XII Caractère
des Coréens : leurs qualités
morales, leurs défauts, leurs habitudes.
La
grande vertu
du Coréen est le respect inné et la
pratique journalière des lois de la
fraternité humaine. Nous avons vu plus haut
comment les diverses corporations,
les familles surtout, forment des corps intimement
unis pour se défendre, se
soutenir, s’appuyer et s’entr’aider
réciproquement, Mais ce sentiment de
confraternité s’étend bien au
delà des limites de la parenté ou de
l’association;
et l’assistance mutuelle, l’hospitalité
généreuse envers tous, sont des traits
distinctifs du caractère national, des
qualités qui, il faut l’avouer, mettent
les Coréens bien au dessus des peuples envahis
par l’égoïsme de notre
civilisation contemporaine. Dans
les
occasions importantes de la vie, telles qu’un mariage
ou un enterrement, chacun
se fait un devoir d’aider la famille directement
intéressée. Chacun apporte son
offrande et rend tous les services en son pouvoir. Les
uns se chargent de faire
les achats, les autres d’organiser la
cérémonie; les pauvres, qui ne peuvent
rien donner, vont prévenir les parents dans les
villages voisins ou éloignés,
passent jour et nuit sur pied, et font gratuitement
les corvées et démarches
nécessaires. Il semblerait qu’il s’agit non pas
d’un affaire personnelle, mais
d’un intérêt public de premier ordre.
Quand une maison est détruite par un
incendie, une inondation ou quelque autre accident,
les voisins s’empressent d’apporter
pour la rebâtir, qui des pierres, qui du bois,
qui de la paille; et chacun,
outre ces quelques matériaux, donne deux ou
trois journées de son travail. Si
un étranger vient s’établir dans un
village, chacun l’aide à se bâtir une
petite demeure. Si quelqu’un est obligé d’aller
au loin sur les montagnes
couper du bois ou faire du charbon, il est sûr
de trouver dans le village
voisin un pied-à-terre; il n’a qu’à
apporter son riz, on se chargera de le
cuire, et on y mettra les quelques assaisonnements
nécessaires. Lorsqu’un
habitant du village tombe malade, ceux qui auraient
à la maison un remède n’attendent
pas pour le donner qu’on le leur demande; le plus
souvent, ils se hâtent de le
porter eux-mêmes, et ne veulent point en
recevoir le prix. Les instruments de
jardinage ou de labour sont toujours à la
disposition de qui vient les
demander, et souvent même, excepté
pendant la saison des travaux, les bœufs se
prêtent assez facilement. L’hospitalité
est
considérée par tous comme le plus
sacré des devoirs. D’après les moeurs,
ce
serait non-seulement une honte, mais une faute grave,
de refuser sa part de riz
à quiconque, connu ou inconnu, se
présente au moment du repas. Les pauvres
ouvriers qui prennent leur nourriture sur le bord des
chemins, sont souvent les
premiers à offrir aux passants de la partager
avec eux. Quand, dans une maison
quelconque, il y a une petite fête ou un repas
solennel, tous les voisins sont
toujours invités de droit. Le pauvre qui doit
aller pour ses affaires dans un
lieu éloigné ou visiter à de
grandes distances des parents ou amis, n’a pas
besoin de longs préparatifs de voyage. Son
bâton, sa pipe, quelques bardes dans
un petit paquet pendu à l’épaule,
quelques sapèques dans sa bourse, si
toutefois il a une bourse et des sapèques
à mettre dedans, voilà tout. La nuit
venue, au lieu de se rendre à l’auberge, il
entre dans quelque maison dont les
appartements extérieurs sont ouverts à
tout venant, et il est sûr d’y trouver
de la nourriture et un gîte pour la nuit. Quand
l’heure du repas arrive, on lui
donne sa part; il a pour dormir un coin de la natte
qui recouvre le plancher,
et un bout du morceau de bois qui, appuyé
contre la muraille, sert d’oreiller
commun. S’il est fatigué, ou que le temps soit
trop mauvais, il passera ainsi
quelquefois un ou deux jours, sans que l’on songe
à lui reprocher son
indiscrétion. En
ce bas monde,
les meilleures choses ont toujours un mauvais
côté, et les habitudes toutes
patriarcales que nous venons de décrire,
produisent bien quelques
inconvénients. Le plus grave est
l’encouragement qu’elles donnent h la
fainéantise d’une foule de mauvais sujets, qui
spéculent sur l’hospitalité
publique, et vivent en flânant de
côté et d’autre dans une complète
oisiveté.
Quelques-uns des plus effrontés viennent
s’établir, pendant des semaines
entières, chez les gens riches ou aisés,
et se font même donner des vêtements
que l’on n’ose pas refuser de peur d’être
ensuite injurié et calomnié par eux.
On dit que, dans la province de Pieng-an surtout, ces
cas sont assez fréquents.
Dans les montagnes du Kang-ouen, on voit des bandes
entières s’établir dans un
village, y vivre deux ou trois jours aux frais des
habitants, puis passer dans
un autre, et ainsi de suite, pendant des mois entiers,
sans que le gouvernement
ose intervenir pour protéger le peuple. Les
petits marchands ambulants, les
comédiens, les astrologues prennent les
mêmes libertés; c’est l’usage, et nul
ne réclame ni ne songe à se
débarrasser par force de ces hôtes
incommodes. Il y
a de plus les mendiants proprement dits. Ce sont des
infirmes, des estropiés,
des vieillards sans ressources, auxquels chacun donne
un peu de riz ou quelques
sapèques. A Séoul, se trouve une
corporation de mendiantes qui se partagent les
différents quartiers de la capitale et
quètent chaque jour de porte en porte.
Elles sont généralement
détestées à cause de leur
méchanceté et de leur
insolence; mais la crainte de s’attirer de mauvaises
affaires de la part de
toute la bande, force la main aux habitants paisibles,
et elles recueillent d’abondantes
aumônes. Parmi les mendiants attitrés il
faut aussi compter tous les bonzes.
Les uns mendient par nécessité, les
autres par vertu; on donne à ces derniers
le nom de San-lim. Quoique la religion de Fô
soit maintenant tombée dans un
discrédit universel, presque toujours, par
pitié ou par un reste de
superstition, on leur donne quelques poignées
de riz. Les
visites,
soirées, invitations, et autres relations
ordinaires de société sont
très-multipliées, et la plus grande
liberté y règne. Les femmes ne se
montrent
jamais dans ces réunions; elles passent leur
vie dans les appartements
intérieurs, et ne se visitent qu’entre elles.
Mais les hommes à leur aise, les
nobles surtout, naturellement causeurs et paresseux,
vont continuellement de
salon en salon tuer le temps, raconter ou inventer des
nouvelles. Ces salons ou
appartements extérieurs sont placés sur
le devant de la maison, et toujours
ouverts à tout venant. Le maître du logis
y fait sa résidence habituelle, et
met son orgueil à recevoir et à bien
traiter le plus d’amis possible.
Naturellement les conversations ne roulent
guère sur la politique; personne ne
s’en occupe, et d’ailleurs un tel sujet serait
dangereux. Mais on se raconte
les dernières histoires de la cour et de la
ville, on colporte les médisances
du jour, on répète les bons mots qui ont
été dits par tel ou tel grand
personnage, on récite des fables ou des
apologues, on parle science ou littérature.
L’été surtout, ces réunions entre
lettrés deviennent de petites académies,
où l’on
s’assemble trois ou quatre fois la semaine pour
discuter des questions de
critique littéraire, approfondir le sens des
ouvrages célèbres, comparer
diverses compositions poétiques. Les gens du
peuple, de leur côté, se
rencontrent dans les rues, le long des routes, dans
les auberges. Quand ils
sont deux ou trois ensemble, la conversation s’engage
immédiatement et ne
languit jamais. Ils se font les questions les plus
indiscrètes, sur leur nom,
leur âge, leur demeure, leurs occupations, leur
commerce, les dernières
nouvelles qu’ils ont pu apprendre, etc. Un
Coréen ne peut rien garder de ce qu’il
sait; c’est chez lui une démangeaison
incroyable d’apprendre toutes les
nouvelles, même les plus insignifiantes, et de
les communiquer immédiatement à
d’autres, ornées de toutes les
exagérations et de tous les mensonges
possibles.
En
Corée on parle
toujours sur un ton très-élevé,
et les réunions sont extraordinairement
bruyantes. Crier le plus haut possible, c’est faire
preuve de bonnes manières,
et celui qui, dans une société,
parlerait sur un ton ordinaire, serait mal vu
des autres, et passerait pour un original qui cherche
à se singulariser. Le
goût du tapage est inné en eux, et rien
à leur sens ne peut être fait
convenablement sans beaucoup de vacarme.
L’étude des lettres consiste à
répéter
à gorge déployée, chaque jour,
pendant des heures entières, une ou deux pages
d’un
livre. Les ouvriers, les laboureurs, se
délassent de leurs fatigues en luttant
à qui criera le plus fort. Chaque village
possède une caisse, des cornes, des
flûtes, quelques couvercles de chaudrons en
guise de cymbales, et souvent
pendant les rudes travaux de l’été, on
s’interrompt quelques instants, et l’on
se délasse par un concert à tour de
bras. Dans les préfectures et les
tribunaux, les ordres des mandarins sont
répétés d’abord par un crieur,
puis
par beaucoup d’autres échelonnés
à tous les coins, de manière à
retentir dans
les quartiers environnants. Si un fonctionnaire public
sort de sa maison, les
cris perçants d’une multitude de valets
annoncent sa marche. Dans les rares
circonstances où le roi se montre en public,
une foule de gens sont postés de
distance en distance pour pousser les plus formidables
clameurs, et ils se
partagent la besogne alternativement, de
manière à ne pas laisser une seconde
de silence. La moindre interruption, en pareil cas,
serait un manque de respect
envers la majesté royale. Les
Coréens des
deux sexes sont naturellement
très-passionnés; mais l’amour
véritable ne se
trouve guère en ce pays, car la passion chez
eux est purement physique, le cœur
n’y est pour rien. Ils ne connaissent que
l’appétit animal, l’instinct de la
brute qui, pour se satisfaire, se rue à
l’aveugle sur le premier objet à sa
portée; aussi la corruption des mœurs
dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Elle
est telle, que l’on peut affirmer hardiment que plus
de la moitié des individus
ne connaissent pas leurs véritables parents.
Plusieurs fois des chrétiennes,
sur le point d’être violées par des
païens, les ont arrêtes par ces paroles : « Ne
m’approche point,
je suis ta propre fille. » Et le païen
reculait, sachant que le fait était,
sinon probable, au moins très-possible. Au
reste, comment pourrait-il en être
autrement dans un pays où aucun frein religieux
ne vient dominer les passions,
et où les coutumes, les nécessites
même de la vie matérielle forcent souvent
les pauvres, c’est-à-dire la moitié de
la population, à oublier les lois de la
pudeur? En effet, les maisons des pauvres ne sont que
de misérables huttes de
terre. Ils n’ont pas le moyen d’avoir deux chambres,
ou, s’ils en ont deux, ils
ne peuvent les chauffer toutes deux pendant l’hiver.
Aussi, père, mère, frères
et sœurs, tous dorment ensemble, sous la même
couverture s’ils en ont une, et,
s’ils n’en ont point, serrés les uns contre les
autres pour se réchauffer un
peu. Presque
tous les
enfants jusqu’à l’âge de neuf ou dix ans,
quelquefois même davantage, vivent
pendant l’été absolument nus, ou
revêtus seulement d’une petite jaquette qui
descend jusqu’à la ceinture. Les enfants
chrétiens sont généralement
vêtus d’une
manière plus décente, mais les
missionnaires ont eu beaucoup de peine à
obtenir
cette concession. Tout homme, marié ou non, est
libre d’avoir chez lui autant
de concubines qu’il peut en entretenir. Quand une
femme arrive dans un village,
elle trouve toujours où se placer; si nul n’est
assez riche pour la garder chez
lui, chacun la prend dans sa maison à tour de
rôle, et la nourrit pendant
quelques jours. Une femme qui, voyageant seule,
passerait la nuit dans une
auberge, serait infailliblement la proie du premier
venu; quelquefois même la
compagnie d’un homme, à moins qu’il ne soit
bien armé, ne suffit pas à la
protéger. Inutile d’ajouter que la prostitution
s’étale partout au grand jour,
et que la sodomie et autres crimes contre nature sont
assez fréquents. Le long
des routes, à l’entrée des villages
surtout, les filles publiques de bas étage
s’installent avec une bouteille d’eau-de-vie de riz,
dont elles offrent aux
voyageurs. La plupart s’arrêtent
d’eux-mêmes pour les faire chanter, ou badiner
avec elles; et si quelqu’un passe sans les regarder,
elles ne se gênent
nullement pour l’arrêter par ses habits et
même lui barrer le chemin. Mais
détournons les
yeux de ce triste spectacle, et hâtons-nous de
passer à un autre sujet. Les
Coréens ont généralement le
caractère entier, difficile, colère et
vindicatif.
C’est le fruit de la demi-barbarie dans laquelle ils
sont encore plongés. Parmi
les païens, l’éducation morale est nulle;
chez les chrétiens eux-mêmes, elle ne
pourra porter ses fruits qu’à la longue. Les
enfants ne sont presque jamais
corrigés, on se contente de rire de leurs
colères continuelles; ils grandissent
ainsi, et plus tard, hommes et femmes se livrent sans
cesse à des accès d’une
fureur aussi violente qu’aveugle. En ce pays, pour
exprimer une résolution
arrêtée, on se pique le doigt, et on
écrit son serment avec son propre sang.
Dans un accès de fureur, les gens se pendent ou
se noient avec une facilité
inexplicable. Un petit déplaisir, un mot de
mépris, un rien, les entraîne au
suicide. Ils sont aussi vindicatifs qu’irascibles. Sur
cinquante conspirations,
quarante-neuf sont trahies d’avance par quelque
conjuré, et presque toujours
pour satisfaire une rancune particulière, pour
se venger d’un mot un peu vif.
Peu leur importe d’être punis eux-mêmes,
s’ils peuvent attirer un châtiment sur
la tète de leurs ennemis. On
ne peut les
accuser ni de mollesse ni de làcheté. A
l’occasion ils supportent les verges,
le bâton, et les autres supplices avec un grand
sang-froid, et sans laisser paraître
la moindre émotion. Ils sont patients dans
leurs maladies. Ils ont beaucoup de
goût pour les exercices du corps, le tir de
l’arc, la chasse, et ne reculent point
devant la fatigue. Et cependant, chose extraordinaire,
avec tout cela ils font
en général de très-pauvres
soldats, qui, au premier danger sérieux, ne
songent
qu’à jeter leurs armes, et à s’enfuir
dans toutes les directions. Peut-être
est-ce simplement le manque d’habitude, et le
défaut d’organisation. Les
missionnaires assurent qu’avec des officiers capables,
les Coréens pourraient
devenir d’excellents soldats. En 1871, les
Américains rencontrèrent une
résistance désespérée, et
les divers récits de leur expédition
rendent justice
au courage des troupes d’élite que l’on avait
envoyées contre eux. La
chasse est
considérée comme une œuvre servile;
aussi les nobles, si l’on excepte quelques
familles pauvres des provinces, ne s’y livrent presque
jamais. Elle est tout à
fait libre; point de port d’armes, point de parcs
réservés, point d’époques
interdites. Le seul animal qu’il soit défendu
de tuer est le faucon, dont la
vie est protégée par des lois
sévères. Malheur à celui qui
blesserait un de ces
oiseaux ! il serait traîné à la
capitale devant la cour des crimes. La chasse n’a
lieu que dans les montagnes, car les vallées et
les plaines, presque toutes en
rizières, n’offrent aucun gibier qui puisse
tenter les chasseurs. Leur fusil
est le fusil japonais à pierre,
très-lourd et trés peu
élégant. Avec cette arme
insuffisante, un Coréen même seul, tirera
le tigre, quoique cet animal, quand
il n’est pas tué sur le coup, s’élance
toujours droit sur l’ennemi qui devient
alors facilement sa proie. Quand le tigre fait de
grands ravages dans un
district, le mandarin réunit les chasseurs et
organise une battue dans les
montagnes voisines, mais presque toujours sans
résultat, car, en pareil cas, la
peau de l’animal est pour le gouvernement, et le
mandarin garde pour lui la prime
due aux chasseurs. Ceux-ci préfèrent
risquer leur vie en chassant seuls, parce
qu’ils ont alors le bénéfice de la peau
qu’ils vendent secrètement. Ils mangent
la chair qu’ils prétendent être
très-succulente. Les os pilés et
bouillis
servent à faire diverses médecines. On
les vend surtout aux Japonais qui les
achètent à très-haut prix pour en
fabriquer des remèdes secrets. Les
tigres sont
excessivement nombreux en Corée, et le chiffre
annuel des accidents est
très-considérable. Quand le tigre
pénètre dans un village dont les maisons
sont
bien fermées, il ne cesse de tourner pendant
des nuits entières autour de
quelque masure, et si la faim le presse, il finit par
s’y introduire en
bondissant sur le toit de chaume, au travers duquel il
fait un trou. Le plus
souvent, il n’a pas besoin de recourir à cet
expédient, car les villageois sont
d’une insouciance telle, que, malgré sa
présence dans les environs, ils dorment
habituellement, pendant l’été, la porte
de leurs maisons grande ouverte, et
quelquefois même sous des hangars ou en plein
champ sans songer à allumer du
feu. Peut-être, avec des battues bien suivies,
dans la saison propice,
réussirait-on à détruire beaucoup
de ces animaux, et à refouler le reste dans
les grandes chaînes de montagnes qui sont
presque inhabitées; mais chacun ne
songe qu’à se débarrasser du
péril présent, sans s’inquiéter
de l’avenir ni du
bien général. On prend quelquefois des
tigres au piège, dans des fosses
profondes recouvertes de feuillage et de terre, au
milieu desquelles est planté
un pieu aigu; mais ce moyen si simple, et sans danger
aucun pour le chasseur, n’est
que rarement employé. Pendant l’hiver, quand la
neige est à demi gelée, assez
forte pour résister au pied de l’homme, elle
cède encore aux pattes du tigre,
qui s’y enfonce jusqu’au ventre et ne peut en sortir.
Souvent alors on en tue à
coups de sabre ou de lance. Les
chasseurs
coréens ne tirent jamais au vol. Ils
s’affublent de peaux, de plumes, de
paille, etc., et se tapissent dans quelque trou pour
tromper les animaux qui
viennent à leur portée. Ils savent
contrefaire parfaitement les cris des divers
oiseaux, particulièrement celui de faisan qui
appelle sa femelle, et par là
réussissent à prendre beaucoup de ces
dernières. Mais leur chasse principale
est celle du cerf. Elle n’a lieu qu’au moment
où ses bois se développent,
c’est-à-dire
pendant la cinquième et la sixième lune
(juin et juillet), parce qu’alors
seulement ces bois se vendent à un prix
très-élevé. Les chasseurs au
nombre de
trois ou quatre au plus, battent les montagnes
plusieurs jours de suite, et
quand la nuit les force à s’arrêter
pendant quelques heures, ils ont un
instinct admirable pour retrouver la piste de
l’animal, à moins que la terre ne
soit trop desséchée. D’ordinaire, ils
l’atteignent avant la fin du troisième
jour, et le tuent à coups de fusil. Cette
chasse, quand elle réussit bien, leur
donne de quoi vivre pendant une partie de
l’année, et l’on cite des individus
qui par ce moyen ont acquis une petite fortune. Les
Coréens sont
âpres au gain; pour se procurer de l’argent,
tous les moyens leur sont bons.
Ils connaissent très-peu et respectent encore
moins la loi morale qui protège
la propriété et défend le vol.
Néanmoins, les avares sont peu nombreux, et ne
se trouvent guère que parmi les riches de la
classe moyenne ou les marchands.
En ce pays, on appelle riche celui qui a deux ou trois
mille francs vaillant.
En général, ils sont aussi prodigues
qu’avides, et aussitôt qu’ils ont de l’argent,
ils le jettent à pleines mains. Ils ne songent
alors qu’à mener grand train,
bien traiter leurs amis, satisfaire leurs propres
caprices; et quand l’indigence
revient, ils la subissent sans trop se plaindre, et
attendent que la roue de la
fortune en tournant leur ramène de beaux jours.
Souvent, l’argent se gagne
assez vite, mais il disparait plus vite encore. On a
fait gagner un procès à quelqu’un,
on a trouvé une racine de gen-seng, un petit
morceau d’or, une veine de
cristal, n’importe quoi, on est à flot pour
quelques jours, et vogue la galère
! l’avenir s’occupera de l’avenir. De là vient
que tant de gens sont toujours
sur les routes, cherchant une chance heureuse,
espérant rencontrer là-bas ce
qui leur manque ici, trouver quelque trésor,
découvrir quelque source de
richesse non encore exploitée, inventer quelque
nouveau moyen de battre
monnaie. Dans certaines provinces surtout, la
moitié des habitants n’ont pour
ainsi dire pas de demeure fixe; ils émigrent
pour échapper à la misère,
restent
un an ou deux, et émigrent de nouveau, pour
recommencer plus tard, cherchant
toujours le mieux, et presque toujours rencontrant le
pire. Un
autre grand
défaut des Coréens, c’est la
voracité. Sous ce rapport, il n’y a pas la
moindre
différence entre les riches et les pauvres, les
nobles et les gens du peuple.
Beaucoup manger est un honneur, et le grand
mérite d’un repas consiste, non
dans la qualité, mais dans la quantité
des mets fournis aux convives. Aussi
cause-t-on très-peu en mangeant, car chaque
phrase ferait perdre une ou deux
bouchées. Dès l’enfance, on s’applique
à donner à l’estomac toute
l’élasticité
possible. Souvent les mères prenant sur leurs
genoux leurs petits enfants, les
bourrent de riz ou d’autre nourriture, frappent de
temps en temps avec le
manche de la cuiller sur le ventre pour voir s’il est
suffisamment tendu, et ne
s’arrêtent que quand il devient physiquement
impossible de les gonfler
davantage. Un Coréen est toujours prêt
à manger; il tombe sur tout ce qu’il
rencontre et ne dit jamais : c’est assez. Les gens
d’une condition aisée ont
leurs repas réglés, mais si dans
l’intervalle se présente l’occasion d’avaler
du vin, des fruits, des pâtisseries, etc., en
quelque quantité que ce soit, ils
en profitent largement, et l’heure ordinaire du repas
venue, se mettent à table
avec le même appétit que s’ils avaient
jeûné depuis deux jours. La portion
ordinaire d’un ouvrier est d’environ un litre de riz,
lequel après la cuisson
donne une forte écuelle. Mais cela ne suffit
pas pour les rassasier, et
beaucoup d’entre eux en prennent facilement trois ou
quatre portions quand ils
le peuvent. Certains individus, dit-on, en absorbent
jusqu’à neuf ou dix
portions impunément. Quand on tue un bœuf, et
que la viande est servie à
discrétion, une écuelle bien remplie
n’effraye aucun des convives. Dans les
maisons décentes, le bœuf ou le chien sont
découpés par tranches énormes, et
comme chacun a sa petite table à part, on peut
se montrer généreux envers tel
ou tel convive, tout en ne donnant aux autres que le
strict nécessaire. Si l’on
offre des fruits, des pêches par exemple ou de
petits melons, les plus modérés
en prennent jusqu’à vingt ou vingt-cinq, qu’ils
font très-rapidement
disparaître, sans les peler. Inutile
d’ajouter
que les habitants de ce pays sont loin d’absorber
chaque jour les quantités de
nourriture dont nous venons de parler. Tous sont
prêts à le faire, et le font
en effet quand ils en trouvent l’occasion, mais ils
sont trop pauvres pour la
trouver souvent. La viande de bœuf surtout est assez
rare. Nous avons dit plus
haut qu’un boucher est une espèce de
fonctionnaire nommé par le gouvernement,
et qui paye un impôt considérable pour
avoir le droit exclusif de faire abattre
les bœufs. Quelques nobles haut placés se
permettent aussi d’avoir des bouchers
à eux. C’est un abus que l’on tolère
faute de pouvoir l’empêcher. Quelquefois
aussi, dans les circonstances extraordinaires, le roi
permet d’abattre un bœuf
dans chaque village, et alors c’est une fête
universelle, et son nom est béni d’un
bout à l’autre du royaume. Un
excès en
appelle un autre, et l’abus de la nourriture
amène naturellement l’abus de la
boisson. Aussi l’ivrognerie est-elle en grand honneur
dans ce pays, et si un
homme boit du vin de riz de manière à
perdre la raison, personne ne lui en fait
un crime. Un mandarin, un grand dignitaire, un
ministre même, peut, sans que
cela tire à conséquence, rouler sur le
plancher à la fin de son repas. On le
laisse cuver son vin tranquillement, et les assistants
loin d’être scandalisés
de ce dégoûtant spectacle, le
félicitent intérieurement d’être
assez riche pour
pouvoir se procurer un aussi grand plaisir. Quant
à la
préparation de la nourriture, les
Coréens ne sont nullement difficiles; tout
leur est bon. Le poisson cru, la viande crue, surtout
les intestins, passent
pour des mets friands, et parmi le peuple, on n’en
voit guère sur les tables,
car un pareil morceau à peine aperçu est
aussitôt dévoré. Les viandes crues
se
mangent habituellement avec du piment, du poivre ou de
la moutarde, mais
souvent on se passe de tout assaisonnement. Sur le
bord des ruisseaux ou
rivières, on rencontre quantité de
pêcheurs à la ligne, dont le plus grand
nombre sont des nobles sans le sou qui ne veulent pas
ou ne peuvent pas
travailler pour vivre. A côté d’eux est
un petit vase contenant de la poudre de
piment délayée, et aussitôt qu’un
poisson est pris, ils le saisissent entre
deux doigts, le trempent dans cette sauce et l’avalent
sans autre cérémonie.
Les arêtes ne les effrayent point; ils les
mangent avec le reste, comme ils
mangent aussi les os de poulets ou d’autres volatiles
afin de ne rien laisser
perdre. Quelques
mots, en
finissant ce chapitre, sur les différences de
caractère entre les habitants des
diverses provinces. Ceux des deux provinces du Nord,
du Pieng-an
particulièrement, sont plus forts, plus
sauvages, et plus violents que les
autres Coréens. Il y a très-peu de
nobles parmi eux, et par suite très-peu de
dignitaires. On croit qu’ils sont les ennemis secrets
de la dynastie; aussi le
gouvernement, tout en les ménageant, les
surveille de près, et redoute toujours
de leur part une insurrection qu’il serait
très-difficile de vaincre. Les gens
du Hoang-haï passent pour avoir l’esprit
étroit et borné. On les accuse de
beaucoup d’avarice et de mauvaise foi. La population
du Kieng-keï, ou province
de la capitale, est légère, inconstante,
adonnée au luxe et aux plaisirs. C’est
elle qui donne le ton au pays tout entier; c’est
à elle surtout que s’applique
ce que nous avons dit plus haut de l’ambition, de la
rapacité, de la
prodigalité, et du faste des Coréens.
Les dignitaires, nobles, et lettrés y
sont excessivement nombreux. Les gens du Tsiong-tsieng
ressemblent de tous
points à ceux du Kieng-keï, dont ils ont,
à un degré moindre, les vices et les
bonnes qualités. Dans la province de Tsien-la
on rencontre peu de nobles. Les
habitants sont regardés par les autres
Coréens comme des gens grossiers,
hypocrites, fourbes, ne cherchant que leurs
intérêts, et toujours prêts
à
commettre les plus odieuses trahisons s’ils y trouvent
leur profit. La province
de Kieng-sang a un caractère à part. Les
habitudes y sont beaucoup plus
simples, les mœurs moins corrompues, et les vieux
usages plus fidèlement
conservés. Peu de luxe, peu de folles
dépenses; aussi les petits héritages se
transmettent-ils de père en fils, pendant de
longues années, dans les mêmes
familles. L’étude des lettres y est plus
florissante qu’ailleurs, et souvent l’on
voit des jeunes gens qui après avoir
travaillé aux champs tout le jour, donnent
à la lecture le soir et une partie de la nuit.
Les femmes de condition ne sont
pas enfermées aussi strictement que dans les
autres provinces; elles sortent
pendant le jour, accompagnées d’une esclave, et
n’ont à craindre aucune insulte
ni aucun manque d’égards. C’est dans le
Kieng-sang que le bouddhisme ou
religion de Fô conserve le plus de sectateurs.
Ils sont très-attachés à leurs
superstitions et difficiles à convertir; mais
une fois devenus chrétiens, ils
demeurent fermes et constants dans la foi. Les nobles,
très-nombreux dans cette
province, appartiennent presque tous au parti Nam-in,
et depuis les dernières
révolutions dont nous donnons le détail
dans cette histoire, n’ont plus de part
aux dignités et emplois publics. |