Histoire de l’Église de Corée Charles Dallet LIVRE IV
[297] CHAPITRE III. Nouveaux voyages à Péking. — Martyre
de Pierre Tsio et de sa femme Thérèse, en 1819 —
Persécution de 1827 : les confesseurs de Tsien-tsiou.
Au milieu
des angoisses et des dangers de la persécution, les
chrétiens de Corée sentaient plus vivement que jamais
la nécessité d’obtenir des prêtres, et multipliaient
les tentatives pour arriver à ce but si désiré. En
voyant les sacrifices qu’ils s’imposèrent, les efforts
qu’ils ne cessèrent de renouveler, efforts et
sacrifices si longtemps inutiles, nous ne pouvons
mieux les comparer qu’aux juifs fidèles appelant de
tous leurs voeux la venue du Messie, et trouvant dans
cette attente, l’unique consolation aux maux qui
accablaient leur patrie. Comme eux, les néophytes
coréens comprenaient que le salut ne pouvait leur
venir que de l’envoyé de Dieu. Bien que peu instruits,
ils connaissaient assez la religion pour savoir que
les sacrements institués par Jésus-Christ sont
nécessaires pour former et maintenir de véritables
chrétiens ; et cela seul nous explique leur invincible
persévérance à réclamer des pasteurs, que le malheur
des temps ne permettait pas de leur envoyer. Vers la
fin de 1816, on parvint à préparer une nouvelle
députalion à l’évêque de Péking, et Paul Tieng,
porteur des supplications et des voeux de ses frères,
se chargea, pour la première fois, de cet office
d’ambassadeur qu’il devait ensuite si fréquemment
remplir. Déjà nous avons eu à citer quelques-uns de
ces chrétiens courageux qui, au péril de leur vie,
avant l’arrivée du P. Tsiou en Corée, pendant son
séjour, et après son martyre, entretinrent ou
renouèrent les communications avec l’église de Chine;
mais aucun d’entre eux n’est resté aussi populaire que
Paul Tieng, qui, pour le salut de tous, se dévoua à
cette oeuvre avec un zèle et une énergie indomptable.
Voici quelques détails sur son histoire. Né en
1795, Paul descendait d’une des plus illustres
familles de la Corée, et ses ancêtres avaient souvent
été honorés des grandes dignités du royaume. Mais son
plus beau titre de noblesse était d’être le fils du
célèbre Augustin Tieng Iak-tsiong, et le frère cadet
de Charles Tieng, qui avaient tous les deux, en 1801,
souffert la mort pour rendre témoignage à
Jésus-Christ. A cette — 298 — époque,
la femme et les enfants d’Augustin avaient été
emprisonnés. Mis plus tard en liberté, ils furent
reconduits à Ma-tsaï par un païen, parent éloigné
d’Augustin. Là, abandonnés sans ressources, sans
nourriture, ils furent secourus par un homme du
peuple, auquel, plus tard, Paul put payer sa dette de
reconnaissance. Lors de la mort de son père et de son
frère, Paul était âgé seulement de six ou sept ans;
son jeune âge l’avait fait épargner, ou plutôt Dieu le
réservait pour l’exécution de ses desseins. Baptisé
dans son enfance par le P. Tsiou, et couvert, pour
ainsi dire, du sang des martyrs, il persista avec sa
mère et ses soeurs dans la pratique fidèle de ses
devoirs religieux. Mais la famille Tieng que la
persécution avait proscrite et ruinée, et dont
plusieurs membres étaient encore en exil, tremblait au
seul nom du Christianisme, et ne pouvait leur
pardonner la pensée de vouloir continuer de semblables
exercices. Elle fit donc tous ses efforts pour
empêcher Paul et les siens de vaquer désormais au
service de Dieu. Reproches amers, menaces, mépris,
dérisions, mauvais traitements même, tout fut mis en
jeu. Paul tint bon toutefois contre ces indignes
menées,. et persévéra envers et contre tous. Il
fallait que le malheur et les contradictions vinssent
éprouver et fortifier cette âme d’élite dont toute la
vie devait se passer dans les peines et les
sacrifices. Cependant,
il ne restait plus dans la maison aucun livre
religieux, et Paul ne put acquérir qu’une instruction
bien superficielle, par les explications orales de son
excellente mère. Toute communication avec les
chrétiens lui étant strictement interdite, il
gémissait en silence, songeait aux moyens de
s’instruire, et surtout, priait avec ferveur. Arrivé à
l’adolescence, il eût pu, malgré la ruine de sa
maison, trouver facilement quelque parti honorable, à
tout le moins parmi les familles qui avaient été
proscrites comme la sienne ; et les belles qualités de
l’esprit et du corps dont il était doué, l’eussent mis
à même de subvenir aisément à ses besoins, tout en
pourvoyant au salut de son âme. Mais son grand coeur
était loin de songer au mariage ; ses nobles penchants
le portaient plus haut ; sa seule pensée, sa seule
ambition était de travailler à l’introduction des
prêtres, et, en se sauvant lui-même, de procurer, quoi
qu’il en dût coûter, le salut de ses frères dans la
foi. Ne
pouvant supporter plus longtemps les vexations de sa
famille, il prit la résolution de s’évader, et
laissant momentanément à la garde de Dieu sa mère et
sa soeur, il se retira chez deux pauvres chrétiens,
près desquels il mena quelque temps une vie — 299 — excessivement
pénible. Sans aucune ressource, sans habits, souvent
même sans riz, comme ses généreux hôtes, il fit de
rapides et sérieux progrès dans la pratique de la
mortification chrétienne. Il voulut, ensuite aller
trouver au lieu de son exil, à Mou-san, Justin Tsio
Tong-siem-i, dont il avait bien des fois entendu
vanter le grand coeur, les talents et les vertus, afin
d’étudier un peu auprès de lui les lettres chinoises,
dont la connaissance était nécessaire pour l’exécution
de ses projets. Il ne s’agissait de rien moins que
d’une distance de mille lys, et la dernière partie de
la route devait se faire à travers des pays presque
déserts. Paul n’avait pas encore vingt ans; il n’avait
jamais voyagé; il était seul, sans amis, sans argent,
sans guide. Les difficultés, les dangers de cette
entreprise auraient effrayé un coeur moins résolu que
le sien. Mais sa vigueur physique extraordinaire
semblait lui permettre de tout oser, et comptant sur
le secours de Dieu, il partit à l’aventure. Après des
fatigues et des souffrances indicibles, il arriva
heureusement à la ville de Mousan. Généreusement reçu
par le noble exilé, qu’il était venu trouver de si
loin, il resta près de lui pendant plusieurs mois, se
livrant sans relâche à l’étude de la religion et des
lettres chinoises. Puis, encouragé par lui dans ses
grands desseins, il revint et se mit de suite en
relation avec les chrétiens de la capitale, pour
obtenir les moyens de faire le voyage de Péking. Il
trouva de l’écho dans tous les coeurs, et les
préparatifs furent terminés pour la fin de l’année
1816. Malgré
son extrême jeunesse, Paul était déjà un homme mûr,
prudent, et capable de réussir dans tout ce qu’il
entreprendrait. Comme son prédécesseur Jean Ni
Ie-tsin-i, il dut cacher ses titres de noblesse, et se
mettant au service des interprètes, comme simple
valet, il partit à pied, et fit heureusement le
voyage, aller et retour. Les détails de son expédition
ne nous sont pas connus; mais, cette fois encore,
l’Église de Corée n’obtint ni prêtre, ni promesse
positive pour l’avenir. Néanmoins, la voie était
ouverte à Paul ; il s’était, par la réception des
Sacrements, confirmé dans sa résolution ; il avait
soigneusement étudié le chemin, et nous le verrons,
pendant de longues années, renouveler ses tentatives,
et poursuivre obstinément la réalisation de ce projet,
qu’il considérait comme sa vocation spéciale. Souvent,
dans la suite, Paul racontait la protection toute
particulière de Dieu, dont il fut l’objet à son retour
du premier voyage. Son pied-à-terre, à la capitale,
était chez Pierre Tsio Siouk-i, et c’est là qu’il
devait se rendre en arrivant. Ayant pris — 300 — des
bêtes de somme à la ville d’Ei-tsiou, sur la frontière
de Corée, pour porter son bagage, il devait arriver à
Séoul en un nombre de jours déterminé. Le hasard, ou
plutôt la Providence, voulut qu’un de ces animaux fût
blessé à la jambe, ce qui retarda d’un jour sa marche
et son arrivée. Bien lui en fut, car, en dehors des
portes, il rencontra des chrétiens postés pour
l’avertir que Pierre Tsio et toute sa famille avaient
été arrêtés la veille par les satellites. S’il fût
venu au jour marqué, il eût été infailliblement la
proie des persécuteurs ; ses dépêches et tous ses
effets eussent été saisis avec lui, et, il eût, selon
toute probabilité, partagé le sort de ces confesseurs
dont nous devons maintenant parler. Pierre
Tsio Mieng-siou, plus connu sous son nom légal de
Siouk-i, naquit au district de Iang-keun. Il était de
la noble famille des Tsio, et proche parent du célèbre
Justin Tsio, que Paul Tieng visita dans son exil.
Jeune encore quand éclata la grande persécution de
1801, Pierre se retira avec ses parents dans la
famille de sa mère qui habitait la province de
Kang-ouen, et y vécut plusieurs années. En
grandissant, il fit paraître des talents remarquables,
un caractère bon et complaisant, et une gravite
au-dessus de son âge. Mais le manque d’instruction
suivie et de communication avec les autres chrétiens,
les craintes continuelles qui ne cessaient d’assaillir
les néophytes et de paralyser leur bonne volonté,
avaient affaibli sa foi, et lui faisaient négliger ses
pratiques habituelles. Heureusement, son mariage ayant
été conclu avec Thérèse Kouen, les exhortations de
cette fervente épouse le réveillèrent, et firent de
lui un excellent chrétien. Thérèse
Kouen était la fille d’un des premiers et des plus
zélés propagateurs de la religion en Corée,
François-Xavier Kouen Il-sin-i. Née au district de
Iang-keun, elle reçut dès l’enfance le bienfait de
l’instruction religieuse. A l’âge de sept ans, elle
perdit sa mère et, deux ans plus tard, vit périr son
père à la persécution de 1791. Les germes de vertu,
déposés dans son coeur, étaient déjà si développés,
qu’elle sut dès-lors modérer la violence des
impressions de la nature, en supportant pour Dieu
cette double perte. Thérèse était la plus âgée de
quatre enfants que la mort de Xavier laissait
orphelins. Ils vécurent ensemble, se soutenant
mutuellement ; et, la douceur, la complaisance, la
charité de Thérèse contribuèrent beaucoup à conserver
entre eux une paix sans nuage. Avec l’âge, ses belles
qualités du coeur et de l’esprit, jointes à une rare
beauté, la firent remarquer de tous ; mais, elle-même,
méprisant ces avanages temporels, pensait dès lors,
dans la ferveur de son amour — 301 — pour
Dieu, à lui consacrer sa virginité ; et sa résolution
s’affermit encore quand elle eut le bonheur de
recevoir les sacrements de la main du P. Tsiou.
Thérèse était âgée de dix-huit ans, quand, par suite
de la grande persécution, ses frères furent envoyés en
exil et sa famille entièrement ruinée. Toutefois elle
ne laissa échapper aucune plainte, et, n’ayant plus
d’appui en ce monde, elle se retira à la capitale avec
un de ses neveux, toujours décidée à refuser le
mariage. Bientôt ses parents la voyant sans
ressources, et craignant les clameurs des païens si
elle restait seule, lui firent considérer les dangers
de cet état dans les tristes circonstances où elle se
trouvait, et, à la fin, elle se rendit à leurs
observations bien qu’à contre-coeur. Elle fut
donc, à l’âge de vingt et un ans, donnée à Pierre
Tsio, qu’elle savait être un chrétien assez tiède. Les
usages du pays ne lui permettant pas de parler tout
d’abord librement à son mari, elle prépara un écrit où
elle faisait ressortir la beauté de la virginité, et
l’exhortait à garder avec elle la continence. Elle lui
remit ce papier, aussitôt qu’ils furent seuls dans la
chambre nuptiale ; chose extraordinaire, Pierre,
subitement changé, accéda à ses désirs, et ils se
promirent de vivre comme frère et soeur. Thérèse vit
là, et avec raison, une preuve manifeste du secours de
Dieu, et ne cessa de l’en remercier. Les deux époux
vivant ensemble dans une harmonie parfaite, la foi de
Pierre fut bientôt ranimée par l’insigne vertu et les
paroles pénétrantes de sa pieuse épouse, et en peu de
temps, il devint un tout autre homme. Lorsque
la tranquillité fut complètement rétablie, il
transporta sa famille à la capitale, où il continua de
se livrer à toutes sortes de bonnes oeuvres. Leur
pauvreté était grande, et souvent ils manquaient du
nécessaire. Tous deux néanmoins supportaient avec joie
les privations ; et, à force d’économie, ils
trouvaient encore moyen de faire l’aumône à de plus
pauvres qu’eux. Pierre, tout appliqué à la prière et
aux méditations, versait souvent des larmes abondantes
au souvenir de ses péchés. Voyait-il quelque chrétien
dans la tiédeur, il en était sensiblement affligé, et
s’empressait de le réveiller par des exhortations que
Dieu rendait presque toujours efficaces. Il instruisit
et convertit beaucoup de païens, et, par son zèle à
baptiser les enfants en danger de mort, procura le
salut éternel à un grand nombre de ces pauvres
créatures. Chrétiens et païens se faisaient un plaisir
de l’entendre, et se présentaient sans cesse en foule
pour profiter de ses leçons. Ne se mêlant jamais à
aucune des affaires du monde, il n’avait d’application — 302 — que
pour les choses de la religion, et son but principal
était de rendre possible l’introduction d’un prêtre en
Corée. Il y travailla longtemps de toutes ses forces,
et quand Paul Tieng dut faire le voyage de Péking, il
se chargea de presque tous les préparatifs. Il serait
difficile de redire les peines et les ennuis qu’il eut
alors à supporter, sans jamais faire paraître la
moindre impatience ou le moindre découragement. Thérèse,
de son côté, n’était pas moins assidue à faire tout le
bien qui était en son pouvoir. Jalouse avant tout de
son avancement spirituel, elle s’efforçait de se le
procurer par divers exercices de mortification; elle
jeûnait habituellement deux fois par semaine, et
mêlait très-souvent à son riz, en secret, de la cendre
ou de la poussière. Presque toujours maladive, elle
supportait ses douleurs avec joie, s’unissant à
Jésus-Christ souffrant et crucifié, et s’appliquant à
l’oraison avec tant de ferveur, qu’elle en oubliait
tous les besoins du corps, et souvent ne pensait ni à
manger ni à dormir. Plus d’une fois les gens de la
maison durent la rappeler à elle-même. Elle ne donnait
que quelques heures au sommeil, et partageait tout son
temps entre la prière, la lecture des livres de
religion, et l’instruction ou la consolation du
prochain. Elle était, toujours disposée à répondre à
quiconque s’adressait à elle pour demander quelque
explication ou quelque conseil, et tous ceux qui
l’entendaient s’en retournaient chez eux satisfaits,
touchés et édifiés. Le démon
ne pouvait voir d’un oeil tranquille tant de vertu et
de zèle. Aussi, pendant les quinze ans que Pierre et
Thérèse vécurent ensemble dans la continence, leur
suscita-t-il de violentes tentations pour les faire
renoncer à leur sainte résolution. Pierre surtout fut,
à différentes reprises, sur le point de violer sa
promesse ; mais, chaque fois, Thérèse sut par de
bonnes paroles le faire revenir à ses premiers
sentiments; aussi tous deux ne cessaient d’en rendre
au Seigneur de ferventes actions de grâces. Ils
s’étaient ainsi longuement préparés par l’exercice de
toutes les vertus, quand Dieu permit qu’ils fussent
mis à l’épreuve des grandes tribulations. Vers la fin
de la troisième lune de l’année tieng-t’siouk (1817),
au moment où l’on attendait de jour en jour le retour
de Péking de Paul Tieng, un calendrier ecclésiastique
fut saisi sur Pierre Tsio, ou selon d’autres, sur un
nouveau catéchumène qu’il instruisait alors et qui
l’aurait dénoncé. Quoiqu’en soit, ce calendrier ayant
été porté au grand juge criminel celui-ci expédia
immédiatement ses satellites pour arrêter Pierre.
Thérèse ne voulant pas se séparer de son mari, ni le
laisser seul — 303 — dans
une position aussi critique et aussi décisive, le
suivit et se constitua prisonnière avec lui. Pierre
fut mis à la question, et, selon l’usage, on lui
demanda d’apostasier, de donner ses livres et de
dénoncer ses complices. Il tint ferme au milieu des
tortures, et ne laissa pas échapper une seule parole
qui pût compromettre qui que ce fût. Le juge voulut
d’abord par la douceur amener Thérèse à apostasier
pour sauver sa vie. C’était bien peu connaître le
grand coeur de cette femme courageuse. Elle répondit
avec calme et fermeté : « Dieu étant le père de tous
les hommes et le maître de toutes les créatures,
comment voulez-vous que je le renie ? On ne
pardonnerait pas dans le monde à quiconque renierait
ses parents ; à plus forte raison ne doit-on pas
renier celui qui est notre Père à tous. » On en vint
donc aux supplices, mais elle les supporta avec joie ;
son visage ne changeait même pas de couleur, et le
mandarin vit de suite qu’il n’obtiendrait pas aisément
sa soumission. Dans les interrogatoires faits aux deux
époux, elle répondait toujours la première, sans
laisser à son mari le temps de prendre la parole, et
eut pour cela de plus violents supplices à subir. Dieu
permit qu’ils eussent, pendant tout ce temps, une
fidèle compagne de leur captivité et de leurs
souffrances, Barbe-Madeleine Ko. Celle-ci était d’une
famille du peuple, du district de Tsoi-rieng, province
de Hoang-hai. Etant encore païenne, elle suivit son
mari condamné à l’exil à la ville de Mou-san, et y
rencontra Justin Tsio Tong-siem-i, par qui elle fut
instruite de la religion. Son mari étant mort dans
cette ville, Barbe, sans être arrêtée par la distance
et les difficultés, fit reporter son corps au tombeau
de ses pères ; puis, considérant que rien ici-bas
n’est comparable au service de Dieu et au salut de
l’âme, elle se rendit À la capitale où, après de
longues recherches, elle trouva enfin la maison de
Pierre Tsio, qu’elle avait vu à Mou-san, pendant la
visite qu’il fit à son parent Justin. Au comble de ses
désirs, elle resta près de lui, comme servante,
assidue à s’instruire et pratiquant la religion de
tout son coeur. Quand Pierre et Thérèse furent
arrêtés, à la troisième lune, elle ne voulut pas se
séparer d’eux et les suivit à la prison, où elle eut à
subir les mêmes interrogatoires et les mêmes
supplices. Elle sut imiter leur constance, et partagea
leur sort jusqu’à la fin. Cependant
le procès de ces trois confesseurs trainait en
longueur. Le juge ne se pressait pas de porter la
sentence, et semblait vouloir les laisser pourrir dans
des cachots infects. Ils y restèrent plus de deux ans,
se consolant par la pratique fidèle de — 304 — leurs
devoirs religieux, et attendant avec patience
l’accomplissement de la volonté divine. C’est alors
surtout que Thérèse fit paraître sa force d’âme et son
ardent amour de Dieu. Toujours gaie et heureuse, elle
faisait sa joie des souffrances, conservait un visage
calme et serein, et semblait pour les autres un ange
consolateur. Elle disait souvent : « A moi pécheresse,
Dieu avait déjà bien voulu accorder la trop grande
faveur de garder la virginité, et voici qu’il daigne
encore m’appeler au bienfait du martyre. C’en est
trop. Comment, pourrais-je le remercier dignement? »
Un jour son mari, dans une tentation de découragement,
lui dit que de tels supplices n’étaient plus
supportables. Aussitôt Thérèse s’efforça de le
ranimer, avec ces paroles énergiques et insinuantes
qu’elle savait si bien trouver dans son coeur. « Si
vous manquez cette belle occasion, ajouta-t-elle, et
que vous conserviez la vie, que pouvez-vous donc
espérer de si beau dans le monde ? Ne vaut-il pas
mille fois mieux que nous soyons martyrs ensemble, le
même jour, pour Dieu? » Depuis ce temps, Pierre ne fut
plus ébranlé. Il écrivit même, de sa prison, plusieurs
lettres pleines des plus beaux sentiments de foi, et
qui édifièrent beaucoup ceux qui en prirent lecture.
Malheureusement, aucune de ces lettres n’est parvenue
jusqu’à nous. Le détail des supplices que les
prisonniers eurent à subir à différents intervalles
est également perdu. Nous savons seulement que, fermes
jusqu’à la fin, ils méritèrent de donner leur vie pour
Jésus-Christ et furent tous trois décapités, à la
capitale, le 21 de la cinquième lune (1) de l’année
kei-mio (1819), après vingt-sept mois de prison.
Pierre avait alors trente-trois ans, Thérèse
trente-six ans, et Barbe-Madeleine plus de soixante
ans. Une chrétienne qui vivait encore il y a quelques
années, vit le corps de Thérèse après son exécution ;
il portait les traces de trois coups de sabre, et lui
parut d’une beauté merveilleuse. Les corps de ces
martyrs ne purent être recueillis qu’un mois après ;
il ne restait plus que les ossements. La chevelure de
Thérèse, déposée en désordre dans un panier d’osier,
fut conservée chez Sébastien Nam, martyr en 1839, et
plusieurs témoins ont attesté que lorsqu’on ouvrait le
panier, il en sortait un parfum qui embaumait toute la
chambre. C’est
ainsi que les deux époux, Pierre et Thérèse, eurent le
bonheur d’être unis dans la mort comme dans la vie, de
joindre le lis de la virginité à la palme du martyre.
C’est la seconde (1)
D’après le t6moignage de Brigitte T’soi, leur martyre
n’aurait eu lien que trois semaines plus tard, le 13
de la sixième lune. — 305 — fois
que nous rencontrons en Corée ce fait remarquable,
rare d’ailleurs dans l’histoire de l’Eglise. Que ne
doit-on pas attendre d’un peuple chez qui la religion,
à peine établie, imparfaitement connue, sans prêtres,
sans sacrements, sans sacrifices, produit néanmoins de
telles âmes et fait de pareils prodiges ! Les trois
martyrs précédents ayant refusé de faire aucune
dénonciation, personne ne fut compromis dans leur
procès, et il n’y eut pas alors d’autres arrestations
à la capitale. Mais nous avons à en mentionner
quelques-unes dans les provinces. En 1817, à la
dixième lune, les satellites de Haï-mi, on ne sait à
quelle occasion, se présentèrent subitement au village
de Pai-na-tari, district de Tek-san, et enchaînèrent
un certain nombre de chrétiens, qu’ils conduisirent à
Haï-mi. Cette persécution, qui ne s’étendit pas au
delà de quelques districts voisins, ne nous est pas
connue dans ses détails. Les mémoires du temps sont
presque muets, et les témoignages que l’on a pu
recueillir laissent à désirer par leur manque de
précision. Cela tient principalement à ce qu’il n’y
eut pas d’exécution capitale ; car les chrétiens, dans
leurs relations écrites, s’occupent généralement
beaucoup plus des martyrs mis à mort par la main du
bourreau, que de ceux qui périssaient tout aussi
glorieusement dans les prisons ou sur la route de
l’exil. Peut-être aussi la position isolée de Haï-mi
et le peu d’importance relative du procès ont
contribué à l’oubli dans lequel est tombée cette
affaire. Il n’y eut qu’une trentaine de chrétiens
arrêtés, et la plupart achetèrent immédiatement leur
liberté par l’apostasie. Quelques autres restèrent
fermes, et eurent la grâce de persévérer jusqu’à la
mort. Voici ce que l’on sait de plus certain sur les
principaux d’entre eux. Pierre
Min Tsiem-tsi, natif du district de Kiel-sieng, avait
toujours fait sa principale occupation d’instruire et
d’exhorter les autres chrétiens. Après avoir habité
quelques années à Soiak-kol, au district de Mok-tsien,
il émigra à Pai-na-tari, et se mit de suite, selon sa
coutume, à catéchiser les gens de ce village. Sa
charité et l’exemple de ses vertus lui attirèrent
bientôt l’estime et l’affection de fous. Pris à la
dixième lune, il ne se laissa ébranler ni par les
supplices, ni par la défection de ses compagnons de
captivité. Une de ses belles-soeurs, nommée Anne, qui
était veuve depuis quelque temps, fut arrêtée avec lui
et imita son courage. Après environ deux mois de
souffrances, tous deux moururent de faim en prison.
Ils avaient l’un et l’autre plus de soixante ans. Une
tradition rapporte qu’Anne avait six doigts à une
main. — 306 — Joseph
Siong T’sien-tsi, oncle de Philippe Siong T’sioun-hoa,
était, au moment de son arrestation, d’un âge
très-avancé. Pauvre et sans famille, il vivait comme
domestique chez d’autres chrétiens, aimé de tous ceux
qui le connaissaient, à cause de son caractère doux,
simple et dévoué. Il ne voulut pas renier sa foi, et
mourut aussi dans la prison de Haï-mi. Un autre
chrétien, dont on ignore le nom, après avoir confessé
généreusement Jésus-Christ, attendait, dans cette même
prison, la décision finale du mandarin. Les
satellites, qui cherchaient à obtenir de lui la
dénonciation d’un de ses parents, homme très-riche,
dont ils voulaient piller la maison, le torturaient
continuellement en secret. Il résolut d’échapper,
coûte que coûte, à leurs mauvais traitements ; et un
jour, la fuite lui paraissant possible, il s’arracha
le poignet par lequel il était enchaîné, parvint à
tromper la vigilance des gardiens, s’évada, et se
cacha chez une famille chrétienne, où il ne mourut que
longtemps après. Joseph
San Ien-ouk-i, né dans le district de Hong-tsiou, se
distingua par son intrépidité à confesser la foi,
aussi bien que par sa constance dans les supplices.
C’était un homme doux, humble, charitable envers le
prochain, et surtout très-exact dans la pratique de
ses devoirs religieux. Souvent il témoignait le désir
de donner sa vie pour Dieu. Lorsqu’il eut été pris et
conduit à Haï-mi, le juge criminel le fit comparaître
et voulut le forcer à dénoncer les chrétiens, à donner
ses livres et à renier sa religion. Il répondit à ces
demandes comme doit le faire un soldat de
Jésus-Christ, et par suite fut mis à la question. On
continua les tortures pendant plusieurs jours, mais
son coeur ne se laissa pas ébranler, et aucune parole
compromettante ne tomba de ses lèvres qui semblaient
n’avoir de mouvement que pour prier Dieu. La défection
de beaucoup de ses compagnons de prison ne fit pas
plus d’impression sur lui. Au contraire, il sembla en
prendre occasion pour ranimer son zèle et s’exciter à
réparer, par sa propre fidélité, l’indigne outrage
fait à la gloire de Dieu. Après de longs et nombreux
supplices, il fut laissé dans la prison, sans espoir
d’en sortir jamais, et s’y installa comme pour y
passer sa vie. Six ou sept ans s’écoulèrent ainsi, et
sa ferveur, loin de diminuer, s’affermissait chaque
jour. A la fin, il obtint de vivre avec son frère,
dans une maison voisine de la prison. Il y demeurait
depuis quelques semaines seulement lorsqu’il mourut,
dans des circonstances qui frappèrent beaucoup les
chrétiens. Il ne paraissait atteint d’aucune maladie,
et nul ne prévoyait sa fin prochaine, quand un jour,
après avoir passé toute la nuit en prières — 307 — et
récité même, assure-t-on, les oraisons de la
recommandation de l’âme, il sortit dès le matin, alla
se laver à la fontaine voisine, puis, s’asseyant au
bord de la fontaine sur une grande pierre, rendit le
dernier soupir, sans que les personnes qui étaient
près de lui s’en aperçussent. Son corps exhalait une
odeur agréable, et, pendant plusieurs jours, conserva
toute sa souplesse. C’était en l’année kap-sin (1824). San
Ie-sim-i, père de Joseph, avait été aussi arrêté,
trois jours après son fils, et conduit à la préfecture
de Haï-mi. Il supporta résolument, à plus de vingt
reprises différentes, de cruels supplices. Le bruit
courut qu’à la fin il s’était laissé ébranler. Il est
certain toutefois qu’il fut consigné à la prison et
qu’il y avait passé au moins dix ans, avec d’autres
chrétiens détenus comme lui, lorsqu’il fut atteint
d’une maladie très-dangereuse. Le mandarin l’envoya
dans sa famille, avec ordre de revenir après sa
guérison ; mais cet ordre fut inutile, car il mourut
bientôt après, dans l’année tieng-hai (1827). A
l’histoire de l’année 1817 se rattache un trait bien
édifiant, inconnu de la plupart des chrétiens. Ni
Iong-pin-i, dont le nom de baptême n’est pas connu,
qui peut-être même ne fut jamais baptisé, vivait à
Kam-t’ang-kai, au district de Siou-ouen. Il avait
épousé une personne de la famille chrétienne de Tsio
Han-tsi, et perdu au milieu des infidèles, pratiquait
la religion seul avec son épouse. Devenu veuf, il se
retira chez un de ses parents qui tous étaient païens,
pour y trouver un moyen d’existence, et continua
d’accomplir ses devoirs religieux avec fidélité et
ferveur. Déjà bien des murmures s’étaient élevés
contre lui de la part de sa famille, mais il n’y
faisait pas attention, et ne pensait qu’à servir Dieu
de tout son pouvoir. Un de ses cousins, animé de
dispositions plus bienveillantes, semblait devoir
écouter avec docilité quelques paroles sur la
religion. Poussé par le désir de sauver cette âme,
long-pin-i lui exposa, tout au long, ce qu’il savait
du christianisme. Son zèle fut-il couronné de succès?
nous l’ignorons ; mais sa famille, déjà mal
impressionnée contre lui, craignant, qu’il n’infafuât
plusieurs de ses membres de la fatale doctrine, et
n’attirât ainsi de grands maux sur la tête de tous,
résolut de se défaire de lui. On essaya d’abord de le
faire apostasier, et comme il ne voulait pas renoncer
à sa foi, on l’enleva secrètement, et on le fit périr. Dans les
années qui suivirent, nous ne rencontrons aucun
événement mémorable. Presque à chaque ambassade, Paul
Tieng — 308 — repartait
pour Péking, afin de solliciter l’Evêque de cette
ville d’envoyer un pasteur aux néophytes de Corée, la
partie la plus désolée de son immense troupeau. Mais
le jour fixé par la Providence n’était pas encore
arrivé, et ses tentatives renouvelées aboutissaient
toujours au même insuccès. Rien néanmoins ne put
diminuer son courage ou éteindre son espérance. On ne
signale à cette époque aucune persécution. Les
chrétiens vivaient presque en liberté, et leur nombre
s’augmentait tous les jours. L’Esprit-Saint suppléait
directement, par l’abondance de ses grâces, au manque
de prêtres et de sacrements, et, pour l’utilité de
tous, accordait quelquefois des faveurs singulières à
divers membres de la chrétienté. En l’absence de
documents et de témoignages assez positifs, nous nous
abstenons de qualifier les faits que les chrétiens
racontent, quoiqu’il nous semble tout à fait dans
l’ordre de la Providence, que Dieu ait multiplié les
secours spirituels extraordinaires, pour ranimer et
soutenir ces pauvres néophytes abandonnés. Nous n’en
citons qu’un seul exemple, entre beaucoup d’autres
analogues. Un
enfant, né de parents chrétiens, et nommé Jacques
Ioun, âgé de onze ans, allait tous les jours chercher
du bois sur la montagne, avec ses camarades. Un jour
il revint de bonne heure, harassé et souffrant, et se
dit pris d’une maladie mortelle. Puis il ajouta : «
Sur la montagne, me trouvant fatigué plus que de
coutume, je me reposais, lorsqu’un sentiment intérieur
invincible m’a fait connaître que je mourrai le jour
de l’Ascension, à midi.» On examina son corps, on n’y
trouva aucune marque de maladie; cependant il allait
plus mal, et bientôt sa situation parut dangereuse.
Trois jours avant l’Ascension, il demanda instamment,
le baptême, qui lui fut conféré. La veille de la fête,
il se fit donner des habits propres avec lesquels il
désirait être enterré, puis distribua à quelques
camarades les objets dont il se servait,
habituellement. Le jour de l’Ascension, rien ne
paraissait annoncer une fin prochaine, il déclara
toutefois que c’était son dernier moment, et à l’heure
de l’Angélus, après avoir récité cctte pricrc avec
ceux qui l’entouraient, il s’endormit dans le
Seigneur. N’était-ce pas son ange gardien qui, en le
prévenant ainsi de l’heure de sa mort, lui avait
procuré le bonheur de se présenter devant Dieu, dans
la splendeur de son innocence baptismale? En
l’année sin-sa (1821), l’invasion subite du choléra
fut cause que beaucoup de chrétiens, qui n’étaient
encore que catéchumènes, reçurent le sacrement de
baptême, les uns à l’heure même de la mort, les autres
à l’avance, par une pieuse précaution, — 309 — afin
de ne pas s’exposer à mourir sans avoir été régénérés.
D’après la tradition, ce terrible fléau, jusqu’alors
inconnu en Corée, y arriva du Japon. Ce que l’on
raconte de sa marche et de ses ravages ressemble à ce
que l’on a vu en Europe et dans d’autres contrées,
quand il s’y montra pour la première fois. Les Coréens
en parlent encore en tremblant. C’était partout la
mort, et la mort presque subite. Aucun remède ne
pouvait arrêter les progrès du mal. Toutes les
familles étaient dans le deuil, toutes les maisons
renfermaient des cadavres, souvent même les routes en
étaient jonchées. Après quelques mois, on crut avoir
trouvé quelques remèdes d’une efficacité au moins
douteuse, ou plutôt le fléau diminua d’intensité, et
finit par disparaître. Depuis lors, il n’a pas reparu
comme épidémie, jusqu’en l’année 1850. Mais à cette
époque, il s’est comme implanté dans le pays, et a
fait à diverses reprises de nombreuses victimes,
surtout en 1858 et dans les quatre ou cinq années
suivantes. Cependant
Paul Tieng, malgré sa jeunesse, se trouvait par le
fait à la tête des affaires de la chrétienté. Charles
Hien, fils du martyr Hien Kim-heun-i, Paul Ni
Tsiong-hoi, frère cadet du martyr Charles Ni, et
plusieurs autres, dont nous aurons souvent à parler
dans la période qui suivit l’arrivée des
missionnaires, s’étaient associés à ses efforts.
Chaque fois que Paul retournait à Péking, quelques
chrétiens l’accompagnaient pour recevoir les
sacrements de Baptême, de Confirmation, de Pénitence
et d’Eucharistie. En 1823, notre intrépide voyageur
dut être bien consolé et fortifié par un événement
tout providentiel qui, en rendant beaucoup plus
faciles les communications avec l’Évêque de Péking,
semblait annoncer que les temps de la miséricorde
approchaient. Nous voulons parler de la conversion
d’Augustin Niou Iong-sim-i, homme vraiment grand par
ses talents et son énergie, plus grand encore par ses
vertus et sa patience dans les souffrances. Augustin
Niou était d’une des principales familles
d’interprètes, et depuis plusieurs générations, ses
ancêtres avaient occupé des postes importants. Dès
l’enfance, il montra beaucoup de goût pour l’étude et
s’y livra avec une telle ardeur et un tel succès,
qu’avant l’âge de vingt ans, il avait déjà la
réputation d’homme très-instruit. Quoiqu’il fût riche
et dans une belle posisition, il ne recherchait
aucunement la gloire et les plaisirs du monde; son
unique passion était pour les études sérieuses. Il
voulait arriver à connaître clairement l’origine et la
fin de — 310 — l’homme
et du monde; et dans l’espoir d’y réussir, il étudia à
fond, jour et nuit, pendant plus de dix ans, les
livres de la religion de Fo, ainsi que beaucoup
d’autres. On disait de lui qu’il renfermait dix mille
volumes dans sa poitrine et que toutes les sciences,
tant anciennes que modernes, s’y trouvaient réunies.
Mais après de si vastes recherches, Augustin n’avait
réussi qu’à altérer profondément sa santé par l’excès
de travail ; il ne trouvait nulle part de principes
inébranlables de vérité, et son esprit, était de moins
en moins satisfait. Trop
jeune en 1801 pour entendre parler de la religion, ou
comprendre ce qu’on en disait, il apprit plus tard
qu’à cette époque beaucoup de personnages, célèbres
par leur science et leur vertu, avaient été tués comme
professant la religion du Maître du Ciel, et qu’ils
mouraient avec une joie extraordinaire. « Ne serait-ce
pas là la vraie doctrine? » se dit-il en lui-même. Et
dès lors il chercha à rencontrer des chrétiens, ou du
moins à se procurer des livres de leur religion : mais
où trouver ces livres, où rencontrer ces hommes? Il y
avait chez lui un meuble tapissé de papiers imprimés
en chinois. Regardant un jour par hasard quelques
feuilles à moitié déchirées, il y vit ces mots : âme
sensitive... âme végétative... âme spirituelle... Des
paroles si extraordinaires pour lui piquèrent sa
curiosité ; aussitôt il décolla une à une, avec les
plus grandes précautions, toutes les feuilles qui
recouvraient le meuble, et les coordonnant, il eut
entre les mains une partie du livre chrétien intitulé
: Vrais
principes sur Dieu. Il se mît à le lire avec
toute l’attention possible, mais bien des choses
étaient peu claires et incomplètes, et il ne put
encore apprendre ce qu’il désirait. Plus avide que
jamais d’avoir la solution complète de toutes ses
difficultés, il fit de nouveaux efforts pour trouver
des chrétiens, et Dieu, qui voyait la droiture de ses
intentions, et la soif ardente de vérité qui dévorait
son coeur, permit enfin, après mille recherches, qu’il
en rencontrât. C’était en l’année kiei-mi (1823). La
lumière se fait facilement dans les âmes de bonne
volonté; aussi à peine Augustin eut-il entendu
quelques explications orales, et lu les livres
procurés par les chrétiens, que la religion lui parut
claire et certaine. Après quelques jours d’étude,
aucun doute ne lui resta dans l’esprit ; Dieu lui
accorda le don inestimable de la foi, et il se mit de
suite à la pratiquer avec assiduité. Tel était
l’homme que la Providence allait associer à Paul Tieng
et à ses compagnons, dans leurs tentatives pour se
procurer enfin des pasteurs. Interprète du
gouvernement par fonction, il lui était facile de
faire la route de Péking ; sa charge le mettait — 311 — au-dessus
des soupçons, et sa position officielle lui donnait
assez d’influence pour couvrir les démarches des
autres. Dès l’année qui suivit sa conversion,
c’est-à-dire en 1824, Augustin fit en effet le voyage
de Péking, en qualité d’interprète de l’ambassade.
Arrivé en cette ville, il se rendit avec Paul Tieng
auprès de l’évêque et des prêtres, demanda et reçut le
baptême, puis, mettant sous leurs yeux le triste état
des fidèles de Corée, semblables à des brebis
délaissées, en proie à la fureur des loups, il les
conjura de pourvoir à leur salut par tous les moyens
possibles. Son zèle éclairé ne se borna pas là ; il
pensa, et avec raison, qu’une supplique adressée
directement au Souverain Pontife, au nom de tous les
chrétiens, ses frères, pourrait hâter la réalisation
de leurs communs désirs, et il écrivit, cette année-là
même, suivant les uns, ou plus probablement une des
années suivantes, une lettre au Pape, dans laquelle
lui dépeignant la misérable situation de la
chrétienté, il le conjurait de leur tendre la main, et
de les tirer de l’abîme. Nous
verrons plus tard que cette lettre eut son effet. De
son côté l’Evêque de Péking touché des efforts
constants de ces pauvres orphelins, promit de leur
accorder enfin un prêtre, l’année suivante. C’était au
cinquième voyage de Paul Tieng. Les arrangements
furent pris, et on fixa l’époque du rendez-vous à
Pien-men, ville frontière de la Chine. Les Chrétiens
accueillirent cette promesse avec une joie indicible.
Tous les préparatifs se firent avec empressement, et,
au temps convenu, on se rendit à Pien-men pour
recevoir et introduire l’envoyé du Seigneur. Mais une
nouvelle épreuve devait désoler la patience de nos
pauvres néophytes. Arrivés au lieu fixé, les courriers
ne rencontrèrent pas le prêtre : personne n’y était
venu. Comment décrire leur désappointement et leur
tristesse? Paul Tieng, qui était à leur tête, ne
pouvant deviner la cause de ce contre-temps,
poursuivit la route jusqu’à Péking, et vit que les
déplorables circonstances dans lesquelles la
chrétienté de Chine se trouvait elle-même à cette
époque, avaient mis l’évêque dans l’impossibilité
absolue de tenir sa promesse. Paul ne
se découragea point cependant, et de concert avec
Augustin Niou, il travailla à faciliter de plus en
plus les communications annuelles, et à multiplier
pour l’avenir les chances de réussite. Leur projet,
était de s’associer quelque homme sûr et dévoué parmi
les valets habitués de l’ambassade ; mais
malheureusement aucun d’eux n’était chrétien. Après
mûre réflexion ils jetèrent les yeux sur Charles Tsio,
alors païen, qu’ils avaient — 312 — un
peu connu dans le voyage, et dont le caractère bon,
droit, ferme et désintéressé, semblait promettre une
prompte et sincère conversion. Il était originaire du
district de Hoi-iang, province de Kang-ouen. A l’âge
de cinq ans il perdit sa mère, et peu après, les
petites ressources de sa famille étant épuisées, il
quitta la maison paternelle, se fit raser la tête et
recevoir parmi les bonzes, chez qui il passa quelques
années. Rentré dans la vie commune, il se plaça
d’abord comme domestique dans diverses maisons, puis,
à l’âge de vingt-trois ans, il se fit admettre au
nombre des valets attachés à l’ambassade de Péking, et
parvint à ramasser un petit pécule, dont il usa pour
venir en aide à son père et à son frère. Son bon
caractère le faisait remarquer entre tous ses
compagnons, et lui avait gagné la confiance générale. Charles
Tsio avait environ trente ans quand Paul songea à le
convertir. On le fit donc appeler secrètement dans une
maison chrétienne, et Augustin Niou se chargea de lui
faire les premières ouvertures au sujet de la
religion. Il fut un peu interdit d’abord et ne comprit
rien à ce qu’on lui disait ; mais après quelques jours
d’instructions suivies, son esprit s’ouvrit à la
lumière de la foi, et il promit de pratiquer tout de
bon. Quelque temps après il se mit en route avec
Augustin pour Péking, s’y présenta aux prêtres, et eut
le bonheur de recevoir le Baptême, la Confirmation et
la sainte Eucharistie. De retour en Corée, il ne se
contenait pas de joie, et se faisait remarquer entre
tous les néophytes par son humilité, sa patience, son
amour ardent envers Dieu, et sa charité envers le
prochain, qu’il soulageait par ses aumônes autant
qu’il était en son pouvoir. Il fit tant d’efforts
auprès de sa femme, qu’il parvint à surmonter ses
répugnances, la convertit, et en fit une excellente
chrétienne qui ne se démentit pas jusqu’à sa mort. Cet
homme vraiment dévoué rendit, dans son humble
condition, de très-grands services à la chrétienté; il
contribua beaucoup par son activité et son zèle, à
l’introduction des missionnaires, et son nom ne peut
plus être séparé de ceux de Paul Tieng et d’Augustin
Niou. En cette
même année 1825, nous trouvons encore quelques
chrétiens tourmentés et emprisonnés, sans toutefois
que la tranquillité générale paraisse avoir été
sérieusement troublée. Augustin Pai, autrement dit
T’seng-mo, natif du district de Tong-lsin, et fils de
François Pai, martyr en 1799, était parvenu à se
cacher quelque temps lors de l’arrestation de son
père; mais étant revenu chez lui, il fut pris et
conduit au tribunal de T’sieng-tsiou, où — 313 — son
père était détenu. On lui demanda s’il était chrétien,
et sur sa réponse affirmative, il fut sommé
d’apostasier et de dénoncer ses complices. Il refusa,
fut mis à de violentes tortures qu’il supporta avec
intrépidité, lassa par sa patience la fureur de ses
juges, et fut jeté dans un cachot séparé de celui de
son père. Quand celui-ci fut conduit au supplice, le
mandarin permit à Augustin de le voir, et après
l’exécution lui remit le corps, avec permission
d’aller l’enterrer. Augustin après avoir donné la
sépulture à son père, profita de l’occasion pour
s’enfuir, et afin de se dérober aux recherches, il fit
pendant un an le métier de matelot. Il se cacha
ensuite pendant quatre ou cinq ans au district de
Kong-tsiou. La persécution étant apaisée, il alla
s’établir à Kangmoun-i, district de Mien-t’sien,
gagnant sa vie par des travaux de menuiserie dans
lesquels il excellait, et copiant des livres religieux
pour l’usage des chrétiens. Il se fit toujours
remarquer par une grande ferveur dans
l’accomplissement de ses devoirs. Il lui repris, on ne
sait à quelle occasion, en l’année eul-iou (1825), et
conduit au tribunal de Haï-mi, où on lui fit subir de
cruelles tortures. Soutenu par l’exemple de son père
et fidèle à ses propres. antécédents, il les supporta
avec un grand courage. On assure qu’il fut alors
condamné à mort ; mais le fait paraît peu probable.
Dans sa prison, il conquit bientôt l’estime et la
confiance de tous, et obtint, après deux ou trois ans,
la permission de retourner chez lui, à la charge de se
présenter le 1er et le 15 de chaque mois devant le
mandarin. Il mourut paisiblement à l’âge de
soixante-trois ans, le 26 de la sixième lune de
l’année keil’siouk (1829). Dans
cette même prison de Haï-mi se trouvait la veuve Barbe
Ha, dont la mémoire est restée en vénération parmi les
chrétiens. Née de parents païens au district, de
Tong-t’sin, elle fut mariée dans celui de Mien-t’sien,
et son caractère doux et complaisant engagea un des
parents de son mari, à lui faire connaître la
religion. Elle l’embrassa avec joie, et se fit bientôt
remarquer par ses vertus et. sa fervente piété.
Devenue veuve, elle s’occupa d’instruire et.
d’exhorter les filles et les femmes chrétiennes, et
n’ayant plus d’autre but que le service de Dieu,
parcourut dans tous les sens les différents districts
de la plaine de Nai-po, exerçant son ministère de
charité et convertissant aussi beaucoup de païennes.
Son zèle et son activité à remplir cotte fonction de
catéchiste, l’ont rendue particulièrement chère aux
chrétiens de celle, province, dont un grand nombre lui
doivent la connaissance de la religion. Dieu, pour
récompenser sa foi et ses travaux, — 314 — permit
qu’elle eut quelque part à la gloire des confesseurs.
Elle fut arrêtée au village de Pan-tai-ma-cal,
district de A-san, à la troisième lune de 1825, et
conduite à Haï-mi, où elle rencontra Augustin Pai.
Sommée d’apostasier et mise à la question plusieurs
fois, elle montra une force toute virile et ne se
laissa nullement ébranler. Elle obtint plus tard de
quitter la prison, sous la condition de se présenter
au mandarin deux fois par mois, et mourut de maladie
quelque temps après. L’année
1826 ne nous présente rien d’intéressant. D’après un
bruit répandu parmi les chrétiens, l’empereur du Japon
aurait alors écrit au roi de Corée pour l’avertir que
six sujets japonais de la religion de Jésus, avaient
fui dans une petite barque. « S’ils sont venus dans
votre royaume, ajoutait-il, veuillez les faire saisir
et me les renvoyer. » Nous n’avons pu vérifier ce
fait. Sauf les
quelques vexations locales dont nous venons de parler,
l’Eglise de Corée était en paix, et ses ennemis ne
semblaient pas songer à l’attaquer de nouveau,
lorsqu’en l’année tieng-hai (1827), l’imprudence et la
mauvaise conduite de plusieurs chrétiens devinrent la
cause d’un horrible désastre. En 1815, nous avons vu
la tempête se déchaîner sur la province de Kieiigsiang
; cette fois, le principal théâtre de la persécution
sera la province de T’sien-la, si cruellement éprouvée
déjà en 1801. De longues années de tranquillité y
avaient fait émigrer depuis lors un grand nombre de
chrétiens, auxquels s’étaient joints, peu à peu,
beaucoup de nouveaux prosélytes. Dans le
village de Tek-sil, au district de Kok-sieng, vers le
sud-est de la province, se trouvait une fabrique de
poterie, dont tous les ouvriers étaient chrétiens. Un
nouveau converti, nommé Tsien, y avait établi un débit
de vins pour le service du village. Han Paik-kiem-i,
fils du célèbre martyr Thomas Han, homme trop connu
par la violence de son caractère et sa conduite peu
exemplaire, vivait alors dans ce village, et par ses
actes, ne justifiait que trop le dicton des chrétiens
: « Faut-il qu’un si noble martyr ait laissé un si
mauvais fils? » Un jour que les vases de terre
devaient être retirés du four, il y eut, selon
l’usage, grand concours de peuple et, par suite, de
copieuses libations. Han Paik-kiem-i, excité déjà par
les fumées du vin, se plaignit vivement que ses vases
étaient trop petits, et après s’être dispute avec le
cabaretier, il s’en prit à la femme de celui-ci,
l’insulta et la battit cruellement. Le cabaretier,
dont la foi n’était pas encore bien consolidée, ne put
supporter une telle injure et résolut d’en — 315 — tirer
une vengeance éclatante. II prit donc des livres de
religion, et sans réfléchir, sans doute, aux suites de
sa démarche, les porta au mandarin de Kok-sieng, en
lui dénonçant comme propriétaires son ennemi Han
Paik-kiem-i, et quelques autres chrétiens dont il
croyait avoir à se plaindre. Il est triste de voir
cette misérable querelle entre chrétiens, devenir la
cause de tant de ruines, occasionner tant
d’apostasies, et amener la perte de tant d’âmes
rachetées du sang de Jésus-Christ ! Le
mandarin de Kok-sieng ayant en main des preuves
manifestes, n’hésita pas un instant, et donna
immédiatement ses ordres pour saisir les chrétiens.
C’était à la deuxième lune de 1827. Alors se présenta
de nouveau le spectacle déchirant de ces pauvres
fidèles livrés à la merci de satellites féroces et
avides ; d’hommes, de femmes et d’enfants, dépouillés
brutalement de tout ce qu’ils possédaient, entassés
dans les prisons, mis à la question et torturés sans
pitié. Peu à peu, soit par suite de dénonciations
arrachées aux chrétiens faibles, soit parce qu’un
incendie une fois allumé se communique naturellement à
tout ce qui est proche, la persécution s’étendit de
district en district, dans toute la province. Beaucoup
de chrétiens cherchaient leur salut dans la fuite; les
autres attendaient chez eux, ou sur les montagnes
environnantes, le sort que Dieu leur réservait, et ni
les uns ni les autres ne parvenaient à éviter les
satellites qui pénétraient partout et gardaient
soigneusement toutes les routes. Ceux que l’on
dédaignait de saisir, laissés par le pillage sans
vivres, sans ressource, n’osaient se féliciter d’avoir
été épargnés, car il ne leur-restait qu’à mourir de
faim et de misère. Nous n’avons aucun détail sur les
divers interrogatoires subis par les néophytes, dans
les différentes petites préfectures où ils furent
d’abord conduits. Quelques-uns des plus lâches
apostasièrent de suite, mais le plus grand nombre
furent transférés au tribunal de Tsien-tsiou,
métropole de la province. Pendant
le cours de la troisième lune, tout le nord de la
province fut aussi envahi. Au district de Keum-san,
parmi les chrétiens saisis se trouva un nommé Kang
qui, par crainte de ne pas se conduire assez
courageusement devant les juges, se donna lui-même la
mort en route, dans un accès de folie. Au
district de Ko-san, on arrêta nombre de chrétiens, et
presque tous furent aussi conduits à Tsien-tsiou. Les
captifs se trouvèrent réunis dans cette ville au
nombre de plus de deux cent quarante, parmi lesquels
beaucoup de femmes. Soit que les prisons fussent, — 316 — trop
étroites, soit plutôt que l’on voulût empêcher les
prisonniers de se concerter entre eux et de se
soutenir mutuellement, on les dispersa en différents
endroits de la ville, même dans des maisons
particulières. Presque tous étaient enchaînés et
avaient la cangue sur les épaules. D’autres étaient
attachés ensemble avec des cordes qui leur liaient le
cou et les jambes. Le
gouverneur de Tsien-tsiou était, à cette époque, Ni
Koang-moun-i, de la branche des Ni de Sa-pong. Il
suivit un système différent de celui employé dans les
persécutions précédentes. Peut-être était-il
personnellement moins hostile à la religion; peut-être
aussi, voyant que tous les chrétiens arrêtés étaient
des gens du peuple, et qu’il n’y avait parmi eux aucun
personnage important, voulut-il essayer d’arriver au
même but par d’autres moyens. Quoi qu’il en soit, il
évita autant que possible les exécutions capitales,
condamnant seulement à l’exil même ceux qui se
montraient fermes dans les supplices et refusaient les
dénonciations demandées ; ou bien, quand les
circonstances le forçaient à prononcer une sentence de
mort, laissant les victimes végéter indéfiniment dans
les prisons, et s’éteindre, sans bruit, de faim et de
misère. Ce système réussit au delà des espérances du
gouverneur, car les chrétiens de la province de
Tsien-la étaient tombés dans un grand relâchement ; et
nous devons avouer que cette persécution de 1827 fut
la plus déplorable entre toutes, par la quantité de
défections qu’elle occasionna. Jamais, proportion
gardée, les apostats ne furent aussi nombreux.
Quelques confesseurs cependant ont maintenu par leur
constante fermeté l’honneur de la religion. Nous
allons nommer ici les plus connus. C’est
d’abord Madeleine Ni, la soeur de Paul Ni de
Tsiang-kiei. Née dans un petit village du Nai-po, elle
fut mariée à André Ni à l’âge de dix-sept ans, et Dieu
bénissant cette union, elle en eut sept enfants
qu’elle éleva et instruisit avec soin, et dont elle
fit d’excellents chrétiens, moins encore par ses avis
que par ses beaux exemples. Arrêtée au district de
Kok-sieng, au commencement de cette persécution, elle
fut traduite devant le juge criminel, dont tous les
efforts tendirent à lui faire dénoncer le lieu de la
retraite de son frère. Mais Madeleine, comprenant
combien de telles déclarations étaient contraires aux
devoirs des disciples de Jésus-Christ, supporta avec
fermeté et patience les violentes tortures auxquelles
elle fut soumise, et n’ouvrit pas la bouche. Les
séductions et les promesses ne firent pas plus
d’impression sur son coeur. Le juge ne pouvant rien
gagner, la condamna à l’exil, et elle fut envoyée à la
ville de Paik-t’sien, province de Hoang-hai. — 317 — Là, de
nouvelles épreuves l’attendaient. Les habitants de ce
lieu la poursuivirent de plaisanteries et de sarcasmes
sur la cause de son exil ; on ne lui épargna ni les
vexations, ni les mauvais traitements, ni les injures.
Madeleine n’en continua pas moins la pratique fidèle
de sa religion, et supporta tout avec une patience
invincible, acceptant d’un coeur soumis ef content ce
que permettait la volonté de Dieu. Comme elle ne
savait pas lire, elle comptait les jours et faisait
les exercices du dimanche, sans pouvoir observer les
autres fêtes dont elle ne connaissait pas la date.
Elle passa ainsi quatre ans, après lesquels une
maladie dont elle portait le germe depuis longtemps,
la reprit avec violence. Sentant sa fin approcher,
elle prit son chapelet, se mit à genoux pour prier, et
rendit son âme à Dieu dans cette position, le 12 de la
onzième lune de l’année kieng-în (1830), à l’âge de
cinquantetrois ans. Après
cette fidèle servante de Dieu, nous mentionnerons
André Kim To-mieng-i. Né au district de Mien-t’sien,
de parents chrétiens, il fut dès l’enfance docile à
leurs instructions, et fit de rapides progrès dans la
piété. Pris à la deuxième lune à Sin-tsiek, district
de Sioun-tsiong, et conduit au juge criminel de
Tsien-tsiou, il refusa constamment d’apostasier et de
dénoncer ses frères dans la foi, et malgré la torture
et les menaces de mort, resta inébranlable jusqu’à la
fin. Il n’est pas absolument certain qu’il ait été
condamné à mort. On le laissa languir en prison, où il
mourut sans avoir jamais laissé paraître un signe de
faiblesse et de découragement, un peu après 1832, à
l’âge de cinquante et quelques années. Nous
trouvons ensuite Jean-Baptiste Ni Seng-tsi, de la
branche des Ni de Ham-pieng. Descendant d’une famille
de mandarins militaires, il habitait le village de
Nap-heun-moi, au district de Tek-san, et ne fut
instruit du christianisme qu’à l’âge de vingtquatre
ans. L’aîné de trois frères, et chargé de la conduite
de la maison, il comprit de suite que, dans son propre
pays, au milieu de ses nombreux parents païens, le
culte des tablettes et les autres superstitions lui
seraient un grand empêchement dans le service de Dieu.
Il en sortit donc avec toute sa famille et se retira
dans les montagnes, afin de pouvoir observer librement
les préceptes de l’Evangile. Son petit avoir fut en
peu d’années complètement épuisé, et toute la famille
eut à souffrir de la faim et du froid. Aussi son père,
demeuré païen, ne cessait de le quereller, de
l’injurier, et de maudire cette religion qui les avait
tous plongés dans la misère. Pour obtenir sa
conversion, Jean-Baptiste — 318 — multipliait
ses prières et ses exercices de pénitence. Après plus
de dix ans, ses efforts furent enfin couronnés de
succès, et son père se fit chrétien deux ans avant sa
mort. Obligé d’émigrer plusieurs fois, Jean-Baptiste
s’était enfin établi au district de Ho-san, province
de Tsien-la, où il avait pour principale occupation de
secourir les malades et les indigents, et dans les
années de famine, de donner la sépulture aux morts
abandonnes sur les routes. C’est
dans l’exercice de ces bonnes oeuvres qu’il fut
arrêté, le 23 de la troisième lune, par les satellites
de Tsien-tsiou. Bientôt ses deux frères et tous les
membres de sa famille, au nombre de treize, furent
saisis et consignés, les uns à la prison, les autres
chez des particuliers sous caution. Jean-Baptiste
comparut au tribunal de Tsien-tsiou. « Qu’as-tu fait
de tes tablettes? » lui dil le mandarin. — Je les ai
enterrées. — Tu n’honores donc pas tes ancêtres? — Je
puis bien honorer mes parents, mais un morceau de bois
coupé sur la montagne peut-il devenir jamais mon père
et ma mère? » — On lui demanda ensuite diverses
dénonciations, et sur son refus, on lui fit subir
l’écartement des os des bras plus de dix fois de
suite; ses bras furent brisés, il perdit connaissance,
et on le reporta en prison la cangue au cou. Trois
jours après, cité de nouveau, il fut encore sommé de
faire des dénonciations et reçut plus de trois cents
coups de bâton. Huit ou dix interrogatoires se
succédèrent ainsi, et à chaque fois on lui infligeait
de nouveaux supplices. A la fin, le gouverneur lui dit
: « Puisque tu violes la loi du royaume et restes
entêté dans tes idées, périrais-tu dix mille fois, tu
n’es pas digne de compassion. » Jean-Baptiste était
décidé à mourir. On n’a pas cependant de preuves
authentiques que sa sentence ait été prononcée. Il fut
laissé indéfiniment à la prison où, après neuf ans de
souffrances et huit mois de maladie, il mourut à l’âge
de cinquantehuit ans, le 11 de la quatrième lune de
l’année eul-mi (1835). Avec
Jean-Baptiste Ni avait été saisi le troisième de ses
frères, nommé Jean Ni Seng-sam-i. Celui-ci, dans sa
jeunesse, avait, selon le désir de ses parents, étudié
les lettres, tout en se livrant aux travaux du corps.
Aussi copiait-il beaucoup de livres religieux, qu’il
vendait ou donnait aux chrétiens. Il s’occupait en
outre de l’instruction des pauvres fidèles et, quoique
son caractère fût naturellement violent et emporté, il
avait su se dompter si bien, qu’il gagnait tous les
coeurs par la douceur et la charité de ses paroles.
Arrêté en 1827, il avait déjà subi de nombreux
supplices devant le juge criminel, quand plusieurs
prisonniers le — 319 — dénoncèrent
comme le copiste des livres pris chez eux. Ce nouveau
chef d’accusation devint pour lui la cause de bien des
embarras et des souffrances. Traité dès lors comme
chef des chrétiens, il fut mis un grand nombre de fois
à la question, et eut à supporter des tortures si
atroces, qu’il en mourut dans la prison, le 14 de la
neuvième lune de cette même année, à l’âge de
trente-trois ans. Avec lui
se trouvaient emprisonnés quatre autres confesseurs
dont le martyre commença à cette époque, pour ne se
terminer que treize ans plus tard. C’étaient Paul
Tsieng, Job Ni, Pierre Ri m et Pierre Ni, tous
originaires de la fameuse plaine du Nai-po, berceau et
centre de la chrétienté coréenne. Paul
Tsieng, dont le nom légal était Man-po, mais qui est
plus connu sous son nom d’enfant : T’ai-pong, était du
district de Teksan, et cousin issu de germain de
Pierre Tsieng, martyr en 1801. Ayant perdu de bonne
heure son père et sa mère, il fut élevé chez un parent
assez éloigné, et, comme il arrive fréquemment en
pareilles circonstances, fut traité en véritable
esclave. Son caractère, naturellement doux et
complaisant, lui fit supporter avec patience et
résignation ces premières épreuves. Plus tard,
lorsqu’il put se suffire à lui-même, il quitta le
Nai-po, et se retira au district de Liong-tan, dans la
province de Tsien-la. Il y demeurait depuis trois ans,
lorsque s’éleva la persécution de 1827. Paul avait
toujours été un chrétien zélé, faisant tous ses
efforts pour accomplir exactement ses devoirs, et si
avide d’instruction que, quand il ouvrait un livre de
religion, il ne pouvait le fermer qu’après l’avoir lu
fout entier. Il sentait en son coeur un grand désir du
martyre et, de temps en temps, plaçant un billot sous
son menton, il disait : « Si je recevais le coup de
sabre dans cette position, peut-être pourrais-je
sauver mon âme.» Toutefois, pour ne pas agir avec trop
de témérité, il se cacha d’abord. Mais comme il
revenait très-souvent dans sa maison, il y fut
rencontré un jour par les satellites, qui se
présentaient avec un mandat d’arrêt lancé par le
tribunal sur la dénonciation d’un apostat. Ce mandat
portait un autre nom que le sien, et il eût été facile
à Paul de s’esquiver ; mais il n’eut garde de manquer
l’occasion favorable, et suivit les satellites à la
préfecture de Liong-tan. Après un interrogatoire,
suivi de la bastonnade sur les jambes, on l’envoya à
Tsien-tsiou, chef-lieu de la province. Là, il eut à
subir par deux fois les supplices de l’écartement des
os et de la puncture des bâtons, et le mandarin voyant
qu’il ne pourrait obtenir de lui ni apostasie ni
dénonciation, le laissa en prison jusqu’à nouvel
ordre. — 320 — Job Ni
Il-en-i surnommé T’ai-moun-i, plus connu sous le nom
de Ni d’An-ei, était du village de Tai-pol, au
district de Hong-tsiou. Il fut instruit de la religion
par ses parents, et la pratiquait déjà avant la
persécution de 1801. A cette époque il fut pris et,
après une détention dont on ignore la durée et les
détails, exilé à An-ei, province de Kieng-siang.
Arrivé au lieu de son exil, mal vu du mandarin et des
prétoriens, il fut enfermé dans la prison, ce qui n’a
pas lieu ordinairement pour les exilés. De plus, on ne
lui donnait à manger qu’une fois par jour, quelquefois
même tous les deux jours seulement, et on alla jusqu’à
lui refuser le feu et l’eau. Job demeura ainsi
renfermé dans la prison pendant dix ans, exposé à
toutes sortes d’avanies et de mauvais traitements.
Mais en véritable chrétien, il semblait ne pas
entendre les injures, ne pas ressentir les outrages.
Son inaltérable résignation parvint à gagner les
esprits prévenus, les geôliers devinrent peu à peu
moins cruels envers lui et, à la fin, on lui permit
d’aller se loger sous caution dans une maison
particulière. En 1815,
sa femme put venir le rejoindre au lieu de son exil,
et ils vécurent ensemble à An-ei, jusqu’à la cinquième
lune de l’année 1826. Job fut mis alors en liberté, et
vint s’établir au village de T’ai-p’an, au district
d’Im-sil, province de Tsien-la. Il y était à peine
installé quand surgit la persécution de 1827. Sa femme
l’engageait à fuir, mais il ne semblait pas entendre
ses paroles. Un jour qu’il avait disparu, on le
chercha partout, et enfin on le rencontra seul dans un
lieu retiré, assis et pleurant à chaudes larmes.
Interrogé sur la cause de ses pleurs, il répondit : «
Autrefois j’ai manqué une belle occasion d’être
martyr, et je regrette vivement de m’être laissé
envoyer en exil. Maintenant n’est-il pas bien triste
pour moi d’être dans un lieu retiré et de n’avoir
aucune chance de donner ma vie pour Dieu? » Ses
soupirs étaient sans doule montés jusqu’au Ciel, car,
trois jours après, les satellites de Tsien-tsiou
vinrent inopinément l’arrêter. Il les suivit plein de
joie. Dès le premier interrogatoire, le juge criminel
ayant connu ses antécédents, le fit battre plus
cruellement que de coutume ; et, quelques jours après,
le voyant déterminé, prononça la sentence de mort. Job
était petit et avait une chétive apparence. Mais sa
constance et sa fermeté dans les supplices le firent
bientôt remarquer de tous les gens du prétoire, et ils
se disaient : « Nous l’avions mal jugé sur la mine.
Cet homme-là est un vrai chef de chrétiens. » Job fut
donc laissé à la prison en attendant l’exécution. Pierre
Kim Tai-koan-i était d’une famille originaire de Sou-
tani, — 321 — au
district de T’sieng-iang, laquelle avait émigré à
T’siengna-tong, district de Po-rieng. Frère aîné de
Jacques Kim martyr en 1816, il avait été instruit de
la religion dès l’enfance, mais ne la pratiquait
guère, et ce ne fut qu’après la mort de ses parents,
que par une grâce spéciale de Dieu, il devint plus
exact à tous ses devoirs religieux. Voici comment.
S’étant établi au district de Kong-tsiou, où il
travaillait dans une fabrique de poterie, il avait de
très-fréquents démêlés avec sa femme. Un jour qu’ils
s’étaient mis en une furieuse colère l’un contre
l’autre, Pierre alla dormir dans la chambre
intérieure, tandis que sa femme resta à la cuisine
pour se livrer au repos. Pierre était dans son premier
sommeil, lorsque, croyant entendre la voix de Dieu qui
l’appelait, il se leva en sursaut, et vit un tigre
emportant sa femme dans la gueule. Aussitôt il
poursuivit l’animal, en poussant de grands cris, et
parvint, à lui arracher sa victime ; elle avait à la
jambe une large blessure. Le lendemain il lui dit : «
Cet accident est arrivé à cause de nos discordes, mais
puisque Dieu a permis que tu aies la vie sauve, il
faut d’abord l’en remercier, puis, profiter de notre
mieux de cette leçon sévère, nous corriger, pratiquer
lé bien, et jusqu’à la mort vivre en bonne
intelligence. » Ils gardèrent leur résolution, et dès
ce moment vécurent tous deux dans la plus grande
concorde. Chaque
dimanche, Pierre exhortait et instruisait
non-seulement sa famille, mais tous les gens du
village. A la fête de Noël, il ne manquait pas d’aller
sur quelqu’une des montagnes voisines, et prenant avec
lui l’Evangile et quelques autres livres, il passait
la nuit dans les exercices de piété. Un jour qu’il
était en oraison sur une de ces montagnes, un gros
tigre vint se placer vis-à-vis de lui et se mit à
pousser des rugissements. Pierre, sans trop
s’effrayer, resta où il était, fit toutes ses prières
à l’ordinaire, puis le jour venant à paraître,
descendit tranquillement à sa maison, pendant que le
tigre regagnait son repaire. Durant le carême, Pierre
était plus assidu que jamais à la prière et à la
méditation ; il ne faisait alors qu’un repas, ne
prenait qu’une demi-écuelle de riz, qu’il mangeait
avec de l’eau froide, sans autre assaisonnement qu’un
peu de sel; sa vigueur corporelle n’était en rien
altérée par cette mortification extraordinaire. Il
avait dans le coeur un vrai désir du martyre, et,
après l’exécution de son frère cadet en 1816, ayant
rapporté le billot sur lequel on lui avait tranché la
tête, il se le plaçait souvent sous le menton, pendant
la nuit, pour penser plus efficacement à la mort.
Pierre avait émigré au district de Ko-san. Quand il
apprit, — 322 — en
1827, que la persécution venait d’éclater, il engagea
les autres à fuir pour l’éviter, mais lui-même
attendit en paix que Dieu manifestât sa volonté. Une
bande de plus de cent satellites (1) cerna bientôt le
village où il se trouvait, et se rua sur les pauvres
chrétiens. Pierre, sans s’effrayer, alla en riant à
leur rencontre, et aussitôt, lié de la corde rouge
comme les grands criminels, fut conduit par eux au
tribunal de Ko-san. Il semblait se rendre à un festin.
« Suis-tu cette mauvaise religion? lui demanda le
mandarin. — Je ne suis point de mauvaise religion,
mais j’adore seulement le vrai Dieu du ciel et de la
terre. » On le fit mettre à la cangue, et on l’envoya
au juge criminel de Tsien-tsiou, qui lui dit : « Toi
aussi, tu es de cette mauvaise secte prohibée par le
roi et les mandarins; si tu renies Dieu, je te
relâche, toi et tes enfants, sinon, tu seras mis à
mort. » Pierre fit alors, à haute et intelligible
voix, cette admirable réponse qui a été rapportée par
des témoins oculaires de son procès : « Dussé-je
mourir sous les coups, je ne puis renier mon Dieu. Ces
sentiments ont pénétré ma chair et mes os. Me
coupât-on les membres, chaque morceau en resterait
imprégné ; me broyât-on les os, chaque fragment les
conserverait intacts ; non, dix mille fois non, je ne
puis renier mon Dieu. » Pierre ne
redoutait pas plus ses juges qu’il n’avait autrefois
redouté les tigres. Le mandarin, furieux de l’entendre
ainsi parler, le fit dépouiller de ses vêtements et
battre de verges, aussi violemment que possible.
Pendant que le sang ruisselait de son corps, Pierre
invoquait avec ferveur les saints noms de Jésus et de
Marie, et conservait un visage souriant et joyeux. De
là, il fut transporté dans une chambre voisine, où il
eut à subir de la part des satellites et valets des
supplices plus cruels encore ; mais sa résolution
resta inébranlable. Le lendemain, il comparut de
nouveau devant le juge qui lui demanda ses livres de
religion, et le somma de dénoncer ses complices. Sur
sa réponse négative, on lui fit subir par trois fois
la puncture des bâtons. Pendant celle affreuse
torture, Pierre perdit connaissance, et fut reporté à
la prison. Il reprit peu à peu ses sens et, voyant
tout son corps (1) On
s’étonnera peut-être de voir ainsi de tous côtés des
satellites sans nombre. Il est certain qu’il y en a
énormément dans le pays. D’ailleurs, on donne
habituellement ce nom à tous ceux qui les suivent, car
les satellites proprement dits ont souvent sous leurs
ordres, chacun deux, trois ou quatre valets qui les
accompagnent. Il y a en outre d’autres gens que l’on
recrute en cas de besoin, pour courir de côté et
d’autre, à peu près comme on louerait des hommes de
journée. — 323 — brisé,
il dit : « Pourrai-je bien par là payer la
dix-millième partie des bienfaits de Dieu? » puis,
versant d’abondantes larmes de contrition et de
reconnaissance, il se disposa tranquillement à mourir.
On fit venir son fils arrêté comme lui, et lui mettant
un couteau sur la gorge devant le père, on menaça
celui-ci de trancher la tête de son enfant s’il
n’apostasiait pas immédiatement. Pierre répondit : «
Si mon fils a la tête coupée pour une pareille cause,
ce sera une grande gloire pour lui et pour moi ; non,
je n’apostasierai pas. » Le fils fut envoyé en exil. Après de
nouvelles tentatives aussi inutiles que les premières,
le juge lui fit infliger, à diverses reprises, le
supplice de l’écartement des os, puis l’envoya au
gouverneur. Celui-ci, entouré de quatre-vingts valets,
tous le bâton à la main, le soumit, ce jour-là et le
lendemain, à de nouveaux interrogatoires. Au milieu
des tortures, Pierre conserva la même fermeté, le même
air tranquille, et invoquant toujours le Seigneur ; il
disait : « Comment faire pour payer, au moins d’une
épaisseur de cheveu, les bienfaits de la Passion de
Jésus-Christ? » Le mandarin, désespérant de le faire
fléchir, le renvoya à la prison avec les autres
confesseurs. Pierre Ni
Seng-hoa, dont la famille et les antécédents sont déjà
connus, avait continué, malgré ses premières
faiblesses, à vivre dans la pratique exacte de la
Religion. Quand s’éleva la persécution de 1827, il eût
bien voulu prendre la fuite, mais toutes les routes
étaient gardées si soigneusement, qu’il ne savait pas
où se réfugier ; d’ailleurs, avec sa vieille mère, sa
femme et ses jeunes enfants, il lui était à peu près
impossible de se mettre en chemin. Il se décida donc à
attendre les ordres de Dieu et se contenta de faire
évader son frère cadet à travers les montagnes. Les
satellites ne tardèrent pas à se présenter, et le
conduisirent devant le juge criminel, à Tsien-tsiou.
C’était pour la troisième fois qu’il tombait entre les
mains des persécuteurs. Après les interrogatoires
ordinaires, il eut à supporter de nouveaux et plus
terribles supplices, par suite de la dénonciation de
quelques chrétiens qui déclarèrent avoir été instruits
par lui, et avoir reçu des livres copiés de sa main.
Il ne paraît pas qu’il ait apostasie, mais il avoua
depuis qu’il avait eu la faiblesse, au milieu des
supplices, de promettre de donner quelques livres, et
de dénoncer un chrétien. Malgré cette tache dont on ne
peut le laver, il se montra inébranlable dans tout le
cours du procès, soit en présence du juge criminel,
soit, par-devant le gouverneur, et mérita d’entendre
de la bouche de ce dernier ces paroles : « Cet — 324 — être-là
continuant de parler et d’agir ainsi, il est
impossible de le laisser vivre. » Reconduit à la
prison, il y resta avec les autres confesseurs, dans
l’attente du dénouement. Nous
devons noter ici que ces quatre derniers confesseurs,
ainsi que les précédents, et ainsi que Pierre Sin dont
nous parlerons bientôt, ont été vaguement accusés
d’avoir, dans le commencement de leur procès, laissé
échapper quelques paroles d’apostasie. Nous venons de
dire ce qu’il en est pour Pierre Ni Seng-hoa. Pour les
autres, l’accusation, très-improbable en elle-même,
est positivement niée par divers témoins oculaires.
D’ailleurs ils se sont toujours montrés résolus à
mourir, jusqu’à signer à trois reprises leur sentence,
et, pendant treize ans de captivité, ils ont
constamment refusé de racheter leur vie par
l’apostasie. |