I. Géographie physique de la Corée.
— Sol. — Climat. — Productions. — Population.
Le royaume de Corée, au nord-est
de l’Asie, se compose d’une presqu’île de forme
oblongue, et d’un nombre d’îles très-considérable,
surtout le long de la côte ouest. L’ensemble est
compris entre 33° 15’ et 42° 25’ de latitude nord;
122° 15’ et 128° 30’ de longitude est de Paris. Les
habitants de la presqu’île lui assignent une longueur
approximative de 3,000 lys [(1) Le ly est de 360 pas
géométriques, — 567 mètres. Dix lys équivalent à la
lieue marine ou géographique de vingt au degré.],
environ 300 lieues, et une largeur de 1,300 lys, ou
130 lieues; mais ces chiffres sont évidemment
exagérés. La Corée est bornée au nord par la chaîne
des montagnes Chan-yan-alin, que domine le Paiktou-san
(montagne à la tête blanche), et par les deux grands
fleuves qui prennent leur source dans les flancs
opposés de cette chaîne. Le Ya-lou-kiang (en coréen
Am-no-kang, fleuve du canard vert) coule vers l’ouest
et se jette dans la mer Jaune; il forme la frontière
naturelle entre la Corée et les pays chinois du
Léao-tong et de la Mandchourie. Le Mi-kiang (en coréen
Touman-kang) qui va se jeter à l’est dans la mer du
Japon, sépare la Corée de la Mandchourie et des
nouveaux territoires russes, cédés par la Chine en
novembre 1860. — Les autres limites sont : à l’ouest
et au sud-ouest, la mer Jaune; à Test, la mer du
Japon; et au sud-est, le détroit de Corée, d’une
largeur moyenne de vingt-cinq lieues, qui sépare la
presqu’île coréenne des îles Japonaises. Le
nom de Corée vient du mot chinois Kao-li, que les
Coréens prononcent Kô-rie et les Japonais Kô-raï.
C’était le nom du royaume sous la dynastie précédente;
mais la dynastie actuelle, qui date de l'année im-sin,
1392 de notre ère, changea ce nom et adopta la
dénomination de Tsio-sien (Tchao-sien), qui est
aujourd’hui le nom officiel du pays. La signification
même du mot Tsio-sien, sérénité du matin, montre que
ce nom vient des Chinois, pour qui la Corée est, en
effet, le pays du matin. Quelquefois aussi, dans les
livres chinois, la Corée est désignée par le mot
Tong-koué, royaume de l’Orient. Les Tartares Mandchoux
la nomment Sol-ho. Cette
contrée, inconnue en Europe avant le xvie
siècle, figure comme une île dans les premières cartes
hollandaises. Vers la fin du XVIIe siècle,
l’empereur chinois Kang-hi essaya vainement d’obtenir
du roi de Corée les documents géographiques
nécessaires pour compléter la grande carte de
l’empire, à laquelle travaillaient alors les
missionnaires de Péking. Ses ambassadeurs furent reçus
avec la pompe voulue; on leur prodigua les
protestations et les offres de services, mais ils ne
rapportèrent en réalité qu’un plan très-incomplet
qu’ils avaient vu dans le palais du roi, à Séoul. Ce
fut d’après cette carte, et les données nécessairement
imparfaites des livres chinois, que le P. Régis et ses
collègues tracèrent la description de la Corée que
l’on trouve dans l’atlas de Duhalde, et que les livres
postérieurs se sont contentés d’abréger ou de
reproduire. En
1845, le vénérable martyr André Kim, prêtre coréen,
copia lui-même une carte, sur les plans officiels
conservés dans les archives du gouvernement à Séoul.
Celle que nous donnons en tête de cet ouvrage a été
dressée, pour le littoral, d’après les cartes du dépôt
de la marine, et pour l’intérieur du pays, d’après une
carte indigène assez récente, traduite par Mgr Ridel,
vicaire apostolique de Corée. La
Corée est un pays de montagnes. Une grande chaîne,
partant des Chan-yan-alin dans la Mandchourie, se
dirige du nord au sud, en suivant le rivage de l’est
dont elle détermine les contours, et les ramifications
de cette chaîne couvrent le pays presque tout entier.
« En quelque lieu que vous posiez le pied, écrivait un
missionnaire, vous ne voyez que des montagnes. Presque
partout, vous semblez être emprisonné entre les
rochers, resserré entre les flancs de collines, tantôt
nues, tantôt couvertes de pins sauvages, tantôt
embarrassées de broussailles ou couronnées de forêts.
Tout d’abord, vous n’apercevez aucune issue; mais
cherchez bien, et vous finirez par découvrir les
traces de quelque étroit sentier, qui, après une
marche plus ou moins longue et toujours pénible, vous
conduira sur un sommet d’où vous découvrirez l’horizon
le plus accidenté. Vous avez quelquefois, du haut d’un
navire, contemplé la mer, alors qu’une forte brise
soulève les flots en une infinité de petits monticules
aux formes variées.. C’est en petit le spectacle qui
s’offre ici à vos regards. Vous apercevez dans toutes
les directions des milliers de pics aux pointes
aiguës, d’énormes cônes arrondis, des rochers
inaccessibles, et plus loin, aux limites de l’horizon,
d’autres montagnes plus hautes encore, et c’est ainsi
dans presque tout le pays. La seule exception est un
district qui s’avance dans la mer de l’Ouest, et se
nomme la plaine du Naï-po. Mais par ce mot de plaine,
n’allez pas entendre une surface unie et étendue comme
nos belles plaines de France, c’est simplement un
endroit où les montagnes sont beaucoup moins hautes,
et beaucoup plus espacées que dans le reste du
royaume. Les vallées plus larges laissent un plus
grand espace pour la culture du riz. Le sol,
d’ailleurs fertile, y est coupé d’un grand nombre de
canaux, et ses produits sont si abondants que le
Naï-po est appelé le grenier de la capitale. » Les
forêts sont nombreuses en Corée, mais c’est dans les
provinces septentrionales que l’on trouve les plus
belles. Les bois de construction de différentes
espèces y abondent, les pins et sapins surtout. Ces
derniers étant les plus employés, parce qu’ils sont
très-faciles à travailler, le gouvernement veille à
leur conservation, et afin que chaque village ait
toujours à sa portée les arbres nécessaires, les
mandarins sont chargés d’en surveiller l’exploitation,
et d’empêcher qu’on n’en coupe un trop grand nombre à
la fois. Il
semble certain que les montagnes recèlent des mines
abondantes d’or, d’argent et de cuivre. On assure
qu’en beaucoup d’endroits, dans les provinces
septentrionales surtout, il suffit de remuer un peu la
terre pour rencontrer l’or, et qu’il se trouve en
paillettes dans le sable de certaines rivières. Mais
l’exploitation des mines est défendue par la loi sous
des peines si sévères, que l’on n’ose pas le ramasser,
parce qu’il serait à peu près impossible de le vendre.
Quelle est la véritable cause de cette prohibition ?
Les uns disent que cela tient au système de tout temps
suivi par le gouvernement coréen, de faire passer le
pays pour aussi petit et aussi pauvre que possible,
afin de décourager l’ambition de ses puissants
voisins. D’autres croient que l’on redoute les
soulèvements et les troubles qu’amènerait
infailliblement la concentration d’un grand nombre
d’ouvriers dans des pays éloignés de la capitale, et
où l’action de l’autorité est presque nulle. Le
complot de 1811 se forma, dit-on, dans une de ces
réunions. Quoi qu’il en soit, la loi est strictement
observée, et la seule exception que l’on connaisse est
la permission accordée, il y a vingt-cinq ans,
d’exploiter pendant quelques mois les mines d’argent
de Sioun-beng-fou, dans la province de Kieng-sang. Le
cuivre de Corée est d’une excellente qualité, mais on
ne l’emploie point, et c’est du Japon que vient celui
qui sert dans le pays. Le minerai de fer est si
commun, dans certains districts, qu’après les grandes
pluies il suffit de se baisser pour le ramasser.
Chacun en fait provision à son gré. Les
silex (pierres à fusil) ne se trouvent guère que dans
la province de Hoang-haï, et encore sont-ils d’une
qualité tout à fait grossière. On fait venir de Chine
ceux dont on se sert habituellement. Le
climat de la Corée n’est point ce que l’on nomme un
climat tempéré. Comme dans tous les pays de l’extrême
Orient, il y fait beaucoup plus froid en hiver, et
beaucoup plus chaud en été, que dans les contrées
européennes correspondantes. Dans le nord, le
Tou-man-kang est gelé pendant six mois de l’année, et
le sud de la presqu’île, quoique sous la même latitude
que Malte ou la Sicile, reste longtemps couvert de
neiges épaisses. Par 35° de latitude, les
missionnaires n’ont pas vu descendre le thermomètre
au-dessous de -15” centigrades, mais par 37° 30’ ou
38°, ils ont trouvé souvent -25°. Le
printemps et l’automne sont généralement fort beaux.
L’été, au contraire, est l’époque des pluies
torrentielles qui souvent interceptent, pendant
plusieurs jours, toute espèce de communications. Dans
les vallées, pour peu que le terrain soit favorable,
on plante du riz, et l’immense quantité de ruisseaux
ou petites rivières qui descendent des montagnes,
donne la facilité de former les étangs nécessaires à
cette culture. Jamais on ne laisse reposer les terres
ainsi arrosées; elles sont toujours en rapport.
Ailleurs, on sème du blé, du seigle ou du millet. Les
instruments aratoires sont aussi simples et aussi
primitifs que possible. Le bœuf est seul employé à la
charrue; on n’a jamais recours au cheval, et un jour
qu’un missionnaire engageait des chrétiens à se servir
de sa monture, ce fut un éclat de rire général,
absolument comme si en France on proposait de labourer
avec des chiens. Du reste, le cheval ne vivrait pas en
travaillant dans les rizières, parce qu’elles sont
constamment inondées. Outre le fumier et les autres
engrais animaux que l’on recueille très-soigneusement,
on emploie, pour la culture, les cendres dont chaque
maison coréenne est riche, car le bois n’est pas cher,
et on en consume prodigieusement pendant l’hiver. De
plus, au printemps, quand les arbres commencent à se
couvrir de feuilles, on coupe les branches
inférieures, et on les répand sur les champs où on les
laisse pourrir. Après les semailles, pour empêcher les
oiseaux de manger les grains, et pour protéger les
jeunes tiges contre les chaleurs excessives qui les
dessécheraient sur pied, on recouvre les champs
d’autres branches que l’on enlève plus tard, quand la
plante est assez forte. Le
manque de chemins et de moyens de transport, dans ce
pays montagneux, empêche absolument toute grande
culture. Chacun cultive seulement le terrain qui est
autour de sa maison et à sa portée. Aussi les gros
villages sont rares, et la population des campagnes
est disséminée en hameaux de trois ou quatre maisons,
dix à douze au plus. La récolte habituelle suffit à
peine aux besoins des habitants, et les famines sont
fréquentes en Corée. Pour la classe la plus pauvre de
la population, on peut dire qu’elles sont périodiques
à deux époques de l’année : d’abord au printemps,
quand on attend la récolte du seigle qui se fait en
juin ou juillet, puis avant la récolte du millet, en
septembre ou octobre. L’argent ne se prêtant qu’à un
taux très-élevé, les malheureux dont les petites
provisions sont épuisées ne peuvent aller acheter du
riz ou d’autres grains, et n’ont pour vivre que
quelques herbes cuites dans l’eau salée. Outre
le riz, le blé, le seigle et le millet, les
principales productions du pays sont : des légumes de
toute espèce mais très-fades, le coton, le tabac, et
diverses plantes fibreuses propres à confectionner de
la toile. Le tabac a été introduit en Corée par les
Japonais, vers la fin du xviè siècle. La
plante à coton vient de Chine. Il y a cinq cents ans,
dit-on, elle était inconnue en Corée, et les Chinois
prenaient toutes les précautions possibles pour
empêcher l’exportation des graines, afin de vendre aux
Coréens des tissus de leurs fabriques. Mais un jour,
un des membres de l’ambassade annuelle réussit à se
procurer trois graines, qu’il cacha dans un tuyau de
plume, et dota son pays de ce précieux arbrisseau. La
plante à coton périt chaque année, après la récolte;
on la sème de nouveau au printemps, comme le blé et
dans les mêmes terrains. Quand le germe est sorti de
terre, on arrache un grand nombre de pieds, afin que
ceux qui restent soient à la distance d’une dizaine de
pouces; on relève un peu la terre autour de chaque
tige; on a soin d’enlever constamment les herbes
parasites, et, en septembre, on obtient une assez
belle récolte. La pomme de terre, introduite à une
époque récente, n’est presque pas connue des Coréens.
La culture en est interdite par le gouvernement; on ne
sait pourquoi. |Les chrétiens seuls en font pousser
quelques-unes en cachette, afin de pouvoir offrir des
légumes européens aux missionnaires, lorsqu’ils
viennent visiter leurs villages. Ce
sont les chrétiens qui, les premiers en Corée, ont
cultivé les montagnes. Repoussés par la persécution
dans les coins les plus écartés, ils ont défriché pour
ne pas mourir de faim, et l’expérience de quelques
années leur a enseigné le système de culture le plus
convenable à ce genre de terrain. Les païens, étonnés
du succès de leurs tentatives, les ont imités, et
aujourd’hui beaucoup de montagnes sont cultivées. Le
tabac est la principale récolte de ces lieux élevés;
le millet y réussit assez bien, ainsi que le chanvre
et certaines espèces de légumes, mais le coton n’a pu
encore y être acclimaté. Ce genre de culture qui
demande beaucoup plus de travail que celui de la
plaine, offre en échange de grands avantages aux
laboureurs pauvres. Les impôts sont moins élevés; le
bois, l’herbe, les fruits sauvages, sont en abondance
sous la main. Le gros navet, dont il se fait une
consommation considérable, vient très-bien au milieu
des plantations de tabac et fournit une ressource
précieuse. Malheureusement, la terre s’épuise assez
vite, et tandis que dans les vallées on ne voit jamais
de champs en jachère, il faut, sur les montagnes,
après quelque temps, laisser reposer le terrain
pendant plusieurs années; encore ne retrouve-t-il
presque jamais la même force productive qu’il avait
après le premier défrichement. Les
fruits sont abondants en Corée; on y retrouve presque
tous ceux de France, mais quelle différence pour le
goût ! Sous l’influence des pluies continuelles de
l’été, pommes, poires, prunes, fraises, mûres,
raisins, melons, etc., tout est insipide et aqueux.
Les raisins ont un suc désagréable; les framboises ont
moins de saveur que les mûres sauvages de nos haies;
les fraises, très-belles à la vue, sont immangeables;
les pêches ne sont que des avortons véreux, etc. On
mange beaucoup de cornichons et de pastèques ou melons
d’eau, qui sont peut-être le seul fruit passable que
produise le pays. Quelques missionnaires font une
autre exception en faveur du fruit du lotus diospyros,
que l’on désigne en France par son nom Japonais : kaki
(le nom coréen est kam). Pour la couleur, la forme et
la consistance, ce fruit ressemble assez à une tomate
mûre. Le goût rappelle celui de la nèfle, mais lui est
bien supérieur. Les
fleurs sont très-nombreuses. Pendant la saison, les
champs sont émaillés de primevères de Chine, de lis de
différentes espèces, de pivoines et d’autres espèces
inconnues en Europe. Mais, à part l’églantine, dont le
feuillage est très-élégant, et le muguet qui ressemble
à celui d’Europe, toutes ces fleurs sont inodores, ou
d’un parfum désagréable. On
cultive aussi le gen-seng, mais il est extrêmement
inférieur en qualité au gen-seng sauvage de la
Tartarie. Cette plante fameuse est, au dire des
habitants de l’extrême Orient, le premier tonique de
l’univers. Ses effets sont bien supérieurs à ceux du
quinquina. D’après les Chinois, le meilleur gen-seng
est le plus vieux; il doit être sauvage, et dans ce
cas il se vend au prix exorbitant de 50,000 francs la
livre. La racine seule est en usage, on la coupe en
morceaux que l’on fait infuser dans du vin blanc
pendant un mois au moins. On prend ce vin à
très-petites doses. Il n’est pas rare de voir des
malades à l’article de là mort, qui, au moyen de ce
remède, parviennent à prolonger leur vie de quelques
jours. Le gen-seng cultivé abonde dans les diverses
provinces de Corée. On le joint à d’autres drogues
pour fortifier le malade, mais on ne l’emploie presque
jamais seul. Depuis quelques années, son prix a
doublé, à cause de lu quantité considérable que l’on
fait passer en Chine par contrebande, car les
habitants du Céleste-Empire en font encore plus grand
usage que les Coréens. Le gen-seng, essayé à diverses
reprises par les Européens, leur a, dit-on, causé le
plus souvent des maladies inflammatoires très-graves;
peut-être en avaient-ils pris de trop fortes doses;
peut-être aussi faut-il attribuer cet insuccès à la
différence des tempéraments et de l’alimentation
habituelle. Les
animaux sauvages, tigres, ours, sangliers, sont
très-nombreux en Corée, les tigres surtout, qui,
chaque année, font beaucoup de victimes. Ils sont
d’une petite espèce. On trouve aussi quantité de
faisans, de poules d’eau et d’autre gibier. Les
animaux domestiques sont généralement d’une race
inférieure. Les chevaux quoique très-petits, sont
assez vigoureux. Les bœufs sont de taille ordinaire.
Il y a énormément de porcs et de chiens, mais ces
derniers sont peureux à l’excès, et ne servent guère
que comme viande de boucherie. On assure que la chair
du chien est très-délicate; quoi qu’il en soit, c’est
en Corée un mets des plus distingués. Le gouvernement
défend d’élever des moutons et des chèvres; le roi
seul a ce privilège. Les moutons lui servent pour les
sacrifices des ancêtres; les chèvres sont réservées
pour les sacrifices à Confucius. Il
est impossible de parler du règne animal en Corée sans
mentionner les insectes et la vermine de toute espèce,
poux, puces, punaises, cancrelats, etc., qui, pendant
l’été surtout, rendent si pénible aux étrangers le
séjour dans ce pays. Tous les missionnaires
s’accordent à y voir une véritable plaie d’Egypte. En
certaines localités, il est physiquement impossible de
dormir à l’intérieur des maisons pendant les chaleurs,
à cause des cancrelats, et les habitants préfèrent
coucher au grand air, malgré le voisinage des tigres.
Le cancrelat ronge la superficie de la peau, et y fait
une plaie plus gênante et plus longue à guérir qu’une
écorchure ordinaire. Ces animaux, beaucoup plus gros
que les hannetons, se multiplient avec une rapidité
prodigieuse, et le proverbe coréen dit : “Quand une
femelle de cancrelat ne fait que quatre-vingt-dix-neuf
petits en une nuit, elle a perdu son temps.” Le
climat de la Corée est assez sain, mais l’eau,
insipide partout, est, dans plusieurs provinces, la
cause d’une foule de maladies. Le plus généralement,
ce sont des fièvres intermittentes qui durent
plusieurs années. Quelquefois, comme dans la province
de Kieng-sang, l’une des plus fertiles, l’eau cause
des scrofules, des accidents nerveux, l’enflure
démesurée d’une des jambes, rarement des deux à la
fois. Dans certains districts de cette même province,
elle produit une vieillesse prématurée; les dents
tombent, les jambes s’affaiblissent, les ongles des
doigts se décharnent et arrivent à couvrir presque
toute la première phalange. Les Coréens nomment cette
maladie southo, c’est-à-dire mal causé par l’eau et le
terrain; en ce sens que l’eau agit non seulement d’une
manière directe comme boisson, mais aussi en rendant
malsains et dangereux les fruits et légumes qui
ailleurs sont utiles ou au moins inoffensifs. Certaines
maladies
sont en Corée de véritables fléaux, entre autres la
petite vérole. Il n’y a peut-être pas dans tout le
pays cent individus qui n’en aient été attaqués. Elle
est d’une violence extrême. Souvent, dans un district,
tous les enfants en sont pris en même temps, et ont le
corps couvert de pustules ou de croûtes dégoûtantes.
L’air en est tellement infecté, qu’on ne peut, sans
danger, demeurer dans les maisons. Ceux qui échappent
dans le bas âge sont sûrs d’être attaqués plus tard,
et alors le danger est bien plus grand. Plus de la
moitié des enfants meurent de cette maladie, et, en
certaines années, presque aucun ne survit. Un médecin
chrétien racontait un jour à Mgr Daveluy que, quelques
semaines auparavant, sur soixante-douze enfants pour
lesquels il avait donné des remèdes, deux seulement
avaient échappé à la mort. Chaque année, à la
capitale, les victimes se comptent par milliers. Parmi
les maladies qui attaquent plus particulièrement les
adultes, il faut citer une sorte de peste ou typhus,
dont les cas sont fréquents. Si l’on ne peut provoquer
la sueur, la mort est inévitable en trois ou quatre
jours. Puis, les indigestions subites qui étouffent le
malade et causent une mort instantanée, l’épilepsie
qui est très-commune, le choléra, etc. La
mortalité, on le voit, est grande en Corée, et si aux
causes énumérées ci-dessus, on joint l’abominable
pratique de l’avortement; si l’on considère que les
enfants qui perdent leur mère avant l’âge de deux ou
trois ans ne peuvent guère lui survivre, parce qu’on
ne connaît aucun moyen de les nourrir, on comprend
facilement que la population n’augmente pas dans de
grandes proportions. Les missionnaires ont remarqué
une fois que le nombre total des chrétiens était resté
à peu près stationnaire pendant dix ans, quoiqu’il y
eût eu, dans l’intervalle, mille à douze cents
conversions d’adultes, ce qui indiquerait un excédant
sensible du nombre des morts sur celui des naissances.
Mais la situation particulière des néophytes, toujours
persécutés, presque tous réduits à la misère, ne
permet pas de tirer de ce fait une conséquence
générale. Les Coréens, d’ailleurs, sont convaincus que
le chiffre de la population augmente et que leur pays
est de plus en plus peuplé, et certains faits semblent
leur donner raison. Ainsi, depuis quelques années, il
y a peu de provinces où ne s’élèvent de nouveaux
villages, peu de villages où ne se bâtissent quelques
nouvelles chaumières. Les champs et les rizières
abandonnés autrefois comme peu fertiles, sont de
toutes parts remis en culture. Sauf dans les deux
provinces septentrionales, les montagnes sont presque
partout défrichées, et les tigres refoulés de leurs
repaires deviennent beaucoup moins nombreux. Quelle
est aujourd’hui la population totale de la Corée ? il
est difficile de le savoir exactement. Les
statistiques officielles du gouvernement comptaient,
il y a trente ans, plus de un million sept cent mille
maisons et près de sept millions et demi d’habitants;
mais les listes sont faites avec tant de négligence
qu’on ne peut pas s’y fier. Il semble certain que
beaucoup d’individus ne sont pas comptés. Peut-être ne
se tromperait-on guère en estimant à dix millions le
chiffre total, ce qui donnerait une moyenne de presque
six individus par maison. Quelques géographes modernes
supposent à la Corée quinze millions d’habitants, mais
ils ne disent point sur quoi se basent leurs
conjectures évidemment très-exagérées. Les
Coréens se rattachent au type mongol, mais ils
ressemblent beaucoup plus aux Japonais qu’aux Chinois.
Ils ont généralement le teint cuivré, le nez court et
un peu épaté, les pommettes proéminentes, la tête et
la figure arrondies, les sourcils élevés. Leurs
cheveux sont noirs; il n’est pas rare cependant de
rencontrer des cheveux châtains, et même
châtain-clair. Beaucoup d’individus n’ont point de
barbe, et ceux qui en ont l’ont peu fournie. Ils sont
de taille moyenne, assez vigoureux, et résistent bien
à la fatigue. Les habitants des provinces du Nord,
voisines de la Tartarie, sont beaucoup plus robustes
et presque sauvâges. |