XIII Jeux. —
Comédies. — Fêtes du nouvel an. —
Le
Hoan-kap.
Le
jeu d’échecs
est très-répandu en Corée, et on
prétend qu’il y a des joueurs capables de
tenir tête aux Chinois les plus habiles. Ils ont
aussi une espèce de jeu de
dames, beaucoup plus compliqué que le
nôtre, le trictrac, le jeu d’oie, et
divers autres jeux d’adresse ou de hasard. Mais celui
qui a le plus de vogue,
est le jeu de cartes, lequel est interdit par la loi.
On ne le permet qu’aux
soldats qui font la veillée dans un poste
quelconque, pour les empêcher de s’endormir,
et on prétend qu’en temps de guerre, c’est la
plus sûre sauvegarde des camps contre
les surprises et les attaques nocturnes. Malgré
la prohibition, ce jeu est en
grand usage, surtout parmi les gens du peuple, car les
nobles le regardent
comme au-dessous de leur dignité. On y joue la
nuit, en cachette, en dépit des
amendes et des punitions que les tribunaux infligent
journellement. Il y a des
bandes de joueurs qui y passent leur vie, et n’ont pas
d’autre métier. Ce sont
presque toujours des filous fieffés, qui
escroquent à leurs dupes des sommes
considérables et mènent grand train sans
s’inquiéter de la loi. Les prétoriens
et autres agents de l’autorité ferment les yeux
sur leurs contraventions,
tantôt parce qu’ils sont secrètement
payés pour se taire, souvent aussi parce
qu’ils redoutent la vengeance de ces individus, qu’ils
savent être peu
scrupuleux, déterminés et capables de
tout. A
la capitale et
dans quelques autres grandes villes, beaucoup de gens
inoccupés passent leur
temps à lancer des cerfs-volants, surtout
pendant un ou deux mois d’hiver quand
souffle le vent du Nord. La foule se presse à
ce spectacle; chacun examine les
soubresauts de ces cerfs-volants, et en tire des
pronostics pour le bon ou
mauvais succès des affaires dans lesquelles il
est alors engagé. Souvent on se
porte des défis mutuels, à qui usera ou
coupera le plus vite la corde de son
voisin, en faisant rencontrer les cerfs-volants dans
les airs, et là-dessus s’engagent
des paris quelquefois considérables. Les
Coréens,
nobles et gens du peuple, s’amusent volontiers
à tirer de l’arc. Cet exercice
est encouragé par le gouvernement qui y voit un
moyen de former de bons
archers. A certaines époques de l’année,
les villes ei les villages un peu
considérables donnent des prix au concours pour
les plus habiles tireurs, et
quelquefois les mandarins en envoient d’autres aux
frais du trésor public.
Souvent aussi il y a des boxes ou luttes à
coups de poing, entre des champions
choisis, de village contre village, ou de certains
quartiers d’une ville contre
les autres. Chaque année, à
Séoul, pendant la première lune, on a le
spectacle
d’une de ces luttes, qui ordinairement
dégénère en un combat
acharné. On
commence à coups de poing, mais l’on continue
à coups de bâton et de pierres,
et cela dure plusieurs jours, pendant lesquels il est
impossible de circuler
sans danger dans les rues. D’habitude, il reste quatre
ou cinq morts sur le
terrain, les blessés et les estropiés ne
se comptent pas; mais le gouvernement
n’intervient jamais, et laisse les choses suivre leur
cours, sous prétexte qu’il
s’agit d’un jeu. On
trouve dans
toutes les villes des chœurs de musiciens et de
chanteuses. La capitale en est
remplie. Ces chanteuses, élégamment
vêtues, exécutent des chants et des
danses
pour l’amusement des spectateurs, dans les parties de
plaisir que donnent les
mandarins ou les gens haut placés. Ce sont ou
des esclaves de préfectures, ou
des femmes que la misère a jetées dans
la débauche; et toutes joignent le
métier de prostituées à celui de
musiciennes. On dit cependant que leurs danses
publiques n’ont rien de trop indécent. Il
n’est pas rare
non plus de rencontrer des saltimbanques ou
comédiens ambulants qui vont par
bandes, de côté et d’autre, donnant des
représentations dans les maisons de
ceux qui les payent, à l’occasion d’un mariage,
d’un anniversaire heureux, ou d’une
fête quelconque. Ils sont acrobates, musiciens,
joueurs de marionnettes,
escamoteurs, font mille tours de force et d’adresse,
et passent pour être
souvent d’une habileté merveilleuse. A
défaut d’amateurs bénévoles, ils
s’imposent
aux villages, et comme ils ont la réputation
d’être des bandits, capables de
toutes sortes de crimes et d’actes de violence, on les
subit par crainte, et on
les paye sur les fonds communs pendant leur
séjour. Le
théâtre
proprement dit n’existe pas en Corée. Ce qui se
rapproche le plus de nos pièces
dramatiques est la récitation mimée de
certaines histoires, par un seul
individu qui en représente successivement tous
les rôles. Si, par exemple, il
est question dans son récit d’un mandarin, d’un
homme qui reçoit la bastonnade,
d’un mari qui se dispute avec sa femme, etc., il
imitera alternativement le ton
grave et solennel du magistrat, les plaintes, les cris
de celui qui est battu,
la voix du mari, le fausset de la femme, les rires de
celui-ci, les gestes
étranges de celui-là, la
stupéfaction d’un autre, assaisonnant le tout
de
compliments, de bons mots, de lazzis et de pasquinades
de toute espèce. Il y a
beaucoup de livres ou recueils d’anecdotes que ces
artistes étudient
continuellement, mais ceux qui ont du talent ne
s’astreignent point aux scènes
ainsi préparées; ils les cbangenl et les
entremêlent avec adresse, y
introduisent, séance tenante, des pointes, des
allusions, des plaisanteries
appropriées à l’auditoire, et
conquièrent ainsi une réputation qui
peut les
conduire à la fortune. On les invite aux
réunions d’amis, aux fêtes de famille;
ils ne manquent jamais d’accompagner dans leurs
visites officielles les
nouveaux dignitaires, ainsi que les candidats heureux
des examens publics, et
dans chaque maison on leur donne quelque argent. Les
hommes seuls font ainsi le
métier de comédien. Le
jour de l’an
est une des plus grandes fêtes pour toutes les
classes de la société coréenne,
et la manière de le célébrer
offre une certaine analogie avec nos usages d’Europe.
La plupart des travaux sont interrompus dès le
troisième jour qui précède la fin
de l’année, afin de donner à tous le
temps de regagner le toit paternel ou de
rejoindre leur famille. Très-peu de personnes
passent cette époque hors de
leurs maisons, et si quelque pauvre portefaix ou
commissionnaire est forcé par
des retards malencontreux de séjourner dans une
auberge le jour de l’an,
presque toujours l’aubergiste lui donne la nourriture
gratis. A cette époque
les mandarins évitent de faire des
arrestations, et leurs tribunaux sont
fermés. Il y a plus : beaucoup de prisonniers,
détenus pour des affaires de peu
d’importance, obtiennent un congé plus ou moins
long, afin d’aller rendre leurs
devoirs à leurs parents vivants et morts. Les
fêtes passées, ils doivent
d’eux-mêmes
revenir, et reviennent en effet, se constituer
prisonniers. Habituellement,
d’après
les règles de l’étiquette, on se fait
deux salutations : la première, le soir
du dernier jour de l’an, ce qu’ils appellent le salut
de l’année qui finit; la
seconde, le matin du premier jour, c’est le salut de
l’année qui commence.
Cette dernière salutation seule est absolument
de rigueur, et personne ne s’en
dispense. Elle se fait à tous les parents,
supérieurs, amis et connaissances. Y
manquer serait provoquer infailliblement une rupture,
ou un refroidissement
marqué dans les relations. La principale
cérémonie du jour de l’an, est le
sacrifice aux tablettes des ancêtres. Chacun y
déploie toute la pompe que lui
permet sa position, et c’est, dans l’opinion commune,
le sacrifice le plus
indispensable de toute l’année. Si les tombeaux
des parents se trouvent près de
la maison, on s’y rend de suite pour faire les
prostrations et cérémonies
voulues; sinon, on est tenu de les visiter dans le
courant de la première lune.
Après le sacrifice vient la distribution des
étrennes, qui généralement sont
peu considérables. Elles consistent en quelques
vêtements qu’on donne aux
enfants ou aux inférieurs, en pâtisseries
que l’on envoie aux supérieurs, amis,
et connaissances. A la capitale, les parents font
assez souvent cadeau à leurs
enfants de quelques joujoux de peu de valeur. Les
jours suivants se passent en
échange de civilités, visites,
réunions, soirées. Les travaux, les
transactions
commerciales, les séances des tribunaux, etc.,
ne peuvent recommencer que le
cinquième jour de la lune, ce qui fait, en
tout, huit jours de repos légal. En
fait, ce repos est beaucoup plus prolongé, et
quinze ou vingt jours se
dépensent en jeux et en parties de plaisir,
sans que personne y trouve à
redire. Les
familles
riches célèbrent aussi l’anniversaire de
la naissance de chacun de leurs
membres par une réunion et un festin; chez les
pauvres on ne tient compte que
du jour de naissance du chef de la maison. Ce
jour-là, on invite les voisins à
un petit régal. Entre tous ces anniversaires,
le plus célèbre est celui de la
soixante et unième année. Les
Coréens suivent le cycle chinois de soixante
ans,
et chacune des années porte un nom particulier,
comme chez nous les noms des
jours de la semaine ou des mois de l’année.
Cette période de soixante ans une
fois écoulée, les années de
même nom recommencent dans le même ordre,
et l’année
de la naissance se présente après une
révolution entière du cycle. Cet
anniversaire appelé Hoan-kap, est en ce pays
l’époque la plus solennelle de la vie.
Riches et pauvres, nobles et gens du peuple, tous ont
à cœur de fêter dignement
ce jour où l’âge mûr finit,
où commence la vieillesse. Celui qui atteint
cet
âge est censé avoir rempli sa
tâche, achevé sa carrière; il a bu
à longs traits
la coupe de l’existence, il ne lui reste qu’à
se souvenir et à se reposer. Longtemps
d’avance
on fait les préparatifs de la fête.
Quelle plus belle occasion de montrer de la
piété filiale! de prouver publiquement
combien on apprécie l’inestimable
bonheur d’avoir conservé ses parents
jusqu’à un âge aussi respectable! Les
riches prodiguent leurs ressources pour faire venir,
même des provinces
éloignées, tout ce qui peut orner un
festin; les pauvres s’ingénient à
ramasser
quelques épargnes. De leur côté,
les lettrés composent des pièces de
vers, pour
chanter cet heureux jour. Le bruit s’en répand
dans les environs, et c’est un
événement, non seulement pour le
village, mais pour tout le canton. A
l’intérieur
de la maison, on est continuellement affairé.
Tous les habits devront être
blancs comme la neige, les jupes bleues comme l’azur;
un nouvel habit de soie
sera l’ornement du sexagénaire. Il faut
ramasser du vin et de la viande en
abondance pour rassasier et enivrer parents, amis,
voisins, connaissances,
étrangers, etc.. Les femmes de la maison sont
surchargées de besogne, mais
alors, comme du reste dans les autres grandes
circonstances, leurs voisines,
leurs amies s’empressent de venir à leur
secours. S’il est nécessaire, les
voisins contribuent généreusement aux
frais par des présents en argent ou en
nature. Ils sont tous invités de droit, et ce
qu’ils font aujourd’hui pour un
autre, on le fera demain pour eux. L’heureux
jour
arrivé, on conduit le héros de la
fête, en grande cérémonie,
à la place d’honneur.
Il s’assied, et reçoit d’abord les saluts et
félicitations de tous les membres
de la famille, puis on place devant lui une table
surchargée des meilleurs mets
qu’il a été possible de trouver.
Viennent ensuite les amis, les voisins, les
connaissances, les parasites, etc.. tous avec les plus
beaux compliments dans
la bouche, et un appétit féroce dans
l’estomac. Personne n’est repoussé,
personne ne s’en retourne à jeun; les passants,
les voyageurs profitent de la
bonne aubaine, et si on oublie de les inviter, ils
s’invitent eux-mêmes sans
plus de formalités. Bien plus, quand les
ressources le permettent, on envoie
chez tous les voisins des tables abondamment servies.
La musique la plus
étourdissante vient réjouir les
convives; on appelle des chœurs de musiciens et
de danseuses, des comédiens, tout ce qui peut
embellir la fête, et rehausser l’éclat
de la solennité. C’est pour des enfants bien
élevés la plus rigoureuse des
obligations, et devraient-ils se saigner à
blanc, se condamner à mourir de faim
le reste de l’année, dépenser leur
dernière sapèque, il leur faut faire les
choses avec une profusion extravagante, sous peine
d’être à jamais déshonorés.
Si
les
particuliers doivent ainsi déployer toute la
prodigalité possible, on peut
imaginer avec quelle pompe, quel appareil, quelles
folles dépenses, les grands
personnages célèbrent le Hoan-kap. Lorsque
la reine
mère, la reine, et surtout le roi atteignent la
soixantaine, le royaume entier
doit prendre part à la fête. Toutes les
prisons s’ouvrent par la proclamation d’une
amnistie générale, et il y a une session
extraordinaire d’examens pour conférer
les grades littéraires. Tous les dignitaires de
la capitale vont en personne
présenter au roi leurs hommages et leur vœux.
Dans chaque district, le mandarin
précédé de la musique,
escorté de ses prétoriens et satellites,
suivi de toute
la population, se rend au chef-lieu, à
l’endroit où est exposée en grand
apparat la tablette qui représente le roi, et
se prosterne humblement pour lui
offrir ses congratulations personnelles, et celles de
ses subordonnés. Ce jour
est, pour tous, une fête chômée de
premier ordre. Tous les soldats de la
capitale reçoivent quelque marque de la
munificence royale. Des tables
richement servies, des cadeaux de prix, sont
envoyés aux ministres, aux
fonctionnaires du palais, aux grandes familles nobles,
à tous ceux qui ont
quelque crédit à la cour. Malheureusement
pour
le peuple, ces grandes fêtes se donnent à
ses dépens. Le plus souvent, c’est
au moyen de rapines, de concussions, d’extorsions de
toute espèce, que les
parents du roi, les ministres et autres grands
personnages se procurent les
ressources nécessaires. Un de ces Hoan-kap a
été, sous ce rapport, scandaleux
entre tous : c’est celui de Kim Moun-keun-i,
beau-père du roi Tchiel-tsong,
célébré à la fin de 1861.
Dès les premiers jours de l’automne, toutes les
productions rares des provinces affluèrent
à sa maison. On y expédia des
centaines de bœufs, des milliers de faisans, des
fruits en quantité énorme. Les
mandarins, tant pour obéir à l’usage que
pour s’attirer les bonnes grâces d’un
homme aussi influent, luttaient à qui ferait
les plus riches offrandes, en
argent et en produits de leurs districts ou
préfectures. Le gouverneur de la
province de Tsiong-tsieng fut destitué,
quelques jours après la fête, pour
n’avoir
envoyé que la misérable somme de mille
nhiangs (environ deux mille francs),
tandis que les autres, plus généreux,
avaient expédié huit, dix, quelques-uns
même vingt mille francs. M. Pourthié
raconte qu’un vieux mandarin de sa
connaissance, criblé de dettes et sans le sou,
ne put absolument rien envoyer.
Kim Moun-keun-i voulait le punir
sévèrement. « Ne touchez pas
à cet homme, lui
dirent les ministres; pour avoir osé vous
insulter ainsi, il faut certainement
qu’il soit bien déterminé, et qu’il ait
des moyens secrets de braver votre
colère; il est plus prudent de le laisser
tranquille. » Le pauvre mandarin
conserva sa place. Les gens du peuple, même les
plus pauvres, furent forcés,
par insinuations et par menaces, de payer sous forme
d’offrandes volontaires un
impôt considérable. On rapporte qu’un
malheureux en haillons, aux traits hâves
et décharnés, dut apporter
lui-même quelques pelotons de fil de soie, sa
dernière ressource. Le grand personnage eut la
bassesse de les recevoir de sa
propre main, et la cruauté de remercier en
souriant. La
soixante et
unième année du mariage donne
également occasion à des rejouissances
extraordinaires, à peu près de
même genre que celles du Hoan-kap; mais ces
fêtes sont, naturellement, beaucoup plus rares.
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