Voyage
en Corée
Explorateur
chargé de mission ethnographique par le
ministère de l'Instruction publique Le Tour du
Monde LXIII, 1892 Premier Semestre.
Paris : Librairie Hachette et Cie.
Section III.
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Section V.]
Gravures (all) En marche. -
Un mandarin de district. - Déjeuner. - Un combat. -
Marche de nuit. - Expériences musicales. -
Montagnes, rizières. - Divers usages, tigres,
presque dynamité. - Plaines et travaux agricoles. -
Arbres et grottes fétiches, etc. - Le King ki-to. -
En selle. - Lacs, jardins et salons coréens. - Une
bataille. - Situation de la femme. - Ascension
nocturne. - Précipices et torrents. - Tombes,
sorcellerie et sorciers. - Le Tchyoung-tchyeng-to. Au petit jour,
réveil, toilette, une tasse de thé et en route! Je
quitte sans regret cette auberge, semblable à toutes
celles que je retrouverai plus ou moins malpropres
le long de ma route, et nous nous dirigeons vers
Ko-kai. En expédition rien n’est plus agréable que
le départ au lever de l’aurore, sourire charmant de
la nature lorsqu’elle commence une belle journée. La
caravane, à demi endormie, s’éveille peu à peu et
chacun respire plus largement en aspirant les
exquises senteurs que toute la flore dégage dans le
gai rayonnement de ses couleurs, avivées par une
abondante rosée. La fraîcheur matinale vous envahit
doucement, on se sent comme rajeunir et devenir plus
fort à mesure que le soleil monte à l’horizon. Nos
montures, réconfortées par un déjeuner identique à
leur souper de la veille, marchent allègrement, même
le pauvre poney borgne, dont l’allure est devenue
plus vive. Les chevaux ici trottent rarement et ne
galopent jamais, étant toujours accompagnés par des
hommes à pied. Notre caravane est des plus
pittoresques avec ses cavaliers en costumes de
lettré et de soldats coréens, de Chinois, de
Français, ses palefreniers tout de blanc vêtus et
ses chevaux de portage bizarrement chargés
serpentant en un étrange monôme à travers les champs
déserts, dépouillés de leur riche moisson. Pour éviter les visites officielles,
nous suivons le milieu d’une large vallée, et
laissons au loin à droite et à gauche une suite de
villages situés au pied des collines qui bornent
gracieusement notre horizon de leurs pics multiples.
Nous rencontrons, aux approches de Poang-toko-mori,
le chef du district et son nombreux cortège en
tournée administrative. Nos gens se rejoignent,
s’arrêtent; je descends de cheval, et le mandarin
régional sort de son palanquin fermé: c’est un
superbe vieillard dont l’air grave est
singulièrement adouci par la blancheur de sa longue
barbe qui descend en pointe sur sa poitrine. Après
les salutations d’usage, nous pénétrons sans plus de
cérémonie dans une maison voisine. Les serviteurs du
gouverneur étendent, dans la plus belle pièce, de
magnifiques nattes, sur lesquelles nous nous
asseyons à la mode du pays, et l’on nous sert le
thé, des gâteaux et de longues pipes dont nous usons
largement. Grâce à mon interprète, je fais assaut de
politesse avec notre mandarin, et lui dis combien
j’admire les brillants résultats obtenus par sa
paternelle administration. Il m’exprime à son tour
tous ses regrets de ce que je ne veuille pas faire
un long séjour dans son district, etc. La collation
achevée, nous nous levons, j’accompagne
cérémonieusement le vénérable vieillard à son
palanquin, il me souhaite un bon voyage et nos hôtes
involontaires nous remercient du grand honneur que
nous leur avons fait. C’est qu’ici le premier devoir
est l’hospitalité; elle est toujours large et même
généreuse, en dépit d’un certain nombre de paresseux
qui en abusent quelquefois pour vivre aux dépens des
autres. Du reste les Coréens se donnent
mutuellement, lorsqu’il en est besoin, les secours
les plus complets; ils se prêtent l’aide de leurs
bras et de leurs instruments aratoires dans les
besoins agricoles, font des dons aux victimes d’un
incendie ou d’une inondation, enfin concourent par
des apports de toutes sortes aux pompes des
mariages, fêtes, enterrements, etc. Il résulte de
tout ceci une très grande solidarité entre tous les
Coréens, qui semblent former comme une seule et même
famille. La journée est vraiment splendide; les
quelques légers nuages blancs qui mouchetaient le
ciel le matin ont disparu, et, grâce à l’agréable
fraîcheur de la température, c’est presque sans
fatigue que nous continuons à franchir joyeusement
vallées et coteaux en pleine culture, baignés dans
une lumière d’une blancheur charmante. Nous passons
par Sa-kou-yang et sous les saules, à
Sa-tan-ko-tang, où nous devons déjeuner; c’était
bien le moment, car on sert de suite la soupe chaude
à nos chevaux ainsi qu’aux taureaux et aux vaches de
l’auberge, qui sont nourris de la même façon. Mon
inspection faite, je prends, vu le beau temps, mon
déjeuner sous la véranda précédant ma chambre. Tous
les enfants et la plupart des hommes du village
envahissent la cour pour assister à mon repas; quant
aux femmes, elles me regardent curieusement par les
interstices ou le dessus des murailles. On m’apporte
des œufs à la coque; faute de coquetier, d’un léger
coup sec j’en fais tenir un debout sur la table.
Stupéfaction générale; elle augmente encore quand,
après avoir enlevé la partie supérieure de la
coquille, je trempe des mouillettes, car cet
exercice est vraiment extraordinaire pour les
Coréens, qui mangent tout au riz. Ma fourchette ne
les étonne pas moins: ils la trouve infiniment
supérieure, comme commodité et propreté, aux
baguettes qu’ils emploient à la mode chinoise et
japonaise. D’ailleurs mes bouteilles, mes assiettes,
mon tire-bouchon, etc., sont pour eux un sujet de
vive curiosité. L’ouverture de mes boîtes de conserves
les surprend aussi; mais rien n’égale leur
effarement quand ils entendent et voient sauter le
bouchon de la bouteille de bière dont j’arrose mon
repas. En somme, plus respectueux que railleurs, ils
se tiennent à distance, et c’est ainsi que chaque
jour je déjeune en compagnie de toutes une petite
population fort sympathique. Lorsque je distribue
quelques fruits ou des reliefs de mon repas aux
enfants, il faut voir leur joie, celle des parents,
et le beau sourire que m’adressent les femmes
traversant la cour pour un service intérieur. Quant
je veux mettre le comble à la satisfaction publique,
je m’empare d’un des bambins, le mets à cheval sur
mes genoux, et lui fais exécuter une galopade
fantastique qui, commencée par des cris, se termine
par de bruyants éclats de rire. Le déjeuner achevé,
je profite du repos nécessaire aux chevaux pour me
retirer dans ma petite chambre et prendre mes notes.
C’est ainsi que je constate aujourd’hui combien les
conserves me sont d’une précieuse ressource lorsque
je ne puis trouver à acheter ni viande ni fruits.
Dans ce cas j’ouvre une de mes boîtes de cornedbeef
ou de pâté de foie gras, qui résistent admirablement
au voyage; ces dernières sont réservées pour les
jours de grande fatigue; j’y ajoute même parfois une
bouteille de champagne. Je me sens alors tout
réconforté par la suave odeur des truffes et
l’excellent vin qui me rappellent de si loin la
patrie; malheureusement il faut achever la boîte le
même jour, ce qui fait reparaître le même plat à
tous les repas. Comme j’écris ces lignes, voici qu’un
des palefreniers entre, les habits en désordre, le
serre-tête déchiré, les cheveux épars, se plaignant
d’avoir été frappé par un de ses camarades. Je suis
indigné d’un pareil traitement, lorsque apparaît son
adversaire dans un état cent fois plus lamentable.
On ne lui voit plus les yeux, tant ses paupières
sont enflées, son nez tuméfié, sa bouche en sang.
Ces hommes s’accusent réciproquement, je les
morigène tous deux. «Quelle que soit la cause du
combat, leur dis-je par mon interprète, vous avez
manqué à vos engagements, m’ayant promis de vivre
comme des frères et non comme des brutes. Je devrais
donc vous renvoyer de suite; pourtant, comme c’est
la première fois que pareille chose se passe, je
consens à vous pardonner si vous vous réconciliez
immédiatement devant tous». Ils hésitent, mais,
voyant que décidément je me fâche, ils s’embrassent
enfin tant bien que mal. Deux heures après ils rient
ensemble sur la route et de si affectueuse humeur
que je leur envoie à chacun un cigare pour les
consoler de leurs meurtrissures. J’ai trouvé là,
comme dans bien d’autres circonstances, la preuve de
la violence mais aussi de la mobilité du caractère
coréen. Tout cela avait pris beaucoup de temps;
très heureusement pour nous, il y a un semblant de
route dans la plaine que nous traversons, et le beau
temps nous permettra de marcher pendant la nuit, car
la journée est avancée. Déjà le soleil commence à
coucher, dorant la large vallée de ses feux qui
miroitent dans le lointain sur la large nappe formée
par un coude du fleuve. Au milieu du silence du
soir, des cris étourdissants retentissent et un vol
de pic noires au ventre et aux extrémités des ailes
d’un blanc éclatant s’élève à ma droite, tandis que
plus loin vers la gauche un énorme milan plane dans
l’azur, guettant sa proie. Cependant la nuit se
fait, une nuit sans lune, mais semée de millions
d’étoiles; le noir des champs nous environne, et la
route, éblouissante de blancheur, s’y dessine comme
un sillon d’argent. Le pied de mon cheval s’enfonce
doucement dans un sable doux comme la ouate; il me
semble que nous marchons sur des nuages. Une voix
s’élève et chante un refrain plaintif et doux que
reprennent en chœur les hommes de mon escorte. Cette
mélodie s’harmonise si bien avec tout ce qui nous
entoure que je crois faire un rêve charmant dont je
ne voudrais pas voir la fin. C’est que, infiniment
supérieure à tout ce que j’ai entendu en Chine et au
Japon, la musique de mes gens a un mouvement
rythmique qui me pénètre et m’envahit comme celui
des chants rustiques de notre vieille France. Charmé
de ce voyage de nuit et de l’excellent concert
nocturne de mes hommes, je leur fais donner à tous
des cigares en arrivant à l’auberge. Ils auraient pu
en effet s’arrêter à la dernière auberge sous le
prétexte local que, cette route étant
exceptionnellement entretenue, on ne pourrait
réquisitionner les torches sans lesquelles le Coréen
ne voyage pas de nuit. Nous quittons Chou-yan-chang le
lendemain matin; une heure après notre départ, je
veux savoir à mon tour l’impression que produira
notre musique sur mes compagnons. Je me mets donc à
chanter quelques airs d’opéra-comique: ils en
paraissent charmés; puis viennent nos grands opéras,
qui obtiennent le même succès; enfin j’entonne la
Marseillaise; alors je jouis du spectacle le plus
inattendu. Comme électrisés, mes gaillards, sans
comprendre un mot de ce que je chante, se redressent
soudain, rejettent la tête en arrière et marchent
militairement en cadence. Mieux encore, nos chevaux,
entraînés par l’exemple, prennent eux-mêmes je ne
sais quelle allure martiale. Ceci est absolument
exact, et ce que j’ai obtenu si facilement des
Coréens, je l’ai tenté vingt fois sans le moindre
succès sur les paysans japonais ou chinois. J’aurai
à étudier au point de vue ethnique cette observation
et bien d’autres, que je ne puis qu’indiquer ici, au
courant de ce rapide voyage. Nous quittons
maintenant la plaine pour nous engager dans la
montagne, car les vallées se resserrent en même
temps que les collines augmentent et s’élèvent. Nous
commençons bientôt l’ascension d’un col difficile,
le Sam-sam (Montagne à Trois Pics); le sentier où
nous sommes est si étroit que le moindre faux pas
précipiterait dans l’abîme homme et cheval. Enfin,
après une heure de pénible montée, nous
redescendons, dominant tout l’horizon. Une vaste
ceinture de cimes dénudées nous entoure; une longue
arête dentelée y forme diamétralement comme une
muraille de sombre verdure au milieu des champs
cultivés. Mon cuisinier chinois, qui admire ce
splendide paysage, éclairé bizarrement par les
rayons du soleil mêlés à l’ombre portée de quelques
nuages, s’endort comme hypnotisé sur son cheval. Il
manque par deux fois de tomber à terre, à la grande
joie de la caravane, riant fort de son effarement
quand à la troisième il se réveille couché sur la
route. Nous franchissons successivement une
suite de collines et de petits vallons en pleine
culture, où nous jouissons de l’effet décoratif des
costumes blancs des Coréens, scintillant comme des
points lumineux dans le paysage. Cela me rappelle
dans un autre ton le fameux foulard rouge de
tableaux de Corot. Ici tous les paysans s’entourent
la tête d’un mouchoir blanc, ne servant qu’à cet
usage, puisqu’on se mouche avec les doigts. Pour un
autre petit besoin, les hommes relèvent, jusqu’ à la
hauteur nécessaire, le bas de leur large pantalon,
qui n’a pas l’ouverture habituelle, les boutons
étant inconnus en Corée. Une coutume bizarre est la
façon dont on construit en Corée. On pose d’abord
les quatre poutres qui doivent former les angles de
la maison, puis on s’occupe immédiatement après de
la toiture; viennent ensuite les voûtes destinées au
chauffage et les planchers; enfin, complètement au
rebours de chez nous, on finit par les murs.
Signalons encore un usage particulier au pays, c’est
de se dépouiller de ses vêtements pour pénétrer dans
des huttes coniques recouvertes de paille et y
battre ainsi le grain à l’ abri de la poussière, du
soleil et de la pluie. Dans la vallée accidentée, on est sans
cesse entouré d’un cercle de collines dont il semble
qu’on ne sortira jamais, par suite de leur perpétuel
renouvellement sous les aspects les plus divers.
Tout cela est d’un pittoresque exquis et rivalise
avec les plus jolis sites de la Suisse. Les gorges se resserrent de plus en
plus, et maintenant les déclivités des collines sont
seules cultivées. Au-dessus et audessous de nous
s’étendent de nombreuses rizières; elles coupent la
montagne horizontalement, se succèdent les unes aux
autres, et forment comme les marches d’un escalier
de géants dont les dalles seraient remplacées par
d’immenses nappes d’eau d’un vert foncé. L’eau
s’épanche successivement de l’une à l’autre par de
petites rigoles admirablement aménagées: car nulle
part au monde l’irrigation des rizières n’est mieux
comprise qu’en Corée. Ce prodigieux travail humain
ne laisse rien à désirer ici; pas une parcelle de
terrain n’est perdue. Je crois que cette culture,
appliquée sur certaines collines improductives de
France, notamment en Auvergne, contribuerait
certainement à augmenter les richesses naturelles de
notre pays. Des renflements de terrain, qui
indiquent une canalisation souterraine, sillonnent,
transversalement la route à demi tracée, que nos
chevaux montent et descendent, effrayés maintes fois
par la brusque levée d’appareils hydrauliques en
bois, servant, au moment voulu, à retenir ou à faire
écouler les eaux. Le petit poney sournois dont j’ai
parlé en profite pour désarçonner de temps à autre
le soldat coréen qui le monte et persiste, malgré
mes conseils, à vouloir le dresser. Nous continuons notre marche
ascensionnelle; en franchissant le Mo-ko-kay,
bientôt la culture diminue et des masses rocheuses
nous environnent. Un torrent impétueux coule à
travers d’énormes pierres détachées des flancs de la
montagne. Elle est recouverte à sa base d’un
inextricable fouillis d’arbustes, sombre repaire de
bêtes féroces. J’admire même sur la terre humide les
traces encore fraîches d’un énorme tigre. La
caravane se presse davantage, elle arrive à
Pi-ho-ri, franchit de là le Kop-tol-koikai, chaînes
de montagnes où se trouvent des mines de marbre, et
atteint avant la nuit Kop-tong-ko-kol-mak. Comme nous sommes assez haut dans la
montagne, le froid se faisant sentir, on allume le
feu dans le conduit souterrain sur lequel est ma
chambre. J’y rentre, après l’installation de mes
hommes et de mes chevaux, et sens une vive
impression de chaleur à travers mes épaisses
chaussures; immédiatement je m’assure si le feu
n’est pas au parquet. Je m’aperçois qu’en resserrant
dans cette pièce mon bagage, les sapèques et leurs
armes, mes soldats ont laissé par terre leurs
paquets de cartouches. De sorte que si je n’avais
pas pris les précautions nécessaires, grâce au
plancher surchauffé, mon voyage en Corée se
terminait probablement cette nuit-là par une
effroyable explosion. Le lendemain
matin, je veux me rendre compte jusqu’où va la
simplicité militaire des deux braves guerriers
chargés de m’accompagner. Comme j’ai leurs fusils
dans ma chambre, je les examine. Ils sont à
tabatière, de fabrication européenne et assez bien
entretenus, à part ce léger détail que les canons
sont bouchés. J’en fais l’observation à mes deux
soldats: ils se mettent à rire, et, simulant de
charger et tirer leur arme, ils achèvent leur
pantomime par un boum! avec
un geste significatif pour m’indiquer que
l’explosion les débouchera naturellement. Je
commence à mon tour l’exercice et termine par un boum! non
moins expressif que le leur, en indiquant comment la
décharge probable aura lieu à leur grand dommage. Je
n’ai pas besoin de répéter la démonstration: on
remet de suite les fusils en état, et je monte sur
mon cheval en entonnant à pleine voix Vaillants
guerriers! Après avoir quitté les gorges que nous
avons parcourues la veille, nous suivons la vallée
assez large de Bi-ji-ma-thon. Dans la plaine, entourée de collines,
que nous traversons, un grand nombre de cultivateurs
se livrent aux travaux agricoles, d’après les usages
du pays. Ainsi deux Coréens placés de chaque côté du
petit ruisseau que nous suivons se servent d’un
singulier appareil pour remonter l’eau à un niveau
plus élevé. Il consiste en une espèce de cuvette en
bois maintenue entre deux cordes qui servent à
l’élever l’air lorsqu’elle est remplie d’eau, qu’on
projette ensuite dans une rigole ménagée au-dessus
du lit de la rivière. Là, une pelle en bois,
suspendue au moyen d’une corde attachée à un trépied
rustique formé de trois perches réunies à leur
extrémité supérieure, sert au même usage. Tout ce
système hydraulique se poursuit en se renouvelant,
jusqu’à ce qu’enfin on amène l’eau à la hauteur
nécessaire. Plus loin un groupe singulier de trois
hommes attire mes regards, et rien n’égale mon
étonnement en voyant de quelle étrange manière ils
procèdent au labourage; l’un d’eux est armé d’une
pelle en bois, à l’extrémité de laquelle une plaque
de fer est comme sertie. Notre homme enfonce de tous
ses efforts son instrument dans le sol; à peine cela
estil fait, que ses deux compagnons tirent sur deux
cordes fixés au bas de la bêche qu’ils font
ressortir en entraînant toute la terre dont elle est
chargée. Ce procédé est seulement employé par les
petits cultivateurs: ceux qui sont riches se servent
de charrues et de taureaux. Nous passons ensuite
devant un petit garçon d’une douzaine d’années qui
ensemence pendant que son père le suit, recouvrant
les graines au moyen d’une sorte de râteau en bois
sans dents. Enfin voici un groupe de Coréens prenant
leur repas, assis en plein champ. Ils mangent à
l’aide de cuillers en bois ou en métal et de
baguettes à la façon chinoise et japonaise. Leur
menu est très frugal, mais ils s’offrent parfois
pour le terminer un concert instrumental si
assourdissant, que, l’ayant une fois entendu, je ne
l’oublierai jamais, ce qui ne m’empêche pas de
préférer cent fois à toute cette musique rusticana
la symphonie pastorale de Haydn. Nous laissons maintenant sur la droite
un petit village aux masures de chaume. Au centre se
dresse une maison nobiliaire. Son élégante toiture,
légèrement recourbée et ornée de tuiles artistiques,
domine tout le hameau et fait un étrange contraste
avec la misère qui l’environne. Cent mètres plus
loin, nous rencontrons un arbre aux branches duquel
sont suspendues de nombreuses bandelettes d’étoffe
et de papier de couleur avec et sans écriture; à
quelques pas de là, sous un abri de branchages
d’environ 2 mètres de large sur 1 de haut, se trouve
une grossière idole. Elle est le plus souvent à demi
enfouie sous les offrandes, principalement des
pierres déposées par les passants. Tels sont les
arbres et grottes fétiches en Corée. Auprès des plus
fréquentés s’élève d’habitude un hangar destiné à
abriter les voyageurs; leurs offrandes consistent
quelquefois, en dehors des pierres, papiers,
chiffons dont j’ai parlé, en petits chevaux de
mauvaise fonte de fer, présages certains d’un
heureux voyage. J’ai trouvé en maints endroits, dans
les vallées et presque toujours aux issues des
villages, les mêmes restes de ce culte fétichiste,
survivance certaine des premières manifestations
religieuses des peuplades primitives. Après avoir
franchi le Mori-san, les passes deviennent de plus
en plus étroites, car les collines se dressent
presque perpendiculairement et ne permettent plus
aucune culture. De nombreux torrents se réunissent à
nos pieds, au fond d’un effroyable précipice, et le
sentier où nous sommes est si étroit que, de crainte
d’accidents, nous abandonnons nos chevaux à leur
instinct naturel. Aux approches des passages les
plus dangereux se trouve une petite chapelle
rustique couverte de chaume et ouverte de trois
côtés. Le quatrième est un mur sur lequel sont
fixées de grossières images en papier représentant
un énorme tigre, des divinités fabuleuses ou bien
les génies de la montagne. Un récipient rempli de
cendres est placé sur l’autel. Le voyageur épouvanté
brûle des bâtons d’encens destinés à se rendre
favorables les dieux agrestes de ces lieux
terribles. Nous constatons que les habitudes
fétichistes que nous avons observées dans la vallée
sont remplacées ici par un commencement de culte
supérieur s’adressant aux esprits qui gouvernent la
nature. De la crête des Tol-mok-ton, nous
jouissons d’un admirable panorama sur les deux
vallées, que nous dominons superbement. Après avoir
franchi le Cha-mian-tsan, nous arrivons enfin à
l’auberge de Kourn-mak, située à la frontière de la
province de Kyeng-keu-to, que nous quittons. Disons
ici que cette province occupe le centre ouest-nord
de la Corée, et est bornée: au nord par le
Hoang-hai-to, à l’est par le Kang-ouen-to, à l’ouest
par la mer Jaune et au sud par le
Tchyoung-tchyeng-to. Le pays est très montagneux,
particulièrement au nord, où se trouve le
Poultok-san; il est arrosé du sud au nord-ouest par
le Han-kang, qui y compte de nombreux affluents et
sous-affluents. On y trouve, comme dans toute la
Corée, les mines les plus diverses, mais elles sont
depuis longtemps abandonnées, par suite des
anciennes lois dont nous avons parlé. Même
végétation que dans le centre de l’Europe, plus
quelques produits de Chine et du Japon. La
principale culture est celle de fèves, dont on
exporte à l’étranger pour plus de 2 millions de
francs par an, montant de la moitié des
exportations; la pomme de terre, introduite par les
Pères, y est à peine cultivée. Quant à la faune
domestique, elle est identique à la nôtre, à part
les moutons et les chèvres, qui sont en très petit
nombre, leur élevage étant uniquement réservé au roi
pour les sacrifices au Ciel, à Confucius et aux
ancêtres; la chasse fournit tous les produits que
nous avons en France; il en est de même pour le
pêcheur: mal-heureusement le pays est infesté par
les tigres, les léopards, les panthères, etc. Enfin
partout on trouve des vestiges d’antiques monuments
attestant l’importance politique qu’a toujours eue
cette région. Le Kyeng-keui-to (ou province de la
Cour) et celle de Kiang-youen forment l’ancienne
patrie des WeiMê; elle contient la capitale du
royaume, qui est la résidence du Tchio-sian. Elle
est située au milieu des sept autres provinces:
c’est pourquoi on l’appelle la «Défendue des quatre
côtés». On l’a subdivisée en vingt-huit
administrations: Quatre pok (moü)
ou grandes préfectures; Neuf fou ou
villes départementales; Huit
principautés, kon (kiun); Cinq
juridictions nommées reï (lung); Douze keu (kian)
ou inspections des mines et des salines; Six tek (y) ou
directions des postes; Deux
vice-amirautés; Un grand
amiral; Un préfet de
police générale; Deux man-ko (van
hou) ou chefs de 10 000 hommes. D’après les chiffres récemment relevés
par les Japonais, la population totale de la
province s’élèverait à 980 000 habitants; mais
j’estime qu’elle est presque le double. Les
habitants du pays, ayant le plus grand intérêt à ne
pas se faire porter sur les listes, achètent souvent
le silence des recenseurs afin d’éviter les impôts
et le service militaire obligatoire pour tous en
temps de guerre. Nous voici arrivés à un affluent du
Han-kang, le Than-hol, que nous passons en barque et
sans accident, grâce cette fois aux précautions
prises. Comme le temps est superbe et qu’il
fait même très chaud, je me résous à modifier la
manière dont était sellé mon poney, car une fausse
selle, très épaisse, en paille recouverte d’étoffe,
placée au-dessous de ma selle anglaise, me mettait
pour ainsi dire dans l’impossibilité d’actionner ma
monture avec les jambes. Je descends donc de cheval
et ordonne à un palefrenier d’enlever la selle
coréenne: grande réclamation de sa part: j’appelle
mon interprète pour obtenir quelques explications:
tout ce qu’on me répond est absolument pitoyable;
j’exige donc qu’on exécute mes ordres. A peine
remonté sur mon poney, je fais remarquer à mes
hommes que son allure est plus dégagée et qu’il
paraît très satisfait du changement; tous hochent la
tête et me répètent que c’est un très mauvais
système. «Une bonne raison», leur répétai-je; ils
finirent par m’expliquer que, vu la fraîcheur des
nuits, mon cheval attrapera un refroidissement, s’il
n’a pas le soir la chaude et large selle qui le
protège habituellement. «Cette fois, dis-je, nous
avons tous raison; quand il fera beau et chaud nous
prendrons seulement la selle anglaise, et quand
viendra le froid nous ajouterons l’autre, puisque
les couvertures comme les vêtements de laine sont
inconnus en Corée». Tout le monde étant d’accord,
cela se fit le reste du voyage. Le paysage est de plus en plus
romantique. Nous apercevons au loin, dans un site
charmant de verdure et de fraîcheur, un joli étang
miroitant gaiement aux rayons dorés du soleil. Il y
a ici comme en Suisse un grand nombre de lacs. Le
Coréen les aime à ce point, que non seulement il va
souvent chercher au loin leur calme et leur
fraîcheur, mais qu’il les reproduit de toutes façons
par le dessin, la peinture; mieux encore, il en crée
d’artificiels pour décorer ses jardins, car, pour
lui, l’eau est au paysage ce que l’ œil est à la
face. L’art des jardins consiste pour les
Japonais en une réduction grotesque des beautés
champêtres, tellement qu’il mettra tous ses soins à
obtenir qu’un arbre de cent ans ne dépasse pas un
mètre, placera près de lui une cuvette pour figurer
un lac et entourera le tout de quelques pierres
bizarres. L’ensemble forme comme un parc de
Lilliput, qui produit chez I’Européen une véritable
impression de tristesse quand il songe à tant de
labeurs, de science, d’années perdus pour atrophier
la nature. Le Coréen, au contraire, amoureux de
paysages, choisit toujours admirablement bien
l’emplacement que doit occuper son jardin. Au
centre, un étang entouré à distance de légères
ondulations de terrain, dont la luxuriante
végétation se reflète doucement dans l’eau, qui joue
toujours ici le premier rôle; elle est quelquefois
recouverte de lotus, dont l’admirable feuillage et
la fleur éblouissante sont une fête pour les yeux.
Quoique en général on harmonise au paysage qui
l’entoure la forme et la grandeur du lac, il est
habituellement circulaire et ses eaux viennent
mourir sur une fine grève; parfois pourtant il est
entouré de parapets de granit. Dans les deux cas il
y a au centre une île ronde recouverte de gazon où
un arbre solitaire, toujours vert, étend ses rameaux
et produit par son isolement même un effet charmant.
Il est parfois séculaire, et symbolise la
vieillesse, que le Coréen aime et respecte
par-dessus toutes choses. L’étang est toujours
peuplé de poissons, principalement des carpes, que
le propriétaire se réserve seul le droit de pêcher.
C’est pour lui une jouissance pleine de dignité:
aussi vient-il souvent s’asseoir sur l’herbe à
l’ombre de châtaigniers ou de pins coréens très
décoratifs, rappelant ceux de Californie. Là, bien abrité, il aime à lire ses
auteurs favoris, qu’il quitte de temps à autre pour
jouir du délicieux paysage qui l’entoure, ou suivre
des yeux, au travers des plantes aquatiques que le
vent balance doucement, un gros poisson apparaissant
au soleil pour s’emparer de quelque insecte ailé;
alors son désir de pêcheur s’éveille, il tend sa
ligne et, séparé du monde par sa passion, que son
étang soit grand ou petit, qu’il fasse jour ou nuit,
il oublie tout. Une autre particularité des jardins, ce
sont des rochers artificiels, de 3 à 5 pieds de
haut, plantés de-ci de-là à même le sol ou reposant
sur des dalles plates de pierres polies. D’autres
sont au bord du lac, et, par un habile travail fait
de main d’homme, semblent avoir été curieusement
sculptés par le va-et-vient de l’eau qui les
entoure. Dans la campagne qui nous environne en
ce moment, nous retrouvons, mais avec plus de
grandeur, tout le charme qui caractérise les jardins
coréens. Nous voici arrivés à Ouen-tong. Dans la
maison, en face de l’auberge, les portes du salon
extérieur donnant sur la rue sont grandes ouvertes;
au bas un grand nombre de chaussures sont déposées
la pointe du côté du mur, et nous voyons dans
l’intérieur quelques Coréens assis sur des nattes,
mangeant, fumant et causant avec animation. C’est
ainsi qu’ont lieu publiquement, en été, les réunions
en Corée. Les femmes en sont absolument exclues,
même en hiver, où toutes les portes sont closes.
Lorsque dans cette saison le froid est excessif,
quatre brasiers sont allumés près des angles de la
chambre. En Corée, les femmes ont, d’ailleurs,
les mêmes distractions que dans les autres pays.
Elles se visitent entre elles dans leurs
appartements intérieurs. Quant aux hommes, ils
aiment aussi à se réunir les uns chez les autres. En
dehors de la politique, sujet dangereux, qu’il est
préférable d’éviter, la plus grande liberté règne
dans la conversation. On s’occupe quelquefois de
littérature, de composition poétique, mais le plus
souvent on se borne à colporter les médisances du
jour ou les bons mots nouveaux, car le Coréen est
très friand d’esprit, et sa curiosité n’est jamais
qu’incomplètement satisfaite. A l’issue du déjeuner, au moment du
départ, comme je fais l’inspection de ma caravane,
je remarque avec satisfaction que le pauvre cheval
borgne, dont j’ai dû m’occuper depuis le départ de
la caravane, est devenu le plus allègre de ses
compagnons, grâce à la bonne nourriture qu’il reçoit
chaque jour. Je fais donc surcharger mon gaillard,
au grand allégement du poney le plus faible, et tout
cela à la satisfaction générale de mes Coréens, qui
n’avaient vu dans mon premier acte qu’un excès de
sensibilité. Très rigide les premiers jours, je n’ai
maintenant aucune observation à faire, et mon
escorte me considère comme le meilleur des maîtres,
j’en acquiers bientôt la preuve. En effet, à Sai-soul-mak, pendant la
sieste, j’entends pousser des cris épouvantables. Je
me précipite hors de ma chambre et je vois mes
hommes se battre avec les habitants du village. Un
de ceux-ci vient même d’être renversé par un des
palefreniers: devant la gravité de l’incident, sans
hésiter, je saisis mon serviteur par le poignet, le
fais tourner rapidement autour de moi et le lâche
brusquement: vu l’élan donné, il va piteusement
choir sur une meule de paille de riz. Sans plus
m’occuper de lui, je tends la main à son adversaire
et le relève. Le combat général cesse aussitôt. Je
siffle au rassemblement, mon interprète accourt, et
toute mon escorte m’entoure, cernée par les
villageois menaçants. Je demande quel est celui qui
a frappé le premier. L’hôtelière s’avance, et, chose
que je n’ai jamais vue ni en Chine ni au Japon,
cette femme, avec toute l’autorité d’une de nos
campagnardes, accuse le palefrenier que j’avais
saisi d’être cause de tout le désordre; je me
retourne vers ce dernier et vois dans ses yeux qu’il
est coupable. Je lui ordonne donc de prendre son
cheval et de partir immédiatement. Il me répond
qu’il en a deux. Qu’importe! on surchargera les
autres et j’irai à pied. Il m’a vu cent fois, dans
les montées les plus rapides, descendre de mon poney
pour lui éviter un excès de fatigue. Certain donc de
ma résolution et craignant de revenir seul, il me
demande pardon, m’assure que ce n’est pas de sa
faute, qu’on l’a insulté, etc. Je lui réplique que
rien n’excuse sa conduite, qu’il devait s’adresser
immédiatement à moi pour avoir justice, et non user
de violence avec les habitants d’un village où nous
trouvons l’hospitalité. Ces quelques mots traduits calment
immédiatement l’hostilité des ruraux. Ils disent que
je suis un homme juste, et abandonnent les armes
improvisées dont ils nous menaçaient. Le palefrenier
reconnaît ses torts, me jure qu’il ne recommencera
pas et je lui pardonne. Tout étant terminé, je donne
aussitôt l’ordre du départ; le village entier y
assiste, et la courageuse hôtesse me remercie
d’avoir rétabli le bon ordre. En route, je demande à
mon interprète comment il se fait qu’une femme
coréenne, quand toutes généralement disparaissaient
à notre arrivée, ait pu donner de telles preuves de
son autorité en des circonstances aussi graves. Il
me répond que, ceci s’étant passé en l’absence de
son mari et dans l’enceinte de sa propriété, elle
avait non seulement le droit mais le devoir d’agir
ainsi. En effet, même dans les classes supérieures,
la femme a ici des prérogatives imprescriptibles.
Témoin l’histoire suivante, que nos Pères
missionnaires ont très heureusement traduite d’un
livre coréen de morale en action à l’usage des
jeunes gens des deux sexes: «Vers la fin du siècle dernier, un
noble de la capitale, assez haut placé, perdit sa
femme, dont il avait eu plusieurs enfants. Son âge
déjà avancé rendait un second mariage assez
difficile: néanmoins, après de longues recherches,
les intermédiaires employés en pareil cas firent
décider son union avec la fille d’un pauvre noble de
la province de Kieng-sang. Au jour fixé, il se
rendit à la maison de son futur beau-père, et les
deux époux furent amenés sur l’estrade pour se faire
les salutations d’usage. Notre dignitaire en voyant
sa nouvelle femme resta un moment interdit. Elle
était très petite, laide, bossue, et semblait aussi
peu favorisée des dons de l’esprit que de ceux du
corps. Mais il n’y avait pas à reculer et il en prit
son parti, bien résolu à ne pas l’amener dans sa
maison et à n’avoir aucun rapport avec elle. Les
deux ou trois jours que l’on passa dans la maison du
beau-père étant écoulés, il repartit pour la
capitale et ne donna plus de ses nouvelles. «La femme délaissée, qui était une
personne de beaucoup d’intelligence, se résigna à
son isolement et demeura dans la maison paternelle,
s’informant de temps en temps de ce qui arrivait à
son mari. Elle apprit, après deux ou trois ans,
qu’il était devenu ministre de second ordre, qu’il
venait de marier très honorablement ses deux fils,
puis, quelques années plus tard, qu’il se disposait
à célébrer avec toute la pompe voulue les fêtes de
sa soixantième année. Aussitôt, sans hésiter, malgré
l’opposition et les remontrances de ses parents,
elle prend le chemin de la capitale, se fait porter
à la maison du ministre et annoncer comme sa femme.
Elle descend de son palanquin sous le vestibule, se
présente d’un air assuré, promène un regard
tranquille sur les darnes de la famille réunies pour
la fête, s’assied à la place d’honneur, se fait
apporter du feu, et avec le plus grand calme allume
sa pipe devant toutes les assistantes stupéfaites. «La nouvellc est portée tout de suite à
l’appartement des hommes, mais, par bienséance,
personne n’a l’air de s’en émouvoir. Bientôt la dame
fait appeler les esclaves de service et d’un ton
sévère: «Quelle maison est-ce que celle-ci? leur
dit-elle. Je suis votre maîtresse, et personne ne
vient me recevoir. Où avez-vous été élevées? Je
devrais vous infliger une grave punition, mais je
vous fais grâce pour cette fois. Où est
l’appartement de la maîtresse?» «On se hâte de l’y conduire, et là, au
milieu de toutes les dames: «Où sont mes belles-filles?
demande-t-ellc, comment se fait-il qu’elles ne
viennent pas me saluer? Elles oublient sans doute
que par mon mariage je suis devenue la mère de leurs
maris et que j’ai droit de leur part à tous les
égards dus à leur propre mère». «Aussitôt les deux belles-filles se
présentent, l’air honteux, et s’excusent de leur
mieux sur le trouble où les a jetées une visite
aussi inattendue. Elle les réprimande doucement, les
exhorte à se montrer plus exactes dans
l’accomplissement de leurs devoirs, et donne
différents ordres en qualité de maîtresse de la
maison. Quelques heures après, voyant qu’aucun des
maîtres ne paraît, elle appelle une esclave et lui
dit: «Mes deux fils ne sont certainement pas
sortis en un jour comme celui-ci, voyez s’ils sont à
l’appartement des hommes et faites-les venir». «Ils arrivent très embarrassés et
balbutient quelques excuses. «Comment, leur dit-elle, vous avez
appris mon arrivée depuis plusieurs heures et vous
n’êtes pas encore venus me saluer! Avec une aussi
mauvaise éducation, une pareille ignorance des
principes, que ferez-vous dans le monde? J’ai
pardonné aux esclaves et à mes belles-filles leur
manque de politesse, mais pour vous autres hommes je
ne puis laisser votre faute impunie». «En même temps elle appelle un esclave
et leur fait donner sur les jambes quelques coups de
verge. Puis elle ajoute: «Pour votre père, le ministre, je suis
sa servante, et je n’ai pas d’ordres à lui donner;
mais vous, désormais, faites en sorte de ne plus
oublier les convenances». «A la fin, le ministre lui-même, bien
étonné de tout ce qui se passait, fut bien obligé de
s’exécuter et de venir saluer sa femme. Trois jours
après, les fêtes étant terminées, il retourna au
palais. Le roi lui demanda familièrement si tout
s’était passé aussi heureusement que possible; le
ministre raconta en détail l’histoire de son
mariage, l’arrivée inopinée de sa femme et la
manière dont elle avait su se conduire. Le roi, qui
était, un homme de sens, lui répondit: «Vous avez fort mal agi envers votre
épouse. Elle me paraît une femme de beaucoup
d’esprit et d’un tact extraordinaire; sa conduite
est admirable, et je ne saurais assez la louer;
j’espère que vous réparerez les torts que vous avez
eus envers elle». «Le ministre le promit et, quelques
jours plus tard, le prince conféra solennellement à
la dame une des plus hautes dignités de la cour». Cette anecdote, rapprochée de
l’autorité réelle dont a fait preuve notre
hôtelière, nous montre que chez beaucoup de peuples
les femmes pourraient envier la position sociale
qu’occupe l’épouse en Corée. Sans entrer dans les
nombreuses particularités qui caractérisent ici cet
état social, que nous développerons dans notre
volume, en parlant de la vie, des mœurs et des
coutumes du peuple coréen, nous ajouterons cependant
que si la polygamie existe en Corée, les seconds
mariages y sont fort rares et ont lieu presque
toujours pour obtenir du Ciel le fils nécessaire à
l’accomplissement des rites funéraires. La première
épouse devient alors la mère légale de l’enfant du
second lit. Elle le désire souvent autant que son
mari, non seulement par tendresse pour lui, mais
aussi pour assurer la perpétuité de la famille et
leur repos à tous deux dans l’autre monde. Après avoir passé le Pal-tchil-yang, au
pied d’un des contreforts de la chaîne centrale,
nous arrivons, dans l’obscurité, à un hameau. Là,
faute d’étables pour abriter nos chevaux, fort
sensibles au froid pendant la nuit, nous voulons
réquisitionner des torches comme nous le faisons
souvent dans de pareilles circonstances. Personne
cette fois ne répond à nos appels réitérés, et cela
contre l’usage du pays, car le service des feux est
obligatoire dans les passages difficiles. Bientôt mes hommes se lassent
d’attendre dans l’obscurité, ils enfoncent les
portes, arrachent les habitants à leur sommeil vrai
ou simulé, et les obligent à aller chercher des
troncs de jeunes sapins d’environ deux mètres
préparés pour les voyages nocturnes. Les
arbres-torches sont enfin allumés, ils nous
éclairent d’une lueur sinistre et mille flammèches
rouges roulent sur les toits de chaume, que
l’abondante rosée du soir empêche d’être incendiés.
Comme je m’étonne, à demi asphyxié par l’âpre odeur
de la fumée, de toutes ces lenteurs inusitées, on me
répond que les gorges où nous allons nous engager
sont des plus dangereuses à traverser à pareille
heure: je prends donc immédiatement la tête de la
caravane, précédé par l’homme qui doit m’indiquer le
chemin. Il marche en tournant rapidement du poignet
le tronc de jeune sapin dont une des extrémités a
été écrasée pour en augmenter la flamme. Et ni le
sifflement que fait l’arbuste dans son mouvement
giratoire, ni les étincelles qui passent brusquement
devant les yeux de mon cheval, ni les fragments
embrasés qui crépitent quelquefois sur lui, ne
causent à l’animal aucune émotion. Il suit
paisiblement notre guide. Bientôt, comme suspendus
au flanc de la montagne, nous dominons de quelque
cent mètres un torrent dont l’écume nous apparaît
dans l’abîme comme une lave d’argent que rougissent
mille flammèches perdues, et le mugissement du
gouffre se mêle aux cris des palefreniers et au
bruit des chevaux frappant de leurs fers le sol
rocheux sur lequel ils glissent en hennissant. Scène
étrange, éclairée de lueurs fantastiques par les
feux rouges des torches sautillant ou tournant en
d’immenses cercles embrasés et crépitants. Pendant
que nous avançons lentement à travers les rochers
informes de ce noir enfer, au-dessus de nous
s’étend, entre les sombres crêtes qui nous
environnent, une bande de ciel parsemée d’étoiles.
C’est certainement un des spectacles les plus
émouvants que j’aie vus de ma vie, et tout cela se
renouvelle presque chaque soir pendant la durée du
voyage. Soudain de grandes clameurs, poussées par
mes gens, retentissent; on prévient ainsi à l’avance
le prochain village qu’il ait à préparer des
torches. Nous y arrivons: grand silence, sauf les
chiens qui hurlent à la mort. Nous nous arrêtons, et
sans que nous ayons cette fois à nous occuper de
rien, nos flambeaux vivants frappent à leur tour aux
portes, les enfoncent, et, pénétrant dans les
maisons le feu à la main, ils réveillent ainsi et
amènent de force leurs concitoyens, auxquels ils
remettent leurs torches avec la charge de nous
conduire à leur tour. Une certaine nuit, avant de trouver un
abri pour nos chevaux, nous troublons de la sorte
quatre villages, qui nous fournissent par groupes
successifs une centaine d’éclaireurs. Les hommes ont
bientôt pris leur parti, mais les femmes, qu’on
laisse ainsi brusquement, seules, paraissent
désespérées de notre passage. C’est qu’en certains
endroits leurs maris courent de réels dangers en
passant de nuit le long des précipices et entre des
rochers aux formes les plus étranges, où l’on risque
cent fois de se rompre les os. Aussi, après de
longues heures d’une pareille marche, car il est
absolument impossible de rester à cheval, on est
heureux, en arrivant au gîte, de s’étendre mollement
sur le parquet, la tête appuyée au petit billot de
bois qui sert d’oreiller. Le lendemain notre ascension
recommence, car si nous descendons souvent dans des
vallées de plus en plus étroites, nous remontons
ensuite bien davantage. Le gai miroitement d’une
épaisse rosée donne, le matin, à la verdure alpestre
qui nous entoure je ne sais quelle fraîcheur
printanière, en dépit, çà et là, de quelques
feuilles jaunies par les premiers froids. Le ciel
lui-même, à mesure que nous avançons ainsi vers le
sud-est, change d’aspect. Il va bleuissant chaque
jour davantage et n’a plus cette blancheur
étincelante qui me rappelait à Séoul l’atmosphère
ultra-transparente des régions polaires où l’on se
sent vivre dans la lumière elle-même. Ici, nous
volons comme en plein azur, dominant mille crêtes
onduleuses, recouvertes d’une sombre verdure, qui
forme en son ensemble comme une mer démontée, aussi
formidable par la hauteur de ses énormes vagues
qu’admirable par leur ondoiement superbe, rempli
d’ombres et de clartés contrastantes. Je suis absorbé par toute la poésie de
ce paysage alpestre, quand, non loin d’une petite
chapelle toute remplie d’offrandes, la caravane
brusquement s’arrête au détour d’un mamelon.
Impossible à notre premier cavalier de franchir
l’étroit sentier qui s’offre à lui sans se
précipiter avec son poney dans l’abîme, que nous
dominons d’une hauteur vertigineuse. J’ordonne donc
à tout le monde de mettre pied à terre, pour pouvoir
avec moins de danger ramener nos montures en
arrière. Mais à peine le cheval de tête est-il libre
qu’il s’élance en avant et franchit hardimenl cette
effroyable passe, à la stupéfaction générale. Il n’y
avait plus à hésiter: je fais desseller
immédiatement nos bêtes de charge, car leurs
bagages, en frottant de côté contre les rochers
surplombants, les eussent précipitées dans l’abîme.
Aussitôt dégagé, chaque poney, sans la moindre
hésitation, imite le premier, et tous, la sente
franchie, se mettent joyeusement à courir et brouter
parmi les rochers. Nos hommes, portant deux à deux
le bagage, passent à leur tour, à ma grande anxiété,
car pour eux le moindre faux pas est la mort. Quant
je côtoie moi-même le gouffre rugissant, je
m’explique clairement les nombreuses offrandes que
nous avons remarquées dans la petite chapelle
consacrée au génie de la montagne. Bientôt nous
réorganisons la caravane et reprenons notre route.
Le sentier maintenant est devenu possible; nous
pouvons tranquillement regarder l’abîme sans crainte
de vertige, et voir enfin à notre aise tourbillonner
à nos pieds le superbe torrent, entraînant dans sa
course terrifiante des arbres entiers, qui
s’effritent et bientôt disparaissent au milieu de
rochers recouverts d’écume. Nous marchons de plus en
plus rapidement, vu la raideur des pentes, et
apercevons bientôt à travers les arbres un gros
village, aux maisons espacées cette fois à diverses
hauteurs, et cachées à demi dans la verdure. Les
habitants se sont établis là pour utiliser la fin de
la chute à toutes sortes d’usages industriels. La descente achevée, quittant à regret
ce village, un des plus pittoresques que j’aie vus
en Corée, nous suivons une charmante petite vallée
où se trouve un fort joli bois de châtaigniers aux
arbres espacés. L’ombre de la montagne y projette
une demi-obscurité pleine d’une étrange poésie,
doublée par le parfum pénétrant d’une vigoureuse
végétation et les cris des oiseaux qui se jouent
dans le feuillage. Bientôt les arbres disparaissent,
nous entrons dans un petit vallon où, comme cela
nous arrive journellement, nous voyons à quelque
distance de la route, sur les flancs des collines,
des tombes anciennes presque disparues, que surmonte
seul un bouddha de pierre à demi enseveli, donnant
la sinistre impression d’un mort pétrifié sortant du
sol sa tête amoindrie. Si le reste de l’édicule
n’existe plus, le temps en est l’unique cause, car,
en Corée aussi bien qu’en Chine, la tombe demeure à
jamais respectée. On interroge le ciel pour en fixer
l’emplacement;
tous les ans les parents vont aux époques
déterminées y accomplir les rites funèbres; enfin,
même après des siècles, le laboureur doit détourner
d’elle sa charrue. Quiconque oserait y porter une
main téméraire serait condamné à mort, la tombe
étant, dans l’idée familiale coréenne, le lien
indispensable du passé au présent, comme l’enfant
est l’anneau qui relie le présent à l’avenir. Nous
donnons la reproduction de quelques-uns de ces
bouddhas funèbres que nous avions pieusement
rapportés. Plus loin l’aspect des tombes change,
car ici comme en Europe le cimetière a ses modes:
c’est ainsi que nous rencontrons quelquefois sur
notre route de magnifiques stèle d’une seule pierre,
de 3 mètres de haut sur 1 de large, assez
fréquemment en marbre; le soubassement et le
couronnement sont parfois curieusement sculpté dans
le goût chinois, et l’épitaphe du mort y est gravée
en caractères de cette langue. Les monuments
funèbres des grands personnages sont, en général, de
petites reproductions des magnifiques tombeaux des
Mings dont j’ai admiré la superbe ordonnance aux
environs de Pékin et de Nankin: seulement, au lieu
de s’étendre sur plusieurs centaines de mètres et
d’avoir, le long du parcours, d’énormes monolithes
en pierre d’environ 6 mètres de hauteur,
représentant des personnages ou des animaux
gigantesques, ils sont réduits ici, dans une
proportion égale à l’immense différence qui existe
entre un simple mandarin coréen et l’illustre
fondateur de la dynastie des Mings. En voici la
disposition générale: un monticule de terre
hémisphérique et recouvert de gazon abrite le corps
du mort; en face une grande table en pierre sert à
disposer les offrandes; de chaque côté se dressent
sur deux lignes une suite de figures en pierre
représentant deux guerriers, deux lions ou chiens de
Corée, puis deux colonnettes sur lesquelles l’esprit
du mort comme un oiseau peut se reposer; enfin, à la
droite même de la table en pierre, mais à quelque
distance, s’élève une stèle où est gravée
l’épitaphe; certaines tombes se complètent par
l’adjonction de deux statues de lettrés et même
parfois de deux chevaux de pierre pour le cas où
l’âme du défunt voudrait entreprendre quelques
voyages. Telles sont les principales observations
que j’ai faites sur l’architecture funéraire en
Corée. Quant aux usages et cérémonies relatifs à
l’érection de ses monuments, aux offrandes et
sacrifices funèbres, au deuil, etc., nous en
parlerons lorsque nous nous occuperons du culte des
morts. La nuit est assez avancée à notre
arrivée à l’auberge où nous devons loger. Comme
personne ne répond à nos appels, pour ne pas rester
sans abri, nous sommes obligés, hélas! d’y pénétrer
de force. Le brasier central flambe aussitôt, et je
vois à sa lueur quelques femmes à demi vêtues
s’enfuir des chambres des voyageurs, qu’il leur est
interdit d’habiter. Tout mon monde installé, je
commence à peine à souper qu’un effroyable
tintamarre retentit. Certes les Coréens sont très
bruyants, ils aiment à parler haut, à rire, à
chanter, à crier, à musiquer, souvent même au milieu
des champs, où nous avons entendu le plus
charivarique concert de voix et d’instruments qu’on
puisse imaginer. Eh bien, ajoutez encore à tous ces
bruits le grognement effroyable que poussent les
porteurs de mandarins de passage ici, et vous aurez
une faible idée de l’épouvantable cacophonie qui
nous tint éveillés toute la nuit. En voici la cause:
une maison située à quelque cent mètres de l’auberge
est, paraît-il, hantée par un mauvais esprit, qui,
échappé de la tombe, attire une série non
interrompue de malheurs sur la famille dont il est
devenu l’hôte dangereux. Aussi, pour y remédier, a-t-on fait
venir un certain nombre de sorciers, qui sont en
train d’opérer. Voici comment ils opèrent: ils
dressent d’abord dans l’intérieur de la maison un
autel funèbre recouvert des mets les plus exquis,
prient l’esprit de bien vouloir accepter. en le
conjurant de renoncer à tourmenter des gens qui sont
prêts à tout faire pour lui. S’il hésite, on cherche
à le convaincre en passant toute la nuit à chanter,
à danser et à faire un infernal vacarme avec des
instruments de toutes sortes, en poussant des
clameurs qu’on entend à plus d’un kilomètre. Cette
cérémonie dure souvent plusieurs nuits, car nos
sorciers, admirablement nourris et entretenus
pendant ce temps, ne mettent ordinairement fin à
leurs conjurations qu’après avoir épuisé les
ressources de la maison; à moins qu’on ne les
appelle ailleurs dans de meilleures conditions.
Alors ils déclarent qu’ils vont employer la force
contre l’esprit irascible, et la nuit qui précède
leur départ le tintamarre redouble, si c’est
possible. Sorciers et sorcières, armés d’une fourche
et d’un glaive montés sur bois peint en rouge et
orné d’un gland de même couleur, pourchassent avec
grand vacarme le mauvais esprit dans la pièce où on
l’a forcé de se réfugier. Ils l’acculent dans un des
angles de la chambre, et l’obligent, vers le matin,
à entrer dans une bouteille préparée, qu’on rebouche
immédiatement avec le plus grand soin pour
l’enterrer ensuite à tout jamais. La cérémonie est
définitivement terminée. Il ne reste plus qu’à payer
largement nos bruyants sorciers et à les congédier
jusqu’à ce que de nouveaux malheurs obligent à
recourir à leur aide. En dehors de l’intérêt
ethnique, je conclus de tout ceci que le Diable boiteux
de Lesage, traduit en coréen, aurait là-bas un grand
succès. Des cérémonies à peu près identiques à
celles que je viens de décrire ont lieu dans
beaucoup d’autres cas, notamment pour conjurer
l’esprit de la petite vérole. Cette maladie, en
dépit d’un vaccin nasal (85) imaginé par les
Coréens, exerce les plus épouvantables ravages.
Presque tout le monde en porte les marques, et des
milliers de personnes en meurent chaque année.
Aussi, lorsqu’elle survient, chacun pour la désarmer
suspend aux murs de sa maison de curieuses peintures
représentant le terrible esprit sous la figure d’un
personnage à pied ou à cheval, mais toujours revêtu,
homme ou femme, du costume des plus hauts
dignitaires du royaume: on espère, en l’honorant
ainsi, détourner sa colère. Mais ces moyens extra-médicaux ne
réussissent pas toujours. Alors on fait venir
sorciers et sorcières, qui recommencent leur joyeuse
vie d’excellents repas, de musique et de danses
frénétiques, aux bonds prodigieux. Ces soi-disant
invocations durent jusqu’à ce qu’enfin la mort ou
beaucoup plus rarement la guérison mette un terme à
cet effroyable sabbat. Les jours suivants nous passons
successivement par Namtchang, Na-oul, Em-kol,
traversons heureusement la rivière de Mo-do-ri pour
arriver enfin à la base du dernier sommet du
Song-na-san, qui sépare le Kyeng-syang-to de la
province que nous allons quitter. Il ne nous reste
donc plus qu’à dire quelques mots de cette dernière.
Le Tchyoung-tchyeng-to est borné au
nord par le Kyeng-keui-to et le Kang-ouén-to, à
l’est par le Kyeng-syan-to, enfin à l’ouest par la
mer Jaune et au sud par le Tjyen-la-to. Parmi les
nombreuses montagnes qui la couvrent, nous
signalerons le Paik-oun-san au nord, tandis que le
Song-na-san limite de ses hauts sommets sa frontière
est. Elle est arrosée au nord par le Han-kang, au
sud par le Keum-kang et ses nombreux affluents. Les productions naturelles de cette
province sont les mêmes que celles de Kyeng-keui-to,
dont nous avons parlé; on vante pourtant ses
châtaignes, de la grosseur d’une petite poire, et
ses coqs au plumage très fin, dont la queue a
souvent 5 pieds de long. Enfin, de même que dans le
Kyeng-keui-to, on trouve de nombreux restes
d’antiquités. Tchyoung-tchyeng-to et le Kang-ouen-to
formaient l’ancien pays des Ma-han. La capitale se
nomme Kong-tyou; elle est située au sud de la ville
royale; toute la province est subdivisée en
cinquante-quatre administrations, comprenant: Quatre fok (moü)
ou grandes préfectures; Une fou ou
ville départementale; Onze koun (kun)
ou principautés; Une reï (ling)
ou juridiction particulière; Trente-sept ken (kian)
ou inspections des mines et salines; Six yek (y) ou
direction des postes; Six fo (phou)
ou places fortes; Vingt grands
vaisseaux de guerre; Vingt
vaisseaux de guerre de moyenne grandeur; Un général en
chef de l’ armée; Deux kou-ké
(yu-heou) ou ducs. Tel est l’état
sommaire géographique, productif, administratif de
la province de Tchoung-tchyeng, dont la population,
d’après les relevés japonais, est de 460 000
habitants, mais, pour les raisons dont j’ai déjà
parlé, peut être portée presque au double. |