III. Rois. —
Princes du sang. — Eunuques du palais.
— Funérailles royales.
En
Corée, comme
chez tous les autres peuples de l’Orient, la forme de
gouvernement est la
monarchie absolue. Le roi a plein pouvoir d’user et
d’abuser de tout ce qu’il y
a dans son royaume; il jouit d’une autorité
sans limites sur les hommes, les
choses et les institutions; il a droit de vie et de
mort sur tous ses sujets
sans exception, fussent-ils ministres ou princes du
sang royal. Sa personne est
sacrée, on l’entoure de tous les respects
imaginables, on lui offre avec une
pompe religieuse les prémices de toutes les
récoltes, on lui rend des honneurs
presque divins. Bien qu’il reçoive de
l’empereur de Chine un nom propre en même
temps que l’investiture, par respect pour sa haute
dignité il est défendu sous
des peines sévères de prononcer jamais
ce nom, qui n’est employé que dans les
rapports officiels avec la cour de Péking. Ce
n’est qu’après sa mort que son
successeur lui donne un nom, sous lequel l’histoire
devra ensuite le désigner. En
présence du
roi, nul ne peut porter le voile dont la plupart des
nobles et tous les gens en
deuil se couvrent habituellement le visage; nul ne
peut porter lunettes. Jamais
on ne doit le toucher, jamais surtout le fer ne doit
approcher de son corps.
Quand le roi Tieng-tsong-tai-oang mourut, en 1800,
d’une tumeur dans le dos, il
ne vint à l’idée de personne d’employer
la lancette qui probablement l’eût
guéri, et il dut trépasser selon les
règles de l’étiquette. On cite le cas
d’un
autre roi qui souffrait horriblement d’un abcès
à la lèvre. Le médecin eut
l’heureuse
idée d’appeler un bonze pour faire devant Sa
Majesté tous les jeux, tous les
tours, toutes les grimaces possibles; le royal patient
se mit à rire à gorge
déployée, et l’abcès creva.
Jadis, assure-t-on, un prince plus sensé que
les
autres força le médecin à
pratiquer sur son bras une légère
incision; mais il
eut ensuite toutes les peines du monde à sauver
la vie de ce pauvre malheureux,
devenu ainsi coupable du crime de
lèse-majesté. Nul Coréen ne peut
se présenter
devant le roi sans être revêtu de l’habit
d’étiquette, et sans des prostrations
interminables. Tout homme à cheval est tenu de
mettre pied à terre en passant
devant le palais. Le roi ne peut se familiariser avec
aucun de ses sujets. S’il
touche quelqu’un, l’endroit devient sacré, et
on doit porter, toute la vie, un
signe ostensible, généralement un cordon
de soie rouge, en souvenir de cette
insigne faveur. Naturellement, la plupart de ces
prohibitions et de ces
formalités n’atteignent que les hommes; les
femmes peuvent entrer partout au
palais, sans que cela tire à
conséquence. L’effigie
du roi
n’est pas frappée sur les monnaies; on y met
seulement quelques caractères
chinois. On croirait faire injure au roi en
plaçant ainsi sa face sacrée sur
des objets qui passent dans les mains les plus
vulgaires, et souvent roulent à
terre, dans la poussière ou la boue. Il n’y a
de portrait du roi que celui qu’on
fait après sa mort, et qui est gardé au
palais même, avec le plus grand
respect, dans un appartement spécial. Quand les
navires français vinrent pour
la première fois en Corée, le mandarin
qui fut envoyé à bord pour se mettre en
rapport avec eux, fut horriblement scandalisé
de voir avec quelle légèreté ces
barbares d’occident traitaient la face de leur
souverain, reproduite sur les
pièces de monnaie, avec quelle insouciance ils
la mettaient entre les mains du
premier venu, sans s’inquiéter le moins’ du
monde si on lui montrerait ou non
le respect voulu. Le commandant offrit à ce
mandarin un portrait de
Louis-Philippe, mais il refusa de le recevoir.
Peut-être craignait-il d’être
puni par son gouvernement pour avoir accepté
quelque chose des barbares. Mais
il est plus probable qu’il crut voir un piège
dans cet acte de politesse. Il se
fût trouvé très-embarrassé
pour emporter ce tableau avec la pompe convenable,
et d’un autre côté, ne pas
témoigner au portrait du souverain la
déférence
requise, eût été, dans son esprit,
une insulte grave aux étrangers et une
provocation à la guerre. D’après
les
livres sacrés de la Chine, le roi s’occupe
uniquement du bien général. Il
veille à la stricte observation des lois, rend
justice à tous ses sujets,
protège le peuple contre les exactions des
grands fonctionnaires, etc., etc. De
tels rois sont rares en Corée. Le plus souvent
on a sur le trône des fainéants,
des êtres corrompus, pourris de débauche,
vieillis avant l’âge, abrutis et
incapables. Et comment en serait-il autrement pour de
malheureux princes
appelés au trône dès leur
jeunesse, dont on adore tous les caprices, à
qui
personne n’ose donner un avis, qu’une étiquette
ridicule enferme dans leur
palais, au milieu d’un sérail, dès
l’âge de douze ou quinze ans ! D’ailleurs,
en Corée, comme en d’autres pays dans des
circonstances analogues, il se
rencontre presque toujours des ministres ambitieux qui
spéculent sur les
passions du maître, et cherchent à
l’énerver par l’abus des plaisirs, afin qu’il
ne puisse se mêler des affaires du gouvernement,
et les laisse régner eux-mêmes
sous son nom. Il
est donc rare
que le roi soit capable d’administrer par
lui-même et de surveiller les
ministres et les grands dignitaires. Quand il le fait,
le peuple y gagne, car
alors les mandarins sont obligés d’être
sur leurs gardes et de remplir leur
devoir avec plus d’attention. Des émissaires
secrets rapportent au roi les cas
d’oppression, de concussion, de déni de
justice, et les coupables sont punis,
au moment où ils s’y attendent le moins, par la
disgrâce ou par l’exil. Aussi
la masse du peuple, généralement
attachée au roi, ne l’accuse pas des actes de
tyrannie et d’oppression dont elle a à
souffrir. Toute la responsabilité en
retombe sur les mandarins. Jadis il y avait au palais
une boîte appelée sinmoun-ko,
établie par le troisième roi
de la dynastie actuelle, vers le commencement du xve
siècle, pour
recevoir toutes les pétitions adressées
directement au roi. Cette boîte existe
encore, mais elle est devenue à peu près
inutile, car on ne peut y arriver qu’en
payant des sommes énormes. Aujourd’hui, ceux
qui veulent faire au roi une
demande ou réclamation s’installent aux portes
du palais et attendent que Sa
Majesté sorte. Alors ils frappent du tam-tam,
et à ce signe un valet vient
recevoir leur pétition, laquelle est remise
à un des dignitaires de la suite du
roi; mais cette pièce est presque toujours
oubliée si le pétitionnaire n’a pas
le moyen de dépenser l’argent voulu pour
s’assurer les protections nécessaires.
Un autre moyen, employé quelquefois, est
d’allumer un grand feu sur une
montagne qui se trouve près de la capitale,
vis-à-vis du palais. Le roi voit ce
feu et s’informe de ce qu’on demande. Outre
les
largesses d’usage dans les grandes circonstances, le
roi, d’après la coutume du
pays, est chargé de pourvoir à
l’entretien des pauvres. Le recensement de 1845
comptait quatre cent cinquante vieillards ayant droit
à recevoir l’aumône
royale. On donne aux octogénaires chaque
année : cinq mesures de riz, deux de
sel et trois de poisson; aux septuagénaires :
quatre mesures de riz, deux de
sel et deux de poisson. La mesure de riz dont il est
ici question suffit à la
nourriture d’un homme pendant dix jours. L’aristocratie
étant
très-puissante en Corée, il semble au
premier abord que les princes du
sang, les frères, oncles ou neveux des rois,
doivent jouir d’un grand pouvoir.
C’est tout l’opposé. Le despotisme est, par
essence, soupçonneux et jaloux de
toute influence étrangère, et jamais les
princes ne sont appelés à remplir
aucune fonction importante, ni à se mêler
des affaires. S’ils ne se tiennent
pas rigoureusement à l’écart, ils
s’exposent à être accusés, sous le
plus
frivole prétexte, de tentative de
rébellion, et ces accusations trouvent
facilement crédit. Il arrive
très-fréquemment que ces princes sont
condamnés à
mort par suite d’intrigues de cour, même quand
ils vivent dans la retraite et
le silence. Dans les soixante dernières
années, quoique la famille royale
compte très-peu de membres, trois princes ont
été ainsi exécutés. Au
reste, la
puissance royale, quoique toujours suprême en
théorie, est maintenant, en fait,
bien diminuée. Les grandes familles
aristocratiques, profitant de plusieurs
régences successives et du passage sur le
trône de deux ou trois souverains
insignifiants, ont absorbé presque toute
l’autorité. Les Coréens commencent
à
répéter que le roi ne voit rien, ne sait
rien, ne peut rien. Ils représentent
l’état
actuel des choses sous les traits d’un homme dont la
tête et les jambes sont
complètement desséchées, tandis
quela poitrine et le ventre, gonflés outre
mesure, menacent de crever au premier moment. La
tête, c’est le roi; les jambes
et les pieds représentent le peuple; la
poitrine et le ventre signifient les
grands fonctionnaires et la noblesse qui, en haut,
ruinent le roi et le
réduisent à rien, en bas, sucent le sang
du peuple. Les missionnaires ont eu en
main cette caricature, et ils disent que les
éléments de rébellion vont chaque
jour se multipliant, que le peuple, de plus en plus
pressuré, prêtera
facilement l’oreille aux premiers
révoltés qui l’appelleront au pillage,
et que
la moindre étincelle allumera infailliblement
un incendie dont il est
impossible de calculer les suites. Ce
que l’on
appelle en Corée palais royaux sont de
misérables maisons qu’un rentier
parisien un peu à son aise ne voudrait pas
habiter. Ces palais sont remplis de
femmes et d’eunuques. Outre les reines et les
concubines royales, il y a un
grand nombre de servantes que l’on appelle filles du
palais. On les ramasse de
force dans tout le pays, et une fois accaparées
pour le service de la cour,
elles doivent, sauf le cas de maladie grave ou
inguérissable, y demeurer toute
leur vie . Elles ne peuvent pas se marier, à
moins que le roi ne les prenne
pour concubines; elles sont condamnées à
une continence perpétuelle, et si l’on
prouve qu’elles y ont manqué, leur faute est
punie par l’exil, quelquefois même
par la mort. Ces sérails sont, on le pense
bien, le théâtre de désordres et
de
crimes inouïs, et c’est un fait public que ces
malheureuses servent aux
passions des princes, et que leur demeure est un
repaire de toutes les
infamies. Les
eunuques du
palais forment un corps à part; ils subissent
des examens spéciaux, et d’après
leur science ou leur adresse, avancent plus ou moins
dans les dignités qui leur
sont propres. On prétend qu’ils sont
généralement d’un esprit étroit,
d’un
caractère violent et irascible. Fiers de leurs
rapports familiers et quotidiens
avec le souverain, ils s’attaquent à tous les
dignitaires avec une insolence
sans égale, et ne craignent pas d’injurier
même le premier ministre, ce que nul
autre ne ferait impunément. Ils n’ont
guère de relations qu’entre eux, car
tous, nobles et gens du peuple, les craignent autant
qu’ils les méprisent.
Chose étrange ! tous ces eunuques sont
mariés, et beaucoup d’entre eux ont
plusieurs femmes. Ce sont de pauvres filles du peuple
qu’ils enlèvent par ruse
ou par violence, ou qu’ils achètent à un
assez haut prix. Elles sont enfermées
plus strictement encore que les femmes nobles, et
gardées avec une telle
jalousie, que souvent leur maison est interdite aux
personnes de leur sexe,
même à leurs parentes. N’ayant point
d’enfants, ces eunuques font chercher dans
tout le pays, par leurs émissaires, les enfants
et les jeunes gens eunuques;
ils les adoptent, les instruisent, et les mettent sur
les rangs pour les principaux
emplois de l’intérieur du palais. Mais
où trouve-t-on ces eunuques? Un certain
nombre le sont de naissance; on les estime moins que
les autres, et
quelquefois, après examen, ils sont
rejetés. D’un autre côté, il ne
paraît pas
que l’usage barbare de la mutilation, de main d’homme,
existe dans ce pays; les
missionnaires n’en ont jamais entendu citer un seul
cas. Mais il arrive, de
temps en temps, que les petits enfants sont
estropiés par les chiens. En Corée,
comme dans quelques autres contrées de
l’Orient, les chiens sont seuls chargés
des soins nécessaires de propreté
auprès des enfants à la mamelle,
c’est-à-dire
jusqu’à l’âge de trois ou quatre ans, et
les accidents du genre dont nous
parlons ne sont pas rares. Ces enfants devenus grands
trouvent, dans leur
infirmité, une ressource et un moyen de vivre.
Quelquefois même, s’ils arrivent
à une position un peu élevée, ils
viennent en aide à leurs familles. Outre
les palais
habités par le roi, il y en a d’autres
destinés exclusivement aux tablettes de
ses ancêtres. On y fait exactement le même
service que dans les premiers;
chaque jour on salue ces morts comme s’ils
étaient vivants, on offre de la
nourriture devant les tablettes dans lesquelles leurs
âmes sont supposées
résider, et il y a pour leur service des
eunuques et des filles du palais en
grand nombre, le tout organisé sur le
même pied, et d’après les mêmes
règles
que dans les palais ordinaires. En
Corée, où la
religion ne consiste guère que dans le culte
des ancêtres, tout ce qui concerne
les funérailles des rois est d’une importance
extraordinaire, et la cérémonie
de leur enterrement est la plus grandiose qu’il y ait
dans le pays. Le roi
étant considéré comme le
père du peuple, tout le monde sans exception
doit
porter son deuil pendant vingt-sept mois. Ce temps se
partage en deux périodes
bien distinctes, La première, depuis le moment
de la mort jusqu’à celui de l’enterrement,
dure cinq mois. C’est l’époque du deuil strict.
Alors, tous les sacrifices des
particuliers doivent cesser dans toute
l’étendue du royaume, les
cérémonies des
mariages sont interdites, aucun enterrement ne peut
avoir lieu, il est défendu
de tuer des animaux et de manger de la viande,
défendu aussi de fustiger les
criminels ou de les mettre à mort. Ces
règles sont, en général,
scrupuleusement
observées; cependant il y a quelques
exceptions. Ainsi, les indigents de la
dernière classe du peuple ne pouvant conserver
leurs morts dans les maisons
pendant un temps aussi considérable, on
tolère qu’ils fassent leurs
enterrements sans bruit et en secret; mais l’usage est
sacré pour tous les
autres. De même, à la mort du dernier
roi, à cause des chaleurs intolérables
de
l’été et de la nécessité
de vaquer aux travaux des champs, son successeur donna
une dispense générale de l’abstinence. Outre
ces
dispositions spéciales à la
première période de deuil, il y en a
d’autres qui s’appliquent
à la fois et aux cinq mois qui
précèdent l’enterrement et aux
vingt-deux qui le
suivent. Un ordre du gouvernement désigne quels
habits on doit porter. Toute
couleur voyante, toute étoffe précieuse,
est sévèrement interdite. Chapeau
blanc, ceinture, guêtres, habits, chemises,
etc., en toile de chanvre écrue,
tel est, sous peine d’amende et de prison, le costume
de tous, jusqu’à ce qu’une
nouvelle ordonnance ministérielle permette de
reprendre les vêtements
ordinaires. Les femmes cependant ne sont pas soumises
à ces règlements, parce
qu’elles ne comptent absolument pour rien aux yeux de
la loi civile et
religieuse; d’ailleurs la plupart restent presque
toujours enfermées dans l’intérieur
des maisons. Pendant tout le temps du deuil, les
réjouissances publiques, les
fêtes, les représentations
scéniques, les chants, la musique, en un mot
toute
manifestation extérieure de gaieté est
absolument défendue. Il y a même,
à ce
qu’on dit, une ou deux provinces où la loi de
l’abstinence s’observe pendant
les vingt-sept mois consécutifs. Nous
avons dit qu’aucun
homme n’a le droit de toucher le roi; cette
défense subsiste même après sa
mort. Quand il a rendu le dernier soupir, on
prépare le corps, on l’embaume, on
le revêt des habits royaux, par des
procédés particuliers, sans que la main
de
personne ait le moindre contact direct avec lui. Puis
on le dépose dans une
espèce de chapelle ardente, et tous les jours,
matin et soir, on lui offre des
sacrifices avec accompagnement des lamentations
convenables en pareil cas.
Fréquemment, à certains jours
marqués, toute la cour et les grands
dignitaires
du voisinage doivent assister à ces sacrifices.
Le roi seul en est dispensé,
parce qu’on le suppose occupé des affaires de
l’Etat. Il ne préside aux
cérémonies que pendant les premiers
jours qui suivent la mort, puis il
délègue
un prince de la famille royale pour tenir sa place.
Aux heures des sacrifices,
le peuple de la capitale ainsi que les nobles qui,
n’étant point en fonctions,
n’ont pas le droit de pénétrer
auprès du cadavre, se rendent en foule autour
du
palais et poussent des hurlements, des
gémissements affreux pendant le temps
fixé; puis, chacun fait la génuflexion
à l’àme du défunt et se retire.
Dans les
provinces, les principaux habitants de chaque district
se réunissent, aux jours
marqués, chez le mandarin et, tournés du
côté de la capitale, ils pleurent et
se lamentent tous ensemble officiellement pendant
quelques heures, et se
séparent après avoir fait la
génuflexion à l’âme. Tout le monde
ne pouvant se
rendre chez le mandarin, les gens de chaque village se
réunissent ensemble, et,
sur une montagne ou sur le bord d’un chemin, observent
de la même manière les
mêmes cérémonies. Cependant,
on
fait tous les préparatifs nécessaires
pour l’enterrement. Les géoscopes les
plus renommés sont mis en réquisition
pour indiquer un lieu favorable de
sépulture. Ils examinent si la nature de tel
terrain, la pente de telle
colline, la direction de telle forêt ou de telle
montagne, doit porter bonheur
et faire rencontrer la veine du dragon. En effet,
selon les Coréens, il y a, au
centre de la terre, un grand dragon qui dispose de
tous les biens et de tous
les honneurs du monde, en faveur des familles qui ont
placé les tombeaux de
leurs ancêtres dans une position à sa
guise. Trouver cette position, c’est
trouver la veine du dragon. Pour la découvrir,
les géoscopes se servent d’une
boussole entourée de plusieurs cercles
concentriques, où sont gravés les noms
des quatre points cardinaux, et des cinq
éléments reconnus par les Chinois:
air, feu, eau, bois et terre. Chacun de ces devins
fait ensuite son rapport, et
après des délibérations sans fin,
sur un point aussi grave, le roi et ses
ministres prennent une décision. On organise
toute une armée pour former le
cortège qui portera le corps du défunt.
Pour cela, chaque famille noble de la
capitale fournit un ou plusieurs esclaves et les
habille selon l’uniforme
voulu. Dans le principe, cet usage
très-onéreux n’était qu’une
marque de
respect volontairement offerte; aujourd’hui, c’est une
obligation à laquelle
nul ne peut se soustraire. Certaines corporations de
marchands fournissent
aussi un nombre d’hommes déterminé, et
on recrute ce qui manque parmi les valets
des divers établissements publics. Tous ceux
qui doivent porter le corps étant
ainsi réunis, on les divise en compagnies ayant
chacune leur numéro et leur
bannière, et on les fait exercer, pendant le
temps voulu, pour que la cérémonie
s’exécute dans le plus grand ordre. Le
jour de l’enterrement
étant enfin arrivé, on place le corps du
défunt dans son cercueil sur un énorme
brancard magnifiquement orné, et chaque
compagnie se relève pour le porter en
pompe, jusque sur la montagne choisie pour lieu de
sépulture. Toutes les
troupes sont convoquées, tous les grands
dignitaires en costume de deuil
accompagnent le roi qui, presque toujours,
préside en personne à la
cérémonie.
On enterre le corps suivant les rites prescrits, et on
offre les sacrifices d’usage,
au milieu des cris, des pleurs, des hurlements d’une
foule innombrable. Quelques
mois
plus tard, un monument s’élève sur la
tombe, et tout auprès, on bâtit un
hôtel
pour loger les mandarins chargés de garder la
sépulture, et d’offrir, à
certaines époques, les sacrifices moins
solennels. Tout le pays environnant,
quelquefois jusqu’à trois ou quatre lieues de
distance, dépend désormais du
tombeau royal, et toute autre inhumation y est
interdite. On fait même exhumer
les corps qui ont été auparavant
enterrés dans cet espace, ou, si personne ne
se présente pour les réclamer, on rase
le petit tertre qui est sur les tombes
afin d’en faire disparaître la trace et le
souvenir. Chaque
roi étant
enterré à part, les sépultures
royales sont assez nombreuses dans le pays. Les
nobles préposés à leur garde sont
ordinairement de jeunes licenciés qui se
destinent aux fonctions publiques. C’est pour eux le
premier pas dans la
carrière, et après quelques mois, ils
obtiennent de l’avancement et passent à
d’autres
emplois. Ils sont ordinairement deux ou trois
ensemble, avec un établissement
de serviteurs et d’employés subalternes,
analogue à celui des mandarins. Outre
le soin d’offrir les sacrifices, ils sont
chargés de faire la police sur tout
le territoire qui dépend du tombeau, car ce
territoire est soustrait à la
juridiction des mandarins ordinaires des districts.
Les gardiens des tombes
royales relèvent directement du conseil des
ministres. |