Charles Dallet: Histoire de l’Église de Corée  (1874)


VII.  La langue coréenne.




 

 

 

 

 

 

 

Tous les examens dont nous venons de parler se font en chinois, et n’ont pour objet que les caractères et les livres chinois. Dans les huit grandes écoles du gouvernement, on n’étudie que la littérature et les sciences chinoises, tandis que la langue nalionale est négligée et méprisée. Ce fait étrange s’explique par l’histoire du pays. Depuis plus de deux siècles, la Corée est tellement inféodée à la Chine, que le chinois est devenu la langue officielle du gouvernement et de la haute société coréenne. Tous les employés du pouvoir doivent écrire leurs rapports en chinois. Les annales du roi et du royaume, les proclamations, les édits des mandarins, les jugements des tribunaux, les livres de science, les inscriptions sur les monuments, les correspondances, les registres et livres de compte des négociants, les enseignes des boutiques, etc., tout est en caractères chinois.

Aussi, non-seulement les lettrés et les personnes instruites, mais un grand nombre de gens du peuple savent lire et écrire ces caractères. On les enseigne dans les familles, dans les écoles, et pour les enfants des nobles surtout, on peut dire que c’est leur seule étude. Il n’y a pas de dictionnaires coréens, de sorte que pour comprendre un mot coréen dont on ignore le sens, il faut connaître le caractère chinois correspondant, ou s’adresser à quelqu’un qui le connaisse. En Chine, les livres où les enfants commencent à apprendre les caractères sont imprimés en types très-gros, comme nos abécédaires. Le plus souvent, on étudie d’abord le Tchoùen-ly ou livre des mille caractères, qui date des empereurs Tsin et Hàn. En Corée on se sert des mêmes livres, seulement, sous chaque caractère chinois se trouvent : à droite, sa prononciation à la manière coréenne; à gauche, le mot coréen correspondant. La planche I, ci-jointe, est la reproduction de la première page du Tchouèn-ly, tel qu’il est employé dans les écoles primaires coréennes.

La façon dont les Coréens prononcent le chinois en fait, pour ainsi dire, une langue à part. Du reste, on sait que, même en Chine, les habitants des diverses provinces ont une manière trèsdifférente de parler leur langue. Les caractères sont les mêmes et ont le même sens pour tous, mais leur prononciation varie tellement que les habitants du Fokien, par exemple, ou de Canton, ne sont compris dans aucune autre province. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que le chinois des Coréens soit incompréhensible aux habitants du Céleste-Empire, et que les deux peuples ne puissent ordinairement converser que par écrit, en dessinant les caractères sur le papier avec un pinceau, ou dans la paume de la main avec le doigt.

Avant que la conquête chinoise eût amené l’état actuel des choses, les Coréens ont-ils eu une littérature nationale? et qu’était cette littérature? La question est très-difficile à résoudre, car les anciens livres coréens, tombés dans un oubli complet, ont presque tous disparu. Pendant les longues années de son apostolat, Mgr Daveluy était parvenu à en recueillir quelques-uns excessivement curieux, ils ont péri dans un incendie. Aujourd’hui, on n’écrit presque plus de nouveaux livres. Quelques romans, quelques recueils de poésie, des histoires pour les enfants et les femmes, c’est à peu près tout.

Les enfants apprennent à lire le coréen, sans s’en douter pour ainsi dire, par la traduction qui est donnée dans les livres élémentaires où ils étudient le chinois; mais ils ne reconnaissent les syllabes que par habitude, car ils ne savent pas épeler, ou décomposer ces syllabes en lettres distinctes. Les femmes, les gens de basse condition qui n’ont pas le moyen ou le temps d’apprendre les caractères chinois, sont forcés d’étudier les lettres coréennes; ils s’en servent pour leur correspondance, leurs livres de compte, etc.. Tous les livres de religion imprimés par les missionnaires .sont en caractères coréens. Aussi presque tous les chrétiens savent lire et écrire leur langue, en lettres alphabétiques, que les enfants apprennent très-rapidement.

Cette rareté des livres coréens, le peu de cas que les lettrés font de leur langue nationale, et surtout la législation barbare qui interdit l’accès du pays à tout étranger, sous peine de mort, sont cause que la langue coréenne est complètement ignorée des orientalistes. Depuis bientôt quarante ans, il y a des missionnaires français en Corée; seuls, de tous les peuples, ils ont vécu dans le pays, parlant et écrivant cette langue pendant de longues années. Et néanmoins, chose étrange ! jamais aucun savant n’a songé à s’adresser à eux pour avoir, à ce sujet, les notions exactes que seuls ils pouvaient communiquer. Il n’entre pas dans notre plan de donner ici une grammaire détaillée de cette langue, mais comme elle est absolument inconnue en Europe, quelques explications pourront intéresser tous les lecteurs par la nouveauté du sujet, et n’être pas inutiles aux savants de profession. On verra, dans le cours de notre histoire, que les missionnaires se sont livrés avec ardeur à l’étude du coréen. Mgr Daveluy avait travaillé longtemps à un dictionnaire chinois-coréen-français; M. Pourthié en avait composé un autre coréen-chinois-latin; M. Petitnicolas avait fait le dictionnaire latin-coréen qui comprenait plus de trente mille mots latins et près de cent mille mots coréens. Ces divers dictionnaires, ainsi qu’une grammaire composée en commun, étaient achevés, et on travaillait au collège à les copier, afin de conserver dans la mission un exemplaire de chacun, pendant qu’un autre serait envoyé en France pour y être imprimé, lorsque éclata la persécution de 1866. Tout fut saisi et livré aux flammes. Depuis lors, Mgr Ridel, vicaire apostolique de Corée, et ses nouveaux confrères ont refait, en partie, le travail des martyrs leurs prédécesseurs, et préparé, à l’aide de quelques chrétiens indigènes très-instruits, une grammaire et un dictionnaire de la langue coréenne. Ces ouvrages seront publiés prochainement, si les circonstances le permettent.

 

§. 1. — Lettres, Écriture, prononciation.

 

Lettres. — On voit dans le tableau ci-joint (planche II) que l’alphabet coréen se compose de vingt-cinq lettres : onze voyelles et quatorze consonnes.

Des onze voyelles, sept sont simples : a, o, o, ou, eu, t, à; les quatre autres sont mouillées, c’est-à-dire précédées du son i, lequel se prononce avec la voyelle suivante d’une seule émission de voix: ia, iô, io, iou. Cette modification de son s’indique dans l’écriture en redoublant le signe caractéristique de la voyelle.

Il y a neuf consonnes simples : k, n, t, l, m, p, s, ng, ts, et cinq aspirées : tch, kh, th, ph, h. — Les quatre consonnes k, t, s, p, sont quelquefois doublées pour indiquer un son plus sec, plus incisif que celui de la consonne simple.

La composition et la valeur des diphthongues est indiquée uaiis le tableau. Nous remarquerons seulement qu’en coréen le son de é (fermé) ou è (ouvert) ne peut s’écrire que par une diphthongue.

Toutes voyelles ou diphthongues peuvent commencer ou finir une syllabe. Toutes les consonnes, excepté ng, peuvent également commencer une syllabe, mais les huit premières seulement peuvent la terminer, c’est-à-dire que jamais une syllabe ou un mot ne peut finir par ts ou par l’une des lettres aspirées.

Les sons qui manquent en coréen sont : pour les voyelles, l’u français, quoique le son d’une des diphthongues s’en rapproche un peu; pour les consonnes : b, g dur, f, v, j, ch, d, z. Quelquefois k prend le son de g dur, m et p prennent le son de b, mais les Coréens ne peuvent pas prononcer les autres lettres. De même, quoiqu’ils prononcent très-bien r entre deux voyelles, ils ne peuvent prononcer cette lettre, ni au commencement d’un mot, ni quand elle est jointe immédiatement à une autre consonne : pour pra, tra, etc., ils seront obligés de dire pira, tira.

Écriture. — Les lettres coréennes, comme celles de toutes les langues, ont deux formes : la forme ordinaire que nous avons donnée dans le tableau (pl. II), et qui sert pour les livres imprimés (pl. III), et la forme cursive ou celle de l’écriture courante (pl. IV). Les livres imprimés étant d’abord écrits à la main, avant d’être décalqués sur une planche, il n’est pas rare d’y rencontrer certaines lettres qui s’éloignent de la première forme et se rapprochent de la seconde.

Chaque ligne s’écrit de haut en bas, syllabe sur syllabe, en colonne perpendiculaire. On commence â droite de la page. La pagination se compte également de droite à gauche, de sorte que la fin d’un livre coréen se trouve là où est pour nous le commencement. Quand une syllabe commence par une voyelle, cette voyelle initiale est toujours précédée du signe o. Les voyelles de forme verticale se placent sur la même ligne, k droite des consonnes qui les précèdent; les voyelles de forme horizontale se placent dessous (pl. II). Ainsi on écrira ka, kiŏ, ko [ko], k iou (kiou). Si la syllabe se termine par une consonne, cette consonne s’écrit toujours au dessous de la voyelle précédente : ap (ap), kak (kak), pat (pat)...

— Le coréen pourrait aussi s’écrire sur une ligne horizontale, de droite à gauche, syllabe par syllabe, comme ou le voit, planche 1, pour les mots coréens de deux syllabes. Mais ce système n’est jamais employé dans un livre purement coréen. Les missionnaires et les chrétiens, pour correspondre entre eux avec sécurité, s’écrivent en lignes horizontales. Lors même que leurs lettres seraient interceptées, les païens, habitués à lire de haut en bas, n’y verraient qu’une succession de syllabes incohérentes.

Il n’y a pas, en coréen, de signes de ponctuation : virgule, point, deux-points, etc.. nous verrons plus loin comment on y supplée.

Le signe abréviatif (pl. II) indique qu’il faut répéter la syllabe superposée. S’il est écrit deux ou trois fois, c’est qu’il faut répéter les deux ou les trois syllabes précédentes.

Certaines lois euphoniques font modifier le son de telle ou telle finale devant telle ou telle initiale. Le plus souvent on n’écrit pas ces changements. Quelquefois cependant ils passent dans l’écriture. Par exemple: l finale se trouvant presque toujours élidée, dans la prononciation, devant une consonne initiale, il n’est pas rare qu’on se permette de la supprimer en écrivant.

Prononciation. — Nulle règle écrite ne peut enseigner la prononciation exacte d’une langue étrangère. Cet axiome est vrai surtout pour la langue coréenne, à cause des voyelles indéterminées ŏ, eu, ä, qui représentent toutes les nuances de son, depuis notre emuet, en passant par eu fermé (comme dans peu), par ew ouvert (comme dans peur), jusqu’à Va ouvert (comme dans o?-). Ces voyelles se prennent aisément, en certains cas, l’une pour l’autre, et les Coréens eux-mêmes s’y trompent.

Il y a des voyelles et des diphthongues brèves et longues. L’usage seul peut les faire reconnaître, car aucun signe particulier ne les distingue dans l’écriture.

La consonne tj ou ts a été quelquefois traduite par dj ou tch. En fait, elle a une valeur mitoyenne entre ces diverses prononciations, et ne peut être représentée exactement par aucune.

Les consonnes désignées dans le tableau sous le nom d’aspirées devraient plutôt s’appeler expirées. Le terme adéquat serait : consonnes crachées, car le son que produit un gosier coréen en les prononçant ressemble à celui de l’expectoration.

Pour plus de détails, voir la planche II.

 

§ 2. — Grammaire (parties du discours).

 

Noms, déclinaisons. — Il y a en coréen un très-grand nombre de substantifs monosyllabiques. Exemple : kho, nez; ip, bouche; noun, œil; ni, dent; moun, porte; kat, chapeau; piŏk, mur, etc. La plupart sont de deux syllabes. Exemples : saràm, homme; nima, front; sätjä, lion; kitong, colonne, etc. — Ceux de trois syllabes et plus sont presque toujours des noms composés.

Les mots chinois abondent dans la langue coréenne. Le peuple des campagnes s’en sert assez peu, mais les savants, les habitants des villes et surtout ceux de la capitale, les emploient avec profusion. Ces mots suivent les règles ordinaires de la grammaire coréenne.

Les substantifs n’ont pas de genre. On indique la différence des sexes par des noms différents; ou bien on met les mots : siou, mâle; am, femelle, devant le nom de l’espèce. Les petits des animaux se désignent, suivant l’espèce, parles mois sakki, atji, etc., ajoutés au nom ordinaire.

Les noms de métiers, professions, etc., se forment avec la particule A-oun qui correspond à la terminaison latine ator  Ex. : il, ouvrage il-koun, ouvrier; namou, bois; namou-koun, bûcheron; tjim, faix, tjim-koun, portefaix; norom, jeu, norom-koun, joueur.

Le coréen étant une des langues qu’on nomme agglutinatives pour les distinguer des langues à flexions, n’a qu’une seule déclinaison. Elle est formée de neuf cas, ou, si l’on veut, de dix. En effet, par une particularité assez bizarre, le nominatif a une terminaison spéciale qui le distingue du nom pur et simple. Voici les terminaisons des différents cas :

 

 

 

 

 

Le pluriel de tous les mots se forme en ajoutant la terminaison teul, et se décline suivant la règle précédente. Ex. :

Saräm, homme, saràm-teul, les hommes, saräm-teul-i, saräm-teul-lo, sarämteuleue, saräm-teul-éké, etc. (Prononcez : saräm-teur-i, saräm-teur-euè, saräm-teur-èkè etc.}

Deux remarques compléteront cet exposé des règles de la déclinaison coréenne. 1° Dans un certain nombre de mots terminés soit par une consonne, soit par une voyelle, l’usage a remplacé la terminaison èkè du datif, par la contraction kké. 2° En coréen, comme dans la plupart des langues agglutinalives, on indique certaines nuances de signification, en surajoutant les unes aux autres les terminaisons de divers cas. Ainsi on rencontre les terminaisons composées : ké-ro (dat. instr.), kè-ro-siô (dat. instr. abl.), etc.

 

Adjectifs. — En coréen, il n’y a pas d’adjectifs proprement dits. On les remplace par des substantifs ou par des verbes.

Quand un adjectif indique la matière d’un objet, sa nature, son essence distincte, et qu’il peut, en français, se remplacer par un nom au génitif, comme dans les expressions : âme humaine (d’homme), brise printanière (de printemps), cet adjectif se rend en coréen par un substantif que l’on place avant le nom qualifié.

Exemples : langue coréenne, tsio-siôn-mal (Corée-langage); l’oreille humaine, saràm-koui (homme-oreille). Le premier substantif reste toujours invariable, et le second seul se décline.

Les adjectifs qualificatifs, comme: bon, grand, puissant, sont remplacés par des verbes, de la manière suivante. Si l’adjectif est seul avec le substantif, on se sert du participe relatif passé, qui se place avant le substantif et demeure invariable. Si, au contraire, l’adjectif est l’attribut de la proposition, le verbe se met après, au temps voulu.

Exemple : le verbe neutre kheu-ta signifie : être grand; son participe relatif passé est kheun, qui a été grand, qui est grand. Les expressions : une grande maison, de grandes maisons, à une grande maison, etc., se diront : kheun tsip, kheun tsip-leul, kheun tsip-ékê, etc. Si, au contraire, on veut traduire : la maison est grande, la maison sera grande, la maison était grande, on dira : tsip-i kheu ta, tsip-i kheu-ket-ta, tsip-i kheu-tôni, etc., en conjuguant le verbe kheu-ta dont tsip est le sujet.

On se sert presque toujours comme adjectif du participe relatif passé, parce que la qualité existe dans l’objet antérieurement à l’affirmation qu’on en fait. Avec les expressions : digne de, propre à, probablement, etc., on emploierait le participe relatif futur, parce que ces expressions impliquent une nuance de futurité.

Tous les mots coréens peuvent devenir adjectifs, à l’aide des participes du verbe être ou du verbe faire. (Voir divers exemples dans le Pater et l’Ave, pl. III, IV.)

Les participes relatifs employés comme adjectifs, deviennent quelquefois de véritables substantifs et se déclinent comme tels.

De même que nous disons en français : un égal, les petits, etc., on dira en coréen : kàtheun-éké, à un égal; isiôkeun-eu-ro, par un petit, etc.

Le comparatif s’exprime par les mots : fo, plus, ou toi, moins, placés devant Tadjectif (participe ou verbe). Ex. : tô nap-ta, être plus haut; toi peulkeun kôt, la chose moins rouge {litt., moins rouge-étant chose). On peut employer aussi le verbe po-ta, voir. Ex. : i saràm-i na po-ta kheu-ta, cet homme est plus grand que moi {litt. cet homme moi voir être-grand). — Enfin po-fa peut s’employer avant les mots to et toi. Ex. : hè tàl po-ta tô nop-ta, le soleil est plus haut que la lune (litt. soleil lune voir plus être-haut); hè piôl po-ta toi nop-ta, le soleil est moins haut que les étoiles.

Le superlatif relatif se rend par le mot tsioimg-é, entre, parmi, qui précède l’adjectif. — Ex. : moteun saràm tsioung-é kheu-ta, être le plus grand des hommes {litt. tous hommes entre être-grand).

Le superlatif absolu se forme avec les adverbes tsikeuk-hi, très, extrêmement; ontsion-i, entièrement, etc., placés devant l’adjectif. Ex. : tsikeuk-hi nop-ta, très-haut {litt. extrêmement être-haut).

 

Noms de nombre. — La langue coréenne n’a de noms que pour les unités et les dizaines.

I, hàna; 2, toul; 3, sèt; 4, net; 5, tasàt; 6, iôsat; l,ilkop; 8, iôtalp; 9, ahop; 10, iôl.

II, îor-hana (dix-un); 12, iôl-toul (dixdeux), etc..

20, seumoul; 30, siorheun; 40, maheun; 50, souin; 60, iésioun; 70, irheun; 80, iôteun; 90, aheun.

Les noms : cent, mille, dix mille, etc., sont tirés du chinois, et quand on les emploie au pluriel, leur nombre doit être indiqué par les noms chinois des unités. Ex. : trois cent soixante-cinq ans, le mot pèk, cent, étant chinois, on ne peut pas employer le mot coréen sèt, trois, et dire sèl-pèk; il faut prendre le mot chinois sam, trois, et dire sam-pèk. Ensuite, si le nom de la chose comptée est coréen, soixante-cinq se dira en coréen; si ce nom est chinois, soixante-cinq devra être également en chinois; par conséquent, selon qu’on emploiera pour le mot : année, l’expression coréenne hè, ou l’expression chinoise niôn, on dira : sam-pèk ièsioun-tasàt hè, ou bien sam-pèk-niouk-sip-o niŏn., trois cent soixante-cinq ans.

Les noms de nombres cardinaux se placent avant le mot dont ils désignent la quantité. Exemple : seumoul-saräm, vingt hommes.

Ces noms employés seuls peuvent se décliner comme tous les autres noms; mais, placés devant un substantif pour le qualifier, ils deviennent adjectifs, et par conséquent restent invariables.

Les nombres ordinaux se forment en ajoutant aux nombres cardinaux coréens la terminaison tsè. Ex. : toul-tsè, deuxième; ilkop-tsè, septième. De même qu’en français on ne dit pas le unième, en coréen on ne dit pas hàna-tsè, mais tchiôt-tsè, le premier. Les nombres ordinaux chinois s’obtiennent en préfixant aux nombres cardinaux le mot tiei. Ex. : tiel-sam, troisième; tiel-sip, dixième; tiei-pék, centième. Ils s’emploient avec les mots chinois, selon la règle expliquée plus haut.

Les noms de nombres ordinaux précèdent le substantif et sont invariables. Employés seuls, ils peuvent se décliner.

 

Pronoms. — Le coréen n’a que deux pronoms personnels : na, je, moi; et nô, tu, toi. Comme dans les autres langues de la même famille, c’est un des pronoms démonstratifs qui sert pour la troisième personne : il, lui. Le plus ordinairement employées: tiô, celui-là, celle-là, cela.

Na et no se déclinent suivant la règle générale. Deux cas seulement font exception. Le nominatif, qui se forme avec la terminaison ka, est pour la première personne : nè—ka au lieu de na-ka; pour la seconde : né-ka au lieu de nô-ka. L’instrumental de la première personne est nal-lo, celui de la seconde est nôl-lo. Enfin, on trouve au datif, outre la forme régulière, les formes contractées : nè-kké, né-kké.

Le pluriel de la première personne est : ouri, nous; celui de la seconde : nôheué, vous. On emploie également d’autres pluriels dérivés des précédents : ouri-teul, nous; nôheuè-teul, vous. Tous ces pluriels se déclinent suivant la règle générale.

Chez toutes les nations, mais surtout dans les pays asiatiques, l’usage des pronoms personnels est restreint par les règles de la politesse. En Corée, un homme du peuple, s”adressant à un mandarin, ne s’avisera jamais de dire : je ou moi, il dira, en parlant de lui-même: sio-in, petit homme. A plus forte raison ne dira-t-il pas à son interlocuteur: tu ou toi; il emploiera le titre voulu, comme nous disons nous-mêmes : Votre Excellence, Votre Grandeur, etc.. Mais ce sont là des règles de civilité, et non de grammaire.

Il n’y a pas de pronoms, ou, si l’on veut, d’adjectifs possessifs; ce sont les pronoms personnels qui en tiennent lieu. nè, né, uuri, nôheuè, placés devant un substantif, deviennent adjectifs par position, et signifient: mon, mien, ton, tien, notre, votre.

II va sans dire qu’ils demeurent alors invariables. Le substantif seul se décline et prend, le cas échéant, la marque du pluriel.

On pourrait également employer le pronom personnel au génitif, et dire, par exemple : na-eué tsoé, de moi le péché, au lieu de nè-tsoè, mon péché.

Les pronoms et adjectifs démonstratifs sont : i, tiu, heu, tsa, pa, qui tous signifient : ce, cet, celui, celle, ceux, celles, ces.

i désigne les personnes ou les choses rapprochées, et correspond à : celui-ci, ceci, etc. — tiô s’emploie pour les personnes où les choses éloignées, et signifie : celui-là, cela, etc. — keu indique la personne ou la chose dont on vient de parler. — tsia et pa s’emploient avec les participes relatifs des verbes. Ex. : kousiok hàn tsia (salut ayant fait celui), celui qui a sauvé; pou-mo sârang hânàn pa (père-mère amour faisant celui), celui qui aime ses parents. — tsia se dit des personnes, pa se dit des personnes et des choses.

Tous ces pronoms, quand ils ne sont pas joints à un substantif, se déclinent suivant la règle générale. Quand ils précèdent un substantif, ils deviennent adjectifs et restent invariables.

Les pronoms et adjectifs interrogatifs sont : nout, noukou, ({ui ? pour les personnes; mouôt, quoi? pour les choses; ônà, Ôtlôn, quel? pour les personnes et les choses, ônà signifie proprement : lequel? d’entre plusieurs {quis); ôttôn, quel ? de quelle espèce? {qualis). Ex. : ônä saräm inia, quel homme est-ce? ioan-i olsieta (Jean être), c’est Jean, ôttôn saràm inia, quel homme est-ce? koéak hàn saràm-i olsieta (mal ayant fait, mal faisant homme être), c’est un mauvais homme. Ces pronoms se déclinent quand ils sont employés comme pronoms, c’est-à-dire isolément. Comme adjectifs, ils restent invariables.

Le pronom réfléchi est tsakeué, soi-même, qui se décline régulièrement. On emploie aussi tsô, tsè qui se décline comme le pronom de la seconde personne nô, ne, etc..

Il n’y a pas en coréen de pronoms relatifs, on y supplée par les participes relatifs joints aux substantifs ou aux pronoms démonstratifs, comme nous venons de le voir.

 

Verbes, conjugaison. — Il y a, en coréen, des verbes actifs et des verbes neutres, mais ces dénominations n’ont pas exactement le même sens que dans nos langues. Un verbe actif, en coréen, est celui qui exprime une action, qu’elle soit faite ou reçue par le sujet, qu’elle se passe en lui ou hors de lui; ce qui inclut les verbes transitifs, intransitifs et passifs de nos grammaires. Faire, pâtir, dormir, sont des verbes actifs. Les verbes neutres, qui seraient peut-être mieux nommés verbes qualificatifs ou verbes adjectifs, sont ceux qui expriment une qualité ou une manière d’être : être grand, être beau, etc. . .

Il suit de là que les verbes coréens n’ont pas de voix passive. On y supplée par les divers modes du verbe actif, surtout par les participes relatifs, ou bien par une inversion dans la construction de la phrase.

En revanche, les verbes coréens comptent au moins sept voix différentes. Outre la voix active ou verbe affirmatif, il y a le verbe éventuel, le verbe interrogatif, le verbe négatif, le verbe honorifique, le verbe causatif, le verbe motivant, etc..

Comme plusieurs autres langues de la même famille, le coréen a deux verbes substantifs : it-ta, qui signifie l’existence pure et simple, et il-ta, qui signifie l’essence, la nature du sujet, it-ta veut dire : exister; il-ta veut dire : être telle chose.

Les verbes composés sont excessivement nombreux. Ils se forment par l’union d’un substantif et d’un verbe, ou de deux verbes ensemble. — Tous les noms peuvent devenir des verbes par l’addition du verbe il-ta, être : homme-être, père-être, etc.; ou du verbe hà-ta, faire : travail-faire (travailler), joie-faire (se réjouir), etc. — Quand deux verbes se joignent, le premier est au participe passé verbal, ou gérondif passé, et le second seul se conjugue. C’est de cette manière que la langue coréenne supplée à ces prépositions qui jouent un si grand rôle dans les verbes de nos langues. Ex. : apporter se traduira par les verbes prendre et venir : ayant pris, viens (apporte); emporter se construira de la même manière : ayant pris, va (emporte).

La conjugaison coréenne est d’une simplicité toute primitive. Il n’y a ni nombres, ni personnes. La même expression signifie : je fais, lu fais, il fait, nous faisons, vous faites, ils font. Si le sens de la phrase ne suffit pas pour indiquer le sujet, on fait précéder le verbe d’un pronom personnel. — Les modes sont : l’indicatif, l’impératif, l’infinitif et les participes. Il n’y a pas de subjonctif ou optatif.

Dans chaque forme du verbe, il faut distinguer trois choses : la racine, le signe du temps, la terminaison. — La racine, ou le radical du verbe, indique purement et simplement l’état ou l’action que signifie le verbe. Elle est par conséquent immuable. — Le signe du temps indique si cet état ou cette action a eu lieu auparavant, a lieu maintenant, ou aura lieu plus tard. — La terminaison marque la différence entre les temps principaux et les temps secondaires. Elle change ordinairement avec les diverses voix des verbes.

Les radicaux coréens sont de deux espèces : ceux qui rendent aspirée la consonne qui les suit immédiatement, et ceux, beaucoup plus nombreux, qui n’exigent pas cette aspiration. La terminaison de l’infinitif, qui est ta dans ces derniers, devient, dans les premiers, tha. Ex. : hà-ta, faire; no-tha, lâcher.

Les signes de temps n’étant autres que les participes verbaux, il importe, avant tout, de bien déterminer ce que sont ces participes, et de les distinguer des participes relatifs. Dans nos langues, le même mot joue les deux rôles; nous disons : dominant sa colère, il garda le silence, et : l’homme dominant ses passions triomphera. Dans le premier exemple, dominant n’est pas un véritable participe puisqu’il ne participe pas de la nature de l’adjectif, ce serait plutôt une espèce de gérondif. Dans le second cas, dominant joue le rôle d’adjectif, et remplace le verbe avec qui relatif. Or il y a, en coréen, deux formes différentes de participes, pour exprimer ces deux sens différents. Les premiers sont les participes verbaux, et les seconds les véritables participes, ou participes relatifs.

Maintenant, comment se forment les participes verbaux? — Le participe futur se forme en ajoutant au radical la particule ké qui dans les verbes en tha devient khé. Ex. : hà-ta, faire, hà-ké, devant faire; no-tha, lâcher, no-klié, devant lâcher. — Le participe passé se forme en ajoutant au radical l’une des voyelles a ou o. Dans les verbes en tha, cette particule devient ha ou hô Ex. : no-tha, lâcher, no-ha, ayant lâché; nô-tha, placer, nô-hô, ayant placé. Dans les verbes en ta, la voyelle a ou o se joint au radical soit directement, soit à l’aide d’une lettre euphonique. Ex. : hâ-ta, faire, hà-iô, ayant fait; tsô-ta, boiter, tsô-rô, ayant boité; sin-ta, chausser, sin-ŏ, ayant chaussé. Les verbes dont le radical est en a, n’ajoutent rien. Ex. : tsa-ta, dormir, tsa, ayant dormi.

Nota. — Les règles euphoniques à observer dans la formation du participe passé verbal, étant assez compliquées, le dictionnaire, tout en donnant les verbes à l’infinitif, indique toujours ce participe.

Il n’y a pas en coréen de participe verbal du présent. C’est le radical pur et simple qui en tient lieu. En effet, dès lors que la manière d’être ou l’action affirmée par le verbe n’est rapportée ni au passé, ni au futur, elle est, par cela même, au présent habituel. Ce présent suffit pour les verbes neutres, puisqu’ils expriment seulement un état, une manière d’être; il suffit, par la même raison, pour les deux verbes substantifs; aussi tous ces verbes n’ont-ils pas d’autre présent de l’indicatif que l’infinitif lui-même. — Mais ce présent habituel, trop vague, est insuffisant pour les verbes actifs, où il est nécessaire de spécifier plus clairement que l’action a lieu au moment même où l’on parle. Le signe du présent se forme alors de la manière suivante. Dans les verbes en ta : si le radical se termine par une consonne autre que /, on ajoute nân; s’il se termine par une voyelle, on ajoute seulement n; s’il se termine par la consonne l, on supprime cette lettre et l’on ajoute n à la voyelle qui reste. Ex. : kkak-ta, tailler, radical avec le signe du présent : kkak-nàn; hà-ta, faire, radical et signe du présent : hàn; phoul-ta, vendre : phoun. Dans les verbes en tha : si le radical est terminé par une voyelle, on ajoute nàn, et comme il n’y a pas de n aspirée dans l’alphabet coréen, on y supplée en intercalant entre le radical et cette particule la lettre t; si le radical se termine en /, on ajoute nàn, ce qui, suivant les règles de prononciation coréenne, donne l-làn. Ex. : nô-tha, j)lacer, radical et signe du présent : nô-t-nàn; il-tha, perdre: îl-nän (pron. il-län).

Le troisième élément d’une forme verbale est la terminaison qui, avons-nous dit, sert à distinguer les temps principaux des imparfaits. Les Coréens comptent quatre temps principaux, le présent, le parfait, le futur et le futur passé. Ce dernier se forme en surajoutant le signe du futur au signe du passé. Les temps secondaires, que l’on peut regarder comme les imparfaits des précédents, sont : l’imparfait, le plus-que-parfait, le conditionnel, et le conditionnel passé. Dans le verbe ordinaire (voix affirmative), la terminaison des temps principaux est ta, celle des temps secondaires est tôni. Entre les participes verbaux et ces terminaisons on insère un t euphonique.

Le tableau suivant résume toutes les règles que nous venons de donner et en montre l’application.

 

 

 

 

 

L’impératif se forme du participe passé en ajoutant la terminaison ra : hàiô-ra, fais. — (Il n’y a que deux exceptions. On dit : onô-ra, viens, au lieu de oa-ra, et : kakôra. va, au lieu de ka-rà).

Nota. — Il y a une autre forme d’impératif qui n’appartient pas à la conjugaison régulière, et qui ne sert que pour l’impératif pluriel de la première personne. Elle s’obtient en ajoutant tsa au radical des verbes en la, et tcha au radical des verbes en th. Ex. : hà-tsa. faisons; nô-tcha, plaçons.

Le participe relatif présent se forme en ajoutant nàn au radical. Dans les verbes en tha, on intercale t, pour la raison ci-dessus énoncée. Ex. : hà-nân, faisant, qui fait, qui est fait; no-t-nàn, lâchant, qui lâche, qui est lâché. — Le participe relatif passé se forme comme il suit. Dans les verbes en ta : si le radical se termine par une consonne autre que l, on ajoute eun; s’il se termine par une voyelle, on ajoute simplement n; s’il se termine par l, on supprime cette consonne, et l’on ajoute n à la voyelle qui reste. Dans les verbes en tha on ajoute heun au radical. Ex. : soum-eun, caché, ayant caché, qui a caché, qui a été caché; hân, fait, ayant fait, qui a fait, qui a été fait; phou-n, vendu, ayant vendu, qui a vendu, qui a été vendu; nô-heun, placé, ayant placé, etc.; il-heun, perdu, ayant perdu, etc.. — Le participe relatif futur se forme du participe relatif passé en chageant n en l, soum-eul, hàl, phoul, nô-heul, etc., (devant faire, qui fera, qui sera fait, etc..)

Le verbe est très-souvent employé comme substantif. Il prend alors une forme particulière qui s’obtient en changeant l’n final du participe passé relatif, en m, et qui se décline à tous les cas : hâm, faire, hàm-i, le faire, hâm-eu-ro, par le faire, etc.. Outre cette forme qui se trouve surtout dans les livres, il y en a une autre beaucoup plus employée dans la conversation. Elle s’obtient en ajoutant ki au radical, et à chacun des participes verbaux, hà-ki, le faire; hàiôt-ki, le avoir fait; hàkèt-t-ki, le devoir faire. Ces trois nouveaux substantifs se déclinent.

Quelques mots sur les autres voix des verbes compléteront la théorie de la conjugaison coréenne.

Le verbe éventuel est celui qui se conjugue avec la condition si, si je fais, si j’ai fait, si je dois faire, etc.. il n’a que le mode indicatif. Le présent se forme en ajoutant au radical : s’il est terminé par une consonne autre que l, la terminaison eumiôn; s’il est terminé par une voyelle, ou par l (qu’on retranche), la terminaison miôn. Dans les verbes en tlia, la terminaison devient heumiôn. Ex. : soum-eumiôn, si je vends; hà-miôn, si je fais; nô-heumiôn, si je place. Les autres temps se forment comme ceux de l’indicatif ordinaire, en changeant ta en simiôn, ettôni en tômiôn. Ex. : hà-tômiôn, si je faisais; haiot-t-tomion, si j’avais fait; hàkè-t-simion, si je dois faire (litt. si je ferai), etc

Le verbe interrogatif se forme d’une manière analogue. Les terminaisons ta du verbe affirmatif se changent en nània, les terminaisons tôni en tonia. Au présent, la terminaison se joint directement au radical, en laissant de côté le signe du présent. Ex. : hà-nània, fais-je? fais-tu? etc... hà-tônia, faisais-je? hàkétnània, ferai-je? hàiôtkét-tônia, aurais-je fait? etc...

Il n’y a que deux verbes négatifs proprement dits, lesquels correspondent aux deux verbes substantifs, dont nous avons parlé plus haut, ŏp-ta, négatif de it-ta, signifie : ne pas être, ne pas exister; ani-ta ou anilta, négatif de il-ta, signifie : ne pas être telle chose. Tous les verbes peuvent devenir négatifs, en ajoutant au radical la termison tsan-ta qui se conjugue suivant la règle générale. Naturellement, dans les verbes en tha, cette terminaison aspire sa première consonne et devient tchan-ta. — tsan-ta est une contraction de isi-anita, tsi particule qui implique doute et qui appelle une négation, et le verbe négatif ani-ta dont nous venons déparier. — Une autre forme du négalif s’obtient en ajoutant au radical la terminaison tsi-mot-hâta, composée de la particule tsi, de mot qui signifie : impuissance, et du verbe hä-ta, faire. Cette dernière forme du négatif signifie littéralement, je suis dans l’impuissance de..., je ne puis pas....

Le verbe honorifique se forme en ajoutant si-ta aux radicaux terminés par une voyelle, et eusi-ta à ceux qui sont terminés par une consonne. Pour les verbes en tha, ou ajoute au radical heusi-ta. Ex. : hà-ta, faire, hà-si-ta, si l’on parle d’une personne élevée en dignité; tsip-ta, prendre, tsip-eusi-ta; kip-ta, être profond, kip-heusi-ta, etc... L’honorifique des verbes substantifs est : Pour it-t a : kiesi-ta; et pour il-ta: sil-ta, isil-ta, ou isi-ta. Le verbe à honorifiquc se conjugue suivant la règle générale, à l’affirmatif, à l’éventuel, à l’interrogatif, au caiisatif, etc..

Le verbe causatif se forme en ajoutant ha-ta, faire, au participe verbal futur. Ex. : hàkè-hàta, faire faire [litt. faire que fera); tsa-ta, dormir, tsaké-hàta, faire dormir (litt. faire que dormira).

Le verbe motivant indique le motif, le pourquoi de ce qui va suivre. Il répond à notre verbe actif conjugué avec la préposition parce que. Il se forme en ajoutant au radical la terminaison nitka, et aux participes verbaux, la terminaison si-nitka. Ex. : hà-nitka, parce que je fais, hâiôt-si-nitka, parce que j’ai fait, hàkét-si-nitka, parce que je ferai. On peut employer aussi l’expression suivante : hà-nànkoro, hàiôt-nànkoro, hàkét-nankoro, qui a le même sens. — Arrêtons-nous une minute à analyser cette dernière forme, qui nous donne une idée claire de la manière dont procèdent les langues agglutinatives. Nous avons d’abord le verbe aux trois temps primitifs : le présent, représenté parle radical; le passé et le futur, représentés par les participes verbaux. En ajoutant nàn, on obtient des participes présents qui signifient : être actuellement ayant fait, être actuellement faisant, être actuellement devant faire. La particule ko implique le sens d’affirmation : oui, vraiment. Enfin on surajoute au tout la terminaison ro du cas instrumental, lequel signifie : par, au moyen de : hàkét-nànkoro, parce que je ferai, parce que tu feras, etc., signifie donc littéralement : par le vraiment être devant faire.

Il y a encore quelques autres formes de conjugaison indiquant différentes nuances de signification. Celles qui précèdent sont les plus usitées, et donnent une idée suffisante du génie propre de la langue coréenne.

Les terminaisons verbales que nous avons énumérées jusqu’ici, sont souvent modifiées ou remplacées par d’autres terminaisons que l’on peut rapporter à trois classes différentes. — 1” Les terminaisons bonorifiques. Le Coréen qui adresse la parole à un autre changera ou modifiera la terminaison du verbe, suivant que l’individu à qui il parle est son supérieur, son égal, ou son inférieur. De plus, il aura des nuances différentes pour le supérieur plus ou moins élevé en dignité, pour l’égal qu’il ne connaît pas ou qu’il connaît avec plus ou moins d’intimité, pour l’inférieur qu’il traite avec amitié, avec indifférence ou avec mépris. Enfin, s’il parle d’une tierce personne, son langage devra indiquer si elle est supérieure, ou égale, ou inférieure à son interlocuteur.

On voit que les règles de la civilité compliquent terriblement les règles de la grammaire. — 2° Beaucoup de terminaisons sont usitées, pour indiquer certaines nuances de sens : Taffirmation, la possibilité, le doute, la probabilité, l’espérance, le reproche, etc.. etc.. — 3” Enfin, il y a des terminaisons spéciales pour indiquer que le sens de la phrase est suspendu ou terminé, en un mot, pour remplacer la ponctuation.

Ces diverses particules terminatives s’ajoutent : les unes au radical, les autres aux participes verbaux, d’autres à la terminaison régulière, d’autres enfin à l’une ou à l’autre forme indifféremment. Déplus, elles se surajoutent et s’agglutinent très-souvent les unes aux autres, pour former un sens complexe, lequel est la résultante des sens de chaque fragment séparé. On conçoit qu’avec un pareil système, applicable aux divers temps et aux diverses voix de chaque verbe, la somme de toutes les terminaisons simples ou composées que peut avoir un radical s’élève à un chiffre énorme. Les Coréens en comptent plusieurs milliers, mais dans les listes qu’ils en donnent, il faut retrancher beaucoup de composés qui sont, non des terminaisons, mais de véritables phrases. Ainsi, par exemple, ils comptent parmi les terminaisons des verbes le mot ttè, temps (ou son locatif ttè-é), qui se joint aux partici|)es relatifs pour signifier : lorsque : hàn-ttè-é, lorsqu’il a fait; hàl-Uè-é, lorsqu’il fera.

Un mot seulement des terminaisons qui constituent la ponctuation et remplacent la virgule, le point, le point et virgule, les deux points, signes inconnus dans l’écriture coréenne. — La virgule s’indique le jdus ordinairement par la terminaison Ico, quelquefois par mlô, ou par io (du verbe il-ta), ou isio (du verbe honorifique isi-ta). La conjonction : et, en coréen oa, koa, hoa, les formes du vocatif a, m, w, peuvent également indiquer une virgule. — Le point et virgule se rend par les terminaisons miô, hàni, ini. — Les deux points sont indiqués par les terminaisons a, ia, iô d’un participe passé, lorsqu’une énumération doit suivre, et par la particule /è, lorsqu’on va citer les paroles de quelqu’un. — Le point est exprimé par toutes les combinaisons de particules qui se terminent en ta on ra: nira, inira, nanita, nantota, tota, tosoita, et par d’autres encore comme siosio, etc. (Voyez le Pater et l’Ave Maria en coréen, pl. III et IV).

Adverbes. — Les adverbes simples sont en assez petit nombre. Ex. : ta, plus; toi, moins; tto, encore; miut, combien; man, seulement, etc. Ces mots ont été ou sont encore de véritables substantifs, signifiant : le plus, le moins, etc.. Parmi les adverbes composés, les uns sont des substantifs, adjectifs, ou pronoms mis au cas voulu, le plus souvent à l’ablatif, au locatif et h rinstrumental. La plupart sont plutôt des locutions adverbiales. Ex. : ônà-ttè (quel temps) quand ?; tiô-ttè (ce temps-là), dernièrement; tsion-é (dans le devant), avant; hou-é (dans l’arrière), après; iô-keué, ici; id-keuc-siu, (ï’id; tid-keué,\h’, tiô-keuê siô, de là; tto-han, aussi; han-katsi-ro, ensemble; uttdkhé, comment; etc. Les autres adverbes composés se forment des verbes neutres en ajoutant au radical i. M, kei, khei, Ex. : polk-i, évidemment; kateuk-hi, pleinement; kheu-kei, grandement; etc.

Postpositions. — Elles tiennent lieu de nos prépositions. Les principales sont celles qui servent pour la déclinaison, il y en a une ou deux autres. Ex. : kiri, avec. Les Coréens en comptent un certain nombre, qui sont en réalité des locutions postpositives. Ex.; po-to, en comparaison de {litt. voir); tsoung-é, dans, parmi; in-hàia, par; oui-hàia, pour. Ces deux dernières sont des participes verbaux qui gouvernent l’accusatif.

Conjonctions. — La conjonction et se traduit par oa quand le mot précédent finit par une consonne, par hoa lorsqu’il finit par une voyelle. Souvent aussi on emploie ko, seul ou avec le radical M du verbe faire : hà-ko. Ces particules étant plutôt des participes continuatifs que de véritables conjonctions, se placent après le mot, et doivent être répétées après chacun des mots ou (les propositions que l’on veut relier ensemble. Ex. : keul-sseu-ko t’sèk-po-ko, écrire-et lire-et. Les autres conjonctions sont : hok, ou; manân, mais; pirok, quoique, etc.. On rencontre aussi des locutions conjonctives. Ex. : iônkoro., donc {litt. par le être ainsi).

Interjections. — Les principales sont : èko, hélas !; e, è, fi !; ana, iôpo, eh !; ia, holà ! etc.... On peut aussi rattacher aux interjections les deux formes ordinaires de l’affirmation : orna, oui (du supérieur à l’inférieur), te, oui (de l’inférieur au supérieur).

 

§ 3. — Grammaire (syntaxe).

 

Le principe fondamental de la syntaxe coréenne est celui-ci : le mot qui gouverne est invariablement placé après le mot qui est gouverné. D’où il suit que : — dans la déclinaison, la préposition indiquant le cas change de place, et devient postposition parce qu’elle gouverne le nom; — le nom au génitif précède celui qui le gouverne; — radjectif ou participe relatif précède le nom auquel il se rattache; — l’adverbe précède le verbe; — le substantif précède le verbe par lequel il est gouverné, etc.. La forme invariable d’une phrase coréenne est donc : 1° le sujet précédé de tous ses attributs, s’il en a; 2° le régime indirect au cas voulu, précédé également de ses attributs; 3° le régime direct précédé de tout ce qui s’y rattache; A” enfin le verbe, précédé des adverbes, etc., lequel termine nécessairement la phrase.

Cette règle générale sera suffisamment complétée par les observations suivantes.

Souvent on omet le signe du pluriel, surtout dans le langage ordinaire de la conservation. Ex. : seumou saràm, vingt hommes, pour seumou saràm-teul.

On omet aussi volontiers le signe du génitif. Ex. : namou-nôp, feuille d’arbre Jilt. arbre-feuille), au lieu de namou-eué nôp. Dans les mots tirés du chinois, cette exception devient la règle absolue. Ex : thiôn-tsiou-kiông, prière du maître du ciel (litt. ciel-maitre-prière)

Quand divers noms sont reliés par des conjonctions, le dernier seul prend le signe du cas, les autres restant invariables. Ex : nakoui-oa màl-koa kè-éké tsouuttàpnaita, j’ai donné à l’ane, au cheval et au chien.

Les mots chinois sont très-employés, à l’exclusion des mots coréens, par les gens de la haute classe et par les habitants des villes; les paysans eux-mêmes s’en servent quelquefois. En pareil cas, les adjectifs, noms de nombre, adverbes, etc., qui accompagnent un substantif ou un verbe chinois, doivent aussi être chinois. Jamais on ne met un adjectif coréen à un nom chinois, et réciproquement.

Quand plusieurs adjectifs se rapportent à un seul sujet, le dernier adjectif seul prend la forme ordinaire (participe relatif); les autres sont au radical avec la conjonction ko. Ex : kôm-ko heuè-ko peulk-ko pheur-àn pit. Les couleurs : noire, blanche, rouge et bleue.

Dans une énumération, contrairement à nos idées de politesse, le pronom je ou moi se met le premier. Ex. : na-hàko apôtsihako ômôni-hàko (ong-sâiny-hako nounim-hàko aki-hàko tsalteuritta. Ce qui signifie littéralement moi-et, père-et, mère-et, frère-et, sœur-et, petit enfant-et, bien (portants) être.

Quand les termes d’une énumération sont des verbes à l’infinitif, le dernier seul se conjugue, les auties sont au radical suivi de la conjonction ko. Ex : pallo-to ssao-ko, soneuro-to ssao-ko niro-to ssaoat-ta. Ils ont combattu des pieds, des mains et des dents. (Litt. par pied aussi combattre-et, par main aussi combattre-et, par dent aussi ils ont combattu).

Généralement les choses inanimées ne peuvent pas être le sujet d’un verbe. En pareil cas, on tourne la phrase d’une autre manière.

Quoique les verbes actifs gouvernent l’accusatif, le signe de ce cas est très-souvent omis après les régimes directs, surtout en conversation.

 

§ 4. — A Quelle Famille Appartient la Langue Coréenne ?

 

Dans la classification des langues, l’élément fondamental est la ressemblance ou la diversité de structure grammaticale. La ressemblance ou la diversité des mots n’a qu’une importance très-secondaire. Or toutes les règles dont nous venons de donner un résumé, démontrent d’une manière évidente que le coréen appartient à cette famille de langues que l’on nomme généralement : mongoles, oural-altaïques, touraniennes, etc., et qui serait mieux caractérisée par le terme : scythiques ou tartares, puisque les mots : Scythes, chez les anciens, et Tartares, chez les modernes, ont toujours servi à désigner l’ensemble des peuples de la haute Asie.

Quels sont en effet les principaux caractères des langues tartares, par contradistinction avec les langues indo-européennes?

Les langues indo-européennes ont des mots de genre différent non-seulement pour les êtres vivants, dans lesquels existe la distinction de sexe, mais aussi pour les êtres inanimés et pour les idées abstraites; dans les langues tartares, au contraire, les noms sont tous neutres ou plutôt n’ont point de genre.

Les langues indo-européennes ont diverses déclinaisons pour les noms singuliers; le pluriel y est toujours distinct et se décline d’une manière différente; les terminaisons des cas, quelle qu’ait été leur origine primitive, sont devenues des changements ou flexions du mot lui-même, d’où leur nom de langues à flexions. Dans les langues tartares il n’y a qu’une seule déclinaison; les cas se forment par l’addition de postpositions qui restent distinctes et séparables du nom; le pluriel est indiqué par une particule spéciale jointe au radical, à laquelle s’ajoutent pour la déclinaison les mêmes postpositions qu’au singulier; enfin, par une ressemblance curieuse, la postposiiion du datif est caractérisée dans un certain nombre de ces langues par la gutturale k, qui se trouve dans les langues du sud de l’Inde comme en coréen.

Les langues indo-européennes ont des adjectifs qui se déclinent comme les substantifs, et s’accordent avec eux en genre, en nombre et en cas. Dans les langues tartares, les adjectifs proprement dits sont très-rares, et toujours invariables; les noms ou verbes de qualité et de relation qui tiennent leur place, et deviennent adjectifs par leur position avant le substantif, sont, comme tels, invariables.

Les langues indo-européennes ont des pronoms pour les trois personnes. Les langues tartares, surtout les plus primitives, manquent du pronom de la troisième personne qu’elles remplacent par un pronom démonstratif.

Les langues indo-européennes sont toutes abondamment pourvues de pronoms relatifs. Dans la plupart des langues tartares, on ne trouve pas de trace de l’existence de ces pronoms, et on les remplace par des participes relatifs, qui incluent en un seul mot l’idée exprimée par le verbe et l’idée de relation.

Dans les conjugaisons variées des langues indo-européennes, les divers modes, temps ou personnes sont indiqués par des changements ou flexions du verbe lui-même. Dans les langues tartares l’unique conjugaison se forme par voie agglutinative, en ajoutant ou surajoutant des particules qui restent toujours distinctes.

Les prépositions séparées, ou préfixées aux noms et aux verbes pour en modifier le sens, jouent un grand rôle dans les langues indo-européennes. Les langues tartares remplacent les prépositions isolées qui indiquent un rapport quelconque par des postpositions, et ne forment des verbes composés qu’à l’aide de noms ou d’autres verbes.

Les langues indo-européennes ont toutes la voix passive régulièrement conjuguée, avec des terminaisons différentes de l’actif; elles manquent de verbes négatifs, qu’elles remplacent par une négation distincte employée adverbialement. Dans les langues tartares qui ont le passif, il se forme par l’addition au radical d’une particule spéciale à laquelle se joignent les terminaisons de la conjugaison ordinaire. Dans les autres, la voix passive manque absolument. En revanche, l’existence de verbes négatifs distincts, et d’une voix négative commune à tous les verbes, sont des particularités spéciales aux langues tartares.

Enfin, pour ne pas prolonger inutilement cette comparaison, dans les langues indo-européennes, le mot qui gouverne précède généralement le mot qui est gouverné, au lieu que dans toutes les langues tartares, il est invariablement placé après.

Or ces signes caractéristiques des langues tartares, que nous venons d’énumérer, nous les retrouvons tous sans exception dans la grammaire coréenne; donc le coréen appartient à la famille des langues tartares. Le fait est hors de doute. Maintenant, à quel groupe de cette famille se rattache-t-il plus particulièrement? c’est une question qui devra être éclaircie plus tard, lors de la publication de la grammaire et du dictionnaire. Un fait curieux, qu’il n’est pas inutile de noter en passant, c’est la ressemblance entre la grammaire coréenne et la grammaire des langues dravidiennes, ou langues du sud de l’Inde. Dans beaucoup de cas, les règles sont, non-seulement analogues, mais identiques. La ressemblance entre certains mots coréens et dravidiens n’est pas moins frappante. L’étude approfondie de ces analogies jetterait un grand jour sur quelques points importants de l’histoire primitive des peuples indous, et sur diverses questions ethnographiques encore peu connues.