païens d’autrefois
et d’aujourd’hui, confondant invinciblement ce qui est
de l’ordre politique et ce qui est de l’ordre
religieux, la croyance que le christianisme est par
essence hostile à l’état, aussi bien qu’à la religion
nationale, est devenue un article de foi. C’est ce
préjugé, maintenant enraciné, qui s’oppose le plus à
la propagation de l’Evangile. Nous ne
perdrons pas le temps à réfuter les accusations de
toute nature accumulées ici contre les chrétiens, mais
il est bon de constater la ressemblance ou plutôt
l’identité des calomnies, que tous les persécuteurs,
depuis les empereurs païens de Rome jusqu’aux princes
de la Chine, du Tong-king, ou de la Corée, ont
toujours mises en avant pour justifier leur cruauté.
Toujours il est question de magie, de sorcellerie, de
mystères cachés, de débauche, de violation des lois de
la nature, etc.... Et cependant la régente de Corée et
ses ministres ne songeaient certes guère à copier les
décrets de Néron ou de Dioclétien ; mais, comme
ceuxci, ils écrivaient sous la dictée du même esprit
de mensonge, qui de tout temps s’est servi, et de tout
temps se servira des mêmes armes contre Dieu et son
Eglise. La
proclamation officielle fut envoyée à tous les
gouverneurs de province, de façon a être publiée le
jour du nouvel an ; et en même temps ordre fut donné
aux tribunaux d’exécuter immédiatement les sentences
déjà rendues, de terminer en toute hâte, avant la fin
de l’année, les procès de chrétiens encore pendants,
et de ne plus commencer de nouvelles poursuites. En
conséquence, deux exécutions eurent lieu coup sur
coup, à la capitale ; !’une le 26 de la douzième lune
(29 janvier 1802) ; l’autre deux — 230 — jours
après. Cette dernière est celle de Luthgarde Ni, de
ses belles-soeurs et de son cousin Mathieu. Nous
l’avons racontée plus haut. Disons maintenant quelques
mots de la première dans laquelle, d’après le
témoignage de témoins oculaires, huit chrétiens
obtinrent la palme du martyre. Le chef
de cette glorieuse troupe fut Charles Ni Kieng-to,
frère aîné de Luthgarde. Né à la capitale en l’année
1780, il était, à la douzième ou quinzième génération,
le principal descendant d’un fils naturel du roi
Tai-tso, fondateur de la dynastie aujourd’hui
régnante. Sa famille anoblie sous le nom de
Kienghieng-koun ne comptait plus, depuis plusieurs
générations, parmi les princes; elle avait néanmoins
conservé un rang très-distingué dans le royaume, et se
trouvait à la tête du parti Nam-in. D’un caractère
doux, généreux et grave, Charles, dès l’enfance,
n’avait pas de conversations légères. Il se fit de
bonne heure remarquer par des talents naturels peu
communs, et par ses progrès dans les lettres. A l’âge
de dix-sept ans, il fut marié selon sa condition, et
trois mois après, son père étant venu à mourir, il se
trouva, en qualité d’aîné, à la tête d’une riche et
nombreuse famille. Il lui était difficile, à
l’occasion de la mort de son père, de ne pas
participer aux superstitions si nombreuses en pareil
cas, surtout parmi les nobles ; toutefois, à force de
prudence et de fermeté, il réussit à se conserver pur
de toute coopération illicite. Déjà depuis longtemps,
pour se tenir éloigné du siècle, et éviter les
tentations journalières qui ne peuvent manquer
d’assaillir un jeune homme dans sa haute position, il
affectait d’être bossu, et demandait instamment à Dieu
de lui envoyer cette infirmité. Il ne marchait jamais
qu’en se courbant, et ayant l’air de se traîner à
grand’peine. Peu à peu l’épine dorsale, dérangée, se
courba en avant, ses jambes s’affaiblirent, et il
devint tellement infirme, que plus tard on fut obligé
de le porter au tribunal pour y subir les
interrogatoires. Chef
d’une grande maison, il s’appliquait à la conduire
convenablement, y réglait tout, instruisait ses
subordonnés, et ne laissait rien voir que de conforme
à la gravité chrétienne. Ilnesortaii jamais pour aller
visiter ses parents et amis, et ne se mêlait en rien
aux conversations et amusements futiles. Une vie aussi
modeste et aussi retirée ne pouvait manquer de lui
attirer bien des blâmes et des réprimandes ; il les
recevait humblement, mais ne changeait rien à ses
résolutions. Ce fut bien pis encore, lors dusmariage
de sa soeur Luthgarde avec Jean Niou ; une véritable
tempête de murmures et de protestations s’éleva contre
lui, mais — 231 — décidé
à tout pour son propre salut et celui des siens, il
laissa passer l’orage sans se troubler. Arrêté en
1801, il semble avoir eu d’abord quelques instants de
faiblesse, mais bientôt sa foi reprit le dessus, sa
résolution devint ferme et ne se démentit plus
jusqu’au jour du supplice. Nous ne connaissons pas les
détails de son procès. Il ne fut accusé ni de
conspiration ni de révolte, mais condamné purement et
simplement comme chrétien. Voici la lettre qu’il
écrivit à sa mère la veille de sa mort. « Moi,
votre fils, je vous écris aujourd’hui pour la dernière
fois. Quoique je sois le plus grand des pécheurs, le
Seigneur, par un bienfait extraordinaire, daigne
m’appeler à lui d’une manière toute spéciale. Je
devrais être rempli de contrition et d’amour, je
devrais essayer, par ma mort, de payer quelque peu
cette faveur; mais la masse des péchés de toute ma
vie, atteignant jusqu’au ciel, mon coeur, semblable au
bois et à la pierre, ne laisse pas encore couler de
larmes pour cette grâce insigne. J’ai beau considérer
l’infinie bonté de Dieu, comment pourrais-je n’être
pas honteux, et ne pas craindre ses terribles
punitions? Toutefois, quand je réfléchis, je me dis :
Mes péchés, il est vrai, sont sans bornes, mais la
miséricorde de Dieu est aussi sans limites. Si de sa
main clémente il veut bien m’attirer, devrais-je
mourir dix mille fois, qu’ai-je à regretter et sur
quoi peuvent porter mes inquiétudes ? « Faible
comme je suis, ne pouvant prendre une détermination
courageuse, je me disaissouvent : Si par une grâce
spéciale de Dieu la mort me devenait inévitable, quel
bonheur ce serait pour moi ! Et voilà qu’aujourd’hui
Dieu me sert selon mes désirs ; n’est-ce pas le plus
grand des bienfaits? Tant que j’ai été dans ce monde,
je crains de n’avoir pas su remplir mes devoirs de
fils et de ne pas vous avoir témoigné toute la
soumission que je devais; c’est là le sujet de ma
peine et de mes regrets. Ne vous séparez pas les uns
des autres, et j’espère vous revoir sous peu pour
toujours, dans le ciel. Je n’oublierai pas mon fils
Koui-pir-i ; cher enfant, sois bien obéissant, reste
avec tous les autres sans jamais t’éloigner d’eux, et
quand il en sera temps, viens me retrouver. J’aurais
bien des choses à dire, mais je ne puis le faire
longuement. Surtout ne vous contristez pas trop, et
après avoir conservé ici-bas le corps et l’âme en bon
état, réunissons-nous pour toujours. « Année
sin-iou, le 25 de la douzième lune, « CHARLES
NI. » — 232 — Le
lendemain, le martyr eut la tête tranchée au lieu
ordinaire des exécutions. Il était âgé de vingt-deux
ans. Un des
compagnons de Charles Ni fut le catéchiste Son
Kiengioun-i. D’une famille honnête delà capitale, il
se convertit dès avant l’entrée du prêtre. Ayant été
ensuite établi catéchiste, il s’acquitta de ses
fonctions avec beaucoup d’assiduité et de zèle. Il
avait acheté une énorme maison, dont le devant était
disposé en cabaret, et où il vendait du vin à quantité
de païens. Efficacement protégé par ces dehors
bruyants, il réunissait à l’arrière un très-grand
nombre de chrétiens pour les instruire et les
exhorter. Dénoncé, dès le commencement de la
persécution, il prit d’abord la fuite ; mais toute sa
famille ayant été saisie à sa place, il crut devoir se
livrer lui-même pour les faire relâcher. Il eut,
dit-on, à souffrir des tortures affreuses, mais,
soutenu de la grâce, il sortit victorieux de toutes
les épreuves, et reçut la couronne à l’âge de
quarante-deux ans. Simon Kim
Païk-sim-i, né, lui aussi, d’une famille honnête de la
capitale, montra le même courage et la même
persévérance. Ayant été quelque temps serviteur dans
une maison que le prêtre habitait, il sut profiter de
cette heureuse occasion pour s’affermir dans la foi,
et s’exercer à la pratique des vertus. Recherché dès
le printemps de 1801, il se sauva et resta longtemps
caché, puis ayant appris que son père était retenu
captif comme caution, il alla se présenter de
lui-même, et confessa hardiment JésusChrist. Le juge
qui avait reçu secrètement de l’argent pour le
relâcher, l’envoya passer trois jours clans sa
famille, pensant par là ébranler sa constance. Quand
Simon revint, il lui dit. : « Eh! bien, as-tu changé
maintenant?— Oui, répondit le confesseur, — Très-bien,
reprit le juge; désormais donc, tu ne suivras plus
cette mauvaise secte. — J’ai bien changé, repartit
Simon, mais c’est en prenant une résolution ferme de
pratiquer mieux que par le passé, en me convertissant
plus complètement à la loi de Dieu. » Le juge fut
stupéfait de cette réponse, et Simon, ne voulant
entendre parler d’aucune concession, même la plus
légère, fut condamné à mort et exécuté avec les
précédents. Le
quatrième de ces généreux confesseurs fut Antoine
Hong, plus connu sous le nom d’An-tang. Nous n’avons
pu retrouver aucun détail sur le lieu de son origine,
sur sa parenté, ni sur les circonstances de sa vie. On
sait seulement qu’il habita, pendant quelque temps, la
maison voisine du palais, et eut de fréquents rapports
avec le P. Tsiou. Venait
ensuite une femme chrétienne nommée Sie-rai. La
principale — 233 — accusation
portée contre elle, était d’avoir confectionné un
habit de deuil à Alexandre Hoang, pour l’aider à se
soustraire aux perquisitions. Les trois autres
compagnons de ces cinq martyrs sont restés inconnus. Philippe
et Jacques, les deux beaux-fils d’Antoine Hong,
auxquels divers témoignages joignent aussi sa femme,
le suivirent de près au supplice; on ne sait pas quel
jour. On ignore également la date précise du martyre
des trois autres chrétiens : Pien Tenk-siong-i, le
teinturier Kim Kieng-sie, et Pak, dont le fils Pak
Mieng-koang-i, fut martyrisé à son tour en 1839. On
sait seulement qu’ils souffrirent à la capitale, vers
cette époque. En vertu
des ordres du gouvernement, un certain nombre
d’exécutions eurent lieu également dans les provinces,
pendant les derniers jours de cette année. À
Tsieng-tsiou, nous avons à citer le martyre de
François Kim Sa-tsip-i. Né au village de Pépang-kotsi,
district de Tek-san, d’une famille honnête, François
s’était adonné aux lettres, et avait acquis en peu de
temps des connaissances suffisantes pour concourir
honorablement aux examens publics. Mais à peine eut-il
été converti à la foi chrétienne, qu’il laissa de côté
les sciences humaines, pour ne plus s’occuper que
d’études religieuses. La prière et la lecture
faisaient ses délices. Une conduite exemplaire, jointe
à sa prudence naturelle et à ses rares talents, lui
procura bientôt beaucoup de réputation et d’autorité
dans le voisinage. Il profitait de son influence pour
répandre la religion, exhortant les faibles,
expliquant la doctrine aux ignorants, et ses paroles
étaient d’autant mieux accueillies, qu’il était le
premier à les mettre en pratique. Il faisait
volontiers l’aumône. Se procurait-il un habillement
neuf, il donnait de suite au plus pauvre celui qu’il
dépouillait. Il secourait avec sollicitude les
nécessiteux de son village, et s’il entendait dire
qu’une femme en couches ou quelque pauvre infirme ne
pouvaient se procurer les petits soulagements
nécessaires, il les lui envoyait sur-le-champ, en
sorte que tous les malheureux et les délaissés le
regardaient comme un pèrei Non moins dévoué envers ses
parents, il ne manqua jamais de remplir minutieusenent
ses devoirs envers eux, et à leur mort, observa
strictement l’abstinence pendant tout le temps du
deuil, cest-à-dirc deux ans entiers. Habile en
calligraphie, il copiait beaucoup de livres de
religion, et donnait gratis les plus nécessaires aux
chrétiens qui n’avaient pas le moyen d’en acheter. C’est
ainsi que par une vie toute pleine de bonnes oeuvres, — 234 — François
travaillait à obtenir la grâce de Dieu. A la
persécution, beaucoup de livres copiés de sa main
ayant été saisis, il fut tout d’abord signalé aux
mandarins. Deux traîtres, feignant d’être attirés par
sa réputation, vinrent examiner sa maison sous
prétexte d’acheter quelques livres, et bientôt après,
amenèrent les satellites pour le prendre. François fut
d’abord conduit à sa propre ville de Tek-san. Le juge
lui promit de le mettre immédiatement en liberté, s’il
voulait apostasier ; mais il répondit : «Moi qui sers
le grand Dieu du ciel, commentpourrais-je le renier?»
Le mandarin lui infligea quelques tortures, le dégrada
au rang de satellite, et le renvoya à la prison. Cité
de nouveau, François montra la même constance sous les
coups, et fut condamné à l’avilissant office de
fustigateur ; mais il ne se laissa pas ébranler et
écrivit à ses enfants : « Appuyé sur l’assistance de
Dieu et de sa sainte Mère, tâchez de passer votre vie
chrétiennement, et n’ayez pas la pensée de me revoir.
» C’est que son parti était pris, et son sacrifice
déjà consomme dans son coeur. A la
dixième lune, transféré au tribunal criminel de
Hai-mi, il reçut quatre-vingt-dix coups de la-planche
à voleurs. Les supplices ne pouvant vaincre sa
constance, il fut, à la douzième lune, renvoyé à
Tsieng-tsiou, chef-lieu militaire de la province. Ce
voyage fut pour lui une cruelle torture. Par un froid
rigoureux, charge d’une lourde cangue, et alors que
ses blessures n’étaient pas encore fermées, il dut
parcourir à pied l’espace de 180 lys. Ses cheveux
blancs étaient épars sur ses épaules, le sang coulait
de ses plaies, mouillait ses habits et les collait sur
la peau, en sorte que chaque pas, chaque mouvement,
lui causaient des souffrances aiguës. Cet horrible
voyage dura trois jours, pendant lesquels la
résignation et le calme de François ne le quittèrent
pas un seul instant. Il fut de suite condamné à mort,
et le 22 de la douzième lune (25 janvier), après avoir
été donné en spectacle sur le marché et frappé de
quatre-vingt-un coups de planche, il rendit doucement
son âme à Dieu. Jusqu’à la fin, disaient des témoins
oculaires, sa foi, son espérance et sa charité
parurent des plus vives, et. son coeur ferme comme le
fer et la pierre. Il était âgé de cinquante-huit ans. Avec lui
fut aussi exécutée une chrétienne nommée Colombe,
épouse d’un noble du nom de Ni, qui habitait à
Piel-am, district de Tek-san ; nous n’avons sur sa vie
et sa mort absolument aucun détail digne de foi. Cinq
jours après, au district de Po-tsien, ce fut le tour
de Léon Hong, qui, arrêté avec son père
François-Xavier Hong Kio-man-i, — 235 — le
14 de la deuxième lune, avait été renvoyé à la prison
de Po-tsien, pendant que son père était gardé à la
capitale. D’un caractère doux et tranquille, Léon
avait passé sa jeunesse dans ce district, ne rêvant
pour l’avenir que les grandeurs humaines, dont sa
naissance et sa position lui frayaient la route. Mais
à peine eut-il connu notre sainte religion, qu’il
l’embrassa avez zèle, et oublia de suite toute autre
ambition que celle de servir Dieu et de propager sa
loi. La piété filiale lui faisait un devoir de
commencer par son père, qui, bien qu’instruit du
christianisme, hésitait à l’embrasser. Léon sut
éclaircir ses doutes, fixer ses irrésolutions, et
parvint à l’affermir solidement dans la foi. Son zèle
se porta ensuite sur les autres membres de sa famille
qu’il instruisait assidûment, sur les chrétiens tièdes
qu’il excitait avec une patiente énergie, et sur les
païens dont il convertit un grand nombre. Son humilité
surtout était admirable ; il ne parlait de luimême que
dans les termes les plus modestes, et se plaisait à
relever les qualités, les talents, et les bonnes
actions des autres. Aussi était-il estimé et aimé de
tous. Emprisonné
d’abord avec son père, puis ramené à sa ville natale,
il eut à subir de fréquentes tortures, mais la pensée
de la glorieuse mort de ce père que lui-même avait
converti, et le désir de marcher sur ses traces, le
soutinrent merveilleusement, et son courage fit plus
d’une fois l’admiration des satellites. Dix mois de
détention, au milieu de toutes sortes de souffrances
et d’épreuves, ne purent en rien ébranler sa foi ; et
il mérita enfin d’être condamné à mort, pour
Jésus-Christ. Il avait quarante-quatre ans, lorsqu’il
fut décapité, à Po-tsien, le 27 de la douzième lune
(30 janvier 1802). Après sa mort, pendant plusieurs
jours, une vive lumière environna son corps, qui
conservait toutes les apparences de la vie. Les
satellites et une grande foule de païens furent
témoins de ce prodige. Le même
jour, à Iang-keun, où avait déjà coulé le sang de tant
de chrétiens, eut lieu le martyre de Sébastien Kouen
Siangmoun-i, second fils de François-Xavier Kouen, et
devenu par adoption fils et héritier d’Ambroise Kouen.
Le nom qu’il portait, la réputation que ses talents et
ses bonnes qualités lui avaient déjà acquise, sa
ferveur à pratiquer la religion, étaient des causes de
proscription plus que suffisantes. Il fut donc pris,
et incarcéré d’abord dans la prison de Iang-keun, où
il souffrit des tourments si atroces, que son coeur
faiblit un instant, et laissa échapper une parole
d’apostasie. Mais transféré devant les tribunaux de la
capitale, il se rétracta, et au milieu des tortures
qui ne lui furent — 236 — pas
épargnées, confessa de nouveau la religion chrétienne.
Après environ dix mois de détention, il fut condamné à
mort et renvoyé à Iang-keun pour y être exécuté. Le 27
de la douzième lune (30 janvier), sa tête tombait sous
le sabre ; il était alors dans la trente-troisième
année de son âge. Le même
jour encore, dans la grande ville de T’siong-tsiou,
autrefois capitale de la province de T’siong-t’sieng,
la foi de Jésus-Christ eut de nouveaux témoins. Le
premier était un noble nommé Ni Kei-ien-i, qui avait
été exilé, après apostasie, à la fin de l’année
précédente. Rappelé de son exil, il subit avec plus de
courage de nouveaux interrogatoires, et eut le
bonheur, cette fois, d’être condamné à mort. Il fut
décapité à l’âge de soixante-trois ans. Trois
autres confesseurs/que Ni Kei-ien-i avait lui-même
convertis et instruits des vérités de la religion,
l’accompagnaient au supplice ; c’étaient Ni
Pou-tsioun-i, Ni Siek-tsiong-i, et une femme nommée Ni
Aki-nien-i. Ni
Pou-tsioun-i, prétorien de cette même ville, homme
d’une certaine éducation, d’une grande facilité de
parole et d’un extérieur avantageux, s’était toujours
montré très-attaché à sa foi, et fidèle à en observer
les pratiques. Ni Siek-tsiong-i était fils du
précédent et, comme lui, fervent chrétien. Bien qu’il
exerçât le métier de marchand, métier très-dangereux
dans ce pays pour la conscience, il savait mettre
avant tout les intérêts de son âme, cl s’occupait de
gagner le ciel, bien plus que de gagner des richesses
périssables. Le père et le fils avaient été arrêtés à
des époques différentes, mais leur constance fut la
même dans les supplices, et ils firent l’étonnement
des païens qui ne connaissaient pas encore les
prodiges qu’opère la grâce divine dans le coeur des
fidèles. Ils furent décapités ensemble. Le premier
avait soixantehuit ans, et le second vingl-neuf ans. Ni
Aki-nien-i, fille de prétorien, fut mariée dans cette
même classe, et perdit son mari après en avoir eu deux
fils. Quoique ceux-ci refusassent de pratiquer la
religion, la veuve chrétienne n’en fut, pas moins un
modèle d’assiduité à ses devoirs et à ses exercices de
piété. Jamais, dit-on, la moindre froideur ou la
moindre paresse ne se fit sentir chez elle ; aussi
Dieu daigna-t-il récompenser sa noble persévérance. Il
permit qu’elle fût arrêtée comme chrétienne et que,
dans d’horribles supplices, son calme et son courage
fissent l’honneur de la religion. Elle eut la tête
tranchée, avec les autres martyrs que nous venons de
nommer, le 27 de la douzième lune (30 janvier). — 237 — Enfin, à
Koang-tsiou, province de Kieng-kei, nous avons à
signaler deux martyrs.«Le premier est Ou Tek-oun-i,
sur lequel nous n’avons pas de détails. Sa sentence
d’ailleurs très-claire, nous montre un homme décidé,
qui prit souvent soin de la sépulture des martyrs, et,
en diverses circonstances, reprocha publiquement et
énergiquement aux apostats leur lâche faiblesse. Il
fut décapité le 28 de la douzième lune (31 janvier
1802), à l’âge de cinquante ans. Le second
est Thomas Han Tek-ouen-i. Né d’une famille noble du
district de Sioun-ouen, province de Kieng-kei, il
avait émigré sur le territoire de Koang-tsiou. C’était
un homme austère, dévoué, assidu à la prière et aux
lectures pieuses. Il aimait à réunir les chrétiens
pour les instruire et les exhorter, et alors, disent
les mémoires du temps, ses paroles étaient fermes et
tranchantes comme son coeur lui-même. Sa principale
application était de se conformer en tout à la volonté
de Dieu, et il le faisait avec une constance
invariable. Saisi en 1801 par les satellites de
Koangtsiou, il fut traduit devant le juge, qui voulait
à tout prix obtenir de lui des dénonciations. Thomas
refusa d’en faire aucune, et supporta les tortures
avec une sainte joie, sans changer de visage. Soumis,
quelque temps après, à de nouveaux supplices, il dit
au mandarin : « Si vous deviez donner des récompenses
à ceux que je désignerais, je le ferais aussitôt,
mais, loin de là, vous les feriez saisir, leur
presseriez le cou jusqu’à les étrangler, et à mesure
qu’ils viendraient, vous leur trancheriez la tête; je
ne puis donc vous dénoncer personne. » Sa sentence de
mort fut envoyée à la capitale et confirmée au nom du
roi. Il se rendit joyeusement au lieu du supplice,
soutint lui-même le billot sur lequel il posait la
tète, et, regardant le bourreau fixement, lui dit : «
Coupez-moi la tête d’un seul coup. » Celui-ci, saisi
de crainte et tout tremblant, frappa à faux, et la
tête ne tomba qu’au troisième coup. C’était le 30 de
la douzième lune (2 février 1802). Thomas était dans
la cinquante-deuxième année de son âge. En
terminant l’histoire de celle affreuse persécution de
1801, mentionnons encore quelques autres martyrs qui
n’ont pas été indiqués dans notre récit, parce que le
lieu ou la date de leur exécution n’ont pas été
retrouvés. Ces noms sont à tout jamais glorieux dans
ciel, et il serait injuste de les laisser tomber,
icioas, dans un complet oubli. Le
premier est Mathias Pai, chrétien zélé, qui employa
toutes ses forces et toutes ses ressources pour le
bien général, et rendit — 238 — à
l’église de Corée d’importants services. Il était
frère cadet de François Pai, martyrisé en 1799. Depuis
le jour de sa conversion le grand désir de Mathias
avait été de faire à tout prix pénétrer des prêtres en
Corée. En conséquence, il s’offrit à faire le
périlleux voyage de Péking, y alla en effet plusieurs
fois, y reçut les sacrements et, selon toute
probabilité, fit partie de la troupe qui introduisit
le P. Tsiou. La droiture de Mathias, son dévouement,
sa ferveur, lui avaient concilié l’estime générale, et
les chrétiens aimaient à suivre ses avis. La
persécution ayant éclaté, il se cacha, continuant
toujours à exhorter ses frères, à célébrer le courage
des martyrs, à publier, comme un exemple et un
encouragement, le récit de leurs souffrances. Lui-même
se préparait au combat, en supportant avec joie les
peines de la vie, en renonçant à tous les plaisirs, et
en vivant avec sa femme dans une continence absolue. Il fut
arrêté, et montra un grand courage dans les tourments.
Quatre ou cinq mois de supplices continuels ne purent
l’ébranler, et le juge, désespérant de venir à bout de
son prisonnier par les voies ordinaires, essaya d’un
moyen plus perfide. Il mit en jeu la famille de
Mathias, et quelques-uns de ses compagnons de
captivité, chrétiens indignes qui avaient renoncé à
leur foi. Dieu, qui voulait purifier son martyr de
tout levain d’orgueil, permit que, cédant un instant à
la voix de la nature et aux obsessions de ses amis,
Mathias laissât échapper une parole d’apostasie. On le
mit immédiatement en liberté. Mais il avait à peine
passé le seuil de la prison, que la foi et la grâce
reprirent le dessus; il rentra sur-le-champ, versant
des larmes, poussant des gémissements sur le crime
qu’il venait de commettre, et invoquant à haute voix
les saints noms de Jésus et de Marie.— «Es-tu fou?»
cria le juge, «il n’y a qu’une minute, que tu as
renoncé, à tout cela. — Oui,» dit Mathias, « j’étais
fou de prononcer une telle parole, mais maintenant la
raison m’est revenue, et dussé-je mourir, je professe
hautement la foi de mon Dieu. » Il fut aussitôt
condamné à mort, et étranglé dans la prison. Il avait
alors trente-trois ans. Un
chrétien du district de Po-rieng, dont le nom même est
inconnu, s’était rendu à la capitale pour acheter des
images religieuses. Il fut pris, conduit en prison, et
mis à la torture. Comme il persistait, après une
longue détention et des supplices répétés, à montrer
une fermeté peu commune, il fut condamné à mort. On
envoya des satellites qui lui dirent de se passer la
corde au cou ; il refusa de le faire lui-même, et fut
étranglé par eux. Dieu permit qu’un prisonnier
chrétien se trouvât dans la — 239 — chambre.voisine,
et entendît très-distinctement tout ce qui se passa
entre la victime et les bourreaux. C’est ce chrétien
qui, sorti de prison, a raconté à sa famille ce fait
édifiant. Un autre
martyr, Jean Ni Ik-oun-i, appelé aussi Mieng-ho,
montra le même courage, et mourut d’une manière moins
glorieuse peut-être aux yeux des hommes, mais non
moins méritoire devant Dieu. Descendu d’une noble
famille du parti Nam-in, Ni Ik-oun-i était gouverneur
de la province de Kieng-kei avant et pendant la
persécution de 1801. Ayant embrassé la religion, il
travailla à réprimer son caractère trop vif, et à
régler toutes ses actions d’après les exemples de
Jésus-Christ et des saints. Il se mortifiait
continuellement dans ses repas, ne fréquentait plus
les sociétés mondaines, et vivait seul dans un
appartement retiré. Le dimanche seulement, il sortait
pour aller se joindre à quelques chrétiens, et se
livrer en leur compagnie à la prière, à des lectures
et conversations pieuses. Son père, alarmé du danger
qu’une telle conduite faisait courir à toute la
famille, ne négligea rien pour lui faire abandonner la
foi, mais sans succès. Le péril devenait de plus en
plus imminent, et la haute position de sa maison ne
permettait pas à Jean de s’y soustraire par la fuite.
Il attendait donc avec résignation les ordres de la
Providence, quand son père, aveuglé par la peur et par
la colère, lui ordonna de prendre du poison. Jean
refusa de le faire; mais plusieurs personnes s’étant
réunies à son père, on le saisit violemment, et on
parvint à le lui faire avaler de force. Il en mourut
après quelques heures. A la ville de Niei-tsiou, on
signale une jeune veuve nommée Ni, de la branche de
Oan-san, fervente chrétienne, qui fut prise et
exécutée avec un de ses parents. Au
district de Piek-tieng, province de T’siong-t’sieng,
un noble nommé T’soi, plus connu des chrétiens sous le
nom de T’soi-pan, après s’être séparé, pour devenir
chrétien, d’une concubine qu’il aimait tendrement, et
avoir donné, pendant plusieurs années, l’exemple d’une
fervente exactitude à tous ses devoirs, fut pris et
décapité. Thomas
Kim, natif du district de Tek-san, qui avait
accompagné le P. Tsiou dans ses courses, comme
conducteur de son cheval, eut aussi la tête tranchée. Paul
Ioun, de Tsiour-oul, district de Tek-san, et Thomas
Han de Olkou-lsi, district de Tien-t’sien, furent tous
deux martyrisés à la ville de Hong-tsiou. A
Kong-tsiou, furent exécutés un homme et une femme, de
la famille Ouen. — 240 — Enfin,
Sin Koang-sie, natif de Han-té, au district de
Tieng-sa émigré près de Tsien-tsiou, fut traduit
devant le tribunal de cette ville, et y eut la tête
tranchée, en compagnie de Ni Rouk-i et de deux ou
trois autres confesseurs. Cette
liste des victimes de la persécution de 1801, quelque
longue qu’elle soit, est loin d’être complète. L’homme
le plus à même de bien connaître les événements, Tieng
Iak-iong, porte à deux cents au moins le nombre des
martyrs. Alexandre Hoang assure que, dès la fin
d’octobre, les païens estimaient à trois cents les
exécutions qui avaient eu lieu, dans la capitale
seulement. Jamais pareille boucherie n’avait
ensanglanté les tribunaux du pays. Malheureusement
beaucoup d’écrits originaux ont disparu. Les
missionnaires européens, arrivés trente ans plus tard,
eurent, en entrant en Corée, autre chose à faire
d’abord que de recueillir les anciennes traditions au
sujet des martyrs ; et quand, longtemps après, Mgr
Berneux, devenu vicaire apostolique, s’occupa le
premier de réunir tous les documents authentiques, un
grand nombre de témoins oculaires de la persécution
étaient morts, et avaient emporté avec eux dans la
tombe des souvenirs à jamais perdus, Nous
avons donc à regretter bien des détails édifiants,
bien des exemples de charité héroïque, qui ne seront
connus et glorifiés que dans le ciel. Nous avons à
regretter surtout l’impossibilité où l’on se trouve
maintenant de constater d’une manière juridique un
grand nombre de miracles, dont il ne reste plus qu’un
vague souvenir. Dans le cours du récit, nous avons
noté ceux seulement qui ont un certain caractère
d’authenticité ; mais, s’il faut en croire la
tradition générale, Dieu en fit beaucoup d’autres pour
glorifier les confesseurs, et protéger leur précieuses
reliques. Un fait hors de doute, c’est que les païens,
aussi bien que les chrétiens, croient encore
aujourd’hui à la fréquence et à la réalité des
prodiges qui eurent lieu à cette époque. Les
païens, aussi bien que les chrétiens, remarquèrent
également la punition frappante de quelques-uns des
persécuteurs. Le ministre Hong Nak-an-i, ennemi
acharné des chrétiens, toujours le premier à élever la
voix contre eux, fut, on ne sait pourquoi, exilé à
l’île de Quelpaert, où il mourut après vingt ans de
détention. Le frère
de l’apostat Pierre Seng-houn-i, nommé Ni Tsi-houn-i,
qui avait été, lui aussi, très-hostile à la religion,
mourut en exil à l’île de Ke-tsiei. — 241 — Tsieng
Tsiou-seng-i, mandarin de Iang-keun, qui faisait ses
barbares délices de tourmenter et massacrer les
chrétiens, devint aveugle, perdit son fils unique, et
vit, avant de mourir, sa maison entièrement ruinée. On
dit que les débris de cette famille végètent encore
aujourd’hui, dans la plus grande misère, au district
de T’siong-tsiou, abhorrés des païens eux-mêmes qui
les montrent au doigt, comme une race maudite du ciel. Pierre Ni
Seng-hoa raconte dans ses mémoires, comme un fait
connu de tous, l’histoire d’un malheureux apostat qui,
d’accord avec les satellites, vexait, dénonçait,
pillait les chrétiens. Envoyé plus tard en exil pour
quelque crime, il se pendit de désespoir; son corps,
brûlé par accident, resta sans sépulture ; sa famille
perdit tout ce qu’elle possédait, et ses descendants
sont maintenant réduits à la mendicité. Dans le
Nai-po, un traître, nommé Tsio Hoa-tsin-i, qui par ses
délations, avait causé la mort de plusieurs chrétiens,
continua après la persécution sa vie de scélératesse
et de brigandages, jusqu’à ce que, poursuivi par les
tribunaux, il se fit à lui-même justice en se
suicidant. Un autre,
du nom de Kang Tong-ok-i, s’étant rendu coupable de
divers crimes, fut envoyé en exil, où, par son
insolence, sa mauvaise foi et ses escroqueries, il
exaspéra tellement les gens du pays, qu’ils mirent le
feu à sa maison, et le brûlèrent vif. Ses parents
étant venus chercher son cadavre pour l’ensevelir, le
déposèrent, pendant la nuit, près d’une rivière
vis-à-vis de l’auberge. Une pluie abondante survint
inopinément, la rivière déborda, et le cadavre fut
emporté sans qu’on pût en retrouver aucun vestige;
punition redoutable dans ce pays, où, de même qu’en
Chine, la privation de sépulture est considérée comme
une peine plus terrible que la mort. Des faits
analogues eurent lieu dans d’autres provinces, mais
ceux-là suffisent pour prouver qu’en Corée aussi bien
qu’ailleurs, Dieu punit presque toujours, dès ce
monde, les ennemis de son Christ et de son Eglise. D’après
les ordres précis du gouvernement, les exécutions
sanglantes cessèrent avec l’année sin-iou ; la
proclamation royale fut affichée dans toute la Corée,
pour les fêtes du nouvel an, et, les prisons étant
vides de chrétiens, les bourreaux purent se reposer
quelque temps. Le succès des persécuteurs semblait
assuré. Leurs rancunes politiques et leurs haines
religieuses étaient également satisfaites, et la
double campagne entreprise par eux aboutissait eilfin
à une double victoire. — 242 — Politiquement
parlant, le résultat obtenu était complet. Le parti
des Nam-in écrasé, presque anéanti, n’a jamais pu se
remettre du coup porté alors. Il n’a plus dans le pays
qu’un souffle de vie, et son influence a entièrement
disparu. Le parti des No-ron n’a cessé de se maintenir
au pouvoir; il augmente et se fortifie chaque jour, et
il n’y a plus de rivaux pour lui disputer
l’omnipotence. Sous le
rapport religieux, la régente et ses adhérents crurent
également à un triomphe définitif. Le seul prêtre
qu’il y eût en Corée avait été tué ; tous les chefs
des chrétiens, tous les hommes influents parmi eux
avaient disparu. Les néophytes survivants, plongés
dans la misère, déshonorés aux yeux de leurs
concitoyens, mis au ban de la loi, ne pouvaient donner
le moindre ombrage au pouvoir le plus jaloux, et
certainement, si la religion de Jésus-Christ était
l’oeuvre de l’homme, elle aurait dû alors périr en
Corée. Mais Dieu est plus puissant que les
gouvernements, il se plaît à tirer le bien du mal, et
l’acharnement des persécuteurs eut, pour le
christianisme, des résultats que ses ennemis ne
prévoyaient guère. Les édits, les proclamations,
firent connaître l’Evangile dans les coins les plus
reculés du royaume, d’une manière plus rapide et plus
universelle, qu’aucune prédication n’eût pu le faire,
si active et si zélée qu’on la suppose. Le courage des
martyrs en face de la mort, dans les districts où il y
avait des chrétiens, dans les autres endroits, la
patience des exilés, furent une révélation pour ce
peuple idolâtre et plongé dans la matière. Le fait
plusieurs fois cité dans les actes officiels, d’hommes
recommandables par leur science, leur vertu, leur
position sociale, qui avaient tout sacrifié pour
suivre la nouvelle doctrine, ce fait, même,
disons-nous, devint une éloquente apologie. Enfin, la
persécution eut un dernier résultat plus précieux
encore aux yeux de la foi. Le ciel se peupla de
nouveaux élus, l’église de Corée eut devant Dieu une
légion de puissants intercesseurs, et si plus tard,
malgré tous les obstacles, la parole des missionnaires
fut féconde en fruits du salut, c’est grâce aux
prières des martyrs. |