XIV Logements.
— Habillements. — Coutumes
diverses.
L’extrait
suivant
d’une lettre de M. Pourthié, résume de
la manière la plus intéressante diverses
notions sur la vie de chaque jour en Corée, sur
la manière de se loger, de s’habiller,
de se nourrir, etc.. «
Voulez-vous,
écrit le missionnaire, voulez-vous avec moi
faire une course dans le pays ? je
crois que vous n’en aurez guère le courage.
D’abord vous ne serez chaussé que
de sandales de paille, qui permettent l’entrée
à la pluie, à la neige, à la
boue, et à toutes les malpropretés;
ensuite, comme personne, en Corée, ne se
mêle d’entretenir les chemins, vous serez
bientôt fatigué de sauter de pierre
en pierre; vous vous lasserez de ces ascensions et
descentes continuelles,
souvent très-rudes; enfin, si vous n’y faites
grande attention, votre orteil
qui dépasse le bout de la sandale, et s’avance
seul et sans protection, comme
une sentinelle perdue, ira heurter contre les pierres
ou contre les tronçons de
broussailles, ce qui vous arrachera des cris
douloureux, et vous forcera de
renoncer à votre entreprise. Arrêtons
nous plutôt à examiner ces maisons que
vous voyez à l’abri du vent dans toutes les
vallées, et qui de loin ressemblent
à de grandes taches noires sur la neige. «
Vous avez vu
quelquefois de misérables cabanes : hé
bien ! rabattez encore de la beauté et
de la solidité des plus pauvres masures que
vous connaissez, et vous aurez une
idée à peu près exacte des
chétives habitations coréennes. On peut
dire en
thèse générale que le
Coréen habite sous le chaume, car les maisons
couvertes
de tuiles sont si rares, soit dans les villes, soit
dans les campagnes, qu’on
ne pourrait en compter une sur deux cents. On ne
connaît pas l’art de
construire, pour les maisons, des murs en pierre, ou
plutôt, la plupart du
temps, on n’a pas assez de sapèques pour une
telle dépense. Quelques arbres à
peine dégrossis, quelques pierres, de la terre
et de la paille en sont les
matériaux ordinaires. Quatre piliers
fichés en terre soutiennent le toit.
Quelques poutrelles transversales, auxquelles
s’appuient d’autres pièces de
bois croisées en diagonale, forment un
réseau et supportent un mur en terre
pétrie de huit à douze
centimètres d’épaisseur. De petites
ouvertures, fermées
par une boiserie en treillis, et recouvertes faute de
verre d’une feuille de
papier, servent à la fois de portes et de
fenêtres. Le sol nu des chambres est
couvert de nattes bien humbles, si vous les comparez
aux nattes de la Chine ou
de l’lnde; la misère forcera même souvent
à se contenter de cacher le sol sous
une couche de paille plus ou moins épaisse. Les
gens riches peuvent tapisser
ces murs de boue d’une feuille de papier, et pour
remplacer les planchers et
des dalles d’Europe, ils colleront au sol
d’épaisses feuilles de papier huilé.
Ne cherchez pas des maisons à étages,
c’est inconnu en Corée. «
Mais pénétrons
dans l’intérieur, et d’abord ôtez vos
sandales; l’usage et la propreté l’exigent.
Les riches gardent leurs bas seulement, les paysans et
les ouvriers sont
ordinairement pieds nus dans leurs chambres. Une fois
entré, tâchez de ne pas
heurter la tête contre la terre pétrie et
les branchages qui forment le
plafond; accroupissez-vous plutôt sur la natte,
et gardez-vous de chercher un
siège, car le roi lui-même, lorsqu’il
reçoit les prostrations de sa cour, est
accroupi sur un tapis, les jambes croisées
à la façon de nos tailleurs.
Peut-être désirez-vous prendre des notes
sur les curieuses choses que vous
voyez? Inutile de demander une table, les
Coréens n’en ont que pour les
sacrifices aux ancêtres et pour les repas.
Mettez donc votre calepin sur le
genou, et écrivez comme si c’était pour
vous une habitude que vous trouvez
toute naturelle et très-commode. «
Nous sommes en
novembre, et le vent du nord-ouest, tout en procurant
un automne sec et serein,
vous fera frissonner de froid sur votre natte. Vous
voulez faire fermer la
porte, mais les nombreux trous pratiqués aux
vieux papiers des fenêtres
rendront la précaution à peu près
inutile. D’ailleurs, l’adresse du menuisier
coréen aura toujours su vous ménager
assez de fentes pour qu’il n’y ait aucun
danger d’asphyxie. Et en cela tout le tort n’est pas
de son côté, car enfin une
porte de douze ou vingt sous, achevée le plus
souvent avec le seul secours de
la hache et du ciseau, peut-elle être une œuvre
parfaite? Le seul moyen est
donc d’avoir recours au feu : mais pas de
cheminée, et comment allumer du feu
sur la natte? On y a pourvu. A l’extérieur de
la maison, sur le côté, se trouve
le foyer de la cuisine auquel viennent aboutir divers
conduits qui passent sous
le sol de la chambre. Ces conduits ou tuyaux sont
couverts de grosses pierres
dont on a rempli les interstices et comblé les
inégalités avec de la terre
pétrie; c’est là-dessus qu’est
étendue votre natte. La fumée et la
chaleur
passant par ces tuyaux pour sortir de l’autre
côté de la maison font arriver
jusqu’à vous une chaleur bienfaisante qui,
grâce à l’épaisseur des pierres,
se
maintiendra assez longtemps. Vous voyez que les
Coréens ont connu, bien avant
nous, l’usage des calorifères. II est vrai que
la fumée passe en bouffées
abondantes à travers les fentes du sol, mais il
ne faut pas être trop délicat,
et d’ailleurs, en ce monde, quelle est la bonne chose
qui n’ait pas ses
inconvénients ? «
Vous vous
empressez de jeter un regard sur l’ameublement. Et
d’abord, en fait de lits ne
croyez pas découvrir quelqu’un de ces solennels
amas de matelas avec baldaquin
et draperies. Presque toute la Corée couche sur
des nattes. Les pauvres, c’est-à-dire
la grande majorité, s’étendent dessus
sans autre couverture que les haillons
dont ils sont revêtus jour et nuit. Ceux qui ont
quelques sapèques se donnent
le luxe d’avoir une couverture, et, dans la classe
aisée, on y joint souvent un
petit matelas d’un à deux
décimètres d’épaisseur. Tous,
riches et pauvres, ont
dans un coin de la chambre un petit tronçon de
bois quadrangulaire, épais de
quelques pouces, qui leur sert de traversin. Quant aux
autres meubles, les
pauvres n’en ont aucun; les gens du peuple ont un
bâton transversal sur lequel
est suspendu un habit de rechange; les individus
à leur aise ont quelques
corbeilles hissées sur des barres de bois ou
pendues au toit; chez les riches
on trouve des malles assez grossières; les
lettrés, les marchands sont assis
près d’une petite caisse qui contient
l’encrier, les pinceaux, et un rouleau de
papier. Les jeunes dames ont une petite malle noire
garnie de deux jupes, l’une
rouge et l’autre bleue, l’indispensable présent
de noces. Enfin chez les grands
fonctionnaires et dans les maisons de la haute
noblesse, on rencontre quelques
livres chinois et des armoires vernissées de
modestes dimensions. «
Maintenant,
comment serez-vous habillé? J’ai
déjà parlé des sandales de
paille, je n’essayerai
pas de vous les décrire; il faut les voir pour
s’en faire une idée. C’est la chaussure
ordinaire du pays, surtout dans les voyages. La
semelle tressée en paille de
riz protège un peu la plante du pied contre les
cailloux, mais c’est là sa
seule utilité. Aussi n’est-ce pas une petite
mortificalion, dans les rigoureux
hivers de Corée, de marcher avec des savates,
les pieds dans la neige ou dans
une boue glaciale. Pendant l’été, le
seul inconvénient est de prendre
quelquefois des bains de pieds; mais lorsque l’eau
n’est pas à craindre, votre
chaussure a l’avantage d’être moins chaude que
nos souliers. Avec ces sandales,
vous pouvez faire jusqu’à dix lieues de suite,
quelquefois beaucoup moins. Il
faut donc à chaque moment les renouveler;
toutefois, on le peut sans beaucoup
de frais, car leur prix varie de trois à huit
sapèques (deux sapèques et demie
valent un sou de France). D’autres sandales un peu
plus belles et plus chères,
de même forme, sont confectionnées avec
du chanvre ou avec l’écorce de l’arbrisseau
morus papyrifera, mais ces dernières se perdent
au moindre contact de l’eau. Il
y a aussi des souliers en cuir assez bizarres,
vilains, et incommodes, mais,
outre que les quatre-vingt-dix-neuf centièmes
de la population ne peuvent pas
se permettre un pareil luxe, cette chaussure est bonne
tout au plus pour
circuler dans la maison; nul n’oserait se mettre en
route les pieds chargés de
pareilles entraves. «
Mais, au moins,
vous aurez des bas, car tout Coréen, lorsqu’il
n’est pas occupé aux travaux des
champs, peut se donner cette satisfaction, à
moins qu’il ne soit réduit à une
extrême misère. N’allez pas croire
cependant qu’il s’agit de bas élastiques de
soie, de laine, de coton, ou de toute autre
matière dont on se sert en Europe
pour cet usage; deux simples morceaux de toile
grossière cousus de manière à se
terminer en pointe et suivre les contours du pied,
vous gêneront, si vous
voulez, bien souvent, mais enfin ils vous couvriront
les pieds, et ce seront
vos bas coréens. Une culotte aussi ample que
celle des zouaves, mais à formes
bien moins gracieuses, remplace on ne peut plus
modestement le pantalon; des
guêtres étroites et en toile viennent se
nouer sous le genou et retiennent les
jambes de la culotte plissées contre les
mollets. Pour couvrir le haut du corps
vous aurez une veste qui, pour la forme et la
longueur, correspond à la carmagnole
que portent les paysans français dans certaines
provinces. Les propriétaires à
l’aise et qui ne travaillent pas revêtent
ordinairement par-dessus un habit,
pourvu de larges manches, fendu sur les
côtés, et qui retombe jusqu’aux genoux
par devant et par derrière, à peu
près de la même manière que le
grand
scapulaire des religieux carmes; les paysans au
contraire ne revêtent cet habit
que lorsqu’ils sont en voyage ou en visite. La mode
s’est introduite de le
remplacer, en hiver, par une redingote qui, chez les
dignitaires, doit toujours
être fendue par derrière comme nos
redingotes françaises, tandis que les
personnes ordinaires ne peuvent pas la porter fendue.
Enfin, un surtout de
cérémonie et qui ne diffère de
celui que nous venons de décrire que par ses
manches encore plus larges, couronne le tout et sert
dans les voyages ou dans
les grandes circonstances. «
Ni le rasoir,
ni les ciseaux ne passent jamais sur la tête ou
sur la barbe du Coréen. Dans
ces derniers temps ou tout
dégénère, en Corée comme
ailleurs, les jeunes gens
se permettent quelquefois de raser une partie de la
tête, afin que leurs
cheveux relevés ne forment pas un chignon
disgracieux par trop d’épaisseur,
mais c’est une violation des règles. Ne croyez
pas cependant pour cela que les
épaisses chevelures ou les fortes barbes soient
communes dans le pays. Les
enfants des deux sexes tressent leurs longs cheveux et
les ramènent par
derrière en forme de queue. L’époux
avant d’aller chercher sa fiancée, fait
disparaître sa queue, retrousse ses cheveux, et
les noue sur le sommet de la
tête; la fiancée de son côté
achète, suivant ses facultés, force faux
cheveux,
les ajoute à sa queue, et forme ainsi une
longue et grosse corde qui se roule
sur la tête en plusieurs tours. Cette masse de
cheveux lourde et informe ne
peut être que très-disgracieuse aux yeux
des étrangers; pour le Coréen, au
contraire, c’est du plus haut ton et du meilleur
goût. Les femmes et les
enfants vont toujours nu-tête; l’homme
marié retient ses cheveux contournés en
haut par le moyen d’un serrelête en crin
tressé en filet. «
Enfin un
chapeau ridicule complète l’habillement.
Imaginez un tuyau fermé, rond comme
dans les chapeaux européens, mais beaucoup plus
étroit et légèrement conique,
qui s’ajuste sur le sommet du crâne, et dans
lequel le chignon de cheveux peut
seul pénétrer. Ce tuyau a des ailes
comme les chapeaux d’Europe, mais des ailes
si démesurées que souvent le tout forme
un cercle de plus de soixante
centimètres de diamètre. La charpente de
ce chapeau est constituée de morceaux
de bambou découpés dans leur longueur en
fils très déliés : sur cette
charpente, on tend une toile de crin tressée
à jour. Comme ce chapeau ne
pourrait seul rester fixé sur le chignon, des
cordons que les fonctionnaires
publics ornent de globules d’ambre jaune ou d’autres
globules précieux, suivant
leur fortune et leur dignité, viennent le
rattacher sous le menton. Ce chapeau
ne préserve ni de la pluie, ni du froid, ni
même du soleil; mais, en revanche,
il est très-incommode, surtout quand le vent le
fait branler sur la tête. «
Tous les habits
sont communément en toile grossière de
coton, et confectionnés Dieu sait
comment. Il y a quatre ou cinq cents ans, la
Corée n’avait pas la culture du
cotonnier (gossypium
herbaceum), dont
on fait ici maintenant un si grand usage. Le
gouvernement chinois, pour
conserver le monopole des toiles, défendait
rigoureusement l’exportation des
graines de cette plante; néanmoins un
ambassadeur coréen, nommé Moun-iouk-i,
réussit, pendant son voyage de Péking,
à se procurer quelques-unes de ces
graines, les cacha, dans le tuyau de sa pipe disent
les uns, dans une plume
suivant d’autres, échappa à la vigilance
des gardes-frontières, et dota son
pays de cet arbuste précieux. Si la toile
coréenne est si grossière, cela vient
de ce que par ici on compte peu d’artisans proprement
dits, ou plutôt de ce que
tout le monde est artisan. Dans chaque maison, les
femmes filent, tissent la
toile et confectionnent les habits, d’où il
résulte que, personne n’exerçant
habituellement ce métier, personne n’y devient
habile. Il en est de même à peu
près pour tous les arts, aussi les
Coréens sont-ils en tout
très-arriérés; on n’est
pas plus avancé aujourd’hui qu’on ne
l’était autrefois, pas plus qu’on ne le
fut au lendemain du déluge, quand tous les arts
et métiers recommencèrent. «
Le lin n’est
pas employé. Je l’ai souvent aperçu
parmi les graminées des montagnes; mais le
Coréen le confond avec les plantes sans valeur,
propres seulement à être jetées
au feu. Avec le chanvre, on ne fait qu’une toile
à trame claire propre aux
personnes en deuil, et qui d’ailleurs ne sert que pour
les habits d’été. L’espèce
d’ortie appelée urtica nivea,
est
cultivée avec succès dans les provinces
méridionales; mais, faute de savoir
filer et tisser, on n’en retire que des toiles
à mailles inégales et
très-espacées qui, non plus, ne sont
employées qu’en été. «
Sur toutes ses
montagnes, la Corée pourrait élever des
troupeaux immenses de moutons, mais le
gouvernement défend aux particuliers d’en
nourrir. Dans certaines préfectures,
les mandarins en conservent quelques-uns, uniquement
pour offrir leur chair
dans les sacrifices à Confucius. Aussi les
Coréens n’ont-ils jamais essayé de
tisser la laine; à peine si quelques draps
étrangers, la plupart de fabrique
russe, parviennent à grands frais
jusqu’à Séoul. La soie indigène
est
très-grossière et en petite
quantité. Cependant, en voyant le mûrier
croître
spontanément dans les montagnes, et les vers
à soie réussir malgré le peu de
soin qu’on en prend, je suis convaincu que, sous
l’impulsion d’un gouvernement
intelligent, cette branche d’industrie pourrait
acquérir de grandes
proportions. «
Les toiles
européennes de coton, importées par les
Chinois, commencent à se vendre en
Corée, mais leur prix
très-élevé et leur peu de
solidité en restreignent
forcément l’usage. » De
son côté, M.
Féron écrivait en 1858 : «
J’habite la
plus belle maison du village : c’est celle du
catéchiste, un richard; on estime
qu’elle vaut bien vingt francs. Ne riez pas, il y en a
de quinze sous. Ma
chambre, de grandeur suffisante, vu l’ameublement, a
pour porte une feuille de
papier, pour fenêtre une feuille de papier; deux
autres feuilles de papier
forment une grande porte à deux battants, qui
communique avec la chambre
voisine. Là demeure mon serviteur, et les deux
chambres réunies forment l’église
de la paroisse; plus tard, peut-être y
ajoutera-t-on un clocher. Pour le
moment, il pleut chez moi comme dehors, et deux grands
chaudrons ne suffisent
pas à recevoir une eau rousse comme la saumure
coréenne, qui filtre à travers
le toit d’herbes de mon presbytère. «
Le prophète
Elisée, chez la Sunamite, avait pour meubles un
lit, une table, une chaise et
un chandelier, total : quatre. Ce n’était pas
du luxe. Pour moi, en cherchant
bien, je pourrais peut-être aussi trouver quatre
meubles; voyons : un
chandelier en bois, une malle, une pipe, une paire de
souliers, total : quatre.
De lit, point; de chaises, point; « attendu,
disent les Coréens, que la terre n’est
pas percée, et qu’il doit être
très-fatigant de s’asseoir sur un siège,
puisque, évidemment ce n'est pas la position
naturelle. » De table, point : je
vous écris sur mes genoux, dans la position
susdite : excusez si ce n'est pas
le mieux du monde. Je ne suis pas encore devenu assez
Coréen pour trouver que
ce soit plus commode qu'un bureau. Quand il s'agit de
manger, on apporte la
table toute servie : c'est un petit guéridon
d'un pied de haut, sur lequel sont
rangées, dans un ordre aussi parfaitement
réglé que celui de vos plus fins
desserts, deux écuelles, avec trois ou cinq
soucoupes. N'allez pas croire qu'on
mettra jamais à gauche l'écuelle ou la
soucoupe qui doit être à droite. Celui
qui agirait de la sorte serait, par cela même,
convaincu de n'être qu'un
grossier personnage, et jamais Coréen ne se
permettra pareille inconvenance. «
Mon ameublement
étant tel, suis-je plus riche ou plus pauvre
que le prophète? C'est une
question. Sa chambre était plus confortable que
la mienne, mais il faut dire
aussi que rien de tout cela ne lui appartenait; au
lieu que pour moi, s'il est
vrai que le chandelier soit celui de la chapelle, et
la malle celle que Mgr
Berneux m'a prêtée, je ne puis nier que
la pipe et les souliers ne soient miens
: ces derniers ne me servent que pour la messe. J'en
possédais, il est vrai,
une autre paire; mais ayant eu le malheur de les
mettre pour sortir, ils ne
peuvent plus paraître dans ma chambre : ainsi le
veulent l'étiquette et la
propreté de la natte qui me sert de
siège, de lit et de plancher. Donc, je suis
chaussé simplement avec des bas de coton. Quant
à la pipe, elle sert de
contenance en voyage, dans un pays où tout le
monde fume; cependant je n'ai pu
encore arriver à en comprendre les charmes,
bien que j'aie essayé, et même que
je me sois rendu malade deux fois, ce qui m'a
ôté toute envie de recommencer.
Aussi mes gens s'étonnent-ils de voir que le
père fume beaucoup moins que la
bonne femme qui fait cuire son riz. » Complétons
ces
détails à l'aide de renseignements
puisés dans diverses lettres des autres
missionnaires. Les maisons coréennes sont en
général très-petites et peu
commodes. Elles sont un peu élevées
au-dessus du niveau du terrain pour donner
passage par dessous aux tuyaux qui conduisent la
fumée de la cuisine. A la
capitale cependant, cet usage n'est pas toujours
suivi. C'est assez commode en
hiver, mais en été la chaleur devient un
supplice insupportable, et la plupart
des habitants couchent dehors. Les riches ont le plus
souvent des chambres
d'été, sous lesquelles ne sont point
pratiqués de conduits de ce genre. Dans
les maisons ordinaires il y a deux chambres
contiguës, rarement trois, sans
compter la cuisine située de côté,
et qui est ouverte à tous les vents. Tout
autour de la maison, la toiture en paille de riz
dépasse le mur de trois ou
quatre pieds, de façon à former de
petites galeries couvertes. Les murailles
des maisons riches sont recouvertes de papier blanc
à l'intérieur, quelquefois
aussi à l'extérieur. Du reste, ces
maisons ont presque toujours un aspect sale,
délabré, misérable, même
à la capitale, et partout et toujours sont
remplies de
vermine de toute espèce. Les
auberges le
long des routes sont des taudis
dégoûtants où l’on ne trouve
à peu près rien;
le plus grand nombre des voyageurs portent avec eux
leurs provisions, quand ils
ont le moyen d'en avoir. Les granges et écuries
sont inconnues; de grands
hangars, ouverts des quatre côtés, les
remplacent, et en hiver, quand le froid
est trop violent, on habille de paille les bœufs ou
les chevaux qui y sont
réunis. Les
tables à
manger sont hautes de trente à cinquante
centimètres, et larges d'autant, de
forme à peu près ronde. Quel que soit le
nombre des convives, chacun doit avoir
la sienne. La vaisselle de porcelaine grossière
ou de cuivre, ne consiste qu'en
écuelles de différentes grandeurs, une
paire de bâtonnets à la chinoise, et une
cuiller en cuivre. Les mets ordinaires sont du riz, du
piment, quelques légumes;
les gens à l’aise y ajoutent un peu de viande
ou de poisson salé. Ces aliments
sont apprêtés à l’huile de
sésame, de ricin ou de menthe, avec force
saumure;
car le lait et le beurre sont inconnus, et l’on ne
sait pas faire usage de la
graisse des animaux. On ne trouve que difficilement de
la viande de bœuf, si ce
n'est à la capitale. Il n'y a pas de viande de
mouton, c'est le chien qui la
remplace, et les missionnaires s'accordent à
dire que le goût n'en est
nullement désagréable. En fait de
légumes, il n'y a guère que le navet, le
chou
chinois, et les feuilles de plantain et de
fougère dont on fait grande
consommation. Pour boisson ordinaire on a l'eau dans
laquelle a été cuit le
riz. Le vin se fait avec du blé ou du riz
fermenté. En été les nobles
boivent
beaucoup d'eau-de-vie de riz, et d'eau de miel. Le
thé n'est pas inconnu dans
les maisons des riches, mais l'usage en est
très-restreint. Le
repas à peine
terminé, on enlève les tables et chacun
allume sa pipe, car les Coréens sont
grands fumeurs. Il est rare en ce pays qu'un homme
sorte sans sa pipe. La forme
est la même que celle de la pipe chinoise : un
long tuyau de bambou avec un
foyer en cuivre, et une embouchure de même
métal. Chaque Coréen porte toujours
avec lui un briquet dont il se sert exclusivement pour
allumer sa pipe. A la
maison, quand il a besoin de lumière, il
emploie des allumettes soufrées. En
route, une torche composée de trois ou quatre
bâtons entrelacés, remplace nos
lanternes. Quelquefois, en été, au lieu
d'une lampe dans l'intérieur de la
maison, on allume du feu sur une pierre au milieu de
la cour, et tous les
membres de la famille travaillent à la lueur de
ce feu, pendant qu'un amas
d'herbes sèches, brûlant à quelque
distance, les enveloppe d'une fumée
épaisse
destinée à chasser les moustiques et
autres insectes. Les
habits
coréens sont toujours d'une ampleur
exagérée. Le corps passerait facilement
dans chaque jambe du pantalon ou dans chaque manche de
la veste. Pour sortir,
le bon ton exige que l'on porte le plus d'habits
possible, deux ou trois
pantalons, deux ou trois chemises, quatre ou cinq
redingotes en toile, suivant
la solennité et aussi suivant les ressources de
chacun. La redingote se fixe
sous les bras par deux bandelettes, lesquelles
remplacent les boutons inconnus
dans le pays. Les habits sont supposés
être blancs, mais il en coûte trop de
les entretenir suffisamment propres, et le plus
souvent la couleur primitive a
disparu sous une épaisse couche de crasse, car
la malpropreté est un grand
défaut des Coréens. Il n'est pas rare de
voir les riches eux-mêmes porter des
vêtements déchirés et remplis de
vermine. Pour
laver le
linge, on le trempe dans l'eau de lessive
préparée avec des cendres, puis on le
frappe avec des planchettes plus étroites que
les battoirs des laveuses en
Europe. Ensuite on l’enduit d'une couche de colle
destinée à empêcher les
taches. La plupart des habits étant
fabriqués de morceaux faufilés ensemble
ou
simplement collés, on sépare les
morceaux, et on les blanchit à part. Les
nobles seuls portent des habits cousus. Le
chapeau
ordinaire est de dimensions très-respectables;
mais, en temps de pluie, les
Coréens se mettent sur la tète un autre
chapeau, véritable parapluie de trois
pieds de large, en paille, fort léger, et qui
les abrite assez bien. S'ils
doivent travaillerpar de fortes averses, ils
revêtent de plus un manteau de
paille, et ainsi accoutrés, ils peuvent
affronter une pluie diluvienne. Outre
les différentes
espèces de chaussures dont il a
été question, il faut mentionner les
sabots en
bois dont se servent les paysans; ces sabots ont la
semelle et le talon
excessivement épais, ce qui les fait ressembler
à des patins. Le Coréen ne
porte jamais ses souliers ou sandales dans les
appartements; il les dépose à la
porte. De là dans les
chrétientés, lors de la visite du
missionnaire, des
scènes assez curieuses. Le soir, les
néophytes se pressent dans la maison pour
la prière commune, et aussi, comme ils disent,
pour voir le long nez du Père.
La visite terminée, il faut, à la lueur
des torches, que chacun retrouve sa
chaussure, et en attendant on piétine avec ses
bas dans la boue ou la
poussière, avec force cris et discussions, sans
batailles toutefois. L'usage
des lunettes,
quoiqu'il ne date guère que de 1833 ou 1840,
est très-répandu parmi les hautes
classes. Vers 1848, c'était une
véritable manie; aujourd'hui on y met un peu
plus de modération. Les gens de l'ancien
régime, avant de prendre leurs lunettes,
demandent encore la permission à la compagnie,
mais la jeunesse se dispense de
cette formalité. Outre
le
pantalon, plus étroit que celui des hommes, les
femmes portent une camisole de
toile ou de soie, dont la couleur varie selon
l'âge : elle est rose ou jaune
pour les jeunes filles ou les nouvelles
mariées, violette pour les femmes
au-dessous de trente ans, et blanche pour celles d'un
âge plus avancé. En guise
de robe, elles s'entourent d'une large toile bleue,
qu'elles attachent sous les
bras au moyen d'une ceinture. Pour les femmes du
peuple, qui sortent à volonté,
cette jupe s'arrête au-dessus du pied; pour les
femmes nobles, à qui l'étiquelte
ne permet pas de sortir de leurs appartements, elle
est ample et traîne à
terre. Les veuves, si jeunes qu'elles soient, doivent
toujours être revêtues de
toile blanche ou grise. Les Coréennes ne
donnent pas dans la folie stupide des
Chinoises, et ne s'estropient point pour avoir de
petits pieds; elles laissent
agir la nature. Les femmes du peuple voyagent presque
toujours nu-pieds. Leurs
cheveux, roulés en tresse autour du
crâne, servent de coussinet pour les vases
d'eau et autres objets pesants qu'elles portent
habituellement sur la tête. Ajoutons,
pour
terminer cette esquisse, que les hommes en deuil
doivent contenir leurs cheveux
dans un filet, non de crin, mais de toile grise,
surmonté d'un bonnet de même
étoffe, de la forme d'un sac grossier. En
chemin, ils portent au lieu de
chapeau une immense toiture de paille, en cône
tronqué, qui descend jusqu'aux
épaules. Les couleurs éclatantes sont
tellement interdites à l'homme en deuil,
que sa canne même et le tuyau de sa pipe doivent
être blancs. S'il ne veut en
acheter d'autres, il couvre de papier sa canne et sa
pipe habituelles, ce qui
est aussi facile que peu dispendieux. La forme des
vêtements ne change point pour
la femme en deuil, mais la couleur rigoureusement
prescrite est le blanc ou le
gris : toutes les autres sont prohibées. Aux
yeux des Coréens, un homme en deuil
est un homme mort. Il doit être tout
absorbé dans sa douleur, ne rien voir, ne
rien entendre qui puisse l'en distraire. Il a
toujours, quand il sort, un
éventail ou petit voile en toile grise
fixé sur deux bâtonnets, avec lequel il
se couvre le visage. Il ne fréquente plus la
société; à peine se permet-il de
regarder le ciel. Si on l'interroge, il peut se
dispenser de répondre. Il ne
peut pas tuer un animal, même un serpent
venimeux; ce serait un crime
irrémissible. En route et dans les auberges, il
se retire dans une chambre ou
dans un coin isolé, et refuse de commnniquer
avec qui que ce soit. Tous ces
usages ne sont strictement observés que dans
les hautes classes de la société. Les
missionnaires
ont souvent répété que ce costume
et ces manières d'un noble en deuil semblent
avoir été inventés par la
Providence, pour leur procurer un déguisement
facile
et complet, sans lequel leur séjour en
Corée, et surtout leurs voyages parmi
les chrétiens, auraient été
à peu près impossibles. Malheureusement,
depuis la
dernière persécution, on sait qu'ils
usaient habituellement de ce moyen, et
l'on a parlé de réformer le costume et
les lois du deuil. Dieu y pourvoira. |