Un mois se passe en escarmouches et
embuscades. Le 10 novembre 1866, Henri reçoit le
baptême du feu à l'occasion de
l'assaut d'un fort situé à trois lieues de
Kang-Hoa. Cette pagode fortifiée de
Trieun-tong-sa [Jeondeung-sa] doit accueillir un groupe de
Coréens, chasseurs
de tigres et habiles tireurs qui viennent de passer sur
l'île de Kang-Hoa.
Alors que la colonne s'approche à quelques mètres
de la porte du fort qui
semble inoccupé, une fusillade éclate, les balles
sifflent de tous côtés.
Chacun essaye de se cacher, cinq officiers et trente-huit hommes
sont blessés;
Henri, qui est en tête de la colonne, n'a pas une
égratignure. On s'embusque
comme on peut, mais la position est très dangereuse, la
retraite risque d'être
coupée, les hommes n'ont pas déjeuné et le
cheval qui porte le repas est passé
à l'ennemi! La compagnie se retire avec ses
blessés; aussitôt, les murailles du
fort se couvrent de 1500 Coréens fiers de leur victoire.
«Ils avaient fait leur
devoir, écrit Henri, et pourquoi leur en vouloir? Notre
agression était-elle
donc si juste? La population avait-elle eu tort de se joindre
aux soldats qui
défendaient leurs biens? Non assurément.»
Lisons
la fin du récit qu'il écrit à
sa mère: «Nous venons de subir un échec
désastreux à tous égards. L'ennemi
allait s'enhardir puisque nous n'étions plus invincibles,
et nos marins se
découragent. On ne saurait trop louer pourtant leur
bravoure: pour des marins
peu habitués à la marche, faire dix lieues dans
une journée, combattre et
porter les blessés pendant cinq heures sans un seul
traînard témoigne d'ûrre
grande énergie. Le soleil était couché
quand nous arrivâmes, le quart des
hommes et la moitié des officiers étaient
écharpés, les autres pleins de
tristesse. Maintenant l'évacuation va commencer sans
tarder.»
En
effet, l'amiral Roze, ne recevant pas de réponse du roi
de Corée à son
ultimatum et craignant l'approche de l'hiver, annonce dès
le lendemain le
retrait de l'escadre qui retourne en Chine, laissant les
Coréens maîtres de
leur sol et fiers de répéter dans tous les Yamen
de Chine qu'ils ont «battu
l'amiral, tué ses soldats et forcé à se
rem¬barquer». Le meurtre de nos
missionnaires est si peu vengé que tous les
chrétiens sont alors mis à mort,
sans exception.
Le
jugement de l'enseigne Zuber est sévère;
dès le 12 septembre, il écrit: «Nous
n'avons aucun traité avec la Corée, la religion
chrétienne y est abhorrée, et
les missionnaires qui se risquent dans ces pays savent le sort
qui les attend.
La politique n'a rien à voir dans leurs affaires. Bien
des gens considèrent le
missionnaire comme une sorte d'agent diplornatique et
dénaturent ainsi le
caractère de l'institution apostolique. Les passions et
les intérêts sont mis en
jeu et l'idée chrétienne fait place à cette
détestable politique
d'envahissement qui caractérise l'Européen dans
l’Extrême-Orient.»