IV Gouvernement,
— Organisation civile et militaire.
Le
roi de Corée a trois premiers ministres qui prennent
les titres respectifs de : seug-ei-tsieng, admirable
conseiller; tsoaei-tsieng, conseiller de gauche, — en
Corée, la gauche a toujours le pas sur la droite —, et
ou-ei-tsieng, conseiller de droite. Viennent
ensuite six autres ministres que l’on nomme pan-tso ou
juges, et qui sont à la tête des six ministères ou
tribunaux supérieurs. Chaque pan-tso est assisté d’un
tsam-pan ou substitut et d’un tsam-ei ou conseiller.
Les pan-tso sont ministres de second ordre, les
tsam-pan de troisième, et les tsam-ei de quatrième.
Ces vingt et un dignitaires portent le nom générique
de tai-sin ou grands ministres, et forment le conseil
du roi. Mais en réalité, toute l’autorité est dans les
mains du conseil suprême des trois ministres de
premier ordre, les dix-huit autres ne font jamais
qu’approuver et confirmer leurs décisions. Les
ministres de second ordre ou leurs assistants doivent
présenter chaque jour un rapport circonstancié pour
tenir le roi au courant des affaires de leur
département. Ils s’occupent des détails de
l’administration et règlent par eux-mêmes les choses
de peu d’importance, mais, pour toutes les causes
majeures, ils sont obligés d’en référer au conseil
suprême des trois. La
dignité de premier ministre est à vie, mais ceux qui
en sont revêtus n’en exercent pas toujours les
fonctions. Sur sept ou huit grands personnages arrivés
à ce haut grade, trois seulement sont ensemble en
exercice; ils sont changés et se relèvent assez
fréquemment. Voici
les noms, l’ordre, et les attributions de chacun des
six ministères, tels qu’on les trouve dans le code
révisé et publié en 1785 par le roi Tsieng-tsong : 1°
Ni-tso, ministère ou tribunal des offices et emplois
publics. Ce ministère est chargé de faire choix des
hommes les plus capables parmi les lettrés qui ont
passé leurs examens, de nommer aux emplois, de
délivrer des lettres patentes aux mandarins et autres
dignitaires, de surveiller leur conduite, de leur
donner de l’avancement, de les destituer ou de les
changer au besoin. Il
examine et met en ordre les notes semestrielles que
chaque gouverneur de province envoie sur tous ses
subordonnés, et désigne au roi les employés qui
méritent quelque récompense spéciale. Les promotions
et changements de mandarins peuvent se faire en tout
temps, mais elles ont lieu plus habituellement à deux
époques de l’année, à la sixième et à la douzième
lune. Les nominations aux charges importantes et aux
grandes dignités, telles que celle de gouverneur d’une
province, ne rélèvent pas de ce tribunal, mais sont
faites par le roi en conseil des ministres. 2°
Ho-tso, ministère ou tribunal des finances. Ce
ministère doit faire le dénombrement du peuple,
répartir les impôts ou contributions entre les
provinces et districts, veiller aux dépenses et aux
recettes, faire tenir en ordre les registres de chaque
province, empêcher les exactions, prendre les mesures
nécessaires pour les approvisionnements dans les
années de disette, etc.. Il est aussi chargé de la
fonte des monnaies; mais ce dernier point est passé
sous silence dans le code de Tsieng-tsong, parce que
les traités avec la Chine ne reconnaissent pas au
gouvernement coréen le droit de battre monnaie. 3°
Niei-tso, ministère ou tribunal des rites. Ce
ministère, institué pour la conservation des us et
coutumes du royaume, doit veiller à ce que les
sacrifices, les rites et cérémonies se fassent selon
les règles, sans innovation ni changement. De lui
relèvent les examens des lettrés, l’instruction
publique, les lois de l’étiquette dans les réceptions,
festins et autres circonstances officielles. 4°
Pieng-tso, ministère ou tribunal de la guerre. Ce
ministère choisit les mandarins militaires, les gardes
et les guides du roi. Il est chargé de tout ce qui
concerne les troupes, le recrutement, les armes et
munitions, la garde des portes de la capitale, et les
sentinelles des palais royaux. De lui relève le
service des postes dans tout le royaume. 5°
Hieng-tso, ministère ou tribunal des crimes. Il
est chargé de tout ce qui a rapport à l’observation
des lois criminelles, à l’organisation et à la
surveillance des tribunaux, etc.; 6°
Kong-tso, ministère ou tribunal des travaux publics. Ce
ministère est chargé de l’entretien des palais ou
édifices publics, des routes, des fabriques diverses,
soit publiques, soit particulières, du commerce, et de
toutes les affaires du roi, telles que son mariage,
son couronnement, etc.. Outre
les vingt et un ministres désignés plus haut, on
compte encore parmi les grands dignitaires de la cour
les sug-tsi et les po-tsieng. Les sug-tsi sont les
chambellans qui, outre les fonctions ordinaires
attachées à ce titre, sont chargés d’écrire jour par
jour tout ce que le roi dit ou fait. Il y en a trois,
le to-sug-tsi ou chambellan en chef, et deux
assistants qui prennent le nom de pou-sug-tsi. Les
po-tsieng sont les commandants des satellites, valets
des tribunaux et exécuteurs. Il y en a également
trois. Le po-tsieng en chef et deux lieutenants nommés
tsoa-po-tsieng et ou-po-tsieng, c’est-à-dire de gauche
et de droite. Ce sont ces lieutenants qui prennent le
commandement des satellites, quand il s’agit d’opérer
une arrestation importante. La
capitale où la cour réside toujours se nomme Han-iang.
Ce nom toutefois n’est guère en usage, et on l’appelle
communément Séoul, qui veut dire : la grande ville, la
capitale. C’est une ville considérable située au
milieu de montagnes près du fleuve Hangkang, enfermée
de hautes et épaisses murailles, très peuplée, mais
mal bâtie. A l’exception de quelques rues assez
larges, le reste ne se compose que de ruelles
tortueuses, où l’air ne circule pas, où le pied ne
foule que des immondices. Les maisons, généralement
couvertes en tuiles, sont basses et étroites. La
capitale est divisée en cinq arrondissements, lesquels
sont subdivisés en quarante-neuf quartiers. Le mur
d’enceinte fut construit par Tai-tso, fondateur de la
dynastie actuelle. Siei-tsong, quatrième roi de cette
dynastie, y ajouta de nouvelles fortifications. Le mur
a 9,975 pas de circuit, et une hauteur moyenne de 40
pieds coréens, environ 10 mètres. Il y a huit portes
dont quatre grandes et quatre petites. Les grandes
portes sont assez belles, et surmontées de pavillons
dans le genre chinois. Cette ville est quelquefois
désignée dans les anciens documents, sous le nom de
Kin-ki-tao, c’est une inexactitude; to ou tao signifie
province, Kin-ki-tao ou Kieng-kei-to veut dire, non
pas la capitale, mais la province de la capitale. Depuis
l’avènement de Tai-tso en 1392, la Corée est divisée
en huit provinces dont les noms suivent : Au
nord. Ham-kieng-to,
capitale
Ham-heng. Pieng-an-to,
— Pieng-iang. A
l’ouest.
Hoang-haï-to,
— Haï-tsiou. Kieng-keï-to,
— Han-iang. Tsiong-tsieng-to,
— Kong-tsiou. A
l’est.
Kang-ouen-to,
— Ouen-tsiou. Au
sud.
Kieng-sang-to,
— Taï-koii. Tsien-la-to,
— Tsien-tsiou. Les
deux provinces du Nord sont couvertes de forêts et
très-peu habitées. Ce sont les provinces du Sud et de
FOuest qui sont les plus riches et les plus fertiles.
A
la tête de chaque province se trouve un gouverneur qui
relève directement du conseil des ministres, et
possède des pouvoirs très-étendus. Un vieux dicton
coréen classe ainsi qu’il suit les places de
gouverneurs : La plus élevée en dignité est celle de
Ham-kieng-to; la plus recherchée pour le luxe et les
plaisirs, celle de Pieng-an-to; la plus lucrative
celle de Kieng-sang-to; et la dernière sous tous les
rapports, celle de Kang-ouen-to. Les
huit provinces sont subdivisées en trois cent
trente-deux districts, et chaque district, suivant son
importance respective, est administré par un mandarin
d’un rang plus ou moins élevé. On prétend que les
districts furent d’abord au nombre de trois cent
cinquante-quatre, pour répondre au nombre des jours de
l’année lunaire, parce que chaque district est censé
fournir au roi son entretien pour un jour. Quoi qu’il
en soit, le nombre actuel est trois cent trente-deux.
Voici
l’ordre hiérarchique des dignités entre les divers
mandarins des provinces, en commençant par les plus
élevées: kam-sa ou gouverneur, pou-ioun, sé-ioun,
tai-pou-sa, mok-sa, pou-sa, koun-siou, hien-lieng,
hien-kam. Le gouverneur réside dans la métropole de la
province, mais il y a sous lui pour administrer cette
ville un mandarin qui est son lieutenant ou substitut,
et se nomme pan-koan. Ici
vient se placer naturellement une remarque importante
: c’est qu’il ne faut pas confondre les dignités avec
les emplois ou charges publiques. Un emploi suppose
toujours une dignité, mais non réciproquement. Les
dignités sont à vie, les emplois sont à temps,
quelquefois même seulement pour quelques semaines ou
quelques jours. Il y a une douzaine de dignités
différentes, ayant chacune des titulaires plus ou
moins nombreux, mais ils ne sont en activité de
service que par intervalles. Le
premier degré comprend les principaux ministres, le
second, les ministres ordinaires, et ainsi de suite.
Les gouverneurs de province doivent avoir au moins le
quatrième degré; les préfets ordinaires des villes
sont du sixième. Tous les dignitaires, sans exception,
ont le privilège de ne pouvoir être arrêtés par les
satéllites des tribunaux ordinaires. Quand ils sont
accusés de quelque crime, un des mandarins inférieurs
du tribunal dont ils sont justiciables vient en
personne leur intimer l’ordre de le suivre, mais nul
ne peut mettre la main sur eux. D’autres privilèges
sont particuliers à certaines classes de dignitaires.
Ainsi, ceux des quatre degrés supérieurs ont seuls le
droit de se faire porter dans des chaises spéciales,
chacun selon le rang qu’il occupe. En
dehors de la hiérarchie ordinaire, se trouvent les
quatre niou-siou, ou préfets des quatre grandes
forteresses qui sont dans le voisinage de la capitale,
savoir : Kang-hoa, Sou-ouen, Koang-tsiou et Siong-to
(Kaï-seng). Le titre de niou-siou est très-élevé, et
les premiers ministres eux-mêmes peuvent remplir cette
place! Le niou-siou n’est pas le mandarin propre de la
ville où il réside; un mandarin inférieur remplit
cette fonction, et il porte le nom de pan-koan ou de
kieng-niek. — Les quelques ieng ou petits forts
établis sur différents points des frontières, sont
sous la juridiction des autorités militaires locales.
Théoriquement,
les
dignités dont nous avons parlé jusqu’ici, excepté les
grades supérieurs à celui de mok-sa, sont accessibles
à tout Coréen qui a été reçu docteur dans les examens
publics; en fait cependant, ces emplois sont toujours
occupés, à très-peu d’exceptions près, par des nobles.
Mais il y a à la préfecture de chaque district deux
charges subalternes qui sont toujours données à des
gens du peuple. Le tsoa-siou et le piel-kam sont les
assistants ou secrétaires du mandarin. Ils peuvent
même le remplacer en cas d’absence, mais seulement
pour les affaires insignifiantes; car s’il se présente
un cas d’importance majeure, on doit recourir au
mandarin voisin. Les familles des toa-siou et des
piel-kam obtiennent par le fait une certaine
considération locale et jouissent de certains
privilèges. Quand une de ces charges a ete souvent
remplie par des membres d’une même famille, celle-ci,
après un certain temps, devient ce que l’on nomme en
Corée nobles de province. Au-dessous des assistants il
n’y a plus auprès des mandarins que les prétoriens,
satellites et autres valets des tribunaux. Nous en
parlerons plus tard. Dans
chaque province se trouvent plusieurs tsal-pang ou
directeurs des postes. Les stations ou relais de
chevaux de poste se nomment iek; ils sont échelonnés,
de distance en distance, sur toutes les principales
routes. Les chevaux que le gouvernement y entretient
ne servent qu’aux fonctionnaires en voyage. Les
tsal-pang, chargés de surveiller ce service, ont sous
leurs ordres un certain nombre d’employés organisés,
en petit, sur le modèle des prétoires des mandarins.
Les valets qui soignent les chevaux dépendent du
gouvernement à peu près comme des esclaves. Ils ne
sont pas libres de se retirer à volonté, et demeurent
enchaînés à cette besogne de génération en génération.
Si
de l’organisation civile de la Corée on passe à son
organisation militaire, ce qui frappe d’abord, c’est
le chiffre énorme de l’armée. Les statistiques
officielles comptent plus de un million deux cent
mille hommes portés sur les rôles. Cela vient de ce
que tout individu valide, non noble, est soldat; la
loi ne reconnaît que très-peu d’exceptions. Mais
l’immense majorité de ces prétendus soldats n’ont
jamais touché un fusil. Leurs noms sont inscrits sur
les registres publics, et ils ont à payer annuellement
une cote personnelle. Encore ces registres ne
méritent-ils aucune confiance. Très-souvent ils sont
remplis de noms fictifs; on y voit figurer des membres
de familles éteintes depuis une ou deux générations,
et beaucoup de ceux qui devraient être inscrits
échappent à cette obligation en donnant quelque
présent aux employés subalternes chargés de la
révision des listes. Les
seules troupes à peu près sérieuses du gouvernement
coréen sont les dix mille soldats répartis dans les
quatre grands établissements militaires de la
capitale. Ceux-ci sont un peu exercés aux manœuvres
militaires. Chose curieuse, quoiqu’il y ait un
ministère de la guerre, les généraux qui commandent
ces corps d’élite relèvent directement du conseil
suprême, qui seul a le droit de les nommer ou de les
révoquer. Notons aussi, pour mémoire, quelques
compagnies casernées dans les quatre grandes
forteresses royales, et les gardes des gouverneurs ou
des officiers supérieurs qui commandent en province. Voici,
par ordre hiérarchique, les différents titres des
mandarins militaires. Un tai-tsieng est un général. Il
y en a de plusieurs degrés, et tous résident à la
capitale. Un pieng-sa est le commandant d’une province
ou d’une demi province. Un siou-sa est un préfet
maritime. Un ieng-tsiang est une espèce de colonel qui
a sous lui les trois grades inférieurs d’officiers :
tsioungkoun, kam-mok-koan et piel-tsiang, titres
correspondants, si l’on veut, à ceux de capitaine,
lieutenant et sous-lieutenant. Il
est important de noter ici que le cumul des charges
civiles et militaires est très-commun en Corée.
Souvent c’est le gouverneur de la province qui est en
même temps pieng-sa ou commandant militaire. Partout
les ieng-tsiang sont en même temps juges criminels, et
c’est sous ce dernier titre qu’on les désigne presque
toujours. Ce fait, étrange au premier coup d’œil,
s’explique parla paix profonde dont la Corée n’a cessé
de jouir depuis plus de deux siècles. L’armée étant
devenue inutile, ce qui concerne son organisation se
réduit presque à rien, et la force des choses a amené
tout naturellement celte transformation des officiers
en magistrats. Les
mandarins militaires ne sont choisis que parmi les
nobles; mais quelque élevée que soit leur dignité, ils
sont beaucoup moins considérés que les mandarins
civils. Vis-à-vis de ces derniers, ils sont presque
sur le pied des gens du peuple. Leur posture et leur
langage doivent témoigner du respect le plus profond,
et certains privilèges, tels que le droit de se servir
d’une chaise à roues, ne leur sont jamais concédés,
fussent-ils même généraux. Ils ressentent vivement
cette inégalité, et dans les temps de troubles, quand
l’autorité passe de fait dans leurs mains, ils se
vengent en humiliant et ravalant le plus possible les
mandarins civils. Cet antagonisme fait comprendre
pourquoi, en général, les nobles qui sont dans les
emplois civils ne permettent pas à leurs enfants de
rechercher les grades militaires, et pourquoi ces
grades sont pour ainsi dire de génération en
génération le patrimoine des mêmes familles. Il y a
cependant des exceptions à cette règle, et plus d’une
fois, les descendants des employés civils font bon
marché de la considération et recherchent les charges
militaires comme plus lucratives. Tous
les emplois civils et militaires sont à temps. Un
gouverneur ne peut rester en charge que deux ans, mais
s’il a du crédit à la cour, il peut obtenir d’être
transféré sans délai dans une autre province.
Généralement, on ne peut exercer les fonctions de
mandarin plus de deux ans de suite, au plus trois ans,
après quoi on rentre dans la vie privée, jusqu’à ce
qu’on obtienne une autre charge. Ceux qui ont exercé
une fois ces fonctions conservent toujours quelques
marques extérieures de leur dignité; ils ne sortent
plus à pied et sans cortège, et l’usage est d’ajouter
à leur nom le titre de la préfecture où ils ont été,
ou de la charge qu’ils ont remplie. La
paye des divers mandarins civils et militaires,
surtout celle des gouverneurs, est exorbitante, eu
égard aux ressources du pays, et à la valeur
considérable de l’argent dans une contrée où quelques
centimes représentent la nourriture nécessaire d’un
homme chaque jour. Un fonctionnaire qui le voudrait,
pourrait très-facilement mettre de côté, en un ou deux
ans, de quoi vivre à l’aise le reste de ses jours.
Mais il est rare qu’un mandarin ait l’esprit
d’économie. A peine entré en charge, il se met sur un
pied de prince, affiche un luxe extravagant, et comme,
d’après les mœurs du pays, il doit entretenir
non-seulement sa famille, mais toute sa parenté, il
quitte ses fonctions, une fois le terme arrivé, aussi
pauvre qu’auparavant, et souvent avec des dettes de
plus. Les
dignitaires du palais ne touchent aucun traitement. On
prétend que leur paye fut supprimée après la guerre du
Japon, lorsque le gouvernement se trouva sans
ressources. On ne leur donne aujourd’hui que quelques
mesures de pois, chaque mois, quand ils sont de
service. C’est la ration qui, à l’origine de la
dynastie actuelle, était assignée à chacun d’eux pour
nourrir son âne ou son cheval. Comment après cela les
empêcher de piller le peuple, et de commettre toutes
les injustices imaginables? Ces dignités de la cour
sont cependant recherchées, parce que ceux qui les
possèdent peuvent toujours, avec un peu d’adresse,
obtenir en peu de temps quelque riche mandarinat de
province. Le
système d’administration civile et militaire que nous
venons d’exposer est complété par une pièce
importante, l’institution des e-sa ou anaik-sa :
inspecteurs royaux. Ce sont des envoyés
extraordinaires qui, à des époques indéterminées, et
toujours en secret, visitent les provinces,
surveillent la conduite des mandarins et des sujets,
et examinent de leurs propres yeux la marche des
affaires. Leur autorité est absolue; ils ont droit de
vie et de mort; ils peuvent dégrader et punir tous les
employés, sauf les gouverneurs de province, et c’est
presque toujours sur leurs rapports que le
gouvernement prend les décisions les plus importantes.
Il
est inutile d’ajouter que toutes les charges et
emplois ne sont plus en faveur du peuple, sinon dans
les vieux livres de morale d’autrefois. Les places se
vendent publiquement, et naturellement ceux qui les
achètent travaillent à rentrer dans leurs frais, sans
même chercher à sauver les apparences. Chaque
mandarin, depuis le gouverneur jusqu’au plus petit
employé subalterne, bat monnaie le mieux qu’il peut,
avec les taxes, avec les procès, avec tout. Les
inspecteurs royaux eux-mêmes trafiquent de leur
autorité avec la dernière impudence. Un missionnaire
raconte qu’un jour, dans le district où il se
trouvait, quelques individus secrètement renseignés
arrêtèrent deux chevaux chargés d’argent qu’un de ces
fonctionnaires expédiait chez lui, et, s’installant
sur le bord de la route, distribuèrent cette somme à
tous les passants, en publiant bien haut la provenance
de cette bonne aubaine. L’inspecteur compromis n’eut
garde de réclamer, et quitta immédiatement la ville
sans dire mot de son aventure. Les
impôts ordinaires sur les propriétés, sur certaines
professions et certains genres de commerce ne sont pas
excessifs, mais ces impôts légaux ne représentent en
réalité qu’une faible partie des sommes qu’arrache au
peuple la rapacité des mandarins et des employés de
tout grade. D’ailleurs, les registres de dénombrement,
d’après lesquels l’impôt est perçu, ne méritent aucune
contiance. Un fait notoire, dont les missionnaires ont
été plusieurs fois témoins, c’est que les employés des
mandarins, lorsqu’ils viennent dans les villages pour
dresser les listes officielles, ont l’impudence de
fixer publiquement la somme que devra leur payer
quiconque ne veut pas être inscrit. Ordinairement
c’est une affaire de cent ou cent cinquante sapèques
(deux ou trois francs). S’il s’agit de l’inscription
sur les rôles de l’armée, il en coûte un peu plus pour
y échapper; mais avec de l’argent on en vient
également à bout. Les
provisions des magasins publics n’existent que sur les
livres de compte. Dans le voisinage immédiat de la
capitale, les arsenaux sont un peu fournis. Un fort,
pris par les Américains lors de leur expédition (juin
1871), renfermait une cinquantaine de canons de
fabrique chinoise, se chargeant par la culasse. Il y
avait aussi des cuirasses et des casques en toile de
coton de quarante épaisseurs, impénétrables aux sabres
ou baïonnettes, et qu’une balle conique seule peut
percer. Mais les arsenaux de province n’ont ni effets
d’habillement, ni munitions, ni une arme en bon état.
Tout a été vendu par les employés des préfectures, qui
ont mis à la place quelques haillons et de vieilles
ferrailles inutiles. Si par hasard un mandarin honnête
essaye quelques efforts pour remédier à ces
dilapidations, tous les employés s’unissent contre
lui, son action est paralysée, et il est obligé de
fermer les yeux et de laisser faire, ou bien
d’abandonner son poste; heureux encore quand il n’est
pas sacrifié aux attaques calomnieuses qui le
représentent à la cour comme un révolutionnaire et un
ennemi de la dynastie. L’anecdote
suivante,
racontée par M. Pourthié, montre que cette corruption
universelle part de trop haut, pour qu’il soit
possible d’y porter remède. « L’hiver dernier
(1860-61), le ministre Kim Piong-ku-i a perdu la
principale autorité qui a passé à son cousin Kim
Piong-kouk-i, homme violent et assez hostile à notre
sainte religion. Ce dernier est parvenu au pouvoir par
un crime d’état qui l’a rendu très-impopulaire, et qui
tôt ou tard peut lui coûter cher. Quoique beau-frère
du roi, il n’avait pas assez d’argent pour acheter le
poste de premier ministre, car ici cette dignité se
vend comme tous les autres mandarinats. La seule
différence est que les lettrés achètent les
mandarinats ordinaires au ministre en faveur, tandis
que celui-ci achète sa place aux eunuques. Notre
petite Majesté coréenne est, comme vous savez, dans le
même état qu’étaient jadis nos rois fainéants. Le
ministre en faveur est le maire du palais de la Corée,
mais il doit, à son tour, compter avec d’autres maires
du palais, en ce sens qu’il ne peut s’élever à cette
dignité, ni la conserver, que par la faveur des
eunuques de la cour. Ces derniers, hommes méprisés et
méprisables, généralement petits de taille,
rachitiques, et d’une intelligence très-bornée,
séjournent seuls avec les nombreuses concubines
royales et les servantes du palais, dans l’intérieur
de la résidence royale. Les ministres et mandarins qui
ont à parler au roi, entrent dans une salle d’audience
donnant sur une cour extérieure; les soldats et autres
gardes du palais sont consignés extérieurement. Les
eunuques seuls servent de près le roi, ou plutôt le
roi n’a habituellement pour société que les femmes et
les eunuques. «Mais
la cour coréenne est très-pauvre, le trésor de l’Etat
est plus pauvre encore; les eunuques et leurs
compagnes les concubines royales et servantes du
palais s’en ressentiraient, s’ils n’avaient la
ressource de se faire payer la place de premier
ministre, et même de temps en temps quelques autres
dignités. Il faut donc que le personnage au pouvoir
accumule don sur don, et rassasie, chaque jour, toutes
ces sangsues avides; mais surtout lorsqu’il s’agit de
gagner leur faveur non encore obtenue, de grandes,
d’énormes sommes sont nécessaires. Or Kim Piong-kouk-i
avait beau vendre très-cher quelques mandarinats, et
revendiquer le monopole du gen-seng, il ne pouvait
acquérir assez d’argent pour acheter tous les
individus que le ministre Kim Piong-ku-i comblait de
richesses. Au milieu de l’hiver dernier, un homme qui
devait tout ce qu’il était et tout ce qu’il avait à ce
même Kim Piong-ku-i, alla trouver Kim Piong-kouk-i et
lui demanda s’il ne voulait pas saisir le pouvoir
suprême. « Je ne demande pas mieux, répondit le
beau-frère du roi, « mais l’argent seul peut me le
procurer et je n’en ai pas assez. — Si vous me donnez
la charge de faire rentrer les impôts du midi du
royaume, je réponds de vous procurer la somme
nécessaire. — Volontiers, dit le ministre, et aussitôt
il prit ses mesures en conséquence. Les impôts des
provinces du Midi consistent surtout en riz, que l’on
transporte par mer à la capitale. Notre homme ayant
ramassé tout ce riz et l’ayant chargé sur des barques,
fit voile vers la Chine, où il le vendit à un prix
quadruple de ce qu’il aurait valu en Corée. A son
retour, il acheta de nouveau la quantité de riz
nécessaire pour payer les impôts. La différence du
prix a suffi au beau-frère du roi pour gagner la
faveur du troupeau d’eunuques et de femmes qui
remplissent le palais; il a fait destituer son
concurrent, et s’est emparé de toute l’autorité.
L’exportation quelconque des céréales est un crime qui
emporte la peine capitale; à plus forte raison, la
vente du riz payé en impôt pour l’entretien du roi est
un énorme crime d’État; enfin, cette fraude a été
cause qu’une année de disette est devenue, pour
plusieurs provinces, une année de véritable famine.
Mais que lui importe? Tant qu’il sera puissant et
riche, personne n’osera lui demander compte de ses
actes.» Le
tableau suivant des divisions administratives, civiles
et militaires, est extrait du traité de géographie qui
a le plus de vogue en Corée. Il a été corrigé, vers
1850, d’après les documents officiels publiés par le
gouvernement. Les villes y sont classées par rang
d’importance, selon le grade du mandarin qui les
gouverne. «
Le royaume a, de l’est à l’ouest, 1,280 lys; du nord
au sud, 2,998. Il est divisé en huit provinces nommées
: Kieng-keï, Tsiong-tsieng, Tsien-la, Kieng-sang,
Kang-ouen, Hoang-haï, Ham-kieng, et Pieng-an. «
La ville directement à l’est de la capitale est
Nieng-haï, à 745 lys, dans la province de Kieng-sang,
La ville directement à l’ouest est Tsiang-ien à 525
lys, dans la province de Hoanghaï. La ville
directement au sud est Haï-nam, à 806 lys, dans la
province de Tsien-la. La ville directement au nord est
On-seng, à 2,102 lys, dans la province de Ham-kieng.
[(1) Un coup d’œil sur la carte montre que cette
orientation n’est qu’approximative. ] I
KIENG-KEI-TO.
«
Cette province est bornée à l’est et au nord-est par
celle de Kang-ouen; au sud et au sud-est par celle de
Tsiong-tsieng; au sud-ouest par la mer (Jaune); à
l’ouest et au nord-ouest par la province de Hoang-haï.
«Han-iang sa capitale, et
capitale de tout le royaume, est divisée en 5
arrondissements. Celui du Centre renferme 8 quartiers,
celui de l’Est 12, celui du Sud 11, celui de l’Ouest
8, et celui du Nord 10 : en tout 49 quartiers. « La province de Kieng-keï
renferme 36 districts, dont 22 dans la province de
gauche (tsoa-to), et 14 dans la province de droite
(ou-to). Son gouverneur ou kam-sa réside à la
capitale, mais en dehors des murs, parce qu’il a peu
ou point de juridiction à exercer dans la ville
royale. Son hôtel est près de la porte de l’Ouest.
Organisation
militaire.
1
pieng-sa. C’est le gouverneur qui en remplit les
fonctions. 1
siou-sa, dans l’île de Kio-tong (golfe de la
capitale). Il a surveillance de la marine de trois
provinces. 6
ieng-tsiang. Ce .sont les mandarins de Koang-tsiou,
Nam-iang, langtsiou, Sou-ouen, ïsiang-tan et
Tsiouk-san, qui en font les fonctions. 4
tsioung-koun, dont un près du gouverneur, et un dans
chacune des villes de Koang-tsiou, Sou-ouen et
Siong-to. 5
kam-mok-koan. 7
piel-tsiang. Le
nombre des soldats est de : 106,573. II.
TSIONG-TSIENG-TO.
«Cette
province est bornée au nord-est par celles de Kangouen
et de Kieng-sang; au sud-est par celles de Kieng-sang
et de Tsien-la; au sud par celle de Tsien-la; à
l’ouest, sud-ouest et nord-ouest par la mer (Jaune);
au nord par la province de Kieng-keï. (1)
Dont 120 lys par terre et 50 par mer. (2)
C’est le chiffre inscrit dans les listes officielles.
Mais, en Corée même, tout le monde s’accorde à dire
que ces chiffres méritent très-peu de confiance. «Elle
comprend 54 districts, dont 21 dans la province de
gauche et 33 dans celle de droite. Sa capitale,
résidence du kara-sa (gouverneur), était autrefois
Tsiong-tsiou; mais, en Tannée im-tsin (1592, lors de
la guerre du Japon, elle fut transférée à Kong-tsiou,
près du fleuve appelé Keum-kang, où elle est encore
aujourd’hui.
V.
KÂNG-OUEN-TO. «
Cette province est bornée au nord et à Test par la mer
du Japon; au sud-est par la province de Kieng-sang; au
sud par les provinces de Kieng-sang et de
Tsiong-tsieng; au sud-ouest par la province de
Tsiong-tsieng; à l’ouest par la province deKiengkeï;
au nord-ouest par les provinces de Kieng-keï et de
Hoangliaï; au nord par la province de Ham-kieng. «
Elle comprend 26 districts, dont 9 dans la province
est (tong-to), et 17 dans la province ouest (se-to).
La capitale est Ouen-tsiou, résidence du gouverneur.
VI. HOANG-HAI-TO. « Cette province est bornée au
nordest par celle de Hamkieng; à l’est par celle de
Kang-ouen; au sud-est par celles de Kang-ouen et de
Kieng-keï; au sud par celle de Kieng-keï; au sud-ouest
et à l’ouest par la mer (Jaune); au nord-ouest par la
mer (Jaune) et la province de Pieng-an; au nord par la
province de Pieng-an. « Elle comprend 23 districts,
dont 14 dans la province de gauche, et 9 dans la
province de droite. Sa capitale est Haï-tsiou,
résidence du gouverneur.
VII. HAM-KIENG-TO. « Cette province est bornée an
nord-est et à l’est par le fleuve Tou-man-kang; au
sud-est et au sud par la mer du Japon; au sud-ouest
par la province de Kang-ouen; à l’ouest et au
nord-ouest par celle de Pieng-an; au nord par les
sauvages. « Elle comprend 24 districts,
dont 12 dans la province sud, (nam-to); et 12 dans la
province nord (pouk-to). Sa capitale est Ham-heng,
résidence du gouverneur.
VIII. PIENG-AN-TO. « Cette province est bornée au
nord-est et à l’est par celle de Ham-kieng; au sud-est
par celles de Ham kieng et de Hoanghaï; au sud par
celle de Hoang-haï; au sud-ouest et à l’ouest par la
mer (Jaune); au nord-ouest par le fleuve Hap-nok-kang
ou Yalu-kiang; au nord par le pays des sauvages. « Elle comprend 42 districts,
dont 23 dans la province sud (nam-lo), et 19 dans la
province nord (pouk-to). Sa capitale est Pieng-iang,
résidence du gouverneur.
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