XI Religion.
— Culte des ancêtres. — Bonzes. —
Superstitions populaires.
D’après
les
traditions locales, le bouddhisme ou doctrine de
Fô pénétra en Corée au
quatrième siècle de l’ère
chrétienne, et se répandit, avec plus ou
moins de
succès, dans les trois royaumes qui alors se
partageaient la péninsule. Lorsque
la dynastie Korie eut réuni ces divers
États en une seule monarchie, elle
protégea les sectateurs de cette doctrine qui
devint la religion officielle. A
la fin du quatorzième siècle, la
dynastie Korie ayant été
renversée, les
princes de la dynastie Tsi-tsien, qui lui
succéda, cédant à l’influence et
peut-être aux ordres formels des empereurs de
Péking, adoptèrent non-seulement
la chronologie et le calendrier chinois, mais aussi la
religion de Confucius. Ils
ne proscrivirent point la religion ancienne, mais ils
l’abandonnèrent à
elle-même, et, par la marche naturelle des
choses, le nombre des bouddhistes a
toujours été en diminuant, et leur
doctrine aussi bien que leurs bonzes sont
aujourd’hui tombés dans le mépris. La
doctrine de Confucius, au contraire,
établie par la loi, est devenue la religion
dominante; son culte est le culte
officiel, et toute contravention à ses
règlements en matière grave peut
être
punie du dernier supplice, comme le prouvent les
pièces du procès de Paul Ioun
et de Jacques Kouen, et d’autres documents que nous
donnons tout au long dans
cette histoire. Nous
ne parlerons
pas ici de cette doctrine de Confucius en
elle-même. Les travaux des
missionnaires et des sinologues, depuis deux
siècles, ont épuisé la question,
et à travers les exagérations
opposées de louange ou de blâme, on est
aujourd’hui
parvenu à en avoir une idée à peu
près exacte. Voyons seulement ce qu’elle est
en Corée. Pour la masse du peuple, elle
consiste dans le culte des ancêtres, et
dans l’observation des cinq grands devoirs : envers le
roi, envers les parents,
entre époux, envers les vieillards, et entre
amis. A cela se joint une
connaissance plus ou moins vague du Siang-tiei que la
plupart confondent avec
le ciel. Pour les lettrés, il faut ajouter : le
culte de Confucius et des
grands hommes, la vénération des livres
sacrés de la Chine, et enfin un culte
officiel au Sia-tsik ou génie protecteur du
royaume. Quelquefois aussi, dans
les actes publics du gouvernement, il est fait mention
des bons génies et du
destin. Les
missionnaires
ont souvent interrogé des Coréens
très-instruits sur le sens qu’ils attachent
au mot Siang-tiei, sans jamais obtenir de
réponse claire et précise. Les uns
croient que l’on désigne par là
l’Être suprême, créateur et
conservateur du
monde; d’autres prétendent que c’est purement
et simplement le ciel, auquel ils
reconnaissent un pouvoir providentiel, pour produire,
conserver et faire mûrir
les moissons, pour éloigner les maladies,
etc..; le plus grand nombre avouent
qu’ils l’ignorent et qu’ils ne s’en inquiètent
guère. Quand on offre des
sacrifices publics pour obtenir la pluie ou la
sérénité, ou pour conjurer
divers fléaux, la prière s’adresse soit
à l’Être suprême, soit au ciel,
selon
le texte que rédige le mandarin chargé
de la cérémonie. Voici
quelques
détails sur ces sacrifices, assez peu
fréquents d’ailleurs. Quand des districts
ou des provinces souffrent de la sécheresse, le
gouvernement envoie un ordre
aux mandarins, et chacun d’eux, au jour marqué,
se rend dès le matin avec sa
suite, ses prétoriens et ses satellites au lieu
qui lui est désigné. Là, il
attend patiemment sans prendre aucune nourriture, sans
même fumer de tabac, que
l’heure propice arrive. C’est ordinairement vers
minuit, et en tout cas, le
mandarin ne doit rentrer chez lui qu’après
minuit passé. Au moment précis, il
immole des porcs, des moutons, des chèvres,
dont le sang et les chairs crues
sont offertes à la divinité. Le
lendemain il se repose, pour recommencer le
surlendemain, et ainsi de suite, de deux en deux
jours, jusqu’à l’obtention de
la pluie. A la capitale, les mandarins se
relèvent, afin que les sacrifices
aient lieu tous les jours. Si après deux ou
trois sacrifices on n’obtient rien,
on change de place, et l’on s’installe dans un autre
endroit plus propice. Les
diverses stations que l’on doit ainsi occuper sont
déterminées par d’anciens
usages. Si les prières sont inutiles, les
ministres viennent officier à la place
des mandarins; et enfin, quand ni les mandarins ni les
ministres n’ont pu rien
obtenir, le roi lui-même vient en grand appareil
pour sacrifier et obtenir le
salut de son peuple. Lorsque la pluie arrive, ni le
sacrificateur ni les gens
de sa suite n’ont le droit de se mettre à
l’abri; ils doivent attendre jusqu’après
minuit avant de rentrer dans leurs maisons. Tout le
peuple les imite, car on
croirait faire injure au ciel en cherchant à
éviter une pluie si ardemment
désirée, et si quelque individu a la
malencontreuse idée de prendre son chapeau
ou d’ouvrir son parapluie, on lui arrache ces objets
que l’on met en pièces, et
on l’accable lui-même de coups et d’injures. Le
mandarin après
le sacrifice duquel la pluie arrive, est
regardé comme ayant bien mérité
de la
patrie, et le roi le récompense en lui donnant
de l’avancement, ou en lui
faisant quelque cadeau précieux. Il y a
quelques années, un mandarin de la
capitale, pour avoir fait la cérémonie
avant l’heure fixée, fut immédiatement
destitué. Mais cette nuit-là même,
la pluie commença à tomber; il fut
rétabli
dans sa charge, et partagea la récompense avec
le mandarin du jour suivant,
pendant le sacrifice duquel la pluie tomba en grande
abondance. Chacun d’eux
reçut du roi une peau de cerf, qui fut
portée à leur domicile avec tout
l’appareil
et toute la pompe possibles. Les
sacrifices
pour obtenir le beau temps se font, à la
capitale, sur la grande porte du Midi.
L’heure est la même, le sacrificateur garde la
même abstinence, et pendant tout
le temps que durent ces sacrifices la porte reste
fermée jour et nuit, et la
circulation est arrêtée. Quelquefois
aussi on interdit, pendant ce temps, de
transporter les morts. Ceux qui alors font la
levée du corps et se mettent en
route, malgré la défense, soit parce
qu’ils l’ignorent, soit parce qu’ils
espèrent passer en contrebande, soit enfin
parce que le jour du convoi a été
fixé par les devins et ne peut être
changé, sont impitoyablement
arrêtés aux
portes de la ville. Comme ils ne peuvent retourner
chez eux avant l’enterrement,
ils doivent demeurer à la pluie, eux et les
cercueils qu’ils portent, souvent
pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que le
retour de la sérénité fasse lever
la
prohibition. Quelquefois,
dans
les grandes calamités, comme au temps du
choléra, les particuliers se cotisent
ou font des quêtes pour fournir aux frais de
sacrifices plus nombreux, et le
roi, de son côté, cherche à
apaiser le courroux du ciel en accordant des
amnisties partielles ou générales. Outre
ce culte
officiel du Siang-tiei ou du ciel, le gouvernement
entretient à la capitale un
temple et fait offrir régulièrement des
sacrifices au Sia-tsik. « J’ai souvent
demandé, écrit Mgr Daveluy, ce qu’est ce
Sia-tsik. Les réponses sont fort
obscures. La plupart prétendent que Sia est le
génie de la terre, et Tsik l’inventeur
de l’agriculture en Chine, placé aujourd’hui
parmi les génies tutélaires. Quoi
qu’il en soit, le peuple ne s’occupe guère du
Sia-tsik, et dans les provinces,
on ignore et son nom et son culte. Mais, à la
capitale, son temple est ce qu’il
y a de plus sacré; le temple où l’on
conserve les tablettes des ancêtres delà
dynastie régnante ne vient qu’en second lieu.
» La
partie
principale de la religion des lettrés, la seule
que connaisse et pratique
fidèlement l’immense majorité de la
population, est le culte des ancêtres. De
là l’importance des lois sur le deuil, sur le
lieu où doivent être placés les
tombeaux, et sur la conservation dans chaque famille
des tablettes des parents
défunts. A propos des funérailles
royales et des devoirs de parenté, nous avons
déjà donné des détails sur
le deuil et sur les tombeaux des rois; voici
maintenant, pour compléter, quelques notions
sur les sépultures ordinaires et
sur les tablettes. Le
choix d’un
lieu d’enterrement est pour tout Coréen une
affaire majeure; pour les gens haut
placés, on peut dire que c’est leur principale
préoccupation. Ils sont
convaincus que de ce choix dépendent le sort de
leur famille et la prospérité
de leur race, et ils n’épargnent rien pour
découvrir un endroit propice. Aussi,
les géoscopes et les devins, qui se font une
spécialité de cette étude,
abondent dans le pays. Quand le lieu de la
sépulture est fixé et qu’on y a
déposé le corps, il est défendu
désormais à qui que ce soit d’y
enterrer, de
peur que la fortune ne passe de son côté,
et la prohibition s’étend à une
distance plus ou moins considérable, suivant le
degré d’autorité de celui qui
l’établit.
Pour les tombeaux des rois, le terrain
réservé s’étend à
plusieurs lieues tout
autour, et comprend les montagnes environnantes
d’où l’on peut voir le tombeau.
De leur côté, les grands et les nobles
prennent le plus d’espace possible; ils
y plantent des arbres qu’il est défendu de
couper jamais, et qui avec le temps
deviennent de véritables forêts. Si
quelqu’un parvient à enterrer furtivement
sur une montagne déjà occupée par
d’autres, cette montagne devient, aux yeux de
la loi, la propriété du dernier
inhumant, et dans ce cas, lorsque les premiers
tombeaux appartiennent à des nobles ou à
des gens riches, on fait déterrer les
corps, sinon on se contente de raser les tombes et
d’en faire disparaître la
trace, en nivelant le terrain. De là des
querelles, des rixes, des haines
violentes qui, comme toutes les haines du
Coréen, se transmettent de
génération
en génération. La
loi défend de
déterrer le corps d’un individu appartenant
à une autre famille, les parents du
mort ont seuls le droit d’y toucher. Il y a quelques
années, derrière la
montagne où habitait un missionnaire, un riche
marchand, qui venait de perdre
son père, trouva un lieu de sépulture
à sa convenance. Près de là
étaient
quelques tombeaux de nobles. La distance étant
légalement suffisante, le
marchand avait le droit d’enterrer; mais la raison du
plus fort est, en Corée,
presque toujours la meilleure, et les nobles firent
opposition. Le marchand
persista, loua secrètement une centaine
d’individus déterminés, pour vaincre
toute résistance de la part des gardiens, fit
l’inhumation selon les règles, et
se retira avec sa troupe. Il était environ six
heures du soir. Les nobles,
premiers possesseurs du terrain, demeuraient à
trois lieues de là, et, bien qu’on
les eût avertis dès le matin, ils ne
purent arriver, avec deux ou trois cents
hommes, qu’une demi-heure trop tard. La montagne leur
était ravie. N’osant
toucher au cadavre fraîchement inhumé,
ils se lancèrent avec leurs gens à la
poursuite du marchand, battirent ses affidés,le
saisirent lui-même, lui lièrent
les pieds et les mains, et l’apportèrent, au
milieu des plus effroyables
vociférations, jusque sur la tombe de son
père. Le pauvre malheureux, à
moitié
mort de frayeur et de fatigue, donna le premier coup
de bêche. Les autres
purent alors déterrer le corps, ce qui fut fait
en quelques minutes, et le
marchand dut chercher ailleurs un lieu de
sépulture. Les
gens du
peuple ont recours à tous les moyens pour
protéger leurs tombeaux. Un jour, des
prétoriens voulurent enterrer un des leurs dans
l’endroit que possédait une
famille pauvre. Le chef de cette famille voyant que
toutes les réclamations
étaient inutiles, assista tranquillement
à l’enterrement fait par les
prétoriens et, après la
cérémonie, offrit du vin aux fossoyeurs,
qui l’acceptèrent.
Puis avec le plus grand sang-froid, il se coupa
lui-même les chairs des
cuisses, et leur en offrit les morceaux saignants pour
compléter leur repas. Le
mandarin apprenant le fait, et entendant les
exécrations dont le peuple
chargeait ses prétoriens, les fit punir
sévèrement, et les força à
déterrer
leur mort et à rendre la place au premier
propriétaire. Une autre fois, un abatteur
de bœufs fut dépossédé de la
sépulture de son père, par un noble
très-puissant
qui enterra sa mère dans le même lieu,
à deux pas de distance. Le pauvre homme,
loin de résister, se prêta de la
meilleure grâce à aider ceux qui
faisaient la
cérémonie, et obtint, en
récompense de sa bonne volonté,
d’être nommé gardien
du nouveau tombeau. Après quelques jours, il
planta une haie entre les deux
cadavres. Le noble étant venu faire sa visite
habituelle à la tombe de sa mère,
demanda des explications. « J’ai
été forcé d’agir ainsi,
répondit le gardien,
mais il m’est impossible, dussé-je mourir, de
vous en dire la raison. » Le
noble, très-intrigué, le flatte, le
caresse, lui prodigue les assurances
d’impunité.
« Comment parler de choses semblablés?
dit l’autre. Il y a quelques nuits, j’ai
vu le corps de mon père se lever, marcher droit
au tombeau de madame votre
mère... je n’ose achever; mais dès le
matin, j’ai planté cette haie pour
empêcher une aussi scandaleuse profanation.
» Le noble, à moitié mort de
honte,
ne répondit pas un mot. Le soir même, il
fit enlever le cercueil de sa mère, et
le transporta ailleurs. Aussitôt
après la
mort, on fabrique la tablette dans laquelle doit venir
résider l’âme du défunt.
Ces tablettes sont généralement en bois
de châtaignier, et l’arbre doit être
tiré des forêts les plus
éloignées de toute habitation humaine,
ce que les
Coréens expriment par ces mots : « Pour
les tablettes il faut un bois qui, de son
vivant (avant d’être coupé), n’ait jamais
entendu ni l’aboiement du chien, ni
le chant du coq. » Cette tablette est une petite
planche plate que l’on peint
avec du blanc de céruse, et sur laquelle on
inscrit en caractères chinois le
nom du défunt. Sur le côté, on
pratique des trous par lesquels doit entrer
l’âme.
La tablette, placée dans une boîte
carrée, se conserve : chez les riches, dans
une chambre ou salle spéciale : chez les gens
du peuple dans une espèce de
niche, au coin de la maison. Les pauvres font leurs
tablettes en papier.
Pendant les vingt-sept mois du deuil, les sacrifices
se font tous les jours
devant ces tablettes. On se prosterne le front dans la
poussière; on offre
divers mets préparés avec soin, du tabac
à fumer, et de l’encens. Après le
deuil, on continue à offrir ces sacrifices
plusieurs fois par mois, à des jours
fixés par la loi et l’usage, soit devant les
tablettes, soit sur le tombeau. A
la quatrième génération., on
enterre les tablettes, et le culte cesse
définitivement, si ce n’est pour les hommes
extraordinaires dont les tablettes
se conservent à perpétuité. Outre
ce culte
des ancêtres, commun à tous les
Coréens, les lettrés et les nobles ont
celui de
Confucius et des grands hommes, auxquels ils offrent
des sacrifices dans des
temples spéciaux, non pas qu’ils les regardent
comme des dieux, mais parce que,
dans leur opinion, ils sont devenus des esprits ou
génies tutélaires. Mais qu’entendent-ils
par là? il est difficile de le savoir. «
Dans ce pays, écrit Mgr Daveluy, on n’a
pas de notions exactes sur la distinction de
l’âme et du corps, ni sur la spiritualité
de l’âme. Les mots : hon, sin, lieng, etc.,
consacrés dans nos livres chrétiens
pour désigner l’âme et sa nature, ne sont
appliqués par les païens qu’aux
esprits ou génies et aux âmes des
défunts. Un païen, assez instruit
d’ailleurs,
à qui je disais que chaque homme a une
âme, ne voulut pas l’admettre. Pour nous
autres, disait-il, ce qui nous meut et nous anime se
dissipe avec le dernier
souffle de la vie; mais pour les grands hommes, ils
subsistent encore après
leur mort. Parlait-il de leur âme, ou
prétendail-il qu’ils étaient
transformés
en esprits ou génies ? Je l’ignore, et
lui-même ne le savait pas. »
Dans chaque
district, se trouve un temple de Confucius. Ce sont de
petits bâtiments assez
beaux pour le pays, avec de vastes dépendances.
On les appelle hiang-kio. On ne
peut passer à cheval devant ces temples, et des
bornes, placées aux extrémités
du terrain consacré, marquent l’endroit
où il faut mettre pied à terre. C’est
dans ces temples que les lettrés tiennent leurs
réunions, et l’on y offre des
sacrifices, à la nouvelle et à la pleine
lune. Quand les revenus attachés aux
temples ne suffisent pas pour couvrir les frais, la
caisse du district doit y
suppléer. Les lettrés élisent
entre eux ceux qui doivent, pour un temps
donné,
exercer les fonctions de sacrificateur. Les
se-ouen sont
des temples élevés aux grands hommes
avec l’autorisation du roi. Leurs
portraits y sont conservés, et l’on
témoigne à ces portraits une
vénération
presque égale à celle que l’on a pour
les tablettes des défunts. Si ces grands
hommes ont laissé des descendants, ceux-ci
sont, de droit, fonctionnaires de
leurs temples; sinon, les lettrés du voisinage
remplissent à tour de rôle, l’office
de sacrificateur. Quelques-uns de ces se-ouen sont
très-célèbres dans le pays,
et le gouverneur ou ministre qui refuserait d’accorder
sur les deniers publics
les sommes, quelquefois énormes, exigées
par les fonctionnaires de ces temples
pour les frais des sacrifices, compromettrait
gravement sa position. Les
livres sacrés
de la Chine sont aussi les livres sacrés des
Coréens. Il en existe une
traduction officielle en langue vulgaire, à
laquelle il est défendu de changer
un seul mot sans l’ordre du gouvernement. Le
lettré ou docteur qui se
permettrait de donner une interprétation
différente sur un point grave,
pourrait bien payer de sa tète une telle
audace. Il y a quelques années, un
noble, poursuivi pour avoir publié quelques
attaques contre un sage, disciple
de Confucius, faillit périr dans une
émeute de lettrés, et le roi eut
beaucoup
de peine à lui sauver la vie. Outre ces livres,
il y a en Corée un recueil de
prophéties ou livre sibyllin, prohibé
par le gouvernement, et qui circule en
cachette. On attribue à ce livre une
très-grande antiquité. Il annonce
clairement, dit-on, pour l’année sainte,
l’établissement d’une religion qui ne
sera ni celle de Fô, ni celle de Confucius. Mais
qu’est-ce que cette année
sainte ? nul ne le sait. A
côté de la
religion officielle se trouve, comme nous l’avons dit,
le bouddhisme ou
doctrine de Fô, qui est maintenant en pleine
décadence. Avant la dynastie
actuelle, le bouddha coréen, quelquefois
appelé Sekael (issu de la famille de
Se), était en très-grand honneur, ainsi
que ses bonzes. C’est alors que furent
bâties toutes les grandes pagodes dont
quelques-unes existent encore aujourd’hui.
On en trouvait dans chaque district, et les largesses
du peuple et des rois les
entretenaient dans la prospérité. Quand
les dons volontaires étaient insuffisants,
le trésor public y pourvoyait. Plusieurs rois
de la dynastie Korie voulurent,
par dévotion, être inhumés dans
ces pagodes, à la manière bouddhique,
qui
consiste à brûler les corps et à
recueillir les cendres dans un vase, que l’on
conserve en un lieu spécial, ou que l’on jette
à l’eau. Un de ces rois fit même
un décret pour obliger chaque famille qui
aurait trois enfants, à en donner un
pour devenir bonze. A la fin du quatorzième
siècle, la nouvelle dynastie qui s’installa
sur le trône de Corée, sans prohiber en
aucune manière le bouddhisme, le laissa
complètement de côté, et depuis
cette époque, pagodes, bonzes et bonzesses,
n’ont
cessé de déchoir dans la
vénération publique. Quelquefois encore,
même aujourd’hui,
le gouvernement invoquera officiellement le nom de
Fô, et les reines ou
princesses feront, dans des circonstances
particulières, un petit présent à
telle ou telle pagode, mais rien de plus, et tout le
monde, les bouddhistes
eux-mêmes, avouent que, dans quelques
générations, il ne restera de leur culte
qu’un souvenir. Les
pagodes
bouddhiques, bâties dans le genre chinois, n’ont
généralement rien de
remarquable. Le sanctuaire où se trouve la
statue de Fô est assez étroit, mais
il est toujours entouré de nombreux
appartements qui servent aux bonzes de
demeure, de salles d’étude et de lieux de
réunion. Du plus grand nombre, il ne
reste que des ruines. Ces pagodes sont d’ordinaire
situées dans les montagnes,
dans les déserts, et souvent le site en est
admirablement choisi. Pendant l’été
surtout, les lettrés s’y réunissent
souvent pour se livrer à l’étude et aux
discussions
littéraires. Ils y trouvent la
tranquillité, la solitude, le bon air; et les
bonzes, moyennant une légère
rétribution, leur servent de domestiques . Ces
bonzes sont
maintenant presque sans ressources. Excepté
dans la province de Kieng-sang, où ils
ont conservé quelque influence, ils sont
obligés, pour vivre, de mendier ou de
se livrer à divers travaux manuels, tels que la
fabrication du papier ou des
souliers. Quelques-uns cultivent de petits coins de
terre appartenant aux
bonzeries. Par suite du discrédit où est
tombée leur religion, ils ne peuvent
que difficilement se recruter, et ont dû
abandonner toute espèce d’études. Ceux
qui se font bonzes aujourd’hui sont, pour la plupart,
des gens sans aveu qui
cherchent un refuge dans les pagodes, des individus
qui n’ont pas pu se marier,
des veufs sans enfants qui ne veulent pas ou ne
peuvent pas vivre seuls, etc..
Le peuple les méprise, les regarde comme des
querelleurs, des charlatans, et
des hypocrites; néanmoins, par habitude,
peut-être aussi par une certaine
crainte superstitieuse, on leur fait assez facilement
l’aumône. On
trouve aussi,
comme dans tous les autres pays bouddhistes, des
bonzesses vivant ensemble dans
des monastères, non loin des pagodes où
il leur est interdit de résider. De
même que les bonzes, elles sont tenues à
garder la continence pendant leur
séjour dans les bonzeries, et il y a peine de
mort contre celles qui auraient
des enfants; aussi, à ce qu’on assure,
sont-elles très-versées dans l’art
infâme des avortements. Leurs mœurs passent pour
être abominables. Du reste,
bonzes ou bonzesses sont parfaitement libres de
quitter leurs couvents quand il
leur plaît pour rentrer dans la vie commune, et
c’est ce qui arrive tous les
jours. On entre dans ces maisons parce qu’on ne sait
que faire, et après un
séjour plus ou moins long, si l’on s’ennuie, on
les quitte pour aller chercher
fortune ailleurs. Tel
est, en
Corée, l’état actuel de la religion de
Confucius et de celle de Fô. Ces deux
doctrines, comme on l’a remarqué bien souvent,
et selon nous avec beaucoup de
justesse, ne sont, au fond, que deux formes
différentes d’athéisme. De leur
coexistence légale, de leur mélange
nécessaire dans l’esprit d’un peuple qui ne
raisonne guère sa foi religieuse, est sortie
cette incroyance pratique, cette
insouciance de la vie future qui caractérise
presque tous les Coréens. Tous
font les prostrations et offrent les sacrifices devant
les tablettes, mais peu
croient sérieusement à leur
efficacité. Ils ont une notion confuse d’un
pouvoir
supérieur et de l’existence de l’âme,
mais ils ne s’en inquiètent pas, et quand
on leur parle de ce qui suivra la mort, ils
répondent aussi stupidement que nos
libres penseurs de haut et de bas étage :
« Qui le sait ? personne n’en est
revenu; l’important est de jouir delà vie
pendant qu’elle dure. » Mais, si
presque tous les Coréens sont pratiquement
athées, en revanche, et par une
conséquence inévitable, ils sont les
plus superstitieux des hommes. Ils
voient le
diable partout; ils croient aux jours fastes et
néfastes, aux lieux propices ou
défavorables; tout leur est un signe de bonheur
ou de malheur. Sans cesse ils
consultent le sort et les devins; ils multiplient les
conjurations, les
sacrifices, les sortilèges, avant, pendant, et
après toutes leurs actions ou
entreprises importantes. Dans chaque maison, il y a
une ou deux cruches en
terre pour renfermer les dieux pénates :
Seng-tsou, le protecteur de la
naissance et de la vie; Tse-tsou, le protecteur des
habitations, etc., et de
temps en temps on fait devant ces cruches la grande
prostration. Si quelque
accident arrive en passant sur une montagne, on est
tenu de faire quelque
offrande au génie de la montagne. Les chasseurs
ont des observances spéciales
pour les jours de succès ou d’insuccès;
les matelots plus encore, car ils font
des sacrifices et offrandes à tous les vents du
ciel, aux astres, à la terre, à
l’eau. Sur les routes, et surtout au sommet des
collines, il y a de petits
temples ou seulement des tas de pierres; chaque
passant accrochera au temple un
papier, ruban, ou autre signe, ou jettera une pierre
dans le tas. Le serpent
est ici, comme partout et toujours chez les
païens, l’objet d’une crainte
superstitieuse; très-peu de Coréens
oseraient en tuer un. Quelquefois même, ils
fournissent de la nourriture en abondance, et
régulièrement, aux serpents qui
se logent dans les toits ou les murailles de leurs
masures. Un homme en deuil
ne peut donner la mort à aucun animal; il n’ose
même pas se débarrasser de la
vermine qui le dévore. Les femmes, qui en ce
pays font tous les métiers
possibles, ne voudraient jamais tuer un poulet, ni
même le vider après qu’il
aurait été tué par une autre
personne. La
plupart des
familles conservent précieusement le feu dans
la maison, et font en sorte de ne
jamais le laisser éteindre. Si un pareil
malheur arrivait, ce serait pour la
famille le pronostic et la cause des plus grandes
infortunes. Pour l’éviter,
tous les jours, après avoir
préparé le repas du matin ou du soir, on
dépose ce
qui reste de charbons embrasés avec les cendres
dans un vase de terre, en forme
de chaufferette, et on prend les précautions
nécessaires afin de conserver
l’étincelle
qui servira à rallumer le feu à la
prochaine occasion. Un jour, un noble qui
avait grande compagnie dans ses salons, vit un esclave
sortir, un bouchon de
paille à la main, au moment où l’on
devait préparer le repas. « Où
vas-tu? lui
cria-t-il. —Je vais chez le voisin chercher du feu,
répondit l’esclave; il n’y
en a plus, nulle part, dans la maison. — Impossible,
» dit le maître en
pâlissant, et aussitôt, laissant ses
hôtes, il court aux vases où dans les
divers appartements on conservait le feu, et, à
genoux, les larmes aux yeux, il
retourne les cendres avec une attention
fiévreuse. A la fin il aperçoit une
faible lueur; il souffle et parvient à
enflammer une allumette. « Victoire!
s’écrie-t-il
en rentrant dans le salon, les destins de ma race ne
sont pas encore terminés;
j’ai recouvré ce feu que mes ancêtres se
sont fidèlement transmis depuis dix
générations, et je pourrai à mon
tour le léguer à mes descendants.
» Nous
avons dit
plus haut combien la petite vérole est terrible
en Corée. Quand on s’attend à
la voir arriver dans un village, hommes et femmes se
baignent la tète à grande
eau avec des vases neufs, et répètent
très-souvent ces ablutions, afin de se
préparer à recevoir convenablement la
visite de cette illustre dame. Si l’on
peut avoir de l’eau de mer en pareil cas, elle est
beaucoup plus efficace que l’eau
douce. En même temps, on dispose sous le
vestibule ou auprès de la porte de
chaque maison, une table chargée de fruits.
Lorsque la maladie s’est déclarée
dans une maison, on y place un petit drapeau, ou bien
on bariole la porte avec
de la terre jaune, pour empêcher les
étrangers de venir par leur présence
troubler ou contrarier la terrible hôtesse. On
s’efforce de la bien traiter
pour obtenir ses bonnes grâces, on se prosterne,
on prie, on chante, on
multiplie les sacrifices en son honneur, on fait des
gâteaux de riz pour
régaler en son nom tous les voisins, et si le
riz a été mendié de porte en
porte, l’œuvre est bien plus méritoire. On fait
venir les mou-tang ou sorciers
avec tous leurs appareils superstitieux, et l’on
finit, chacun selon sa
fortune, par une grande cérémonie pour
éconduire la dame avec toute la pompe
voulue. Tous sont convaincus que, pendant la maladie,
les enfants attaqués sont
en communication avec les génies, qu’ils ont le
don de seconde vue, et qu’ils
aperçoivent à travers les murailles ce
qui se passe même à de grandes
distances. Il y a quelques années, pendant
qu’un enfant de douze à treize ans
était couché malade dans une maison, un
noble du village entra sans y faire
attention dans la cour attenante, le bonnet de crin
sur la tête. L’enfant, qui
lui gardait rancune pour quelques coups de bâton
qu’il en avait reçus, le vit
venir et s’écria; « Ce noble qui vient
ici avec son bonnet, irrite la dame,
redouble mes souffrances et va être cause de ma
mort. Il faut le battre sur le
derrière pour apaiser la fureur de la dame.
» Le noble, effrayé, reconnut son
tort, et pour détourner les malheurs dont le
menaçait cette colère redoutable,
consentit à recevoir, séance tenante, la
bastonnade expiatrice. Ces
superstitions
et une foule d’autres, qu’il serait trop long
d’énumérer en détail, sont
très-répandues dans le pays. Quelques
hommes de la classe instruite les
méprisent et n’y ont aucune foi, mais les
femmes de toutes les conditions y
tiennent comme à leur vie, et les maris, pour
ne pas compromettre la paix de
leur ménage, les tolèrent même en
refusant d’y prendre part, de sorte que
depuis le palais jusqu’à la dernière
cabane, elles sont universellement
pratiquées. On peut juger par là combien
nombreux doivent être les charlatans,
astrologues, devins, jongleurs, diseurs de bonne
aventure, de l’un et de l’autre
sexe, qui vivent en Corée de la
crédulité publique. On en rencontre
partout
qui, moyennant finance, viennent examiner les terrains
propres pour bâtir ou
pour enterrer, déterminer par le sort les jours
favorables pour les
entreprises, tirer l’horoscope des futurs
époux, prédire l’avenir, conjurer les
malheurs ou les accidents, chasser le mauvais air,
réciter des formules contre
telle ou telle maladie, exorciser les démons,
etc., et toujours avec grandes
cérémonies, force tapage, et
quantité de nourriture, car la gloutonnerie des
devins est proverbiale en Corée. Ceux
qui ont le
plus de succès et de réputation dans ce
métier, sont les aveugles qui, presque
tous, l’exercent depuis leur bas âge, et
transmettent leurs secrets aux enfants
affligés de la même infirmité.
C’est pour ainsi dire leur office naturel, et le
plus souvent leur seul moyen de subsistance. Dans les
districts éloignés,
chacun d’eux exerce séparément, à
ses risques et périls; mais dans les villes
et surtout à la capitale, ils forment une
corporation puissamment organisée,
qui est reconnue par la loi, et qui paye des
impôts au gouvernement. Seuls, ils
ont droit de circuler dans les rues pendant la nuit.
Le jour on les rencontre,
deux ou trois ensemble, poussant un cri spécial
pour attirer l’attention de
ceux qui peuvent avoir besoin de leurs services. Pour
être reçu définitivement
membre de la société, il faut passer par
un noviciat d’au moins trois ans. Ce
temps est consacré à étudier les
secrets de l’art, et surtout les rues et
ruelles de la capitale. C’est quelque chose de
prodigieux, et qui semble
naturellement inexplicable, que leur adresse à
se retrouver dans le dédale de
rues tortueuses, de culs-de-sac, d’impasses, qui
forment la ville de Séoul.
Quand on leur a indique une maison quelconque, ils s’y
rendent, en tâtonnant un
peu avec leur bâton, presque aussi vite, et
aussi sûrement que tout autre
individu. On
les fait venir
pour indiquer l’avenir, découvrir les choses
secrètes, tirer les horoscopes,
mais surtout pour chasser les diables. Dans ce dernier
cas, il convient qu’ils
soient plusieurs ensemble; leurs
cérémonies ont alors une action plus
rapide et
plus efficace. Ils commencent par psalmodier diverses
formules d’une voix grave
et lente, puis peu à peu haussent le ton, en
s’accompagnanl du roulement monotone
et de plus en plus rapide de leurs bâtons, sur
le plancher et sur des vases de
terre ou de cuivre. Ils entrent bientôt dans une
espèce de frénésie
étrange; le
rhythme de leurs chants devient de plus en plus
saccadé, et à la fin, c’est un
vacarme affreux de hurlements et de
vociférations diaboliques. « Quels
poumons!
s’écrie Mgr Daveluy, à qui nous
empruntons ces détails; je vous assure qu’il y
a réellement de quoi mettre en fuite tous les
diables de l’enfer. Chaque
exorcisme dure trois ou quatre heures, et quelquefois
on recommence, toujours
plus fort, trois fois dans une même nuit et
plusieurs nuits de suite. Malheur
aux voisins des maisons où se passent de
pareilles scènes ! il leur est
absolument impossible de fermer l’œil, comme j’en ai
fait plusieurs fois l’expérience.
» A la fin cependant, les opérateurs
parviennent à vaincre le diable; ils l’acculent
dans un coin, le serrent de tous côtés,
et finissent par le forcer à se
réfugier dans un pot ou dans une bouteille que
l’un d’eux tient à la main. On
bouche et on ficelle immédiatement cette
bouteille avec le plus grand soin, et,
la maison étant débarrassée de
son hôte incommode, on commence le chant de
victoire.
Pendant toute la cérémonie on n’a
cessé d’offrir au diable toutes sortes de
mets pour le gagner; ces mets deviennent la
propriété des aveugles, à qui on
donne en outre une somme d’argent plus ou moins ronde.
Quant
à l’action
réelle du démon dans ces cas et d’autres
analogues, il est difficile de la
déterminer. Qu’il y ait souvent beaucoup de
jonglerie et de charlatanisme, nul
n’en doute. Mais que, de temps en temps, le
démon manifeste réellement sa
présence et son action dans les hommes ou les
choses par des phénomènes
contraires aux lois de la nature; qu’il y ait de
véritables sorciers, des sorcières
surtout, qui par des rites magiques se mettent en
rapport direct avec les
puissances infernales, le fait est absolument certain.
Les missionnaires
attestent que les possessions proprement dites se
rencontrent quelquefois; de
même, les obsessions, sans être
fréquentes, ne sont pas rares, même parmi
les
chrétiens. Au
reste, les
faits de cette espèce, qui arrivent en
Corée, sont ceux qui se sont passés et
se passent encore chez tous les peuples païens.
Toutes les pages de la Bible,
dans le Nouveau comme dans l’Ancien Testament, sont
pleines de semblables
exemples; et aujourd’hui que l’histoire du monde est
mieux connue, aucun savant
sérieux n’oserait en nier la
possibilité. |