VI. Examens
publics. — Grades et dignités. —
Ecoles spéciales.
Tout
le monde
sait qu’en Chine il n’y a pas, légalement,
d’autre aristocratie que celle des
lettrés. Dans nul autre pays, on ne professe
une aussi grande admiration pour
la science, une aussi haute estime pour les hommes qui
la possèdent. L’étude
est l’unique chemin des dignités, et
l’étude est accessible à tous. Sous la
dynastie actuelle, il est vrai, les Mandchoux seuls
occupent presque toutes les
charges militaires de l’empire, et les mandarinats
militaires de premier ordre
sont réservés à ceux de cette
race qui ont un titre de noblesse
héréditaire.
Les empereurs mandchoux ont voulu ainsi
contre-balancer l’influence des dignitaires
chinois. Mais c’est la seule exception. Pour avoir
droit aux charges les plus
élevées de l’ordre civil, pour obtenir
les emplois, les places, les faveurs, il
est nécessaire et il suffit d’avoir
réussi dans les examens publics. On ne
s’cnquiert
ni de l’origine ni de la fortune de celui qui a fait
ses preuves de savoir.
Ceux-là seuls sont exclus qui ont exercé
une profession réputée infamante. En
théorie, tout individu, si pauvre et si humble
qu’il soit, peut, s’il a conquis
les hauts grades littéraires, devenir le
premier mandarin de l’empire; mais
celui qui échoue dans les examens, fût-il
fils d’un ministre ou d’un marchand
dix fois millionnaire, est légalement incapable
d’exercer aucune fonction
publique. Sans doute cette loi fondamentale est
très-souvent éludée en
pratique, mais tous la reconnaissent, et elle fait la
base de l’organisation
administrative du Céleste-Empire. La
Corée étant
depuis plusieurs siècles l’humble vassale de la
Chine, et n’ayant jamais eu de
relations avec aucun autre peuple, ou comprend
facilement l’influence puissante
qu’y exercent la religion, la civilisation, les
idées et les mœurs chinoises.
Aussi trouvons-nous en Corée le même
respect pour la science, la même
vénération enthousiaste pour les grands
philosophes, et, au moins en théorie,
le même système d’examens
littéraires pour les emplois et
dignités. Les savants
hors ligne sont considérés comme les
précepteurs du peuple entier, et
consultés
sur toutes les matières difficiles. Les plus
hautes dignités leur sont accessibles,
et s’ils y renoncent, leur crédit n’en est que
plus grand, et leur influence
près du roi et des ministres plus
réelle. Quand le christianisme s’introduisit
en Corée, la plupart des néophytes
étaient des docteurs célèbres, et
le roi
Tsieng-tsong avait pour eux une si grande
considération que, malgré toutes les
intrigues de leurs ennemis politiques et religieux, il
ne put jamais se décider
à les sacrifier. Ce ne fut qu’après sa
mort arrivée en 1800, et pendant une
minorité, que l’on réussit à les
faire condamner à mort. Il n’est pas rare de
rencontrer, encore aujourd’hui, des païens
amenés à la foi par la renommée
scientifique et littéraire de ces premiers
convertis. Il
y a,
cependant, entre la Chine et la Corée, au sujet
des études littéraires et des
examens publics, deux différences notables. La
première est que, en Corée, les
études n’ont absolument rien de national. Les
livres qu’on lit sont des livres
chinois; la langue qu’on étudie est, non pas le
coréen, mais le chinois; l’histoire
dont on s’occupe est celle de la Chine, à
l’exclusion de celle de Corée; les
systèmes philosophiques qui trouvent des
adeptes sont les systèmes chinois, et
par une conséquence naturelle, la copie
étant toujours au-dessous du modèle,
les savants coréens sont très-loin
d’avoir égalé les savants chinois. Une
autre
différence beaucoup plus importante, c’est que,
tandis que la Chine entière est
une démocratie égalitaire sous un
maître absolu, il y a en Corée, entre le
roi
et le peuple, une noblesse nombreuse, excessivement
jalouse de ses privilèges,
et toute-puissante pour les conserver. Le
système des examens en Chine sort
naturellement de l’état social; en
Corée, au contraire, il lui est
antipathique. Aussi, dans l’application, voyons-nous
ce qui arrive toujours en
pareil cas, une espèce de compromis entre les
influences contraires. En droit,
et d’après la lettre de la loi, tout
Coréen peut concourir aux examens, et, s’il
gagne les grades littéraires
nécessaires, être promu aux emplois
publics; en
fait, il n’y a guère que des nobles qui se
présentent au concours, et celui qui
à son titre de licencié ou de docteur ne
joint pas un titre de noblesse, n’obtient
que difficilement quelque place insignifiante, sans
aucun espoir d’avancement.
Il est inouï qu’un Coréen, même
noble, ait été nommé à un
mandarinat important,
sans avoir reçu son diplôme
universitaire; mais il est plus inouï encore,
qu’avec
tous les diplômes possibles, un Coréen
non noble ait été honoré de
quelque
haute fonction adraistrative ou militaire. Les
examens qui
ont lieu dans chacune des provinces, n’ont de valeur
que pour les emplois
subalternes des préfectures. Si l’on veut
arriver plus haut, il faut, après
avoir subi cette première épreuve, venir
passer un autre examen à la capitale.
On ne demande aucun certificat d’étude; chacun
étudie où il veut, comme il
veut, et sous le maître qui lui plaît. Les
examens se font au nom du
gouvernement, et les examinateurs sont
désignés par le ministre, soit pour les
examens littéraires proprement dits qui ouvrent
la porte des emplois civils,
soit pour les examens militaires. Voici
comment les
choses se passent habituellement. A l’époque
fixée, une fois par an, tous les
étudiants des provinces se mettent en route
pour la capitale. Ceux de la même
ville ou du même district voyagent ensemble,
presque toujours à pied, par
bandes plus ou moins nombreuses. Comme ils sont
soi-disant convoqués par le
roi, leur insolence n’a pas de bornes; ils commettent
impunément toutes sortes
d’excès, et traitent les aubergistes des
villages en peuple conquis, à ce point
que leur passage est redouté autant que celui
des mandarins et des satellites.
Arrivés à la capitale, ils se
dispersent, et chacun loge où il peut. Quand
vient le
jour du concours, le premier point est de s’installer
dans le local désigné,
lequel est assez étroit et aussi mal
disposé que possible. En conséquence,
dès
la veille, chaque candidat fait quelques provisions,
amène avec lui un ou deux
domestiques s’il en a, et se hâte de prendre
place. On peut imaginer l’effroyable
cohue qui résulte, pendant la nuit, de la
présence de plusieurs milliers de
jeunes gens dans cet espace resserré et
malpropre. Quelques travailleurs
opiniâtres continuent, dit-on, à
étudier et à préparer leurs
réponses; d’autres
essayent de dormir; le plus grand nombre mangent,
boivent, fument, chantent,
crient, gesticulent, se bousculent, et font un tapage
abominable. Le
concours
terminé, ceux qui ont obtenu des grades
revêtent l’uniforme convenable à leur
nouveau titre, puis, à cheval,
accompagnés de musiciens, vont faire les
visites
d’étiquette aux principaux dignitaires de
l’État, à leurs protecteurs, aux
examinateurs, etc.. Cette première
cérémonie terminée, en vient une
autre qui,
sans être prescrite par la loi, est
néanmoins absolument nécessaire, si l’on
veut
se faire reconnaître par la noblesse, et, plus
tard, être présenté aux charges
publiques. C’est une espèce d’initiation
ridicule qui rappelle les scènes
grotesques du baptême de la ligne, et dont on
trouve l’analogue, même aujourd’hui,
dans les plus célèbres écoles et
universités d’Europe. Un des parents ou amis
du nouveau gradué, docteur lui-même, et
appartenant au même parti politique,
doit lui servir de parrain, et présider la
cérémonie. Au jour marqué, le
jeune
bachelier ou docteur se présente devant ce
parrain, le salue, fait quelques pas
en arrière, et s’assied. Le parrain, avec la
gravité voulue, lui barbouille le
visage, d’encre d’abord, puis de farine. Chacun des
assistants vient à son tour
lui faire subir la même opération. Tous
les amis ou connaissances ayant le
droit de se présenter, n’ont garde de manquer
une aussi belle occasion. Le
piquant du jeu est de laisser croire au patient,
à diverses reprises, qu’il n’y
a plus personne pour le tourmenter, et quand il s’est
lavé, raclé, nettoyé,
pour la dixième ou quinzième fois,
d’introduire de nouveaux personnages pour
recommencer son supplice. Pendant tout ce temps, les
allants et venants
mangent, boivent et se régalent aux frais de
leur victime, et s’il ne s’exécute
pas généreusement, on le lie, on le
frappe, on va même jusqu’à le suspendre
en
l’air, pour le forcer à délier les
cordons de sa bourse. C’est seulement après
cette farce grossière, que son titre
littéraire est reconnu valable dans la
société. Les
grades que l’on
obtient dans les concours publics sont au nombre de
trois : tchô-si, tsin-sa,
et keup-tchiei, que l’on pourrait comparer à
nos degrés universitaires de
bachelier, licencié, docteur; avec cette
différence cependant qu’ils ne sont
pas successifs, et que l’on peut gagner le plus
élevé sans passer par les
autres. Il y a des docteurs (keup-tchiei) qui n’ont
pas le titre de licencié
(tsin-sa), et un licencié n’a pas plus de
facilité qu’un autre individu pour
obtenir le diplôme de docteur. Comme partout,
l’examen comprend une composition
écrite et des réponses orales. Les
diplômes sont délivrés au nom du
roi, celui
de tsin-sa sur papier blanc, celui de keup-tchiei sur
papier rouge orné de
guirlandes de fleurs. Les
tsin-sa, d’après
la loi et la coutume, sont surtout destinés
à remplir les charges
administratives dans les provinces. Quelques
années après leur promotion, on en
fait des mandarins ordinaires de districts, des
gardiens de sépultures royales,
etc.; mais ils ne peuvent prétendre aux grandes
dignités du royaume. Les
keup-tchiei ont une position à part. Ils sont
comme liés à l’État, et
remplissent immédiatement, de degré en
degré et comme à tour de rôle, les
charges du palais, et les grandes fonctions
administratives de la capitale. On
les envoie assez souvent en province comme
gouverneurs, ou mandarins de grandes
villes, mais ce n’est qu’en passant, et pour quelques
années. Leur place est à
la capitale, dans les ministères, et
auprès du roi. Les
examens
militaires sont très-différents des
examens littéraires proprement dits. Les nobles
de haute famille ne s’y présentent point, et si
par hasard quelqu’un d’eux veut
embrasser la carrière militaire, il trouve
moyen d’obtenir un diplôme sans
passer par la formalité du concours public. Les
nobles pauvres et les gens du
peuple sont les seuls prétendants. L’examen
porte surtout sur le tir de l’arc
et les autres exercices militaires; on y joint une
composition littéraire
insignifiante. Il n’y a qu’un seul degré
nommé keup-tchiei. Celui qui l’obtient
peut, s’il est noble, et s’il a d’ailleurs du talent
et des protections,
prétendre à tous les grades de
l’armée; s’il n’est pas noble, il reste
ordinairement avec son titre seul. Tout au plus lui
donnera-t-on, après des
années d’attente, une misérable place
d’officier subalterne. Au
reste, quelle
qu’ait pu être autrefois la valeur des examens
et concours publics, il est
certain que cette institution est aujourd’hui en
pleine décadence. Les diplômes
se donnent actuellement non pas aux plus savants et
aux plus capables, mais aux
plus riches, à ceux qui sont appuyés des
plus puissantes protections. Le roi
Ken-tsong commença de vendre publiquement les
grades littéraires, aussi bien
que les dignités et emplois, et, depuis lors,
les ministres ont continué ce
trafic à leur profit. Dans le principe, il y
eut des protestations et des
résistances; aujourd’hui l’usage a
prévalu et personne ne réclame. Au vu et
au
su de tous, les jeunes gens qui se présentent
aux concours annuels, achètent à
des lettrés mercenaires des compositions toutes
faites, et il n’est pas rare qu’on
connaisse la liste des futurs licenciés et
docteurs même avant l’ouverture des
examens. Les études sont abandonnées, la
plupart des mandarins ne savent
presque plus lire et écrire le chinois, qui
cependant demeure la langue
officielle, et les véritables lettrés
tombent dans un découragement de plus en
plus profond. Quelques
détails
sur certaines écoles spéciales du
gouvernement compléteront les notions
précédentes. Les
études qui
ont pour objet les sciences exactes, la linguistique,
les beaux-arts, etc.,
sont loin d’être en aussi grand honneur que les
études littéraires et
philosophiques. Peu de lettrés nobles s’y
adonnent, et quand ils le font c’est
pour eux affaire de pure curiosité. Elles sont
l’apanage à peu près exclusif d’un
certain nombre de familles qui forment en Corée
une classe à part, laquelle
étant au service du roi et des ministres, a des
privilèges particuliers, et
jouit d’une assez grande considération dans le
pays. On la désigne fréquemment
sous le nom de classe moyenne, vu sa position
intermédiaire entre la noblesse
et le peuple. Les individus de cette classe se marient
ordinairement entre eux,
et leurs emplois passent de génération
en génération à leurs
descendants. Comme
les nobles, ils peuvent être
dégradés et réhabilités.
Ils sont exempts de la
cote personnelle et du service militaire; ils ont
droit de porter le bonnet des
nobles, et ceux-ci, dans leurs relations avec eux, les
traitent sur un certain
pied d’égalité. Ils sont tenus de se
livrer à certaines études
déterminées, et
passent des examens spéciaux pour obtenir leurs
différents grades comme
interprètes, médecins, astronomes, etc.,
et une fois reçus dans telle ou telle
partie, ils ne peuvent plus passera une autre. Avant
de leur conférer des
grades, on fait, comme pour les nobles, l’examen de
leur extraction et de leur
parenté, et leur nomination se décide
par le ministre compétent, assisté de
deux autres dignitaires. Ils ont en outre, comme tous
les autres Coréens, le
droit de concourir aux examens publics soit civils,
soit militaires, et, s’ils
y réussissent, peuvent obtenir des places de
mandarins jusqu’aux degrés de
mok-sa et pou-sa inclusivement, mais pas plus baut. La
plupart des piel-tsang
(petits mandarins militaires ou sous-lieutenants),
tsiem-sa (souspréfets maritimes),
et pi-tsiang (secrétaires des gouverneurs et
d’autres grands mandarins)
appartiennent à la classe moyenne. Les
fonctions
exclusivement remplies par des membres de cette
classe, se rattachent à huit
établissements ou départements
distincts. 1°
Le corps des
interprètes. C’est le premier, le plus
important, et celui dont les emplois
sont le plus courus. Leurs études ont pour
objet quatre langues différentes :
le chinois (Tsienghak), le mandchou (Hon-hak) le
mongol (Mong-hak), et le
japonais (Oai-hak); et quand ils ont reçu leur
diplôme dans une de ces langues,
ils ne peuvent plus concourir pour une autre. Il y a
toujours un certain nombre
d’interprètes avec l’ambassade de Chine. Pour
celle du Japon, qui depuis
longtemps a perdu de son importance, c’est un
interprète qui fait lui-même l’office
d’ambassadeur. De plus, un autre interprète,
qui a le titre de houn-to, réside
continuellement à Tong-naï, dans le
voisinage du poste japonais de Fousan-kaï,
pour les rapports habituels entre les deux peuples. 2°
Le
Koan-sang-kam, ou École des sciences,
subdivisé en trois branches, où l’on
étudie séparément l’astronomie,
la géoscopie, et l’art de choisir les jours
favorables. Cette école n’est que pour le
service du roi. 3°
L’Ei-sa ou
École de médecine. Il y a deux
subdivisions suivant que les étudiants se
destinent au service du palais ou au service du
public. En fait cependant, les
médecins sortis de l’une ou de l’autre sont
également admis au palais, et
promus aux emplois officiels. 4°
Le Sa-tsa-koan
ou École des chartes, dont les
élèves sont employés à la
conservation des
archives, et à la rédaction des rapports
officiels que le gouverment envoie à
Péking. 5°
Le To-hoa-se
ou École de dessin, pour les cartes et plans,
et surtout pour les portraits des
rois. 6°
Le Nioul-hak
ou École de droit. Cet établissement est
annexé au tribunal descrinies. On y
étudie surtout le code pénal, et ses
employés servent dans certains tribunaux
pour indiquer aux juges la nature exacte des peines
portées par la loi, dans
tel ou tel cas, d’après les conclusions de la
procédure. 7°
Le Kiei-sa ou
École de calcul, d’où sortent les commis
du ministère des finances. Outre les
comptes habituels de recettes et de dépenses,
ils sont chargés d’évaluer les
frais présumés des divers travaux
publics, et quelquefois même de présider
à
leur exécution. 8°
Le
Hem-nou-koan ou École de l’horloge. C’est
là qu’on prend les directeurs et
surveillants de l’horloge du gouvernement, la seule
qu’il y ail en Corée. C’est
une machine hydraulique qui mesure le temps, en
laissant tomber des gouttes d’eau
à intervalles égaux. On compte
aussi
souvent comme faisant partie de la classe moyenne les
musiciens du palais, mais
c’est à tort. Ces musiciens forment un corps
à part, et d’une condition un peu
inférieure. |