X.
Famille. — Adoption. — Liens de
parenlé. — Deuil légal.
Le
Coréen est fou
de ses enfants, surtout des garçons qui,
à ses yeux, ont au moins dix fois la
valeur des filles; et celles-ci même lui sont
chères. Aussi ne voit-on presque
jamais d’exemple d’enfants exposés ou
abandonnés. Quelquefois, aux époques de
grande famine, des gens qui meurent de faim sont
poussés à cette extrémité
:
mais, alors même, ils cherchent plutôt
à les donner ou à les vendre, et les
premières ressources qu’ils peuvent
réunir ensuite sont destinées à
les
racheter si possible. Jamais ils ne trouvent leur
famille trop nombreuse, et,
soit dit en passant, la conduite de ces pauvres
païens sera, au jour du
jugement, l’opprobre et la condamnation de ces parents
infâmes qui, dans nos
pays chrétiens, ne craignent pas de violer les
lois de Dieu et d’outrager la
nature, pour s’épargner les ennuis et les
fatigues de l’éducation des enfants.
Un Coréen, si pauvre qu’il soit, est toujours
heureux d’être père, et il sait trouver
dans son dénûment de quoi nourrir et
élever toute la famille que Dieu lui
envoie. La
première chose
que l’on inculque à l’enfant dès son
plus bas âge, c’est le respect pour son
père. Toute insubordination envers lui est
immédiatement et sévèrement
réprimée.
Il n’en est pas de même vis-à-vis de la
mère. Celle-ci, d’après les mœurs du
pays, n’est rien et ne compte pour rien, et l’enfant
l’apprend trop tôt. Il ne
l’écoute guère, et lui
désobéit à peu près
impunément. En parlant du père, on
ajoute fréquemment les épithètes
: em-trira, em-pou-hien, qui signifient :
sévère, redoutable, et impliquent un
profond respect. Au contraire, on joint au
nom de la mère les mots : tsa-tsin, tsa-tang,
c’est-à-dire : bonne, indulgente,
qui n’est pas à craindre, etc.... Cette
différence a certainement sa racine
dans la nature, mais, exagérée comme
elle l’est en ce pays, elle devient un
abus déplorable. Le
fils ne doit
jamais jouer avec son père, ni fumer devant
lui, ni prendre en sa présence une
posture trop libre; aussi dans les familles
aisées, y a-t-il un appartement
spécial où il peut se mettre à
l’aise et jouer avec ses amis. Le fils est le
serviteur du père; souvent il lui apporte son
repas, le sert à table et prépare
sa couche. Il doit le saluer respectueusement en
sortant de la maison, et en y
rentrant. Si le père est vieux ou malade, le
fils ne le quitte presque pas un
instant, et couche non loin de lui afin de subvenir
à tous ses besoins. Si le
père est en prison, le fils va s’établir
dans le voisinage afin de correspondre
facilement avec lui, et de lui faire parvenir quelques
soulagements; et quand
cette prison est celle du Keum-pou (1) le fils doit
rester agenouillé devant la
porte, à un endroit désigné, et
attendre ainsi jour et nuit que le sort de son
père soit décidé. Quand un
coupable est envoyé en exil, son fils est tenu
de l’accompagner
au moins pendant tout le trajet, et si l’état
de la famille le permet, il s’établit
lui-même dans le lieu où son père
subit la condamnation. Un fils qui rencontre
son père sur la route, doit lui faire de suite
la grande génuflexion et se
prosterner dans la poussière ou dans la boue.
En lui écrivant, il doit se
servir des formules les plus honorifiques que
connaisse la langue coréenne. Les
mandarins obtiennent fréquemment des
congés plus ou moins longs afin d’aller
saluer leurs parents, et si, pendant qu’ils sont en
charge, ils viennent à
perdre leur père ou leur mère, ils
doivent donner de suite leur démission pour
s’occuper uniquement de rendre au défunt les
derniers devoirs, et ne peuvent
exercer aucune fonction tant que dure le deuil
légal. Nulle vertu, en Corée, n’est
estimée et honorée autant que la
piété filiale, nulle n’est
enseignée avec plus
de soin, nulle n’est plus magnifiquement
récompensée, par des exemptions
d’impôts,
par l’érection de colonnes monumentales, ou
même de temples, par des dignités
et des emplois publics; aussi les exemples
extraordinaires de cette vertu
sont-ils assez fréquents, surtout de la part
d’un fils ou d’une fille envers
son père. Ils se rencontrent plus rarement de
la part des enfants envers leur
mère, et cela à cause des
préjugés d’éducation dont nous
avons parlé. L’adoption
des
enfants est très-commune en Corée. Celui
qui n’a pas de fils nés de lui, doit
en choisir dans sa parenté, et la grande raison
de cet usage se trouve dans les
croyances religieuses du pays. En effet, ce sont les
descendants qui doivent
rendre aux ancêtres le culte habituel, garder
leurs tablettes, observer les
nombreuses cérémonies des
funérailles et du deuil, offrir les sacrifices,
etc..
La conservation de la famille n’est qu’une fin
secondaire de l’adoption; aussi
n’adopte-t-on jamais de filles, parce qu’elles ne
peuvent accomplir les rites
prescrits. D’un autre côté, le
consentement de l’adopté ou de ses parents
n’est
nullement nécessaire, parce qu’il s’agit d’une
nécessité religieuse et sociale,
dont le gouvernement, en cas de besoin, impose de
force l’acceptation. Légalement,
l’adoption
pour être valide devrait être
enregistrée au Niei-tso ou tribunal des rites,
mais
cette formalité est tombée en
désuétude. Il suffit qu’elle ait
été faite
publiquement, en conseil de famille, et reconnue de
tous les parents. L’enfant
adoptif doit être pris dans la parenté du
côté paternel, c’est-à-dire parmi
ceux qui portent le même nom, et, dans le cas
où la famille est trop nombreuse,
parmi ceux qui appartiennent à une même
branche. Il faut de plus que l’adopté
soit parent de l’adoptant en ligne collatérale
inégale, mais inégale d’un degré
seulement. C’est-à-dire qu’un homme peut
adopter le fils de son frère, ou le
fils de son cousin germain, ou le fils de son cousin
issu de germain, et ainsi
de suite : mais il ne pourrait adopter ni son
frère ni un cousin quelconque, ni
leurs petits-fils. Celui qui aurait eu un fils
marié, mort sans enfant, ne peut
plus adopter en son propre nom, mais au nom de son
fils mort, et par
conséquent, en vertu de la règle
précédente, il doit choisir le
petit-fils d’un
de ses frères ou cousins, c’est-à-dire
quelqu’un qui puisse être le fils de son
fils. Le
plus souvent l’adopté
est un enfant encore à la mamelle, mais il n’y
a pas de condition d’âge. L’enfant
adoptif est tenu envers ses nouveaux parents à
tous les devoirs de fils; et il
en possède tous les droits et privilèges
sans exception. Ces adoptions, la
plupart forcées, amènent bien des
divisions dans les familles et sont la cause
d’une foule de misères. II est bien difficile
à l’adoptant d’aimer comme son
propre fils l’enfant d’un autre, et de son
côté l’adopté, peu satisfait de sa
position, regrette souvent ses propres parents. Dans
les hautes classes, on
conserve par décorum, devant les
étrangers, tous les dehors de la plus vive
affection; mais chez les gens du peuple, les
discordes, les querelles éclatent
tous les jours. L’adoption légale ne peut
être cassée que par une permission
spéciale du tribunal des rites, et il est assez
difficile de l’obtenir. Quand
une adoption a été annulée, on
est libre d’en faire une autre. Les adoptions,
même revêtues de toutes les formes
officielles, n’ont jamais été, en
Corée,
reconnues par l’Église, parce que le plus
souvent elles sont imposées par force
et aux parents et aux enfants. Il
y a une autre
espèce d’adoption qui n’est pas reconnue par la
loi, et qui ne confère aucun
droit ou privilège à l’enfant adoptif.
Elle a lieu surtout parmi les classes
inférieures, quand des personnes, qui n’ont pas
d’enfants ou qui n’ont que des
filles, élèvent l’enfant d’un autre afin
d’avoir en lui un soutien dans leur
vieillesse et leurs infirmités. Cette adoption
se fait sans formalités
extérieures, et sans aucune restriction de nom,
de parenté ou de famille.
Ceux-là seulement y ont recours qui, à
cause de leur pauvreté, ne peuvent
trouver à adopter un fils dans les formes
voulues par la loi; et quand ils
meurent, la propriété de leur maison, de
leurs meubles et autres objets d’une
valeur insignifiante, passe sans contestation à
leur enfant adoptif. En
Corée, comme
dans la plupart des pays d’Orient, les liens de
famille sont beaucoup plus
resserrés et s’étendent beaucoup plus
loin, que chez les peuples européens de
notre époque. Tous les parents jusqu’au
quinzième ou vingtième degré,
quelle
que soit d’ailleurs leur position sociale, qu’il
soient riches ou pauvres,
savants ou ignorants, fonctionnaires publics ou
mendiants, forment un clan, une
tribu et, pour parler plus juste, une seule famille,
dont tous les membres ont
des intérêts communs et doivent se
soutenir réciproquement. A la mort du
père,
le fils aîné prend sa place; il conserve
la propriété. Les cadets
reçoivent de
leurs parents des donations plus ou moins importantes
à l’époque de leur
mariage, et dans certaines autres circonstances, selon
l’usage, le rang, et la
fortune des familles; mais tous les biens restent
à l’aîné, qui est tenu de
prendre soin de ses frères comme de ses propres
enfants. Ses frères, de leur
côté, le regardent comme leur
père, et quand il est condamné à
la prison ou à l’exil,
lui rendent les mêmes services qu’à leur
propre père. En général, les
rapports
entre parents sont d’une grande cordialité. La
maison de l’un est la maison de
tous, les ressources de l’un sont à peu
près celles de tous, et tous appuient
celui d’entre eux qui a quelque chance d’obtenir un
emploi ou de gagner de l’argent,
parce que tous en profiteront. C’est là l’usage
universel, et la loi le
reconnaît, car on fait payer aux plus proches
parents non-seulement les impôts
et contributions qu’un des leurs ne paye pas, mais
même les dettes
particulières qu’il ne peut pas ou ne veut pas
acquitter. Les tribunaux
prononcent toujours dans ce sens, et il ne vient
à l’esprit de personne de s’en
plaindre ou de protester. «
Dernièrement,
écrivait en 1855 Mgr Daveluy, un jeune homme de
plus de vingt ans fut traduit
devant un mandarin pour quelques francs de cote
personnelle, dus au fisc, et qu’il
se trouvait dans l’impossibilité de payer. Le
magistrat, prévenu d’avance,
arrangea l’affaire d’une manière qui fut fort
applaudie. « Pourquoi n’acquittes
tu pas tes contributions ? demanda-t-il au jeune
homme. — Je vis difficilement
de mes journées de travail, et je n’ai aucune
ressource. — Où demeures tu ? —
Dans la rue. — Et tes parents? — Je les ai perdus
dès mon enfance. — Ne
reste-t-il personne de ta famille? — J’ai un oncle qui
demeure dans telle rue,
et vit d’un petit fonds de terre qu’il possède.
— Ne vient-il pas à ton aide? —
Quelquefois, mais il a lui-même ses charges, et
ne peut faire que bien peu pour
moi. Le mandarin sachant que le jeune homme parlait
ainsi par respect pour son
oncle, et qu’en réalité celui-ci
était un vieil avare, fort à son aise,
qui
abandonnait le pauvre orphelin, continua de le
questionner. — Pourquoi, à ton
âge, n’es-tu pas encore marié? — Est-ce
donc si facile? Qui voudrait donner sa
fille à un jeune homme sans parents et dans la
misère ? — Désires-tu te marier?
— Ce n’est pas l’envie qui me manque, mais je n’ai pas
le moyen. — Eh bien ! je
m’en occuperai; tu me parais un honnête
garçon, et j’espère en venir à
bout.
Avise au moyen de payer la petite somme que tu dois au
gouvernement, et dans
quelque temps je te ferai rappeler. » «
Le jeune homme
se retira, sans trop savoir ce que tout cela
signifiait. Le bruit de ce qui s’était
passé en plein tribunal arriva bientôt
aux oreilles de l’oncle, qui, honteux de
sa conduite, et craignant quelque affront public de la
part du mandarin, n’eut
rien de plus pressé que de faire des
démarches pour marier son neveu. L’affaire
fut rapidement conclue, et on fixa le jour de la
cérémonie. La veille même,
lorsqu’on venait de relever les cheveux du futur
époux, le mandarin qui se
faisait secrètement tenir au courant de tout,
le rappelle au tribunal et lui
réclame l’argent de l’impôt. Le jeune
homme paye immédiatement. — Eh quoi !
dit le mandarin, tu as les cheveux
relevés. Es-tu déjà marié?
Comment as-tu fait pour réussir si vite? — On a
trouvé pour moi un parti convenable, et mon
oncle ayant pu me donner quelques
secours, les choses sont conclues, je me marie demain.
— Très-bien ! mais
comment vivras-tu? As-tu une maison? — Je ne cherche
pas à prévoir les choses
de si loin, je me marie d’abord; ensuite j’aviserai. —
Mais en attendant, où
logeras-tu ta femme ? — Je trouverai bien chez mon
oncle ou ailleurs un petit
coin pour la caser, en attendant que j’aie une maison
à moi. — Et si j’avais le
moyen de t’en faire avoir une? — Vous êtes trop
bon de penser à moi, cela s’arrangera
peu à peu. — Mais enfin, combien te faudrait-il
pour te loger et t’établir
passablement ? — Ce n’est pas petite affaire. Il me
faudrait une maison,
quelques meubles, et un petit coin de terre à
cultiver. — Deux cents nhiangs
(environ quatre cents francs) te suffiraient-ils? — Je
crois qu’avec deux cents
nhiangs je pourrais m’en tirer
très-passablement. — Eh bien ! j’y songerai.
Marie-toi, fais bon ménage, et sois plus exact
désormais à payer tes impôts.
»
Chaque mot de cette conversation fut
répété à l’oncle; il vit
qu’il fallait s’exécuter
sous peine de devenir la fable de toute la ville, et
quelques jours après ses
noces, le neveu eut à sa disposition une
maison, des meubles, et les deux cents
nhiangs dont avait parlé le mandarin. » Si
ce système de
communauté d’intérêts et
d’obligations réciproques entre les membres
d’une même
famille a ses avantages, il ne manque pas non plus
d’inconvénients graves. Nous
en avons déjà signalé
quelques-uns en parlant des fonctionnaires publics. Il
est rare que, dans une famille un peu nombreuse, il ne
se trouve pas quelques
fainéants, quelques individus
dévoyés, qui, incapables d’occuper un
emploi ou
de gagner honnêtement leur vie, vivent aux
dépens de leurs proches, volant à
celui-ci un bœuf, à celui-là un chien,
à un autre de la toile, de l’argent, des
provisions, empruntant pour ne jamais rendre, et
arrachant par violence ce qu’on
ne veut pas leur donner de bonne grâce.
Quelquefois ils vont jusqu’à enlever
des titres de propriété qu’ils vendent
à leur profit, ou même jusqu’à
fabriquer
des titres faux qu’ils donnent en gage à des
étrangers. Ils sont presque
assurés de l’impunité, car non-seulement
les mœurs du pays ne permettent pas de
livrer un parent à la justice, mais elles
obligent tous les siens à le soutenir
et à le défendre s’il tombe entre les
mains du mandarin. Les voisins, quand ils
ne sont pas lésés personnellement, ne
peuvent pas intervenir; on les prierait
de se mêler de leurs propres affaires. Les
mandarins ne peuvent guère s’occuper
d’eux, puisqu’il n’y a pas d’accusation formelle, et
qu’il serait impossible de
trouver des témoins dans la famille des
coupables. D’ailleurs, en règle
générale, un mandarin est un homme qui
se résigne à grand’ peine à
examiner et
traiter les affaires qu’il ne peut éviter;
où en trouver un qui par amour
platonique de la justice, irait, de gaieté de
cœur, se créer des embarras ou
des ennuis ? La seule ressource des familles en pareil
cas, est de prendre la
loi entre leurs mains. Il faut qu’un des chefs donne
les ordres nécessaires;
les autres saisissent le coupable, l’enferment ou lui
infligent une vigoureuse
bastonnade. Celui-ci n’a pas le droit de se
défendre, et si on montre un peu
d’énergie,
il est obligé ou de changer de conduite ou de
s’enfuir et de quitter la
province. Malheureusement, il est rare que les
familles aient la persévérance
requise, et ces punitions, ordinairement
insuffisantes, ne font que pallier le
mal. Tout
ce que nous
venons de dire de la parenté, de ses liens et
de ses obligations, ne doit s’entendre
que de la parenté par le père,
c’est-à-dire entre ceux qui portent le
même nom.
Elle s’étend jusqu’au delà du
vingtième degré, et n’a pas, pour ainsi
dire, de
limite légale, tandis que la parenté par
la mère est à peu près nulle.
Dès la
seconde génération, on ne se
connaît plus, on ne s’entr’aide plus, et l’on ne
porte plus le deuil. Les
noms de
famille sont en très-petit nombre, cent
quarante cinq ou cent cinquante au
plus, et encore beaucoup de ces noms sont peu
répandus. Tous sont formés d’un
seul caractère chinois, sauf six ou sept qui se
composent de deux caractères.
Pour distinguer les différentes familles qui
portent le même nom, on joint à ce
nom ce qu’on appelle le pou, c’est-à-dire :
l’indication du pays d’où ces
tamilles sont venues originairement. Si ce pou est
différent, on n’est pas
censé parent, mais s’il est le même, on
est parent aux yeux de la loi, et le
mariage est interdit. Il y a des noms comme Kim et Ni
qui ont plus de vingt
pou, c’est-à-dire qui sont communs à
plus de vingt familles d’origine
différente. Nous les avons indiqués dans
cette histoire sous le nom de :
branche de tel ou tel endroit. Le nom de famille ne
s’emploie jamais seul; il
est suivi ou d’un nom propre, ou du mot so-pang pour
les hommes encore jeunes,
ou du titre saing-ouen pour les nobles
âgés, les chefs de famille, etc.. Ces
expressions répondent à peu près
à nos mots : monsieur, seigneur. Outre
ces noms de
famille, il y a les noms propres de chaque individu.
On en compte
habituellement trois, à savoir : le nom
d’enfant, le nom propre vulgaire, et le
nom propre légal, auxquels il faut ajouter le
surnom ou sobriquet, et, pour les
chrétiens, le nom de baptême. Le nom
d’enfant se donne quelque temps après la
naissance, et tout le monde, sauf les esclaves et
domestiques, s’en sert comme
appellatif de la personne jusqu’à
l’époque de son mariage; ce nom est un des
mots de la langue ordinaire. Il s’emploie seul ou
à la suite du nom de famille.
Après le mariage il n’est plus jamais
employé pour les hommes, sauf quelquefois
par le père, la mère, le
précepteur et autres personnes semblables. Le
nom
propre vulgaire se donne au moment du mariage. Il sert
d’appellatif de la part
des supérieurs et des égaux. Les amis et
connaissances n’en emploient pas d’autre,
et c’est le plus généralement connu. Les
femmes ne changent pas de nom propre à
leur mariage. Elles conservent leur nom d’enfant, ou
plutôt n’ont plus de nom
particulier. On les désigne
généralement par le nom de leur mari
suivi du mot :
taik, madame, ou koa-taik, madame veuve. Le nom propre
légal est imposé
quelquefois dès l’enfance, le plus souvent
à l’époque du mariage. Il se compose
de deux caractères chinois, et parmi les
nobles, tous ceux qui descendent d’une
branche ou souche commune doivent y faire entrer un
caractère de convention qui
change à chaque génération : de
sorte qu’à la seule vue de ce caractère,
on
connaîtra de suite le nombre de
générations qui séparent en ligne
directe de la
souche originaire, et le degré de
parenté en ligne collatérale. Ce nom
n’est
pas employé dans les relations habituelles de
la vie, sinon envers les
dignitaires et les hommes haut placés, mais il
est le seul qui paraisse dans
les actes publics, dans les contrats civils, dans les
examens, les procès,
etc.. Il sert de signature lorsqu’on écrit une
lettre importante. Souvent ce
nom, quoique inscrit dans les listes
généalogiques, ou dans les registres
officiels de l’État, est inconnu des personnes
qui ne sont pas de la famille,
ou n’ont pas de rapports fréquents avec
l’individu. Ordinairement, les gens du
peuple n’ont pas de nom civil. Les sobriquets sont
très-communs en Corée, et
tout le monde peut les employer. Remarquons
ici
que l’étiquette coréenne défend
non-seulement d’appeler par leur nom le père ou
la mère, ou les oncles, ou tout autre
supérieur, mais qu’elle interdit même de
prononcer ce nom. En pareil cas, les gens bien
élevés ont recours à diverses
périphrases. Le nom du roi, composé d’un
ou deux caractères chinois, est imposé
par la cour de Péking quand elle donne
l’investiture; il ne doit jamais se
prononcer, et le peuple ne connaît même
pas ce nom. Après la mort du prince,
son successeur lui donne un nom sous lequel l’histoire
devra le désigner. Quelques
mots, en
terminant, sur le deuil légal tel qu’il est
observé en Corée, surtout dans les
hautes classes. Quand un noble a perdu son
père, sa mère, ou un de ses proches
parents, il n’est pas libre de le pleurer à sa
manière; il doit, et pour le
temps, et pour le lieu, et pour la méthode, et
pour la durée du deuil, se
conformer aux rubriques, telles qu’elles sont
expliquées au long dans un traité
officiel, publié par le gouvernement. Y manquer
en un point grave serait perdre
la face, en d’autres termes, être
déshonoré au point de ne plus oser se
montrer
à qui que ce soit. On commence par placer le
corps du mort dans un cercueil de
bois très-épais, que l’on conserve
plusieurs mois dans un appartement spécial,
préparé et orné à cet
effet. Les gens du peuple qui n’ont pas le moyen
d’avoir
une chambre pour le cadavre, gardent le cercueil en
dehors de leur maison, et
le recouvrent de nattes en paille pour le
protéger contre la pluie. C’est dans
l’appartement du mort que l’on doit aller pleurer au
moins quatre fois le jour,
et pour y pénétrer, on fait une toilette
spéciale. Elle consiste en une grande
redingote de toile grise, déchirée,
rapiécetée, et aussi sale que possible.
On
se ceint les reins d’une corde de la grosseur du
poignet, partie en paille et
partie en fil. Une autre corde semblable, grosse comme
le pouce, fait le tour
de la tête qui est couverte d’un bonnet de toile
grise. Les deux bouts de cette
corde retombent par devant sur chaque joue. Des bas et
des souliers spéciaux,
et, à la main, un gros bâton noueux
complètent le costume. Dans
cet
accoutrement on se rend à la chambre mortuaire,
le matin en se levant, puis
avant chaque repas. On apporte une petite table
chargée de divers mets que l’on
place sur un autel, à côté du
cercueil; puis la personne qui préside la
cérémonie, courbée et
appuyée sur son bâton, entonne les
gémissements funèbres.
Pour un père ou une mère ces
gémissements se composent des syllables :
ai-kô,
que l’on répète sans interruption, d’un
ton lugubre, pendant un quart d’heure
ou une demi-heure. Pour les autres parents, on chante
: ôï, ôï. Plus la voix
qui se lamente est forte, plus la séance est
longue, et plus l’individu en
deuil monte dans l’estime publique. Les
gémissements terminés, on se retire, on
emporte les mets, on quitte les habits de deuil, et on
prend son repas. A la
nouvelle et à la pleine lune, tous les parents,
amis et connaissances sont
invités à prendre part à la
cérémonie. Ces pratiques se continuent
même après l’enterrement,
pendant deux ou trois ans, et, dans cet intervalle, un
noble qui se respecte
doit aller souvent pleurer et gémir sur le
tombeau de ses parents. Quelquefois
il y passe toute la journée et même la
nuit. On en cite qui ont fait bâtir une
petite maison près de ces tombeaux, pour y
demeurer pendant plusieurs années,
et qui par là ont acquis une haute
renommée de sainteté, et la
vénération
universelle. |